Quelle pratique des médias libres ?
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : Actions directesLogement/squatMédiasRépression
Lieux : Toulouse
Le 29 juin 2015 était jugé à Toulouse le présumé « directeur de publication » du site d’information toulousain « iaata.info ». Accusé de « provocation publique à la commission d’un crime ou délit » pour avoir mis et laissé en ligne un article anonyme revenant sur une manifestation suite à la mort de Rémi Fraisse, il encourait 5 ans de prison et 45 000 euros d’amende. Cette « affaire iaata.info » (l’inculpé avait gardé l’anonymat, et se faisait appeler 174 09 99…) avait donné lieu à un appel aux « médias libres ». Extraits :
« Libres parce que libérés des intérêts marchands, parce que divers et déterminés, ancrés localement au plus près des luttes. Toute une presse qui ne dit pas quoi penser, mais donne à voir et comprendre, en prenant clairement position. Une presse qui évite de mettre les personnes dans des cases toutes prêtes, de leur tailler des costards trop grands ou trop petits et surtout de déformer le but et les intentions. »
Cet appel a été relayé par une cinquantaine de sites internet, radio, journaux et blogs qui s’y reconnaissaient, dont Reporterre, et l’affaire a eu une certaine couverture médiatique, notamment radio.
Mais nous voulons ici revenir sur deux articles en particulier. L’un publié dès le 30 juin 2014, sur Reporterre, l’autre le 2 juillet dans l’Obs. Deux articles aux tonalités très différentes mais – surprise ! – rédigés par une seule et même personne. La journaliste avait deux casquettes, ce qu’elle s’est bien gardée de nous dire lors des interviews où elle jouait la carte « presse-libre-signataire-de-l’appel » pour faire accepter ses questions.
Explication de texte
L’article de Reporterre commençait ainsi : « « Encore un procès à la con pour une histoire de merde. » La banderole noire aux inscriptions rouge sang flotte au vent. Une soixantaine de personnes sont rassemblées en face du Palais de Justice de Toulouse pour soutenir « 1 74 09 99 » ». Plus loin : « Dans l’air lourd de ce début d’après-midi et la fumée du barbecue installé pour l’occasion, les mines sont graves. »
L’article est porté par une vision bien parcellaire et chargée de menace, centrée sur le procès et l’anonymat de l’inculpé, où les enjeux politiques comme la dimension combative sont occultés…
De la joyeuse sardinade, il ne reste que l’incommodante fumée d’un barbecue, et le reste est à l’avenant. Par souci de neutralité ? Où sont passés la chorale, le pique nique et les ballons multicolores ? Qu’est devenue l’émission radio diffusée en direct sur Canal Sud et relayée par une sono dans le rassemblement ? Et surtout, où sont passées les prises de paroles des profs du collège Bellefontaine, de la campagne BDS, de la CREA, de Riposte radicale, de la ZAD, et de tous les collectifs venus apporter leur soutien et raconter leurs luttes ?
Reporterre, pépinière de L’Obs ?
Nous étions déjà déçus de ce choix que faisait Reporterre. Mais le pire était à venir, quand la même journaliste de Reporterre prenait la plume pour L’Obs quelques jours plus tard. Attention, ça fait peur et c’est fait pour…
« Un activiste, soupçonné d’avoir encouragé les manifestants à muscler leurs actions. » Chapeau et premiers raccourcis douteux : un « activiste » ? Alors qu’il s’agissait d’un présumé directeur de publication qui est poursuivi, même pas l’auteur d’un article… D’un coup de plume, le rassemblement appelé par le comité de soutien sous le slogan « médias libres en procès, luttes bâillonnées » devient pour le lectorat de L’Obs la « remobilisation de l’ultragauche dans la ville rose ». Mazette. Et notre présumé directeur de publication, d’ « activiste » est promu « figure bien connue de l’ultragauche »… Le reste est à l’avenant. Comme dans l’article de Reporterre, le texte est truffé de références à l’anonymat du prévenu, cela deviendrait presque l’information principale…
« C’est qu’il existe à Toulouse un véritable microclimat politique. Ville-refuge des républicains espagnols, la cité occitane a aussi été le foyer de création des GARI (Groupes d’action révolutionnaires internationalistes) et d’Action Directe. Plus tard, les squats politiques ont repris le flambeau et depuis novembre, la ville-rebelle a répondu présente après le décès du jeune naturaliste dans le Tarn voisin. Composée de libertaires, d’autonomes et d’antifascistes, l’ultragauche toulousaine a rejoint la lutte écologiste des “zadistes” pour dénoncer les “violences policières”. Ce qui lui vaut désormais d’être dans la ligne de mire des autorités. »
Un inventaire à la Prévert. Qui nous éloigne des faits pour ramener sur le devant de la scène les GARI, Action Directe et les républicains espagnols… Est-ce qu’il s’agit d’expliquer au lectorat de L’Obs les raisons profonde de l’arrestation de notre « anonyme », « activiste » : s’il est écroué c’est parce qu’il serait potentiellement membre d’une guérilla ? Loin d’une mise en contexte, c’est une dénonciation qui reprend des catégories policières.
En aucune façon cela permet de détacher un point de vue. Du coup il ne reste que l’habitude et la routine, celle d’un groupuscule en lutte contre la police et la justice, dans un « match » où les journalistes folklorisent, simplifient et comptent les points…
En conclusion
Honnêtement, le travail réalisé prêterait plus à rire qu’à pleurer n’étaient la tromperie et la roublardise, il n’est jamais agréable d’être pris.e.s pour des con.ne.s. Mais la vraie question c’est surtout celle d’un positionnement exigeant et honnête, d’un travail de diffusion de l’information, de décorticage, de critique même qui bannisse les catégories policières et les effets de manches… Il n’est pourtant pas compliqué de donner la parole aux gens, de décrire ce que l’on voit, de donner un point de vue en l’assumant comme tel, ce que l’on attend de la part des médias libres… Il est vrai que ça n’ouvre pas certaines portes, mais est-ce que les médias libres sont un sas pour journalistes en herbe avant leur passage dans la « vraie » presse ?
Sans vouloir mettre au pilori une personne en particulier, nous voulions dénoncer des pratiques pour qu’elles évoluent. Diffuser, informer, critiquer n’est pas une pratique dont on peut se passer et il importe que des individu.e.s et des collectifs le prennent en charge mais dans un soucis constant d’engagement et d’honnêteté.
Quelqu’un du comité de soutien à 1 74 099 99
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