Grossophobie, discriminations et fichage en temps de pande?mie
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Catégorie : Global
Thèmes : Contrôle socialGrossophobieRacismeResistances
Grossophobie, Discriminations et Fichage en temps de pandémie
Comme beaucoup d’autres concerné.e.s, on a essayé ces dernières semaines de diffuser des informations concernant l’augmentation importante de la grossophobie depuis le confinement. Une grossophobie axée principalement sur la peur de nous ressembler, la peur de prendre du poids et de manger trop… Encore beaucoup d’amalgames et de fausses vérités sur les per- sonnes grosses que nos sociétés capitalistes véhiculent et que nous dénonc?ons.
Et puis il y a eu cette information révélant que les personnes obèses étaient considérées comme des personnes à risque de cas grave du covid-19.
Le Haut Conseil de la Santé Publique a publié au début du confinement un rapport précisant que les personnes ayant un IMC (Indice de Masse Corporelle) supérieur à 40 étaient considérées à risque de cas grave du Covid 19. Depuis le 20 avril on parle d’un IMC supérieur à 30, ce qui représente environ 15% de la population franc?aise !
C’est quoi un IMC >30 ? (Indice de Masse Corporelle)
Voici un petit schéma trouvé sur le net (Crédit : sentavio@123RF.com) qui donne une petite idée de ce qu’est l’IMC, à noter que le schéma représente des personnes de taille identique et que l’IMC n’est pas un indicateur suffisant pour juger d’une obésité ou d’une maigreur mais qu’il doit être utilisé comme une information parmi d’autres (rapport masse musculaire, masse graisseuse, masse aqueuse …).
Pourtant des études chinoises – les plus anciennes et donc les plus enrichies – montrent que les données sur le poids et l’IMC ne constituent pas des facteurs aggravants de la maladie lorsqu’ils sont isolés d’autres facteurs.
Alors pourquoi ces recommandations ?
L’idée ici n’est pas de se substituer aux expertises médicales car ce n’est pas nos champs de compétences, par contre en tant que personnes concernées on a notre mot à dire.
Un article en anglais paru sur le site Wired de la nutritionniste et diététicienne Christy Harrison montre pourquoi ces recommandations continuent de véhiculer une stigmatisation des personnes grosses dans nos sociétés sans réfléchir à l’impact de ce stigma sur les premier.e.s concerné.e.s. Continuer de véhiculer qu’une personne grosse est forcément en mauvaise santé est grossophobe. Pour information il est tout à fait possible d’avoir un IMC élevé et ne pas souffrir de maladies chroniques et être mince et en souffrir.
De plus, Christy Harrisson note un manque de données probantes puisque dans les récoltes de données faites sur le terrain (elle parle principalement de la France et des USA), plus de patient.e.s gros.se.s sont pesé.e.s et donc sélectionné.e.s par la collecte de données. Cela montre un écart important entre la situation réelle et les résultats des études de terrain.
Il s’agit d’ailleurs d’un cercle vicieux puisque partant du postulat qu’une personne grosse est forcément en mauvaise santé, elle sera plus rapidement dirigée vers une hospitalisation qu’une personne mince sans motif réel d’urgence. On montrera alors un taux d’hospitalisation plus important de personnes grosses.
Par ailleurs, on sait maintenant que les cas graves recensés, pour les personnes de plus de 65 ans notamment, ne sont pas lié à leur IMC > 30 isolé des autres facteurs.
Alors pourquoi l’obésité est considéré comme facteur de risque pour les hauts conseils en santé publique ?
Toujours selon les recherches de Christy Harrison, on ne comprend toujours pas. On ne peut pas isoler l’obésité dans toutes les études actuelles comme facteur de risque de cas graves du Covid-19. D’ailleurs cela serait pluto?t l’inverse puisqu’à priori les nombres de décès sont infé- rieurs chez les personnes obèses.
Voici une traduction rapide d’une partie de son article intitulé « Covid-19 Does Not Discriminate by Body Weight ».
