Palestine : droits à la carte – État civil : contrôle, domination, séparation
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Catégorie : Global
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L’état civil : un enjeu stratégique dans une administration complexe
Peut-on réduire la définition d’un État à son territoire et à sa population ? Peut-être pas, mais rappelons l’importance des frontières pour définir un territoire, et de l’état civil pour définir une population. L’état civil est l’outil stratégique indispensable à tout État pour connaître sa population afin de définir ses politiques économiques et sociales, pour faire régner l’état de droit ou encore pour délivrer des documents d’identité… Israël, le seul État admis à l’ONU qui n’a pas défini ses frontières, a-t-il défini sa population, et si oui comment ?
On ne peut pas consulter les registres des différentes populations de la région, pas même pour savoir comment ils sont constitués : ils sont très bien gardés, aujourd’hui informatisés et hautement confidentiels ! Par contre il s’est avéré possible de décortiquer les processus essentiels mis en œuvre pour les constituer, et analyser les enjeux politiques qu’ils renferment.
Constatons tout d’abord que, à l’exception des Palestiniens vivant en Israël et des Palestiniens réfugiés en Jordanie qui en ont pour la plupart acquis la citoyenneté, les Palestiniens ne sont citoyens d’aucun État. Ils sont pourtant tous munis de papiers d’identité, et doivent donc bien figurer quelque part dans un registre d’état civil ! En s’intéressant à la question, on se rend vite compte que quatre administrations au moins sont impliquées dans la tenue des registres de population : l’Autorité Palestinienne (AP) en Cisjordanie, le Hamas à Gaza, l’UNRWA [1] dans toute la région, et bien sûr Israël, mais aussi la Syrie, le Liban, et la Jordanie pour ce qui est des réfugiés « de l’extérieur ». Pour tenter de démêler cette affaire, regardons successivement les populations palestiniennes [2] connues d’Israël seule, puis celles figurant dans les registres de l’AP et d’Israël, et enfin les réfugiés, population qui recoupe en partie les précédentes.
Pour les habitants d’un État-nation comme la France, la distinction entre citoyenneté et nationalité n’est pas évidente, elle l’est pourtant pour les personnes vivant par exemple dans les Balkans, en ex-Union Soviétique ou encore dans les pays coloniaux européens avant l’indépendance de leurs colonies.
Tentons une définition du concept de nationalité : la nationalité est liée à la notion de peuple, c’est à dire à la culture et à l’histoire, et donc à la langue maternelle, à l’ascendance… On ne peut pas en changer en claquant des doigts, rares sont les vrais transfuges qui en ont réellement acquis une autre.
La citoyenneté est une qualité attribuée à une personne par un État. On peut en avoir 2 sur simple décision administrative (même si en français on utilise le terme de “double nationalité”), et dans de nombreux pays beaucoup de personnes dont la naissance n’est déclarée à aucune administration, n’ont pas de citoyenneté.
Une difficulté supplémentaire vient de ce que les mots utilisés pour parler de ces deux choses pourtant bien différentes ne sont pas bien fixés. Exemple : quand sur les cartes d’identités israéliennes figure la mention « Nationalité : juive », on trouvera « Nationalité : israélienne » sur le passeport israélien de la même personne.
Israël garde une prérogative exclusive sur l’état civil des Palestiniens vivant en Israël et à Jérusalem.
Dès 1948, en application de la loi sur « la propriété des absents » [3], Israël attribue la citoyenneté israélienne aux Palestiniens qui sont restés sur le territoire israélien lors de la Nakba en 1948, et qui y habitent encore. Le ministère de l’intérieur israélien tient classiquement l’état civil de toute sa population, mais en intégrant un critère qui ne figure pas en clair sur les documents d’identité : la nationalité (voir l’encadré ci-dessus). Israël reconnaît deux types de nationalités : la nationalité Juive qui donne accès à l’ensemble des droits, et, selon la période de l’histoire et selon l’inspiration du fonctionnaire chargé de définir la nationalité lors de l’enregistrement de la personne sur les registres d’état civil, la nationalité “arabe”, “Druze” et bien d’autres, mais en aucun cas la nationalité “Palestinienne”. Dans de nombreux cas aucune nationalité n’est attribuée, et l’emplacement qui lui est attribué sur la carte d’identité reste vierge.
