/! Disclaimer : ce texte n’est pas très « radical » parce que les gens qui se battent aujourd’hui contre les labos pharmaceutiques, et sur les problématiques de santé en général, ne sont pas trop dans le mood de péter le système, mais plutôt de le faire évoluer en douceur. Même si on trouve ça naÏf, il est intéressant d’avoir un aperçu de ce qu’ils dénoncent et proposent, et de reprendre une part du taff qui a été fait pour ne pas repartir de zéro.

Le Covid a remis l’industrie pharmaceutique sur le devant de la scène. Voici quelques clés pour mieux comprendre comment les soins médicaux, en France et ailleurs, se retrouvent sous influence.

En France, avant d’être commercialisé, chaque médicament reçoit une autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Agence Nationale de Santé et du Médicament (ANSM). Une fois l’AMM acquise, la Haute Autorité de Santé (HAS) décide d’un éventuel remboursement et émet des recommandations d’usage (1).
Les firmes pharmaceutiques font du profit de deux manières : des médicaments peu chers mais beaucoup vendus, et d’autres pour des maladies rares à des prix exorbitants(2). Les prix des médicaments sont négociés entre le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS) et les firmes.

Les agences qui octroient les AMM ne sont pas impartiales. Les dossiers d’évaluation sont rédigés par les firmes (qui peuvent « oublier » certaines données) et la frontière entre agences et industrie est poreuse. Les dirigeant·es des agences sont souvent d’ancien·nes employé·es des labos, et y retournent parfois après leur mandat. Par exemple, entre 2017 et 2019, sept ancien·nes dirigeant·es de la FDA, l’agence américaine du médicament, ont été engagé·es par l’industrie pharmaceutique(3).
Les agences tendent ainsi à être des bureaux d’enregistrement plus que des régulateurs. La revue indépendante Prescrire estime que parmi les 109 nouveaux médicaments et nouvelles indications validés au niveau européen en 2020, la moitié n’apporte aucun progrès, 15% n’ont pas été assez étudiés, et 10% ne devraient pas être autorisés du tout car inutiles et trop dangereux(4). Et la tendance est plutôt à la hausse pour les AMM octroyée sans évaluation suffisante.

En principe, les AMM, les guides de pratique et les cours de la fac de médecine se basent sur des études scientifiques.
Une bonne étude répond à un protocole précis. Avant l’étude est défini un « critère principal », c’est-à-dire une donnée (par exemple la mortalité, la douleur etc.) qui va être comparée entre deux groupes de patient·es tiré·es au sort : les un·es reçoivent le traitement testé, les autres le traitement de référence ou un placebo. Ni les patient·es ni leurs médecins ne savent quel traitement iels ont reçu avant la fin de l’étude. Si elle a bien été réalisée de cette façon, une étude est dite « randomisée en double aveugle ».
Les industriel·les et les chercheureuses en mal de carrière détournent ce concept de base avec beaucoup d’inventivité. Voilà quelques unes de leurs recettes (liste non exhaustive) :

  •  faire son étude n’importe comment : bidouiller avec un groupe « placebo » qui n’en est pas vraiment un, ou qui n’est pas comparable au groupe recevant le traitement ; changer son protocole expérimental quand les premiers résultats ne sont pas à la hauteur ; avoir un nombre trop réduit de patient·es pour conclure etc.(5)
  •  choisir des critères d’évaluation arrangeants. Par exemple, on sait qu’un taux de glucose sanguin trop élevé (diabète) peut causer des complications vasculaires. De nombreux médicaments sont donc sur le marché pour faire baisser le glucose, et il a bien été démontré que certains (metformine, insuline, famille des glutides comme le Victoza) protègent des complications du diabète. Mais d’autres (les glifozines, les gliptines etc.) sont autorisés car ils améliorent la prise de sang… sans faire baisser le risque des complications ! Les traitements anti-cholestérol, notamment les fibrates, posent le même problème.
  •  bien choisir ses participant·es : les études incluent rarement des personnes très âgées, alors qu’elles sont plus souvent malades que les autres… mais comme elles font plus d’effets secondaires, les labos évitent de tester leurs médicaments sur elles.
  •  le « spin« , ou distorsion : sans modifier les résultats, on en modifie la perception en baratinant, par exemple en sélectionnant les données mises en avant, en montrant les figures sous un angle arrangeant, en brodant des conclusions tirées par les cheveux etc. Le « spin » concernerait de 50 à 90% des articles selon les domaines(6).
  • – ne pas publier les études concluant à une inefficacité et amplifier par baratinage celles qui trouvent, plus ou moins par hasard, un effet modeste. C’est ainsi qu’ont été autorisés les médicaments de la maladie d’Alzheimer, désormais déremboursés. Les antidépresseurs ont été également sans doute très largement surévalués par ce biais.

