L’islamophobie ou la convergence des haines
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Nous sommes nombreux à œuvrer pour la convergence des consciences et des luttes. Si nous ne parvenons pas aux résultats escomptés, une autre convergence a lieu sous nous yeux et se révèle, elle, d’une redoutable efficacité : la convergence des haines.
Le point de cristallisation de cette convergence est l’islamophobie, c’est-à-dire l’ensemble des discriminations subies en raison de la croyance réelle ou supposée en la religion musulmane.
Le facteur démultiplicateur de cette haine est d’une part la peur légitime des attentats et d’autre part le rejet illégitime de nos concitoyens de confession musulmane.
Cette peur est légitime car la France, de Paris à Nice, est frappée de plein fouet par les attentats. Il s’est développé en France, puisque de nombreux terroristes ayant commis ou tenté de commettre des attentats sont français, ce qu’il faut désormais nommer un “terrorisme français”.
Ce rejet est, lui, illégitime car quand bien même ces attentats sont commis au nom de l’islam nos concitoyens musulmans dans leur immense majorité n’ont strictement rien à voir à ces actes odieux.
La thèse de la radicalisation de l’islam (à l’inverse de celle de l’islamisation de la radicalité) laisse penser qu’il n’y a entre l’islam pratiqué par nos concitoyens et les actes terroristes sanguinaires qu’une différence de degrés et non une différence de nature. De l’islam au terrorisme, il n’y aurait qu’un pas à franchir. Nous devons dénoncer avec force l’amalgame abject selon lequel tout maghrébin serait musulman et tout musulman serait un terroriste potentiel. Cet amalgame permet de légitimer et de raviver la vieille haine des arabes sous couvert de lutte contre le terrorisme.
Nous voyons donc converger et s’unir dans le rejet des musulmans trois vecteurs de haine de provenances différentes : les promoteurs des thèses d’extrême droite traditionnelle, des laïcistes de droite et de gauche et des sionistes radicaux.
L’extrême droite tout d’abord, qui, pour recycler sa vieille haine des arabes est prête à mettre de côté son antisémitisme fondateur. Elle trouve dans la peur des attentats non seulement la justification de son racisme anti-arabe mais aussi la légitimation de sa politique migratoire et de la thématique de l’invasion puis du grand remplacement. Les réfugiés sont ainsi des victimes collatérales de cette islamophobie d’extrême droite, puisque sous prétexte que des terroristes se cacheraient parmi les migrants, on justifie la fermeture des frontières.
Les thèses de Renaud Camus ont trouvé dans Soral puis dans Zemmour et Finkielkraut des promoteurs très efficaces. La banalisation des idées d’extrême droite est généralisée. De nombreux leaders de la droite dite républicaine les reprennent à leur compte en toute impunité et les Identitaires, aux actions souvent violentes, s’en abreuvent directement. Surfant sur la peur légitime des attentats, cette extrême droite là n’a plus besoin de parti politique de pointe pour exister. Son corpus idéologique est posé et progressivement accepté, son accès aux grands médias est indéniable, son intégration à la doxa populaire est effective.
Les laïcistes de droite comme de “gauche” (car malheureusement les guillemets s’imposent) font eux aussi feu de tout bois contre l’islam. Sous couvert de défendre de façon intransigeante la laïcité ils en viennent à la dénaturer. Alors que la République française respecte toute les croyances (article 1er de la Constitution) et qu’elle est garante du libre exercice du culte (article 1er de la loi de 1905), les laïcistes vont instrumentaliser la laïcité pour combattre une religion spécifique, l’islam.
Les laïcistes sont en réalité de deux ordres, qui dépassent le clivage droite/gauche : ceux qui travestissent la laïcité pour combattre une religion donnée (l’islam) et ainsi en réaffirmer une autre (le christianisme), on a ainsi vu le député Ciotti déposer un amendement pour inscrire dans la Constitution les racines chrétiennes de la France… Et ceux qui combattent toute forme de religiosité, comme si l’interdiction de tout signe religieux dans l’espace public, quel qu’il soit, suffirait à arrêter les attentats… Cette seconde catégorie défend davantage la sécularisation que la laïcité et ses partisans devraient en réalité être appelés des “sécularistes”…
L’une des victimes collatérales de l’islamophobie laïciste est le féminisme, copieusement instrumentalisé et détourné pour la cause. Les propos d’Elisabeth Badinter en sont la sinistre démonstration…
Le sionisme radical (à défaut d’une meilleure dénomination) vient compléter ce sombre tableau, voyant là un moyen détourné de justifier l’occupation militaire de la bande de Gaza. La haine du sioniste à l’égard de l’arabe trouve dans la peur du terrorisme un exutoire inespéré. La survie d’Israël dépend pour les sionistes radicaux de la diabolisation de l’islam, notamment dans les pays comme la France.