Les Israéliens parlent de droits “civils” (ou citoyens) attachés à la citoyenneté israélienne, et de droits “nationaux” attachés à la nationalité. Nous retiendrons ici l’idée que les droits des personnes de nationalité juive sont supérieurs aux droits des personnes des autres nationalités. Ainsi les droits civils des « Arabes » de confession musulmane ou chrétienne sont réduits pour les carrières politiques, pour l’armée, pour le lieu de résidence ou pour les droits de propriété. Autre exemple : un citoyen israélien de nationalité arabe peut être élu au Parlement, il vote normalement sur les questions à caractère civiles, mais n’a pas le droit de voter pour les questions touchant à la sécurité ou à la défense du territoire.
Notons que la nationalité est très généralement héréditaire : les enfants d’Arabes israéliens sont Arabes, et ne peuvent pas se marier avec des personnes juives, rendant toute assimilation ou intégration problématique. En effet, les mariages inter religieux sont extrêmement rares, si ce n’est inexistants. Le droit israélien ne prévoyant pas de mariage civil, les rares mariages entre Israéliens de religions différentes se font à l’étranger.
Toujours en raison de la loi sur « les propriétés des absents » de 1950, les Palestiniens vivant à Jérusalem se sont vu proposer la citoyenneté israélienne en 1967 suite à l’annexion de Jérusalem par Israël, annexion unilatérale non reconnue par la communauté internationale. La très grande majorité d’entre eux l’a bien sûr refusée, considérant que cela signifierait qu’ils entérinaient l’annexion de la ville. Israël leur a donc accordé le statut de « résident permanent », et leur délivre un document d’identité bleu aux couleurs d’Israël.
Le statut de résident “permanent” n’en a que le nom pour deux raisons : il est conditionné à une clause de loyauté à l’État qui limite dans les faits tout activisme politique, et il suppose un « centre de vie » à Jérusalem que les Palestiniens craignent de perdre lorsqu’ils voyagent pour différents motifs (travail, études, famille…), ce qui limite beaucoup la liberté de circulation formelle dont ils jouissent officiellement. Ils craignent d’autant plus de perdre leur statut qu’une disposition stipule que leurs enfants à qui le statut de résident est attribué à la naissance le perdent si eux-mêmes le perdent ! Les résidents de Jérusalem ne sont ainsi citoyens d’aucun État, « étrangers » dans un territoire qu’Israël seul considère comme le sien. Les Palestiniens de Jérusalem ainsi que les citoyens « arabes » d’Israël ne sont pas connus de l’AP qui ne peut tenir aucun registre de ces populations qui se définissent pourtant comme palestiniennes.
Israël dispose des registres d’état civil des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza : les accords d’Oslo II
En 1948 – création de l’État d’Israël pour les uns, et Nakba ou « catastrophe » pour les autres – la Cisjordanie est placée sous administration jordanienne et la bande de Gaza sous administration égyptienne. L’état civil est alors tenu par leurs administrations respectives. Cette situation prend fin en 1967 avec l’invasion et l’occupation militaire de ces 2 territoires pas Israël. Dès lors l’état civil est tenu par l’armée de la puissance occupante qui délivre aux Palestiniens des documents d’identité leur permettant essentiellement de passer les check points.
Les accords d’Oslo vont changer cette situation de manière radicale, et créer le système encore en place aujourd’hui. Les Palestiniens ont désormais une carte d’identité délivrée par l’AP, rédigée à la fois en arabe et en hébreu et portant les symboles de l’AP. Fabriquées à Nablus, ces cartes sont portées dans une pochette de couleur verte en Cisjordanie et de couleur orange à Gaza. L’histoire de ces cartons plastiqués se mêle à celle de la Palestine d’Oslo.
En 1995 les Accords d’Oslo II précisent comment s’opérera le transfert des compétences et des données de la puissance occupante à l’AP nouvellement créée (Annexe III, article 28) :
1. Les pouvoirs et responsabilités en matière de registre de population et d’identification en Cisjordanie et dans la bande de Gaza seront transférés du gouvernement militaire et son administration civile à la partie palestinienne.
