La grossophobie désigne l’oppression des personnes grosses. Face aux injonctions à la minceur, chaque année des milliers de personnes en France ont recours à des chirurgies poussées par le corps médical. Les femmes sont les premières victimes de ces injonctions et de leurs conséquences.

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Une réaction qu’on reçoit souvent quand on est une meuf et qu’on parle objectivement de son surpoids, c’est le fameux « mais non, dis pas ça, t’es super jolie ! ». Une phrase qui se veut positive et bourrée de bonnes intentions, mais qui en dit long sur les cadres de pensée dans lesquels nous évoluons. Si minceur et beauté vont de pair, le revers de cette association a des conséquences matérielles concrètes, et souvent violentes, dans la vie des personnes grosses.

Les discriminations subies par les personnes grosses sont souvent largement sous-estimées et minimisées, que ce soit dans la sphère privée ou publique. En particulier, les personnes grosses qui appartiennent aux minorités de genre se retrouvent au croisement entre validisme et (trans)misogynie, une place des plus humiliantes sur le spectre de ces oppressions, et qui est encore plus marquée lorsque ces personnes subissent également le racisme. Le mécanisme à l’œuvre est simple  : la place d’une femme dans la société est (entre autres) celui d’un corps désirable.

L’entourage comme vecteur de norme

Lorsque tu es une meuf grosse (ou que tu as, de manière générale, un corps non valide), la violence la plus courante, la plus banale, est la remise en question de ta place en tant que femme. Tu n’es pas désirable ? Alors tu n’es pas une vraie femme. De fait, la pression sociale qui s’exerce le plus sur les corps gros est celui d’un retour « à la normale », et pour les femmes, il est nécessairement doublé d’une injonction à la désirabilité.

Le premier endroit où s’exerce un contrôle des corps, violent, intime et prolongé, est celui du cercle familial. L’entourage fait souvent pression, de façon ouverte ou insidieuse (voire les deux), sur les personnes grosses, y compris dès le plus jeune âge, pour leur faire comprendre qu’elles ne sont, au mieux, pas à leur place. Disons que ça fait un peu tâche sur le portrait de famille.

Dans le prolongement de l’institution familiale  : l’école. Le contrôle des corps par les pairs est une pratique banale, surtout au moment de l’adolescence. Les moqueries, le rejet, voire le harcèlement, font partie du quotidien, tant et si bien que les ados gros et grosses subissent un vrai continuum de violences grossophobes qui ne s’arrête vraiment jamais, et qui peut commencer dès l’école primaire. Surnoms humiliants, injonctions au sport, contrôle de la nourriture, remarques grossophobes, brimades, tout est bon pour pousser les jeunes gros et grosses à détester leur corps et à vouloir s’en débarrasser au moindre bourrelet qui dépasse.

 

Les impacts de ce contrôle social hétéronormé ont souvent des conséquences psychologiques traumatisantes et profondes, qui marquent les concerné·es toute leur vie.
Emmanuel Dufour

Se mutiler pour se conformer

Chez les filles, cette pression est si pesante qu’elle impacte aussi les corps minces. L’ombre de la prise de poids plane sur toutes, et avec lui son cortège de hontes et de troubles du comportement alimentaires (TCA). En ligne de mire  : sa désirabilité. « Attention, si tu grossis, les garçons ne voudront plus de toi ! » rappelle-t-on régulièrement à l’ordre des fillettes d’une douzaine d’années, parfois moins. Le message est clair  : ta valeur se mesure au degré de désir que les garçons auront pour toi, et si tu es grosse, alors tu ne vaux rien. Les impacts de ce contrôle social hétéronormé ont souvent des conséquences psychologiques traumatisantes et profondes, qui marquent les concerné·es toute leur vie, y compris lorsque leur corps revient dans les normes. On ne cesse jamais d’avoir été gros ou grosse.

Ce contrôle des corps est aussi opéré par un acteur de poids  : le milieu médical. On connaît la banalité des techniques de régime opérées par les femmes pour atteindre un poids désirable, qui mènent souvent à des comportements dangereux et peuvent entraîner des TCA. Pour les corps obèses, cette logique est poussée à l’extrême et, contrairement aux autres, pilotée, encadrée et sanctionnée par les professionnel·les de santé.

Sous couvert d’une question « de santé », qui cache là encore des biais validistes et qui a peu à voir avec les réelles comorbiditées qu’entraîne le grand surpoids, les obèses sont poussé·es par le corps médical vers des opérations chirurgicales drastiques et invasives, qui ont souvent des conséquences lourdes sur leur quotidien et sur… leur santé ! En effet, les chirurgies bariatriques, qui consistent à réduire la capacité d’ingestion de l’estomac (anneau gastrique, sleeve, bypass…) et qui sont pour la plupart irréversibles, s’accompagnent en plus des risques chirurgicaux habituels, de carences alimentaires et parfois de complications qui rendent impossible le retour à une alimentation normale.

Un résultat qui questionne, quand on sait qu’il s’agit d’une population déjà particulièrement exposée aux TCA. D’autant plus que les conséquences psy de ces opérations sont rarement présentées par les médecins et souvent minimisées, à tel point qu’elles ne figurent pas aux côtés des listes des effets secondaires des chirurgies. De fait, les suivis psy avant et après l’opération ne sont pas toujours mis en place, ce qui a des conséquences drastiques. Une étude de 2016 indique « 50 % de risques de suicide supplémentaires après l’intervention, une consommation excessive d’alcool, de stupéfiants, de médicaments ou des blessures auto infligée ».  [1]

Curieusement, la question de la santé semble s’évaporer à ce stade dans les argumentaires des médecins qui poussent pour ces chirurgies. Autre chiffre  : 82 % de ces opérations sont subies par des femmes. Un élément d’autant plus intéressant à prendre en compte quand on sait les biais patriarcaux et la part d’hommes dans les services médicaux, et en particulier chirurgicaux. Le contrôle de la classe des hommes sur celle des femmes est, ici aussi, légitimé et renforcé par l’institution médicale.

Tuer le corps gros

Souvent présentées comme des opérations « de la dernière chance », force est de constater que leurs conséquences sur notre qualité de vie et notre santé sont déconsidérées et minimisées. Tant que les corps ne sont plus gros, alors peu importe. Le message a toujours été le même  : nos vies ne valent pas celles des personnes minces. Et en tant que femmes, elles n’existent pas en dehors du regard des hommes. Et tout est bon pour nous faire sortir de ce corps gros, quitte à nous tuer, nous.

Audrey (UCL Saint-Denis)