Victime collatérale de cette islamophobie sioniste, l’antisionisme politique peine à exister : ce sionisme là se nourrit de l’amalgame entre judaïsme et sionisme en tentant de disqualifier tout argument antisioniste en taxant son auteur d’antisémitisme.
Alors que l’on peut saluer le fait qu’Emmanuel Macron n’ait jamais versé dans l’islamophobie, son amalgame entre antisionisme et antisémitisme est désastreux.
L’instrumentalisation politique de la shoah se poursuit sans fin et se métamorphose à son tour.
L’une des constantes commune aux différents vecteurs de haine est le fait de passer bien plus de temps à lancer des anathèmes et jeter l’opprobre sur des ennemis potentiels qu’à combattre les ennemis déclarés, c’est-à-dire le terrorisme proprement dit. Et ces ennemis potentiels sont ceux qui pourraient être en réalité des terroristes (les musulmans, les réfugiés) mais aussi ceux qui seraient des traîtres car des soutiens de cette islamisation rampante : les islamo-gauchistes, ceux que, dans son livre de campagne, François Fillon nommaient les “collaborateurs”.
Traité bien souvent d’islamogauchiste, j’ai vu les insultes à mon encontre redoubler de virulence lorsque j’ai remis en cause l’une des cautions intellectuelles de cette convergence des haines : Alain Finkielkraut, paré de ses beaux habits d’académicien et des ors de la République.
Le maintien du statut d’académicien de celui que reprend à son compte la catégorisation des citoyens en “français de souche” et “non souchiens” et la théorie du grand remplacement contribue à la banalisation de ces thèses.
A la suite d’une pétition lancée pour sa destitution de l’Académie Française (lire ici), j’ai reçu un flot d’insultes à la fois des identitaires d’extrême droite et à la fois de sionistes me reprochant d’être un “mauvais juif”, un “traître”, un “renégat”, un “kapo”… (lire ici). Les laïcistes de gauche, eux, se sont contentés de quelques reproches sur la thématique de la défense de la liberté d’expression… du moment, encore une fois, qu’elle permet de dénigrer l’islam.
La figure institutionalisée de Finkielkraut déversant son islamophobie dans tous les grands médias apparaît bien alors comme une clef de voûte de cette convergence des haines.
En définitive, pendant que certains ergottent encore sur le mot islamophobie, la réalité qu’il désigne, à savoir les discriminations subies par toute personne supposée musulmane, insultes verbales et agressions physiques, ne peut être niée. Cette discrimination là constitue le point de convergences des haines d’extrême droite, laïcistes et sionistes. Et le devoir de tout citoyen oeuvrant pour le vivre ensemble et la solidarité est de la combattre.
https://blogs.mediapart.fr/david-nakache/blog/040118/lislamophobie-ou-la-convergence-des-haines
L’hostilité systématique à l’égard de l’islam est très anciennement ancrée dans la pensée occidentale. D’essence chrétienne, elle prend sa source dans l’esprit de croisade, fleurit pendant l’expansion coloniale et, après un temps de latence, reprend vigueur avec la « guerre contre le terrorisme ». Le mot « islamophobie » qui l’illustre a, quant à lui, une centaine d’années.
Si désormais, au nom de la défense de la laïcité, certains intellectuels français très médiatiques ne craignent pas d’assumer la bêtise haineuse qu’il recouvre, d’autres, heureusement, s’emploient à la dénoncer.