« Pourtant, les premiers chiffres suggèrent qu’il est possible qu’être dans cette catégorie d’IMC (Elle fait référence ici à l’IMC > 40) puisse en fait protéger contre la mort de Covid-19. Cela peut sembler scandaleux, étant donné la sagesse conventionnelle selon laquelle « l’obésité tue », mais il existe des preuves indiquant que les personnes plus lourdes peuvent avoir une certaine protection contre au moins l’une des principales sources de mortalité Covid-19 : le syndrome de détresse respiratoire aigue? (SDRA). Une méta-analyse de 2017 a révélé qu’un IMC de 30 ou plus était associé à un risque significativement plus faible de mourir du SDRA, par rapport à ceux de la catégorie « normale ». Et le SDRA n’est pas la seule condition ou? nous voyons ce modèle ; un IMC plus élevé est associé à un risque plus faible d’effets indésirables dans de nombreuses maladies et situations cliniques, telles que la survie à la pneumonie, la septicémie, l’insuffisance cardiaque, l’hospitalisation et la survie du diabète – le soi-disant « paradoxe de l’obésité ».
Pourtant, toutes ces premières preuves n’ont pas empêché les chercheurs.ses et les rédacteurs.rices en chef.fe de revues médicales de spéculer qu’un IMC élevé allait apparai?tre comme un fac- teur de risque. Ces groupes extrapolaient à partir des preuves sur la grippe H1N1 (aka grippe porcine), ou? certaines données suggéraient que c’était vrai. Mais une méta-analyse des études sur le H1N1 et le poids en 2016 aboutit à des conclusions différentes : D’une part, il n’y a pas de risque accru de décès par grippe porcine pour les personnes ayant un IMC de 25 et plus. Et bien qu’il soit apparu pour la première fois que les personnes de ce groupe avaient un risque accru de complications graves et non mortelles, ces associations ont disparu après que les chercheurs se soient ajustés pour une variable de confusion importante : les patients H1N1 de plus petit corps étaient plus susceptibles de recevoir un traitement antiviral précoce. Il s’est avéré que des soins de santé de moindre qualité, et non un IMC élevé, étaient responsables de l’augmentation du risque observée chez les personnes ayant un IMC dans la catégorie « obèses ». »
Voilà à nos sens le danger principal que nous subissons, des soins de santé de moindre qualité lié notamment à la discrimination des professionnel.le.s de santé, aux manques de matériel adapté et la grossophobie médical plus largement. Déjà de nombreux auteur.e.s concerné.e.s ont écrit sur le sujet, la grossophobie qu’elle soit médicale et/ou systémique n’est plus à démontrer. Nous vous conseillons notamment les publications du collectif Gras Politique sur le sujet.
Ce n’est pas le seul problème relevé depuis le début de cette état d’urgence sanitaire concernant la grossophobie, au-delà d’internet celle-ci arrive dans la sphère du travail, on fera ici un lien avec toutes les personnes ciblées par le statut de personnes à risques graves du Covid-19 et le fichage qui en découle.
Discrimination grossophobes et fichages illégaux au travail
Depuis quelques jours nous sommes en contact avec Manon*, employée de mairie, contractuelle dans le nord ouest de la France. Tout comme nous, elle est concernée par cette catégorisation et vient de recevoir une note du service communication envoyée à tous.tes les employé.e.s par la mairie (environ 400 personnes).
Extrait de la note :
« Une nouvelle attestation « Personne Fragile » est à votre disposition.
Etre une personne fragile c’est être considéré comme avoir un risque plus élevé de développer une forme sévère du COVID-19. Parmi les critères, a été ajouté celui de l’obésité. L’attestation (en pièce jointe) a donc été mise à jour selon les recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique intégrant ainsi l’obésité supérieure à l’IMC 30.
Cette attestation n’est pas suffisante, elle doit être suivie d’un arrêt de travail que vous établissez sur le site DECLARE.AMELI lorsque que vous êtes en ALD ou si vous êtes enceinte (à partir du 3ème trimestre). L’accusé réception puis le cerfa que vous remettra la CPAM doivent être transmis au service RH.
