Nantes – 3 août : hommage, rage et révolte
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Local
Thèmes : Répression
Lieux : Nantes
Il fait chaud, très chaud samedi 3 août à Nantes. Ni les températures caniculaires, ni les violences policières, ni les provocations des autorités, ni les déclarations abjectes du gouvernement ne risquent de faire baisser la tension. Un climat lourd, depuis l’attaque policière de la fête de la musique, la chute de 14 personnes dans la Loire et la disparition de Steve. Étouffant même, depuis lundi, et la découverte du corps sans vie du jeune nantais de 24 ans, dans le fleuve.
Pendant des jours, la préfecture et certains journaux ont tout fait pour créer un climat anxiogène. Pour décourager les personnes qui voudraient descendre dans la rue, crier leur indignation ou leur tristesse. Menaces explicites, mise en place d’un dispositif répressif hors norme, et instrumentalisations en tout genre. Dans une stratégie typiquement mafieuse, les responsables de la mort de Steve, préfet et ministres en tête, ont osé dire qu’il ne fallait pas manifester pour respecter l’hommage. Les assassins s’approprient le deuil. Une inversion des valeurs perverse.
Le matin, c’est un moment puissant de recueillement. A partir de 11H, sur l’île de Nantes, des centaines de personnes se retrouvent pour rendre hommage à Steve. Un moment digne, presque silencieux, sous la grue jaune. Des fleurs sont jetées dans une cale qui donne sur la Loire. A marée haute, elles seront emportées par le courant. De longs applaudissements retentissent. Quelques banderoles sont accrochées. L’émotion est palpable.
Autre ambiance deux heures plus tard. Cette fois ci, c’est contre toutes les violences policières qu’un défilé doit partir du cœur de la métropole. Manifester au cœur de l’été, malgré les intimidations du pouvoir, est un défi. Depuis la veille, des centaines de forces de l’ordre sont massées dans la ville. Des dizaines de personnes ont été arrêtées « préventivement », avant même la manifestation. Certaines étaient suivies par la police politique. Mais la foule est impressionnante au point de rendez-vous. Un cortège compact sous un soleil de plomb, s’élance sur le Cour des 50 Otages. Familles nantaises, jeunesse en colère, et nombreux Gilets Jaunes venus sans leur chasubles, parfois de loin, pour grossir les rangs. Toute l’artère est remplie par une foule d’au moins 5000 personnes, qui crient leur colère. Les mots « justice », ou « révolution » tonnés en rythme par des centaines de voix donnent des frissons. Une colère sourde, qui explose à chaque intersection, où se trouvent des gendarmes : « cassez vous ! » Les noms des victimes, Zineb, Adama, Steve, Rémi ou Aboubacar résonnent. De nombreuses banderoles et autres slogans inventifs parsèment le défilé, à l’image de ce miroir, brandit devant chaque ligne de policiers, comportant ce message : « qui mutile et tue en toute impunité ? »
La colère, contenue depuis des semaines, déborde devant la préfecture. Les canons à eau et les lacrymogènes se déchaînent. Une banderole est accrochée au mur. Des projectiles pleuvent. Une porte latérale du bâtiment commence à ployer sous les coups d’un bélier de fortune. Le cortège se reforme et s’élance sur le Cours Saint Pierre. Nouveaux gaz, particulièrement urticants, Place Joffre. Les manifestants sont repoussés plus loin, où une grande barricade est allumée, puis une autre aux abords d’un chantier. L’hélicoptère de la gendarmerie est frôlé par un feu d’artifice. Il disparaîtra du ciel plusieurs heures. Une volute de fumée noire donne l’impression que le château des ducs est en flammes.
Nouveau coup de chaud à Bouffay. La BAC recule dans une ruelle sous les cris. Le Mac Donald est esquinté. Puis une charge massive fait exploser ce qui reste du cortège en multiples grappes. Plusieurs barricades sont érigées, et parfois enflammées. Des blessés sont à déplorer. Certains disent avoir aperçu le commissaire Chassaing, qui a donné la charge le 21 juin. Des détonations se répondent en divers endroits.
Certains manifestants paraissent infatigables, et reviennent par vagues, après avoir été repoussés durement. Des affrontements ont lieu devant la Médiathèque, à Commerce, à Bouffay, où un homme fait un malaise cardiaque, et où un commissaire est blessé. Jusqu’à 20H, des Gilets Jaunes inoxydables continuent de tenir les rues, bloquent les tramways, et répondent à la répression. Des centaines de cartouches lacrymogènes jonchent le sol.
En fin de journée, la police se défoule. Beaucoup de véhicules de police patrouillent dans les rues. Ils sont invectivés en passant devant les terrasses. On croirait que toute la ville crie sa colère. Plusieurs bars reçoivent des grenades en représailles. Des passants sont gazés depuis les camions de CRS. Des agents insultent les nantais pour répondre aux huées. L’ambiance est pesante. Au moins 40 personnes ont été interpellées au cours de la journée.
La ville parait marquée au fer rouge. Des actions et des rassemblements ont eu lieu au même moment de Nice à Caen en passant par Paris. Leur violence ne fera pas taire la légitime défiance.