Historiquement, l’affrontement armé a encadré la totalité de l’histoire des rapports entre l’Occident et le monde musulman. Il fut le premier mode de contact, lors de la conquête arabe du sud de l’Europe, puis lors des Croisades, en Orient. Et si l’on s’en tient à la colonisation française à l’ère moderne, toutes les générations de Français depuis 1830 ont perçu des échos d’affrontements avec le monde arabo-musulman au sein de l’empire : prise d’Alger (1830), guerre menée par Abd el-Kader (1832-1847), révolte de Kabylie(1871), lutte contre les Kroumirs et établissement du protectorat sur la Tunisie (1880-1881), conquête du Maroc et établissement du protectorat sur ce pays (1907-1912), révolte en Algérie (1916-1917), guerre du Rif (1924-1926), révolte et répression en Algérie (mai 1945), affrontements avec l’Istiqlal et le sultan au Maroc (1952-1956), avec le Néo-Destour en Tunisie (1952-1954), cycle clos par la guerre d’Algérie (1954-1962). La parenthèse fut ensuite refermée…provisoirement, puisque le concept de « choc des civilisations » est revenu en force depuis le début du XXIe siècle.
L’islamophobie, historiquement inséparable du racisme anti-arabe, a plusieurs siècles d’existence. N’est-il pas remarquable, par exemple, que certains éléments constitutifs de la culture historique des Français soient intimement liés à des affrontements avec le monde arabo-musulman ? Pourquoi Poitiers, bataille mineure, a-t-elle pris la dimension de prélude — victorieux — au « choc des civilisations » ? Pourquoi Charles Martel, un peu barbare sur les bords, est-il l’un des premiers héros de l’histoire de France, comme « rempart » de la civilisation ? Interrogez les « Français moyens », ceux en tout cas qui ont encore la mémoire des dates : Poitiers (732) arrive encore dans le peloton de tête, avec le couronnement de Charlemagne en 800, la bataille de Marignan en 1515 ou la prise de la Bastille en 1789.
Pourquoi la bataille de Roncevaux en 778, où pas un seul musulman n’a combattu (les ennemis du preux Roland étaient des guerriers basques) est-elle devenue le symbole de la fourberie des Sarrazins, attaquant en traîtres à dix contre un ? Nul ancien collégien n’a oublié qu’il a fait connaissance avec la littérature française, naguère, par la Chanson de Roland. Et nul ne peut avoir chassé de sa mémoire la personnification du Bien par les chevaliers de lumière venant d’Occident et celle du Mal par les sombres guerriers de la « nation maudite / Qui est plus noire que n’est l’encre ». C’est plusieurs siècles avant les théoriciens et illustrateurs de la pensée coloniale que l’auteur écrit : « Les païens ont tort, les chrétiens ont le droit. » La guerre entre « eux » et « nous » commençait sous les auspices du manichéisme le plus candide. Oui, le racisme anti-arabe, longtemps (toujours ?) inséparable de l’islamophobie, a plusieurs siècles d’existence, remonte au Moyen-âge (croisades), puis à la Renaissance avec, notamment, les matamores, littéralement les tueurs de maures, de la Reconquista espagnole.
Plus tard, à l’ère coloniale, l’hostilité fut énoncée avec la plus parfaite bonne conscience, sur le ton de l’évidence : « C’est évident : l’islam est une force de mort, non une force de vie »1. Persuadés d’être porteurs des vraies — des seules — valeurs civilisationnelles, les contemporains de la conquête, puis de la colonisation, allèrent de déboires en désillusions : les catholiques et les missionnaires constataient, navrés, que la religion musulmane était un bloc infissurable ; les laïques intransigeants se désolaient, rageurs, de voir que leur conception de la Raison ne pénétrait pas dans ces cerveaux obscurcis par le fanatisme… Dès lors, les notions d’« Arabes » — la majorité des Français appelaient Arabes tous les colonisés du Maghreb — et de musulmans se fondirent en une sorte de magma incompréhensible, impénétrable. Hostilité de race et hostilité de religion se mêlèrent en une seule « phobie ».
Il revenait à Ernest Renan de synthétiser tout l’esprit d’une époque :
L’islam est la plus complète négation de l’Europe. L’islam est le dédain de la science, la suppression de la société civile, c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie : “Dieu est Dieu“.
La réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy Frères, 1871.
UN MOT QUI REMONTE À 1910
Il faut nommer cet état d’esprit ; le mot « islamophobie » paraît le mieux adapté. Et contrairement à une vulgate répandue, il est plus que centenaire. La première utilisation du mot retrouvée date de 1910. Elle figure sous la plume d’un certain Alain Quellien, aujourd’hui oublié. Il proposait une définition d’une surprenante modernité :
L’islamophobie : il y a toujours eu, et il y a encore, un préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d’aucuns, le musulman est l’ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l’Européen, l’islamisme2 est la négation de la civilisation, et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu’on peut attendre de mieux des mahométans.
