[les ronces] retour sur le we défrichage des 10 et 11 mai
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Category: Local
Themes: EcologieExclusion/précarité/chômageMétropoleNantes nécropoleQuartiers populairesRéappropriationResistancesUrbanisme
Places: Nantes
Bilan :
- un grand puits trouvé, débroussaillé et rénové (ce qui ouvre plein de nouvelles perspectives botaniques)
- une parcelle retournée et plantée (pommes de terre) derrière le gros tas de ronces
- la première parcelle entretenue et agrandie (plantations de maïs et framboises)
- des rencontres entre plein de gens différents, et des passages conséquents de gens du coin : le travail d’information commence à porter ses fruits, et mérite d’être poursuivi. Les personnes ont eu l’air de comprendre la démarche et de la soutenir. L’idée étant aussi de profiter de ce lieu de rencontres pour remettre en cause l’urbanisme dévastateur destiné à ce chouette quartier
Les idées et les désirs ont l’air de fleurir et chacunE investit ce lieu à sa façon. Histoire d’en faire un écosystème qui permette la biodiversité la plus large (par exemple : que ceux qui ont la débroussailleuse facile laissent de quoi faire quelques pots de confiture de mûres aux naturalistes), certainEs estiment qu’il va falloir incessamment sous peu se mettre d’accord sur un mode de fonctionnement et de prises de décision
Pourquoi pas dimanche ? La semaine s’annonce désormais ensoleillée, et nombreuSEs sont ceux qui sont sûrs d’y retourner ce jour-là. Il reste d’ailleurs pas mal de plants de patates, donc si on veut manger des frites cet été, va falloir retourner du chiendent. On pourrait également réfléchir à un prochain chantier public (c’est-à-dire qu’on communiquerait plus largement) qu’on organiserait sur le lieu, et ce qu’on y ferait d’original (repas, jeux, concert ?…)
Samedi 10 mai, 10h.
Une brouette, quelques crocs, houes, bèches et autres pioches se retrouvent timidement à l’entrée de la friche. Le temps n’est pas de la partie. On est contents de se revoir, même si on sent qu’on va en chier.
Tant pis, on se lance : on se rassure en pensant que c’est l’Histoire qui se joue ce week-end : elle a toujours été écrite par une minorité active.
Pourtant, les nuages noircissent et les gouttes accompagnent les premiers coups de croissants dans les ronces. La pluie est de plus en plus dense, le crachin se fait averse. On transpire mais on a froid. Les coups de téléphone annoncent les défections les unes après les autres (pratique, la technologie !). La cantine ne nous ravitaillera plus. Le moral des troupes est atteint. Le
processus fatal, bien connu, poursuit sa marche inexorable : on doute, on se demande ce qu’on fout là, on commence à gueuler. « Il pleut », râlent les modérés. « Ils nous pissent dessus », rétorquent les plus radicaux. La rupture est proche. Ça sent la désertion à plein nez. Arguant que ce kolkhoze n’est pas stakhanoviste, un mutin – sans doute un zadiste – ose proposer une pause salvatrice au bout d’une demi-heure. Des acharnés estiment qu’il sera plus dur de reprendre ensuite, mais ne se font pas prier pour rallier
le repli général. Le verdict est sans appel : « c’est pire que des expulsions à la zad, votre bordel ». Personne ne répondra à la provocation.
La mine basse, on est néanmoins au sec dans la pièce désormais plus accueillante. Comme elle aurait lancé une bouteille à la mer, une voix propose une petite réunion. Les militants ici rassemblés relèvent alors la tête, des regards s’échangent, on aperçoit même quelques sourires. Ça faisait si longtemps ! Les premières prises de paroles rassurent tout le monde, quelqu’un fait une blague, l’enthousiasme renait et on oublie que les chaussettes sont trempées. Pour fêter ça, l’équipe se met autour de la table et commence à ripailler. On ouvre les cubis pour se donner de l’entrain. On a la goutte au nez et froid aux orteils, mais les coudes serrés et le cœur réchauffé.