En revanche, sur les études récentes, il est sans doute assez rare que les résultats « bruts » des études sur l’être humain soient directement modifiés : en effet, elles impliquent énormément d’acteurices (professionnel·les de santé, technicien·nes mais aussi patient·es) et un truquage direct implique d’obtenir le silence de tout ce petit monde… ce qui est peu probable(7). Au contraire, dans les études sur des animaux, où seule une poignée de chercheureuses travaillent sur une expérience donnée, il est fréquent que des fraudes soient découvertes a posteriori.

Mais l’industrie pharmaceutique a encore bien d’autres cordes à son arc.
La peur de la maladie grave fait vendre. Les lobbyings ont promu le dépistage des cancers du sein et de la prostate qui font découvrir, entre autre, de petites tumeurs qui ne se seraient jamais développées. Des études ont démontré que le traitement de ces tumeurs « surdiagnostiquées » entraine une mortalité au moins équivalente à celle évitée par le dépistage(8). Des firmes financent également certaines associations de malades et des campagnes de « dépistage » incitant le grand public à s’autodiagnostiquer une maladie rare et grave(9). Des techniques proches de celles du docteur Knock…
À l’inverse, certains produits jouent la carte du « ça peut pas faire de mal« . Le bénéfice de la supplémentation en vitamine D n’a été démontré que chez les enfants en bas âge et les personnes très âgées en EHPAD, pour éviter des problèmes osseux. Pourtant, des personnes de tout âge en prennent pour son supposé effet « boost » sur le système immunitaire ou la fatigue… L’appellation « vitamine » est un vieux terme qui sonne très bobo-healthy mais ne correspond à aucune réalité biologique. Si la vitamine D était plus souvent désignée sous son petit nom scientifique de « cholécalciférol » et qu’on expliquait qu’il s’agit d’une hormone produite dans la peau et modifiée dans le foie et le rein, les ventes en prendraient un coup.

Bien entendu, influencer demande des sous. La plupart des médecins ont déjà reçu des cadeaux des firmes. Si les voyages tout frais payés sont plus ou moins passés de mode, les invitations au restaurant, les petits gadgets, le financement de l’inscription aux congrès (eux-mêmes organisés par les industriel·les) sont monnaie courante. Les visiteur·ses médicaux se pressent dans les cabinets et les hôpitaux pour venir faire leur com’ à coup de pâtisseries(10). Le procès du Mediator, qui s’est conclu en avril (avant un appel), a mis en lumière toute une mécanique de corruption insidieuse(11).

Mais la force de persuasion des labos s’explique aussi par l’idéologie du progrès technoscientifique dans laquelle nous baignons toustes, médecins, chercheureuses, journalistes… et patient·es. L’image de la petite pilule qui guérit est fortement ancrée dans notre subconscient collectif, tout comme le fantasme du médecin qui a un remède miracle à tous les maux. Certain·es praticien·nes prescrivent de l’homéopathie sans y croire elleux-même, car leurs patient·es ne peuvent admettre que leur gastro ou leur rhume va passer tout seul(12).
Cette idéologie conduit également à sur-valoriser les innovations technologiques. Citons entre autre les thérapies géniques (un fiasco quasi total depuis trente ans) et les « biothérapies » des cancers (pas complètement inutiles mais clairement survendues dans la presse et à l’université). Récemment, dans l’hypothèse que les formes graves du Covid étaient empirées par une surréaction du système immunitaire, ont été testés des médicaments immunodépresseurs : des vieux médicaments comme les corticoïdes, qui étaient déjà utilisés dans des situations comparables et se sont révélés en partie efficaces(13) ; mais aussi des nouveautés très high-tech comme le tocilizumab de l’essai Recovery, qui bien que visiblement moins efficaces (voire pas du tout) ont beaucoup plus été médiatisés.