La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose.
Ainsi, dès sa première apparition écrite, le mot « islamophobie » était accompagné de celui de « préjugé » et du concept de « choc des civilisations ». Suivait une liste impressionnante de citations venant de tous les horizons, multipliant les reproches hostiles : l’islam était assimilé à la guerre sainte, à la polygamie, au fatalisme, enfin à l’inévitable fanatisme.
La même année, Maurice Delafosse, étudiant lui aussi l’islam, cette fois en Afrique subsaharienne, l’emploie à son tour :
Pris en bloc, et à l’exception de quelques groupements de Mauritanie encore hostiles à la domination européenne, l’état d’esprit des musulmans de l’Afrique occidentale n’est certainement pas opposé à notre civilisation (…). Quoi qu’en disent ceux pour qui l’islamophobie est un principe d’administration indigène, la France n’a rien de plus à craindre des musulmans en Afrique occidentale que des non musulmans (…). L’islamophobie n’a donc pas de raison d’être dans l’Afrique occidentale.
Revue du Monde musulman, vol. XI, 1910.
Deux ans plus tard, Delafosse publie son maître ouvrage, dans lequel il reprend mot à mot son article de 1910, en remplaçant seulement les mots « Afrique occidentale » par « Haut-Sénégal-Niger ».
En 1912, le grand savant Louis Massignon rapporte les propos de Rachid Ridha, un intellectuel égyptien, lors du congrès international des oulémas. Évoquant les attitudes des différentes puissances à l’égard de l’islam, Massignon reprend le mot à son compte : « La politique française pourra devenir moins islamophobe » (sous-entendu : que les autres puissances coloniales). De façon significative, il titre son article « La défensive musulmane »3. On a bien lu : « défensive » et non « offensive ».
Après guerre, Étienne Dinet, grand peintre orientaliste converti à l’islam et son ami Slimane ben Ibrahim réemploient le mot dans deux ouvrages, en 1918 puis en 19214. Dans le second, ils exécutent avec un certain plaisir un jésuite, le père Henri Lammens, qui avait publié des écrits à prétention scientifique, en fait des attaques en règle contre le Coran et Mohammed. Dinet conclut : « Il nous a semblé nécessaire de dévoiler, non seulement aux musulmans, mais aussi aux chrétiens impartiaux, à quel degré d’aberration l’islamophobie pouvait conduire un savant. »
Le mot apparaît également dans la presse, justement dans une critique fort louangeuse du premier de ces ouvrages : « Le fanatisme de Mohammed n’est ni dans sa vie ni dans le Coran ; c’est une légende inventée par les islamophobes du Moyen Âge »5.
UN MENSONGE HISTORIQUE QUI DURE
Le mot (non la chose) va ensuite disparaître du vocabulaire jusqu’aux années 1970-1980. En 2003, deux écrivaines, Caroline Fourest et Fiametta Venner, publient dans leur revue un dossier au titre évocateur, « Islamophobes… ou simplement laïques ? »6. Le titre de l’article introductif utilise le mot « islamophobie » assorti d’un prudent — et significatif — point d’interrogation. Il commence par cette formule : « Le mot “islamophobie“ a une histoire, qu’il vaut mieux connaître avant de l’utiliser à la légère ». Certes. Mais elles se fourvoient et, exposition médiatique aidant, elles ont fourvoyé depuis des dizaines d’essayistes, probablement des milliers de lecteurs. Car elles affirment que les mots « islamophobie » et « islamophobe » ont été en quelque sorte des bombes à retardement déposées par la révolution iranienne, puis repris par des obscurantistes musulmans un peu partout en Occident. Les deux essayistes affirment en effet :
Il [le mot « islamophobie »] a été utilisé en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de “mauvaises musulmanes“ en les accusant d’être “islamophobes“. Il a été réactivité au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission dont les statuts prévoient de “recueillir les informations sur les abus des droits de Dieu“. De fait, la lutte contre l’islamophobie rentre bien dans cette catégorie puisqu’elle englobe toutes les atteintes à la morale intégriste (homosexualité, adultère, blasphème, etc.). Les premières victimes de l’islamophobie sont à leurs yeux les Talibans, tandis que les “islamophobes“ les plus souvent cités par ces groupes s’appellent Salman Rushdie ou Taslima Nasreen !