La partie palestinienne maintiendra et administrera un registre de population et produira des certificats et documents de tous types […]. À ces fins, la partie palestinienne recevra d’Israël le registre de population des résidents [4] de Cisjordanie et de la bande de Gaza en plus des fichiers et registres les concernant parmi lesquels : – certificats de naissances. – registres manuscrits des naissances et des décès et leurs annexes de 1918 à 1981. – dossiers photographiques équipés. – tout le matériel et les équipements informatiques. (…)
Les Accords d’Oslo II prévoient aussi dans ce même article 28 comment les registres d’état civil mis à jour par l’AP sont en retour communiqués à Israël :
4. Les cartes d’identités existantes des résidents présents, ainsi que celles des nouveaux résidents, seront remplacées par de nouvelles cartes d’identité avec de nouveaux numéros d’identité. De telles cartes d’identité de remplacement seront produites par la partie palestinienne et elles porteront ses symboles. De nouveaux numéros d’identité pourront être produits par la partie palestinienne un an après la signature de ce traité. Les nouveaux numéros d’identité ainsi que le système de numérotation seront transférés à la partie israélienne. Toutes les informations présentes sur ces cartes seront en hébreu et en arabe et les numéros de telles cartes seront en chiffres arabes (i.e. 0-9).
Pour ce qui est du lieu de résidence, l’alinéa 10 de l’article 28 précise :
10. (…) La partie palestinienne devra tenir Israël informé de tout changement dans son registre de population dont, notamment, tout changement dans le lieu de résidence de n’importe quel résident.
Depuis la prise de pouvoir par le Hamas à Gaza, il n’existe aucun lien diplomatique direct entre le Hamas et Israël qui le considère comme une organisation terroriste. C’est donc l’administration du Hamas qui tient l’état civil des Gazaouis, et qui transfère ces données à l’AP, qui elle-même les transfère à Israël.
Ainsi – et les entretiens réalisés avec des personnes de l’administration de l’AP en juin 2017 le confirment – tout document produit par l’Autorité Palestinienne sans information préalable de la partie israélienne est nul. Dans le cas d’un contrôle d’identité par l’armée israélienne, une carte d’identité palestinienne d’un individu non enregistré dans le registre de population transmis à Israël ne serait pas reconnue.
Les registres d’état civil transmis par l’AP à Israël servent à un vaste fichage des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.
L’AP, même si elle exerce sur la question de l’état civil la prérogative d’un véritable État en tenant ses registres à jour, reste une administration sous tutelle de la puissance occupante puisque les documents d’identité qu’elle délivre ne sont valables que si Israël a préalablement connaissance des informations d’état civil qui permettent de les établir.
Mais le processus ne s’arrête pas là. Israël, puissance occupante soucieuse de sa sécurité, utilise ces registres comme base pour un fichage systématique des Palestiniens. Les numéros portés sur les cartes d’identité des Palestiniens sont codés et renvoient aux registres israéliens, renvoi que seul le matériel informatique israélien permet de lire. Pour cet aspect de la question, nous nous référons à l’analyse de Nadia Abu-Zahra [5], qui recoupe de nombreuses autres sources. Ainsi :
« Alors que les informations qu’elle [la carte d’identité] contient sont tenues au secret des Palestiniens qu’elles décrivent, la plupart voire l’intégralité d’entre elles peuvent « être vues sur un écran par le soldat le moins gradé du check point le plus reculé de Cisjordanie ou sur les ordinateurs du carrefour d’Erez [Gaza] » (Hass, 2005).
Impossible bien sûr de connaître ni l’étendue ni le détail de ces données codées, mais Nadia Abu-Zahra nous indique qu’une foule d’informations habituellement non contenues dans les dossiers d’état civil sont contenues dans le registre. Ces informations peuvent concerner l’activité politique, syndicale ou associative, les passages aux check points, les périodes d’incarcération dans les prisons israéliennes…
Ce n’est donc pas l’échec du processus d’Oslo qui a mené l’AP à participer à la politique de coopération sécuritaire en vigueur aujourd’hui : dès 1995 les accords d’Oslo prévoient un système administratif dans lequel l’AP exerce un pouvoir de police civile au service de la puissance occupante.
