Contre-réformes : après les ordonnances, l’unédic dans le viseur
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Les militants syndicaux qui avaient lucidement analysé la difficulté à mettre en grève leurs collègues et à élargir la mobilisation en 2016 attendaient avec inquiétude la séquence ouverte par les ordonnances Macron. Ils ne comptaient pas sur la CFDT, dont il faut mesurer ce qu’indique sa première place acquise dans le privé. Mais ils ne s’attendaient pas à la trahison de Mailly dont la mise en minorité au Comité confédéral national de FO fin septembre ne produit guère d’effets visibles. Quand à la FSU, elle avait clairement tout misé sur l’intersyndicale de la fonction publique en centrant la mobilisation sur les revendications, certes bien réelles, des fonctionnaires.
Dans ce contexte, le choix de la CGT de planter des dates sans les négocier peut se comprendre, mais cette façon de faire n’aide pas à la construction de l’unité. Le refus évident d’un tête-à-tête avec Solidaires finira par se payer aussi. Ajoutons que l’initiative de Mélenchon le samedi 23 septembre et l’arrogance de sa critique contre les syndicats [1] participent à la zizanie ambiante !
Ici l’opération « Chasse aux DRH », consistant à perturber une rencontre de DRH dans un restaurant du bois de Boulogne le 12 octobre trouve une place originale. D’une part parce qu’il est urgent que les patrons, leurs ministres, leurs députés et leurs DRH connaissent, ressentent, un peu de l’insécurité sociale dans laquelle nous plonge leur politique agressive ; d’autre part parce qu’il est positif de réussir à faire agir ensemble des syndicalistes et des activistes du cortège de tête, ouvrant un dialogue entre deux générations et deux conceptions politiques. À Nantes, même la CGT a compris l’intérêt de la chose. En mixant actions médiatiques et actions surprises, il est possible avec quelques centaines de militants et militantes de redonner du punch à l’action syndicale. Un retour aux méthodes historiques du syndicalisme révolutionnaire.
Suite à l’intersyndicale large du 24 octobre, l’appel à faire grève le 16 novembre la CGT, FO, Solidaires, l’Unef, l’Unl et la Fidl est le fruit d’un compromis insatisfaisant. Il est faible contre les ordonnances et sur la convergence public/privé. Il nous propose encore une fois une journée sans lendemain. Toutes les équipes syndicales combatives ont bien compris qu’une telle journée ne servira pas plus que les précédentes à faire reculer Macron et les patrons. Alors comment avancer vers un réel élargissement ? En essayant d’utiliser la chance que donne cette journée pour construire à la base, avec AG dans les entreprises et les localités, une grève reconductible.
Une période de décrue du mouvement social est propice à tous les règlements de comptes, y compris en interne des organisations. À la SNCF, on frôle la caricature quand SUD-Rail appelle à la grève sans la CGT le 10 octobre, puis la CGT sans SUD le 19. Les difficultés à construire un « tous ensemble » légitiment également le repli corporatiste : chauffeurs, dockers et bientôt raffineries vont chercher à utiliser leur rapport de force professionnel pour se protéger, partiellement, des ordonnances. Mais c’est aussi une période qui favorise toutes les surenchères, qu’elles soient gauchistes ou qu’elles émanent de directions intermédiaires dans la CGT par exemple. Certaines de ces directions, qui refusent habituellement d’agir pour la construction concrète de la grève quand elle est « jouable », semblent à l’aise pour en parler quand elle ne risque pas de les déborder en vrai !
Nous avons aujourd’hui plus d’appels à la convergence que de convergences réelles. L’appel lancé autour de la fondation Copernic, celui lancé autour de Solidaires, celui du Front social. Dans les villes, des militants et militantes se regroupent parfois sous telle ou telle étiquette et tant mieux si ça permet de construire des actions concrètes et des solidarités locales mais cela reste généralement une coquille vide.
Formulons donc une proposition qui n’a pas été tentée : appeler a trois jours de grève générale pour permettre aux intersyndicales locales de se réunir en AG et de décider de manifestations locales et d’actions de blocage massives pour être réussies. Au soir du troisième jour, il sera temps que les AG fassent le point.