A la suite de la découverte du corps de Steve dans la Loire, tué par la police dans la nuit du 21 juin, et d’une marche blanche en son hommage le matin, une manifestation a eu lieu samedi après-midi contre les violences policières. Pour toutes les victimes passées, et pour ne plus qu’il y en ait d’autres. Ni dans les fêtes, ni dans les manifestations, ni dans les quartiers populaires.
Chiffre exceptionnel au beau milieu de l’été et surtout dans le cadre d’une manifestation contre les violences policières, au moins 3 à 4000 personnes se sont élancées de la croisée des trams, direction la Préfecture.
Sachant que toutes les caméras seraient tournées vers elle, la Préfecture a adapté sa stratégie : des forces de l’ordre au contact dès le début, mais uniquement des Gendarmes Mobiles. L’objectif est clair : provoquer le cortège, mais ne pas l’agresser, pour montrer que les forces de l’ordre sont les gentils. Et en début de manifestation, sur le cours des 50 Otages, ça marche. Aucune réponse de la part des gendarmes, malgré les insultes et les jets de peinture pour exprimer la colère du cortège. Rappelons qu’après le meurtre de Malik Oussekine par la police en 1986, aucun policier ni aucun gendarme n’encadraient les manifestations qui ont suivi, par respect et pour ne pas faire monter la tension. La section des voltigeurs, responsable du meurtre, a été supprimée immédiatement et un ministre a démissionné. Autre époque, autres méthodes.
Une fois le cortège arrivé à la Préfecture, le ton change.
Des manifestant·e·s tentent d’accrocher des banderoles sur les remparts, la réponse est immédiate : lance à eau directement dans les têtes, et gazage massif de tout le cortège. Celui-ci ne se désolidarise pourtant pas de sa tête et reste compact, continuant sa route sur le trajet habituel, le seul n’ayant pas été interdit par arrêté préfectoral.
Les forces de l’ordre, qui ne devaient pas s’attendre à une telle solidarité, changent alors de stratégie : les manifestant·e·s seront harcelé·e·s et agressé·e·s tout le reste de l’après-midi, principalement par la BAC et la CDI. L’hélicoptère de la Gendarmerie vole bas, et le camion anti-émeute flambant neuf avec canon à eau des CRS est omniprésent. La répression, ça coûte cher.
Au-delà des malaises et crises de panique à cause des gaz et des charges, on note de nombreux·ses blessé·e·s, principalement entre Bouffay et le carré Feydeau, et du côté de la FNAC. Des tirs de LBD dans la tête – notamment un homme touché à la tempe, à quelques centimètres de l’œil, fortement désorienté mais qui n’a pas voulu aller à l’hôpital -, des blessures au torse, au dos et aux membres inférieurs par des éclats de grenades lacrymogènes et désencerclantes, mais aussi des coups de matraque télescopique, de pieds et de poings, notamment au visage. Un homme est également brûlé au pied en marchant sur un palet de grenade lacrymogène.
A Bouffay, vers 17h, une scène ahurissante. Alors que les forces de l’ordre gazent aussi bien les terrasses des cafés de la place Bouffay sans raison, entraînant une intervention de notre part, que les secours qui s’occupaient d’un homme en arrêt cardiaque (*), brûlant même une partie de la couverture qu’il avait sur lui, la BAC interpelle violemment un autre homme en l’étranglant au sol, donnant lieu à la fameuse photo de bsaz. L’homme, menotté et le regard dans le vide, la bouche grande ouverte, a ensuite été pris de convulsion, puis a été pris en charge par les pompiers, inconscient (**). Un agent de la BAC en a évidemment profité pour lui fouiller les poches en plein brancardage.
Au total, une quarante de personnes auront été interpellées, dont la plupart préventivement, avant le début de la manifestation.
La police nantaise s’est ainsi illustrée en entrant parfaitement dans le thème de cette manifestation contre les violences policières.
N’hésitez pas à nous envoyer vos témoignages en commentaire ou en messages privés.
* D’après un.e medic qui nous a contacté.e.s en mp et qui l’a massé, l’homme a fait trois arrêts cardiaques avant d’être pris en charge par les pompiers. Il va mieux et se repose. Si vous avez été témoin direct de la scène, de plus amples informations sont les bienvenues.
** Après avoir passé 6h à l’hôpital puis la nuit en garde à vue, il va mieux mais est poursuivi pour violences.
Nous avons décidé de ne plus partager de photos des blessures, pour éviter de tomber dans le sensationnalisme, et que nos compte-rendus soient visibles par tou·te·s. Néanmoins, par soucis d’information et de prévention, nous sommes en train de créer une base de données évolutive des armes des force de l’ordre et des différentes blessures que celles-ci peuvent engendrer. Nous n’hésiterons pas à partager ce dossier lors de chaque compte-rendu futur.
Nous avons également noté en début de manifestation différentes insultes à l’endroit des forces de l’ordre, les traitant ainsi « d’enc*lés » et de « p*tes à Macron ».
Il est important de préciser que ni le travail du sexe, ni la sodomie ne sont des pratiques honteuses, et que celles-ci n’ont rien à voir avec les actes criminels des forces de l’ordre. Ce genre d’insulte est inacceptable.