Comment riposter ?
La maladie, la peur de la mort, la détresse de nos proches ou de nos patient·es nous entrainent dans des états émotionnels où notre discernement est altéré. Y faire face nécessite de s’entourer des bons outils. Des évaluations impartiales des médicaments sont faites par les revues indépendantes des financement de l’industrie comme Prescrire ; des associations comme CancerRose militent contre certaines pratiques, d’autres comme Formindep pour une formation indépendante des étudiant·es en médecine, position également soutenue par la plupart des syndicats étudiants.
Il faut acquérir le réflexe de vérifier la source de nos informations. Les sites du type « prostate.fr » ou « arthrose.fr » sont tous liés à des labos. Les « sociétés savantes » (Société Francophone du Diabète, Société Française de Cardiologie…) sont des groupes de médecins spécialistes souvent très fortement corrompus. Les sites gouvernementaux comme Ameli (sécurité sociale) et les recommandations de la HAS, sans être exemplaires, donnent souvent des avis moins abracadabrantesques. Le Vidal, la référence des médicaments, reste une base solide dans le recensement des effets secondaires, malgré ses financements par l’industrie.
Suite au scandale du Mediator, l’État français a rendu obligatoire la déclaration des sommes versées par l’industrie pharmaceutique aux professionnels de santé. Même s’il est probablement incomplet, ce site reste un bon outil pour savoir à quel genre de médecin vous avez affaire : https://www.transparence.sante.gouv.fr/

En tant que patient·e, ne réclamez pas de médicament à tout prix -oui, parfois il faut attendre que ça passe, et oui, parfois c’est le stress. Faites attention à vos propres biais : votre vieux médecin de famille, un homme blanc au costume impeccable, a été remplacé par une jeune praticienne racisée au look punk ? Elle n’est pas forcément moins fiable, et elle appartient à une génération qui a plus conscience des conflits d’intérêt. Il y a peut-être de bonnes raisons pour qu’elle vous arrête ce cacheton que vous prenez depuis dix ans…

En tant que soignant·e, la règle de base est de ne pas pactiser avec l’ennemi. Ne pas toucher au petit-déjeuner ramené par le visiteur médical, refuser les invitations au restaurant, ne pas se faire payer son voyage ou son inscription à une conférence (si un labo veut vous payer une conf’, c’est vraisemblablement qu’il en a choisi les intervenant·es) etc. Tout cela vous évitera d’avoir votre nom dans transparence.sante.gouv et vous laissera l’esprit libre pour poser des questions gênantes aux représentant·es des labos -ce sont des commerciaux, pas des médecins, et il est assez facile de les coincer. Et si vous avez la flemme de discuter avec le visiteur médical qui pointe son nez au bout du couloir ? Plaquez votre téléphone sur votre oreille et gueulez « Oui ? Le bloc opératoire ? C’est une urgence ? J’arrive ! ». Puis partez en courant.

Il serait difficile de finir cet article sans dire un mot de la vaste galaxie des médecines alternatives, avec plein de choses chouettes et des trucs… moins chouettes. Comme pour la médecine « conventionnelle », une attention particulière doit être portée aux conflits d’intérêt qui peuvent animer certain·es praticien·nes et aux idéologies sous-jacentes, notamment un fort patriotisme concernant la médecine traditionnelle chinoise ou iranienne (qui n’en restent pas moins très intéressantes).
L’évaluation de ces autres médecines est souvent limitée, faute de financement, mais il existe des études sérieuses concernant les plantes médicinales, l’hypnose, l’acupuncture etc. Certaines pratiques (chamanisme etc.) se placent clairement dans le champ spirituel et une évaluation scientifique n’est pas appropriée.

Quelque soit vos choix en matière de santé, gardez un regard critique et attention aux pouvoirs de la com’ !

PS : ci-joint une petite brochure sur l’évaluation scientifiques de quelques remèdes traditionnels à base de plantes.

 

(1) Au niveau européen, l’EMA (European Medicines Agency), très favorable aux labos, devait remplacer les agences nationales dans l’UE, mais heureusement ce n’est pas le cas. Elle a fait quelques bafouilles assez rigolotes, expliquant qu’elle ne refuse pas d’autorisation au cas où les produits douteux seraient utiles dans d’autres situations que celles étudiées – sauf que c’est très exactement le rôle d’une agence de santé, définir dans quel cas un médicament est utile ou non… Un exemple parmi d’autres : https://www.nature.com/articles/d41573-019-00068-x
Aux États-Unis, c’est la FDA (Food and Drug Administration) qui régule le marché du médicament.