Dans les autres c’est le médecin traitant qui prescrit un arrêt de travail.
N’hésitez pas à contacter votre médecin pour déterminer si vous appartenez à une de ces catégories. En l’absence d’arrêt de travail, vous restez mobilisable.
Un conseil, si vous avez passé le confinement à manger des bons petits plats et à grignoter… NE MONTEZ PAS SUR LA BALANCE ou alors de cette fac?on… »
Puis cette image, en dessous du texte :
Cette note, nous la considérons discriminante et stigmatisante !
Elle cible, une fois de plus, les personnes grosses alors que la liste des personnes dites à risque est longue. Elle se termine par une caricature reprenant les discours grossophobes en tant de confinement. Sous couvert d’humour les personnes responsables de cette note ne font que véhiculer des propos grossophobes dans le cadre du travail. Encore une fois il s’agit ici de mettre en avant ce qui se passe dans toutes les sphères de nos vies.
Pour info :
Article du Code du travail : Article 1 Modifié par LOI n°2017-256 du 28 février 2017 – art. 70
« Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, (…,) une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. »
Et ce n’est pas tout, en continuant nos échanges avec Manon, très en colère à l’idée d’être incitée à l’arrêt de travail alors qu’elle est en bonne santé, elle nous informe qu’une attestation sur l’honneur a été envoyée en pièce jointe à cette note. La RH précise qu’il est fortement recommandé à l’ensemble du personnel de mairie de renvoyer cette attestation, avec nom, prénom, date et signature.
Sur cette attestation il est demandé de cocher si oui ou non, nous sommes considéré.e comme une personne à risque de cas grave du Covid-19, une liste non exhaustive des facteurs aggravants sont cités dont l’IMC > 30, être atteint.e du VIH, être enceinte au 3ème trimestre etc. Alors certes, il n’est pas demandé de préciser par quels facteurs de risque les salariés sont concerné.e.s mais néanmoins cela reste du fichage à caractère médical et cela est complètement interdit par la loi.
La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) est claire :
« L’employeur ou le service RH n’ont pas le droit de posséder des informations médicales sur le personnel, excepté dans le cas d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle dont il serait responsable. »
Les dérives liées à la situation actuelle sont graves et certainement pas isolées d’autant plus que l’on sait que ce type de collectes de données a déjà été utilisé par le passé pour trier les employé.e.s en cas de restructuration, plan de licenciement économique etc.
Manon* réagit en précisant qu’elle espère que ce ne sont pas les intentions de sa hiérarchie mais reste inquiète. En effet car les pertes financières liées à la crise sanitaire sont très importantes pour les employeurs, et son contrat, comme celui de beaucoup d’autres, n’est pas protégé.
Que l’on soit en état d’urgence sanitaire ou non, il est interdit de nous demander nos états de santé. Nos employeur.e.s ont le devoir de nous informer sur nos droits et leurs obligations, mais ne peuvent pas nous forcer à travailler si nous avons un arrêt de travail tout comme ils ne peuvent pas nous forcer à nous arrêter de travailler.
Collectes de données, fichages, ciblages, discriminations… Toutes ces dérives que la situation actuelle entrai?ne ne sont pas acceptables et nous les condamnons avec fermeté et radicalité.
Nous refusons ces dérives, pour nous, pour tous.tes les personnes grosses, et pour toutes les personnes concernées par ce type de fichage illégal.
Vous pouvez refuser ces dérives, rapprochez-vous de vos syndicats, vos représentant.e.s du personnel, vos élu.e.s au CHSCT, d’avocat.e.
N’hésitez pas à nous écrire pour vous soutenir dans vos démarches, sur notre page Facebook ou par email : luttesdesgrasses@riseup.net
https://iaata.info/Grossophobie-Discriminations-et-Fichage-en-temps-de-pandémie-4227.html
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