Poursuivons maintenant le passage en revue des différentes populations palestiniennes de la région.
Les réfugiés palestiniens dispersés dans toute la région, l’UNRWA
Le 8 décembre 1948, suite à la Nakba, l’ONU crée un nouvel organisme, l’UNRWA [6], pour prendre en charge les Palestiniens réfugiés dans toute la région.
La particularité de l’UNRWA est d’accorder le statut de réfugié aux descendants de réfugiés, ce que ne fait pas le HCR. Les réfugiés ont théoriquement tous une carte délivrée par l’UNRWA qui leur donne accès à ses services en matière de santé et d’éducation par exemple.
L’UNRWA ne tient pas l’état civil des réfugiés, ce sont les pays d’accueil qui le font : Liban, Syrie, Jordanie pour les réfugiés “de l’extérieur”, l’AP et le Hamas pour les réfugiés “de l’intérieur”, et exceptionnellement Israël puisqu’il n’existe pas de camp de réfugié en Israël [7].
Les réfugiés de l’extérieur – sauf en Jordanie où ils ont été majoritairement naturalisés – ne sont citoyens d’aucun État, et leurs droits civiques, dont le droit de vote par exemple, sont très restreints.
Israël connaît les Palestiniens réfugiés en Cisjordanie et à Gaza puisqu’ils figurent dans les registres d’état civil relevés par l’AP, mais pas les autres dits de l’extérieur. Cette distinction, cohérente avec son opposition absolue au retour des réfugiés, confirme la politique israélienne de contrôle des Palestiniens sur les territoires qu’elle considère comme les siens, et de négation de l’existence des autres en tant que réfugiés ou que Palestiniens.
L’état civil participe à la construction de l’unité israélienne et à la destruction de l’identité palestinienne.
L’organisation de l’état civil dans la région montre un double mouvement. Alors que les personnes se disant palestiniennes sont séparées à la fois physiquement et dans les registres d’état civil, Israël accorde sa citoyenneté à toutes les personnes de confession juive la demandant. On observe ainsi le paradoxe que des personnes d’origines ou de nationalités différentes – séfarades ou ashkénazes, et aussi marocaine, russe, polonaise, étasunienne, éthiopienne, française, argentine… – forment un seul bloc du point de vue de l’état civil et des droits qui y sont rattachés, alors que des personnes le plus souvent nées en Palestine, y vivant, et se définissant comme Palestiniennes et rien d’autre, ont des statuts fort divers attribués par des administrations toutes aussi diverses et leur conférant des droits civiques forcément très divers. L’unité formelle du peuple palestinien semble ainsi mise à mal, alors que l’unité des Israéliens serait pleinement réalisée ?
Identité symbolique. Les coups durs et répétés portés aux populations palestiniennes de la région, coups portés à la fois aux personnes, aux institutions et à la culture palestinienne posent la question d’un sociocide palestinien. Cette question aujourd’hui d’actualité dépasse le cadre de ce propos, mais constatant que le statut inférieur en droit dont ils héritent à la naissance ne changera que si la situation évoluait dans la région, les Palestiniens, qu’ils soient citoyens, résidents, réfugiés ou apatrides, n’ont d’autre choix que de se définir essentiellement et avant tout comme Palestiniens, et de lutter pour leurs droits, réduisant à néant l’ambition israélienne de destruction de l’unité et de la réalité palestiniennes.
Olivier Schulz, BDS France
[1] United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East : Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient
[2] Le terme “populations palestiniennes” tente le compromis entre l’éclatement des Palestiniens en différents groupes maintenus séparés, et l’évidence d’une identité palestinienne unique.
[3] La loi sur la propriété des Absents a été publiée en 1950 et a été votée par la Knesset suite à la guerre de 1948 durant laquelle Israël a occupé une partie de la Palestine et a permis à Israël d’exproprier des terres appartenant aux Palestiniens qui ont fui pendant la guerre.