Cette version, qui ignore totalement l’antériorité coloniale du mot, sera reprise sans distance critique en 2010 par l’équipe du Dictionnaire historique de la langue française : « Islamophobie et islamophobe, apparus dans les années 1980… », donnant ainsi à cette datation – une « simple erreur » d’un siècle — un couronnement scientifique.
Cette « erreur » reste très largement majoritaire, malgré les mille et un démentis. Caroline Fourest a ensuite proposé en 2004 dans son essai Frère Tariq, une filiation directe entre le khomeinisme et le penseur musulman Tariq Ramadan, qui le premier aurait tenté selon elle d’importer ce concept en Europe dans un article du Monde Diplomatique de 1998. En fait, si le mot y figure effectivement, entre guillemets, ce n’est que sous forme de reprise : « On peut parler d’une sorte d’ “islamophobie“, selon le titre de la précieuse étude commandée en Grande-Bretagne par le Runnymede Trust en 1997 »7. Il paraît difficile de faire de ce membre de phrase une tentative subreptice d’introduire un concept dans le débat français. D’autant… qu’il y figurait déjà. Un an plus tôt, dans le même mensuel, le mot était déjà prononcé par Soheib Ben Cheikh, mufti de la mosquée de Marseille : « La trentaine ardente et cultivée, il entend “adapter un islam authentique au monde moderne“, combattre l’ “islamophobie“ et, simultanément, le sentiment de rejet, de frustration et d’“enfermement“ dont souffrent les musulmans de Marseille »8.
LE « SANGLOT » DE L’HOMME BLANC
Pour les deux écrivaines déjà citées, c’est le mot même qui est pourtant à proscrire, car il est porteur de « terrorisme intellectuel », il serait une arme des intégristes dans leur lutte contre la laïcité, interdisant de fait toute critique de l’islam.
L’essayiste Pascal Bruckner, naguère auteur du Sanglot de l’homme blanc, sous-titré Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi(1983), pourfendeur plus récemment de la Tyrannie de la pénitence (2006), ne pouvait que partager les convictions de ses jeunes collègues :
Forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 70 pour contrer les féministes américaines, le terme d’“islamophobie“, calqué sur celui de xénophobie, a pour but de faire de l’islam un objet intouchable sous peine d’être accusé de racisme (…). Nous assistons à la fabrication d’un nouveau délit d’opinion, analogue à ce qui se faisait jadis dans l’Union soviétique contre les ennemis du peuple. Il est des mots qui contribuent à infecter la langue, à obscurcir le sens. “Islamophobie“ fait partie de ces termes à bannir d’urgence du vocabulaire ».
Libération, 23 novembre 2010.
Pour sa part, Claude Imbert, le fondateur et éditorialiste historique du Point, un hebdomadaire en pointe en ce domaine, utilisa — et même revendiqua — le mot dans une déclaration sur la chaîne de télévision LCI le 24 octobre 2003 :
Il faut être honnête. Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire (…). J’ai le droit, je ne suis pas le seul dans ce pays à penser que l’islam — je dis bien l’islam, je ne parle même pas des islamistes — en tant que religion apporte une débilité d’archaïsmes divers, apporte une manière de considérer la femme, de déclasser régulièrement la femme et en plus un souci de supplanter la loi des États par la loi du Coran, qui en effet me rend islamophobe.
Cette déclaration suscita diverses critiques, qui amenèrent le journaliste à répliquer, la semaine suivante, lors de la même émission : « L’islam, depuis le XIIIe siècle, s’est calcifié et a jeté sur l’ensemble des peuples une sorte de camisole, une sorte de carcan ». Il se disait « agacé » par l’accusation de racisme dont il était l’objet : « L’islamophobie (…) s’adresse à une religion, l’islam, non pas à une ethnie, une nation, un peuple, pas non plus à des individus constituant le peuple des musulmans… ».
Est-il bien utile de poursuivre la liste de ces nouveaux combattants, de ces modernes « écraseurs de l’infâme »9 ? Chaque jour, parfois chaque heure, ils ont l’occasion de répéter leurs vérités, dans des hebdomadaires à couvertures en papier glacé, à la télévision, dans des cénacles, sans craindre des contradicteurs ultra-minoritaires… ou absents.
