Qu’attendons-nous du procès aux assises des agresseurs de clément méric ?
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Catégorie : Global
Thèmes : AntifascismeClément méric
Lieux : Paris
A l’issue de quatre ans d’enquête, le juge d’instruction a conclu au renvoi des agresseurs devant la Cour d’assises. Deux d’entre eux, Esteban Morillo et Samuel Dufour, sont accusés de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, commises en réunion et avec usage ou menace d’une arme. Les circonstances aggravantes retenues soulignent le caractère délibéré du recours à la violence par les skinheads, qui sont allés au contact du groupe de Clément et ont pris l’initiative de l’affrontement. Saisie d’un recours, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris vient de confirmer cette décision. Un procès aux assises devrait avoir lieu d’ici quelques mois.
Qu’en attendons-nous ? Essentiellement que la vérité soit dite publiquement sur les circonstances de la mort de Clément Méric, que l’on cesse de renvoyer dos à dos agresseurs et agressés et que la dimension politique de ce crime soit clairement mise en évidence.
Souvenons-nous : après l’effroi est rapidement venu le temps du doute, soigneusement orchestré. On s’était emballé, les agresseurs n’étaient pas ceux que l’on croyait. Invoquant mensongèrement le contenu d’images de vidéosurveillance, une manipulation médiatique, probablement initiée par des relais de l’extrême droite dans la police, faisait des agressés les agresseurs. Elle venait opportunément cautionner les déclarations des skinheads qui prétendaient avoir agi en légitime défense. Bien que contredite par des responsables de la police judiciaire, cette version fut relayée sans précaution par une large partie de la presse – déclenchée sur RTL trois semaines après la mort de Clément, l’opération de désinformation « La vidéo de l’agression a parlé » avait notamment trouvé un puissant écho au JT de 20 heures de France 2, sous forme d’une infographie représentant Clément attaquant traitreusement un paisible Esteban Morillo. L’effet fut évidemment dévastateur et conduisit une partie de l’opinion à considérer que, finalement, il s’agissait sans doute d’une simple bagarre qui avait mal tourné entre bandes rivales violentes, renvoyées dos à dos.
Or, la mort de Clément Méric n’est pas le résultat d’un malheureux hasard, encore moins le fruit d’une culture de la confrontation physique que partageraient également les groupuscules d’ultra-droite et les mouvements antifascistes.
L’agression doit être resituée dans le contexte politique du printemps 2013, c’est-à-dire un fort mouvement d’opposition conservatrice à l’adoption du mariage homosexuel. La Manif pour tous, mobilisant toutes les droites, avait excité l’activisme d’extrémistes et entraîné une multiplication des violences homophobes ou racistes.
L’agression de Clément et de ses camarades n’a pas été le fait d’électrons libres : les hommes aujourd’hui traduits devant la cour d’assises étaient membres ou sympathisants de Troisième voie, groupuscule ultranationaliste dirigé par Serge Ayoub, alias Batskin, connu dans les années 80 comme chef de bande de skinheads parisiens d’extrême-droite. Ce dernier s’était également entouré d’une milice de gros bras chargée du service d’ordre de son mouvement, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR). Ces deux organisations ont été dissoutes par le gouvernement consécutivement à la mort de Clément.
L’enquête a établi que le 5 juin 2013, Esteban Morillo a été en contact téléphonique avec Serge Ayoub immédiatement avant et immédiatement après l’agression, et que tout le groupe s’est retrouvé autour de lui le soir même, dans son bar, où ils ont eu tout loisir d’arranger leur version des faits.
L’actualité récente fournit des exemples de l’implication de proches d’Ayoub et de son organisation dans d’autres affaires, pour certaines criminelles. Ainsi du procès du White Wolf Klan au printemps dernier en Picardie, bande néonazie fondée par un ancien des JNR après leur dissolution et qui s’est rendue coupable de graves méfaits. Ainsi encore de la réouverture en juin 2017 de l’enquête sur la mort d’Hervé Rybarczyk, militant antifasciste lillois retrouvé noyé dans la Deûle en 2011. Deux anciens membres des JNR sont poursuivis pour cette agression qui pourrait avoir été la mise en œuvre d’un rituel initiatique d’admission dans la milice de Serge Ayoub.
Clément Méric a été victime d’un groupe de jeunes gens entretenus dans le culte de la violence par un chef porteur d’un programme politique fascisant, ce que souligne la devise des JNR, empruntée au parti de Mussolini : « Croire, combattre, obéir ».
Non, les extrêmes ne se rejoignent pas. Renvoyer dos à dos racistes et antiracistes, homophobes et défenseurs des libertés, fascistes ou néonazis et antifascistes, c’est faire le lit de la haine et de la violence gratuite.
Le procès des agresseurs de Clément sera l’occasion de mettre en lumière la réalité des faits. Nous espérons qu’il soulignera ainsi la différence fondamentale des postures politiques : refuser de fermer les yeux, dénoncer résolument des idéologies contraires aux principes d’égalité, de liberté, et de fraternité, ce n’est pas faire acte de violence, c’est faire acte de résistance salutaire.