[4] Notons l’utilisation scrupuleuse du terme de « résidents », et non pas de « citoyens », en relation avec l’idée « d’Autorité » palestinienne et non pas d’État palestinien
[5] Abu-Zahra, Nadia. « IDs and Territory : Population Control for Resource Expropriation ». In War, Citizenship, Territory, par Cowen Deborah et Emily Gilbert, Routledge., 2008
[6] Le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) ne sera créé qu’en décembre 1950.
[7] Notons le cas particulier des 10 000 réfugiés du camp de Shu’Fat à Jérusalem Est, qui ont une carte israélienne de résident de Jérusalem, et dont l’état civil serait ainsi directement tenu par Israël. Cette situation, particulière du point de vue du droit international qui ne reconnaît pas l’annexion par Israël de Jérusalem Est, résulte du transfert en 1965 des réfugiés de la vieille ville de Jérusalem vers ce camp créé à leur intention par l’UNRWA, puis de l’annexion de Jérusalem Est par Israël en 1967.
La droite et l’extrême droite au pouvoir à Tel-Aviv sont en effet engagées dans un inquiétant processus de radicalisation, voire à certains égards de fascisation. Profitant du soutien de l’administration Trump et de leur alliance avec l’Arabie saoudite contre l’Iran, elles veulent passer de la colonisation, qu’elles accélèrent, à l’annexion. Plusieurs lois ont été ou vont être votées par le Parlement israélien en ce sens. À terme, Tel-Aviv enterrera la solution dite « des deux États » au profit d’un seul État, où les Palestiniens annexés avec leurs terres ne jouiraient pas du droit de vote : un État d’apartheid.
La nouvelle loi fondamentale en cours d’adoption symbolise ce tournant. Celle de 1992 définissait Israël comme un « État juif et démocratique » ; le nouveau texte voté parle d’« État-nation du peuple juif ». Et il précise : « Le droit à exercer l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël appartient au seul peuple juif. » De surcroît, il prive l’arabe de son statut de « langue de l’État » réservé à l’hébreu. Bref, il renie explicitement la Déclaration d’indépendance qui, le 14 mai 1948, promettait que le nouvel État « développera le pays au bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël ; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture ».
Il ne s’agit hélas pas seulement de la fuite en avant de dirigeants hors-sol : selon un sondage de l’Institut de la démocratie israélienne (IDI) du 8 février 2017, la moitié des sondés n’estiment « pas sage » de poursuivre la colonisation de la Cisjordanie, et 53 % s’opposent à son annexion. Mais seuls 24 % estiment que les Palestiniens devraient, en cas d’annexion, jouir du droit de vote, 30 % envisageant un statut de « résident ». Ce passage de la colonisation à l’annexion n’améliorera évidemment pas l’image d’Israël dans l’opinion mondiale.
Voilà pourquoi l’extrême droite israélienne et ses relais français voudraient interdire toute contestation. Premier objectif de l’opération : la condamnation de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction (BDS). Aucune loi ne l’interdisant, ses censeurs s’appuient sur une circulaire ministérielle, signée de l’ex-ministre de la justice Michèle Alliot-Marie en février 2010, que de rares parquets ont suivie. Et sur un arrêt de la Cour de cassation, que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) peut néanmoins encore retoquer. D’autant que la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini ne cesse de répéter : « L’Union européenne se positionne fermement pour la protection de la liberté d’expression et de la liberté d’association, en cohérence avec la Charte des droits fondamentaux, qui est applicable au territoire des États membres, y compris en ce qui concerne les actions BDS menées sur ce territoire5. »
D’où un second objectif, auquel le propos d’Emmanuel Macron risquerait d’ouvrir la voie : l’interdiction de l’antisionisme proprement dit. En novembre dernier, Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), exigeait que la « définition (de l’International Holocaust Remembrance Alliance – IHRA), qui prend en compte l’antisionisme comme forme nouvelle de l’antisémitisme, soit transposée dans l’arsenal législatif français »… Élaborée par l’IHRA le 26 mai 2016 à Budapest, cette définition présente l’antisémitisme comme « une certaine perception des juifs, qui peut s’exprimer comme de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques d’antisémitisme visent des individus juifs ou non juifs ou leurs biens, des institutions et des lieux de culte juifs ».
Dominique Vidal (Orient XXI)