Si l’utilisation du concept par certains musulmans fondamentalistes, à la moindre occasion, peut et doit irriter, il paraît cependant difficile de contester que des islamophobes existent et qu’ils agissent. Tout acte hostile, tout geste brutal, toute parole insultante contre un(e) musulman(e) parce qu’il (elle) est musulman(e), contre une mosquée ou une salle de prière, ne peut être qualifié que d’acte islamophobe. Et, puisqu’il y a des islamophobes, qu’ils constituent désormais un courant qui s’exprime au sein de la société française, comment qualifier celui-ci autrement que d’islamophobe ?
Les musulmans de France n’ont nullement besoin d’avocats. Dans leur grande majorité hostiles à la montée — réelle — de l’intégrisme, ils placent leur combat sur le terrain de la défense d’un islam vrai, moderne, tolérant, tout en restant fidèle à la source.
RÉFUTER LA LOGIQUE D’AFFRONTEMENT
Parallèlement, une forte réaction s’est dessinée, par des auteurs ne se situant pas du tout dans une vision religieuse, pour réfuter et dénoncer la logique d’affrontement. Alors que l’usage même du mot apparaissait à beaucoup comme une concession aux terroristes (au moins de la pensée), Alain Gresh titra justement : « Islamophobie » un article novateur du Monde Diplomatique(novembre 2001). En 2004, le sociologue Vincent Geisser publiait aux éditions La Découverte la première étude synthétique sur la question, La nouvelle islamophobie. L’année suivante, un autre chercheur, Thomas Deltombe, décortiquait chez le même éditeur L’islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005.
Les essais plus récents d’Edwy Plenel, Pour les musulmans (La Découverte, 2013) et de Claude Askolovitch, Nos mal-aimés, ces musulmans dont la France ne veut pas( Grasset, 2013) ont entamé une contre-offensive. Ce dernier affirme, dans son chapitre de conclusion :
Ce que la France a construit depuis vingt-cinq ans à gauche comme à droite, à force de scandales, de lois et de dénis, de mensonges nostalgiques, c’est l’idée de l’altérité musulmane, irréductible à la raison et irréductible à la République ; la proclamation d’une identité en danger, nationale ou républicaine, et tout sera licite — légalement — pour la préserver…
Chez les catholiques progressistes, même réponse :
Schizophrénie. Tandis que les révolutions arabes témoignent d’une soif de démocratie de la part des musulmans, la peur de l’islam empoisonne l’atmosphère en France et, à l’approche des élections, l’épouvantail est agité plus que jamais. Sarkozy n’a-t-il pas voulu un débat sur la place de l’islam dans la République ? Il reprend ainsi un des thèmes favoris du Front national.
Revue Golias, n° 137, mars 2011.
Autre écho contemporain, sous la plume de Jean Baubérot, spécialiste de la sociologie des religions et de la laïcité :
De divers côtés, on assiste à la multiplication d’indignations primaires, de propos stéréotypés qui veulent prendre valeur d’évidence en étant mille fois répétés par le moyen de la communication de masse. L’évolution globale est inquiétante, et cela est dû à la fois à la montée d’extrémismes se réclamant de traditions religieuses (au pluriel) et d’un extrême centre qui veut s’imposer socialement comme la (non) pensée unique et rejette tout ce qui ne lui ressemble pas (…). L’Occident est le “monde libre“ paré de toutes les vertus face à un islam monolithique et diabolisé.
Le Monde, 6 octobre 2006.
Suit dans le même article un parallèle entre l’antisémitisme du temps de l’affaire Dreyfus et la montée de l’islamophobie au début du XXIe siècle : « De tels stéréotypes sont permanents : seuls changent les minorités qu’ils transforment en boucs émissaires. La lutte contre l’intolérance ne dispense pas de la lutte contre la bêtise haineuse ». En ces temps où les grands qui nous dirigent n’ont que le mot « guerre » à la bouche ou sous la plume, il est des phrases réconfortantes10.1Arnold Van Gennep, La mentalité indigène en Algérie, Mercure de France, septembre-décembre 1913.
2À l’époque synonyme d’islam.
3Revue du Monde musulman, vol. XIX, juin 1912.
4La vie de Mohammed, Prophète d’Allah, H. Piazza & Cie ; L’Orient vu de l’Occident, Piazza & Geuthner.
