La marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend, est en train de casser l’exception culturelle française ». Cette année, Justine Triet obtient la 76e Palme d’Or du festival de Cannes, succède à Durcourneau et Jane Campion, et il se produit ce qui arrive lorsqu’on donne la parole à celles et ceux à qui on l’a trop souvent confisquée : ça explose, et ça fait du bien.

Oui, cette année, le prestigieux prix revient à une femme, mais ça n’est pas suffisant. C’est bien assez peu pour réparer les traces laissées par une industrie du cinéma s’étant historiquement illustrée comme la gardienne d’un ordre binaire, dans lequel l’inconscient patriarcal règne en maître.

Nous dirons d’abord que du côté des représentations, le cinéma est un leurre. Il n’est pas la machine à rêves qu’on nous a vendu. Laboratoire à fantasmes, en construisant les imaginaires, il nous dit ce que doivent être les choses. Derrière l’écran de fumée, insidieusement, il nous enseigne la domination par les images, et fabrique les rôles sexués qui serviront le capitalisme. Il nous apprend que les hommes sont les héros, les sujets : forts, virils, aventuriers, insensibles et prêts pour la guerre. Il nous dit aussi que les femmes sont les seconds rôles, les objets : elles doivent être assez douces et serviables pour assurer gratuitement le travail domestique, assez bonnes pour satisfaire leur mari.

Nous dirons ensuite que du côté des professionnel·les du cinéma, les inégalités structurelles persistent. Que le budget moyen des films réalisés par des femmes est 1,6 fois moins élevé que ceux réalisés par des hommes. Que plus le budget augmente, moins elles sont présentes. Et qu’au-delà de 20 millions d’euros, elles disparaissent. Plus encore, que la différence moyenne de salaire entre comédiens et comédiennes est d’1 millions de dollars par film. Enfin, qu’à Cannes, sur les 1 727 films sélectionnés à travers l’histoire du festival, seuls 82 ont été réalisés par des femmes.

Source des chiffres avancés : Étude prospective du CNC, « La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle », fév. 2017.

Cette année, à Cannes, on s’est levés pour Justine Triet. Mais on s’est aussi à nouveau levés pour applaudir les violences masculines. On a martelé le même message à celles et ceux qui sont victimes de discriminations : vous pouvez toujours parler, vous ne comptez pas. Vous n’aviez qu’à pas. Vous n’aviez qu’à pas exister. Pourtant, en laissant la place, avec des moyens et de la volonté, nous croyons en la possibilité d’un autre cinéma. Un cinéma féministe, antiraciste, détaché de toutes ses formes de dominations archaïques. Un cinéma qui ouvrirait les portes d’un autre monde, plus égalitaire.