Renforcement du contrôle des chômeurs
Organiser une riposte efficace est d’autant plus urgent que les attaques vont continuer. Les concertations avec les confédérations syndicales et patronales ont commencé en vue des prochaines réformes sociales du gouvernement. Elles concernent l’assurance chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage.
Si nous avons encore peu d’informations sur leur contenu, les annonces du gouvernement nous permettent d’en identifier certains enjeux. Concernant l’assurance chômage, le paritarisme assuré actuellement par l’Unédic devrait disparaître pour la placer sous la tutelle complète de l’État. C’était pourtant une des conquêtes sociales de l’après-guerre. Pour rappel, l’assurance chômage devait à l’origine relever de la Sécurité sociale. Mais la création de l’Unédic en 1957 avait été pour FO l’occasion de doubler la CGT et de devenir, sur ce champ, l’interlocuteur du patronat. Supprimer l’Unédic et substituer aux cotisations chômage salariales une augmentation de la cotisation sociale généralisée (CSG), c’est-à-dire un impôt, c’est pour le gouvernement un message clair concernant sa volonté d’en finir avec ce qui reste, malgré tout, une conquête du mouvement ouvrier. En arrachant l’Unédic à la gestion paritaire, l’État décidera des montants et des modalités de l’indemnisation chômage. Sa subordination aux intérêts patronaux revient ni plus ni moins à remettre au Medef les clefs de la gestion de l’assurance chômage.
Il est encore trop tôt pour identifier clairement la future assurance chômage qui sortira de cette réforme. Mais il est à craindre une harmonisation du système français sur les modèles anglais et allemand. On peut prévoir une indemnisation forfaitaire minimale financée par la CSG, avec un potentiel complément indemnitaire financé par les cotisations employeur.
Pour le gouvernement, un service public de l’emploi efficace doit avoir pour principale mission d’exercer une contrainte sur les salarié.es privé.es d’emploi pour qu’ils et elles acceptent des boulots de plus en plus précaires et de moins en moins correctement rémunérés. Les déclarations récentes de Pierre Gattaz et du porte-parole du gouvernement Christophe Castaner rejoignent les promesses de campagne d’Emmanuel Macron : les missions de Pôle emploi seront réorientées vers un accroissement des sanctions et du contrôle des chômeurs, notamment en cas de refus d’une offre d’emploi.
Concernant la formation professionnelle et l’apprentissage, c’est là aussi tout un projet de société qui pointe sous les réformes à venir. Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer ont, à plusieurs reprises, qualifié de doublon les lycées professionnels et les centres de formation des apprentis. Leur objectif : supprimer les premiers au profit des seconds. Car en termes de formation initiale, les lycées professionnels sont le résultat de longues luttes pour scolariser, au sein de l’éducation publique, les mineurs recevant une formation professionnelle. Cette scolarisation a permis de mettre en place des formations équilibrées, comprenant des matières générales, plus pérennes et émancipatrices pour l’intégration sociale des individus. Au contraire, l’apprentissage reste sous la tutelle des branches professionnelles, subordonné aux impératifs des employeurs et orienté vers une intégration strictement économique.
Enfin, vouloir réformer la formation continue peut paraître louable, le gouvernement annonçant son souhait de renforcer les critères de labellisation des organismes de formation. Mais le projet se révèle quelque peu fallacieux si l’on se rappelle que les politiques en la matière depuis maintenant quinze ans ont principalement consisté dans le démantèlement des organismes publics – Afpa et Greta – au profit des seules officines privées…
Jean-Yves Lesage (AL 93) et François Molinier (ami d’AL)
Faire passer le paritarisme pour une conquête sociale, faut oser… Le paritarisme, c’est la cogestion. Surtout à l’unédic. Faut-il rappeler combien de fois la CFDT a soutenus les différentes réformes de l’assurance chômage… et comment les autres syndicats ont globalement accompagné ces réformes.