5Édouard Sarrazin, Journal des Débats, 6 août 1919.
6Revue ProChoix, n° 26-27, automne-hiver 2003.
7Commission présidée par le professeur Gordon Conway, Islamophobia : Fact Not Fiction, Runnymede Trust, octobre 1997.
8Cité par Philippe Pons, juillet 1997.
9NDLR. Surnom de Voltaire, pour qui l’« infâme » était le fanatisme religieux.
10On notera la prise de position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui a entériné le terme d’islamophobie dans son rapport de 2013.
https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/311217/islamophobie-un-mot-un-mal-plus-que-centenaires
Malgré la publication de travaux universitaires sur l’islamophobie qui démontre l’ancienneté du terme
Malgré la multiplication d’enquêtes officielles et de chercheurs qui illustrent l’existence et la persistance de ce phénomène sous différentes formes : discriminations, violences, insultes..
Malgré la multiplication des plaintes par des victimes d’islamophobie
Malgré la multiplication dans la presse régionale et nationale française d’articles relatant des « affaires » d’islamophobie
Malgré la multiplication de déclarations remettant en cause la présence de l’islam et des musulmans et musulmanes en Europe
Malgré les discours et pratiques islamophobes assumés par une part grandissante de l’extrême droite en Europe
Malgré la multiplication d’attaques de lieux de cultes musulmans en Europe
Malgré cette réalité, beaucoup au sein de la gauche parlementaire et extra-parlementaire nie l’existence et même la possibilité d’un racisme ciblant la population de confession musulmane, préférant ergoter sur le terme islamophobie, racisme anti-musulman… Alors qu’il suffit d’observer et d’écouter celles et ceux qui assument pleinement le terme et comment pour une poignée de dollars ou d’euros ce que l’on peut trouver facilement dans la réalité :
https://quartierslibres.wordpress.com/2017/12/21/deni-dislamophobie/
Ce que vous appelez “…Le sionisme radical (à défaut d’une meilleure dénomination)…”
A pour nom réviso-sionisme, courant ultra-Nationaliste né en Europe dans les conditions des années 30,fascisme et nazisme.
Ces sionistes-révisionnistes seront combattu par les sionistes canal historique qui ne perdront le pouvoir en Israël véritablement qu’avec Netanyahu, fils du principal théoricien de ce courant fasciste juif.
Je suis islamophobe,judéophobe et chrétienphobe et fier de l’être, la religion c’est l’école du crime et le sida de l’humanité
Je suis “une sale gaucho soumise à l’Islam”
https://www.youtube.com/watch?v=Lmq_7kCukyQ
plusieurs commentaires ont été masqués : certains islamophobes, un autre parce que c’était le 3ème long article posté en commentaire et que là, pas le temps de le lire pour vérifier ce qu’il contient, désolé, on le revisibilisera dès que possible !
Pour celles et ceux qui prétendent que l’islamophobie n’est pas un racisme, voire même que ce serait le summum de l’anarchisme, quelques lectures utiles :
https://quartierslibres.wordpress.com/2016/04/20/libertaires-contre-lislamophobie/
https://blogs.mediapart.fr/enavant/blog/190615/pas-d-islamophobie-au-nom-des-idees-libertaires
https://www.bboykonsian.com/Libertaires-contre-l-islamophobie-Tract-du-17-avril-2016_a3452.html
http://alternativelibertaire.org/?Racisme-antimusulman-Riposter-a-l
https://grenoble.indymedia.org/2015-03-13-Protestation-devant-les
[…]
Il faut comprendre que ces gens-là, ont tout de même bien conscience qu’il y a un problème avec les femmes. C’est pas que cela les empêche de se raser le matin mais, tout de même cela tire un peu aux encoignures quand on te rappelle les 50 000 viols par an, la violence conjugale ou l’inégalité salariale. On ne va pas pour autant entamer des réformes sociales d’importance, ou réfléchir à quoi que ce soit qui pourrait nous ôter une once de privilège donc coller le sexisme sur le dos des musulmans tout en payant des amendes sur la parité s’avère, au final, une technique assez confortable. Et quand cela ne marche plus, on explique aux femmes qu’elles l’ont bien cherché et le problème est réglé.