(2) Prix supposément justifiés par l’investissement en recherche et développement. En réalité, beaucoup d’argent public finance la recherche pharmaceutique, via des partenariats, des déductions d’impôts ou en « incubant » des petites start-ups qui, lorsqu’elles font une découverte intéressante, sont rachetées par des grands groupes.Le médicament le plus cher du monde est le Zolgensma, utilisé pour la rarissime amyotrophie spinale sévère, dont une injection coûte 2.1 millions d’euros. Le Zolgensma a été autorisé sur la base d’essais animaux truqués et d’analyses succintes chez l’humain. Sur les milliers d’essais cliniques impliquant des thérapies géniques comme le Zolgensma, seule une dizaine de produits ont été commercialisés, avant d’être retirés pour la plupart après quelques années d’utilisation. Le Zolgensma est sur le marché depuis deux ans, affaire à suivre. Pour aller plus loin : Prescrire n°443 p696, « Médicaments : financements publics de la recherche et profits privés« , texte en libre accès sur Internet.

(3) Prescrire n°436 p144, « Reconversion éclair du directeur de la FDA chez Big Pharma« , texte en libre accès sur Internet

(4) Prescrire n°448 p143, « 10 ans de cotations des nouvelles spécialités dans Prescrire« , https://www.prescrire.org/fr/3/31/60649/0/NewsDetails.aspx


(5) La fameuse étude du docteur Raoult sur la chloroquine et l’azythromycine dans le Covid-19 est un cas extrême de ce genre de pratiques. Pour plus d’explications (article en anglais) : https://forbetterscience.com/2020/03/26/chloroquine-genius-didier-raoult-to-save-the-world-from-covid-19/

(6) Misrepresentation and distortion of research in biomedical literature, Isabelle Boutron et Phillipe Raveau, 2018, PNAS (libre accès sur Internet)

(7) Un des rares exemples d’étude chez l’humain directement truquée (et rétractée depuis) est celle du Dr. Wakefield en 1998, supposée démontrer un lien entre vaccin ROR et autisme. Des journalistes ont prouvé quelques années après, en fouillant dans les archives de l’hôpital, que les dossiers des enfants et les prélèvements faits dans leur tube digestif ne correspondaient pas à ce qu’il avait rapporté. Pour un résumé de l’affaire : https://en.wikipedia.org/wiki/Andrew_Wakefield

(8) Plus d’informations sur le site d’une association luttant contre le dépistage généralisé du cancer du sein : https://cancer-rose.fr/. Attention, la polémique ne concerne pas le dépistage ciblé pour les personnes dont un·e membre de la famille a fait un cancer jeune. Les tumeurs surdiagnostiquées sont trop petites pour être palpables : une modification ou une boule dans votre sein peut être un vrai cancer agressif, consultez rapidement.
Concernant le dépistage du cancer de la prostate, un article explicatif : https://cancer-rose.fr/2017/01/05/en-parallele-au-depistage-du-sein-celui-de-la-prostate-du-surdiagnostic-aussi/ Si le dépistage généralisé du cancer de la prostate est clairement néfaste, il est possible qu’il soit utile pour les personnes ayant de gros antécédents familiaux et pour celles qui ont été exposées au chlordécone, notamment aux Antilles.
Le dépistage du cancer du col utérin (par frottis) ne fait pas l’objet des mêmes débats et permet de détecter de très petites lésions pour lesquelles une ablation suffit et aucun traitement médicamenteux complémentaire n’est entrepris. Le bénéfice du dépistage du cancer colorectal est très incertain et sera à réévaluer dans les prochaines années avec l’arrivée des nouveaux tests. Pour aller plus loin : https://www.jaddo.fr/2016/06/19/et-mes-fesses-elles-sont-roses-mes-fesses/#comment-335154


(9) Un exemple assez parlant décrypté par l’association Formindep, qui milite pour une formation médicale indépendante de l’industrie : https://formindep.fr/decryptage-dune-campagne-publicitaire-deguisee/

(10) Il a été clairement démontré que les cadeaux des laboratoires aux médecins entrainaient une augmentation de la prescription médicamenteuse, comme par exemple dans cette étude récente sur les généralistes français (texte en anglais) : https://www.bmj.com/content/bmj/367/bmj.l6015.full.pdf

(11) Les articles à propos du Mediator de la revue Prescrire, en libre accès : https://www.prescrire.org/Fr/218/1899/57458/0/PositionDetails.aspx
Un autre scandale majeur du démarchage médical est la crise des opiacés aux États-Unis, liée à l’Oxycontin de Purdue Pharma. Elle aurait fait plusieurs centaines de milliers de morts. Une crise des opiacés touche actuellement l’Afrique de l’Ouest, impliquant du tramadol surtout.

(12) L’homéopathie représente une petite manne de plus de 600 millions d’euros de chiffre d’affaire par an pour Boiron. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/05/22/que-pese-l-homeopathie-dans-le-marche-du-medicament-en-france_5302760_4355770.html

(13) Attention, les corticoïdes aggravent les formes modérées de Covid.