Comité pour Clément
un extrait de ce texte un peu dur mais salutaire : https://fr.theanarchistlibrary.org/library/etrebilal-aviv-repose-en-paix-sociale-quelques-notes-autour-de-la-mort-de-clement-meric
Les charognards d’extrême-droite, en France comme en Grèce, savent très bien profiter, avec leur populisme puant, de l’ambiance générale de « crise » que l’on nous sert à la petite cuillère dans tous les médias depuis maintenant des années. En jouant sur la peur, le repli communautaire et identitaire face à la « mondialisation », en donnant l’illusion de faire barrière au magma ambiant de concurrence et de guerre de tous contre tous, ils recrutent. Cette recrudescence actuelle du nationalisme (dont le régionalisme et le populisme sont des options qui séduisent de plus en plus, même chez les antifas…), notamment chez des groupes relativement jeunes, est un phénomène clairement lié au contexte social actuel. Cependant, si un jeune antifasciste, Clément Méric, est mort face à eux, cela n’est aucunement un événement significatif de ce contexte, ni même « le fruit d’un climat et d’une dynamique », comme on a pu le lire un peu partout. Dans ce cas, il ne s’agit visiblement pas d’un assassinat réfléchi ou théorisé, mais d’une baston entre fachos et antifas comme il y en a souvent, survenue au hasard de groupes qui se croisent, et dont l’issue a, cette fois-ci, été fatale pour l’un des participants et tragique pour ses proches. Tout le monde aurait préféré que cela n’arrive pas, pour sûr, mais quelqu’un vient-il réellement de découvrir que les nazis étaient des brutes dangereuses et des meurtriers ? Et ce avec ou sans « contexte favorable ». D’où sortent donc tous ces gens tombés soudainement de leurs cocotiers ? C’est qu’il n’y a probablement pas de fachos au pays des licornes et des arc-en-ciels.
Plus sérieusement, cela aurait pu ne pas arriver, tout comme cela aurait pu arriver à quelqu’un d’autre. Cela aurait pu arriver au bâtard Morillo. Cela aurait pu arriver sans le contexte de l’époque (avec des manifs homophobes et patriarcales dans les rues). Car nous en avons marre d’entendre des âneries… Aussi, nous refusons de rejeter avec facilité la responsabilité entière de la mort de Clément sur l’extrême-droite formelle, et sur les groupuscules où militait son meurtrier Esteban Morillo[5] ou sur la fameuse « lepénisation des esprits ». Faisons preuve d’une capacité d’analyse moins paresseuse et plus ambitieuse, et mettons à l’épreuve nos capacités d’auto-défense. Car les slogans belliqueux sont des idées, pas de l’art.
Que dire lorsqu’un communiqué pour le moins ambigu du « Comité pour Clément »,[6] sorti peu après l’annonce de la libération conditionnelle de Morillo, nous ressort le classique couplet pleurnichard, véritable tarte à la crème des antifascistes, de l’indulgence de l’Etat avec les fachos, en oubliant de se plaindre de l’indulgence dont eux aussi bénéficient la plupart du temps, les magistrats (souvent à gauche et toujours bourgeois) étant pour la plus grande partie complaisants de la lutte polie contre les épouvantails rasés, ces horribles prolétaires en haillons.[7] Un communiqué qui se termine par une déclaration que n’aurait pas rejeté… euh… Tout le monde en fait, du Front de Gauche au FN :
« Notre combat […] vise à refuser que soient mis sur un pied d’égalité les idées de haines et de violence de l’extrême droite avec les idées d’égalité et de progrès social que nous défendons. »
Tout le monde, oui, sauf peut-être des anarchistes, qui n’iraient jamais défendre des idées d’égalité et de progrès social contre la haine et la violence, mais plutôt tout le contraire.
En tant qu’anarchistes, c’est bien l’Etat et le capitalisme ainsi que toute autre forme d’autorité que nous combattons. Les esprits pourris qui nous gouvernent n’ont pas attendu d’être « lepénisés » pour abattre des migrants aux frontières, pour enfermer, torturer et tuer les individus réfractaires à leurs normes. La pratique du pouvoir n’a en effet pas attendu Le Pen ou l’extrême-droite moderne pour se servir du racisme et de la violence de classe pour diviser les pauvres et unifier la bourgeoisie.
Nous haïssons le fascisme, le racisme et le nationalisme comme nous haïssons toutes les logiques de politiciens, toutes les revendications et les idéologies identitaires ou culturalistes qui ne visent qu’à séparer et endormir les gens, à leur jeter de la poudre aux yeux, faisant passer les gouvernants, leurs tribunaux, flics et la bourgeoisie (de gauche comme de droite) pour des protecteurs, et certaines classes d’indésirables pour les ennemis intérieurs de la farce. Mais ne nous trompons pas de cible, et ne laissons pas le prétexte de l’antifascisme justifier la démocratie, sa justice, sa paix sociale et sa soi-disant « non-violence » qui n’est en fait rien d’autre que le monopole de la violence légale et sa guerre aux indésirables. Il n’échappera d’ailleurs à personne que la démocratie a toujours su utiliser les fascistes pour justifier sa perpétuation d’une part, et d’autre part pour assurer certains de ses sales travaux comme à Calais en 2014, ou bien les deux à la fois comme dans l’Italie des années 70 et sa stratégie de la tension.
Voila pourquoi, entre autre questions, nous ne demanderons jamais « justice pour Clément » comme on a pu le lire ici ou là. Car nous n’avons personne à qui la demander, à moins de reconnaître et collaborer avec les institutions de l’ennemi. Car la Justice et son exercice appartiendront toujours à l’ennemi, contrairement à la vengeance et l’action directe, qui sont des armes que pourront toujours se réapproprier les exploités.
A la question, salutaire, « Qu’attendons-nous du procès aux assises des agresseurs de Clément Méric ? », la réponse est bien faible : en gros, «que la vérité soit dite» et que les médias arrêtent de dire que les fachos et les antifas c’est pareil.
C’est dommage, ça aurait pu être le moment de clarifier votre position sur les condamnations que vous attendez (ou pas?) pour les agresseurs de Clément Méric et votre rapport à la Justice. Une belle occasion ratée.