L’extrême-droite l’a d’ailleurs assez bien compris et l’on voit surgir, ça et là des articles nous expliquaient doctement que le viol est commis en Suède à 85% par des étrangers. Marine Le Pen n’a pas encore enfourché le destrier féministe – ses militants ne se sont pas encore remis du fait qu’ils sont dirigés par une femme, ils sont occupés à ramasser leurs couilles un peu partout – cela ne saurait tarder, rassurons-nous et on imagine très bien d’ici deux à trois ans, des chouettes affichettes défendant nos filles et nos compagnes contre les coups de boutoir vigoureux du sarrasin. C’est que le militant nationaliste a ses petites faiblesses et il n’aime rien tant que l’idée virtuelle de défendre ses fragiles femmes contre d’imaginaires agresseurs basanés.
Se servir du féminisme pour taper sur l’islam a un énorme avantage ; diviser les luttes. On part déjà du principe qu’islam et féminisme sont antinomiques. Un-e musulman-e ne peut pas être féministe et un-e féministe ne peut pas être musulman-e. On introduit doucement l’idée que l’islam est donc forcément contre la démocratie puisque l’égalité hommes/femmes serait garantie par ce régime (on y reviendra). Musulmans et féministes sont donc présentés comme deux groupes forcément antagonistes. […]
http://www.crepegeorgette.com/2013/09/13/islam-feminisme/
La bataille politique est d’abord une bataille de mots : ceux qu’on refuse, et ceux qu’on choisit. Car nommer les choses, c’est leur donner un sens ; et ceux qui définissent le lexique politique sont ceux qui définissent le monde dans lequel nous vivons. C’est pourquoi il est important de revendiquer la liberté de nommer – par exemple, d’organiser une journée contre l’islamophobie. Pour ma part, c’est précisément parce que certains voudraient bannir ce terme que je tiens à l’employer.
Pour l’État, il sera sans doute difficile d’interdire le mot islamophobie, même si rien ne paraît plus impossible depuis que le ministre de l’Éducation veut censurer tout un vocabulaire antiraciste, à commencer par la notion de « racisme d’État ». En revanche, les offensives se multiplient contre celles et ceux qui prennent la parole « pour les musulmans ». Or nombreux sont ceux qui se laissent ébranler par l’argument des faux dévots de la laïcité : en démocratie, on a le droit de critiquer toute religion. Mieux : dans une société laïque, le blasphème est un droit ! Et c’est vrai.
Cependant, en France aujourd’hui, dénoncer l’islam, c’est aussi une manière de s’en prendre aux musulmans. Ou plutôt, c’est faire référence à un groupe social défini moins par la religion que par l’origine – voire par l’apparence : un président de la République n’avait-il pas évoqué des « Français d’apparence musulmane » ? Bref, il y a bien une racialisation de la référence religieuse. Car la question raciale ne suppose pas des « races » différentes, mais des traitements différents qui racialisent des groupes sociaux, c’est-à-dire qui les stigmatisent et les assignent à des places subalternes, en fonction de leur origine, de leur apparence, mais aussi de leur religion, réelle ou supposée. Une comparaison nous aide à le comprendre : dans l’antijudaïsme, nous avons appris à entendre l’antisémitisme. De même, l’islamophobie va et vient entre deux registres – religieux et racial.
Racisme anti-musulmans
Ceux qui refusent le terme « islamophobie » veulent lui substituer l’expression : « racisme anti-musulmans ». Et si on les prenait au mot ? Non pas pour leur céder le choix du vocabulaire, mais pour analyser le double jeu de l’islamophobie et du racisme anti-musulmans, comme on le fait de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme. La bataille du vocabulaire est essentielle. Il ne faut donc pas laisser interdire des mots ; il ne faut pas davantage se faire imposer un lexique. Toutefois, il ne faudrait pas non plus renoncer à parler, en même temps que d’islamophobie, de racisme anti-musulmans – même si les faux dévots de la laïcité l’utilisent pour faire obstacle à la lutte contre l’islamophobie en détournant l’attention de la chose vers le mot. Car qui peut nier qu’un racisme vise aujourd’hui en France les musulmans, réels ou supposés, et que la rhétorique laïque en est un instrument privilégié quand elle est définie par l’obsession de l’islam ?
https://www.questionsdeclasses.org/?Les-faux-devots-de-la-laicite-islamophobie-et-racisme-anti-musulmans-par-Eric