Parallèlement, le vent éloigne les nuages. La lumière fait son apparition. Serait-ce un signe ? Le temps et le moral au beau fixe, chacunE retourne au chantier. CertainEs retournent la terre derrière le tas de ronces, d’autres partent en quête du trésor du jardinier : l’eau. Car si l’on veut bouffer autre chose que des oignons et des patates (ce qui est déjà pas mal, précisent les traumatisés de l’épinard de la cantine), il en faudra. Pour toutes informations, ils ont le témoignage d’un voisin qui n’a pas le sens de l’orientation et de vieilles photos aériennes floues. Après de savants calculs, c’est finalement la méthode du « je débroussaille à l’arrache et on verra bien » qui est mise en pratique. On observe des pelles et des faux s’agiter frénétiquement au-dessus des bosquets de ronces. De mauvais esprits avancent que tant qu’ils ne l’auront pas vu de leurs yeux, ils n’y croiront pas, à ce
fameux puits. Et chaque minute qui passe semble donner raison à ces indécrottables sceptiques, tant le champ de ronces est quadrillé. Les chemins creux s’y multiplient comme les lapins qui s’y cachent. Les naturalistes et autres amateurs de confiture commencent à râler. Ils n’hésitent pas à comparer les dégâts dans cette biosphère à la déforestation de l’Amazonie. Alors que des tensions apparaissent au sein du collectif jusqu’à présent soudé, on entend un cri qui soulagera tout le monde. Le voilà ! On se précipite pour voir ça.
Les gens n’avaient pas vécu une sensation d’une telle intensité depuis la
découverte du gros lapin en chocolat derrière le massif d’hortensia ce lundi de Pâques de leurs 5 ans et demi. Mais en effet, il est là. D’un diamètre d’environ trois mètres pour une profondeur d’eau de 7 m. Étant donné que V = ? x r² x h, ça nous fait la bagatelle d’une cinquantaine de mètres cubes de flotte déjà à disposition ! À vos arrosoirs…
Après cet instant d’euphorie, on retourne galérer à bécher la parcelle de ronces et d’orties destinée à la culture de patate (c’est quand même ça l’objectif, n’oublient pas les plus pragmatiques).
Comme par hasard, au cours de l’après-midi ensoleillée, les visites se multiplient (tels les lapins susmentionnés). La petite diff’ stratégique au marché du vieux Doulon dimanche dernier aurait-elle portée ses fruits ?
Des familles normales (qui ne se sont pas encore débarrassées de l’aliénation salariale), passent discuter avec les paysans du dimanche qui s’acharnent sur les massifs de ronce. Les étudiants auront des ampoules à la fin de la journée.
L’ambiance est bon enfant. On discute en travaillant, on se rencontre, on apprend. On débat sur le sens politique de cette action : ce projet permet de « reconstituer du lien social dans une démarche participative de proximité et de développement durable en concertation partagée avec les habitants » pour les unEs ; quand d’autres y décèlent plutôt une « tentative de subversion des rapports marchands qui mettra le feu à la plaine du capitalisme et de l’état » ; ente les deux, le bon sens paysan de certainEs parlera de la « mise en place d’un potager ». Toujours est-il que touTEs sentent qu’il se passe quelque chose. À la fin de la journée, une parcelle conséquente est retournée, le puits est dégagé, bref, la mission est accomplie.
Les participantEs rêvent déjà à la poêlée de pommes de terre sautées qu’ils vont déguster dans trois mois. Une petite réunion pour bien finir la journée, un dernier muscadet, et on se souhaite une bonne soirée avant de vaquer à ses occupations. Une chose est sûre, malgré les chaussettes mouillées, les dos déglingué, les biceps courbaturés, les mains ampoulées, les genoux écorchés, on
s’est quand même bien marrés. Et la politique, « c’est d’abord et avant tout du plaisir », osent des esprits taquins.
Dimanche 11 mai, 10h.
Décidemment, les jardiniers et jardinières citadinEs ne sont pas matinaux. Les deux dévouéEs qui viendront dès l’heure convenue, pourtant décidée collectivement, resteront seulEs un bon moment. Mais au cours de l’après-midi, illes seront nombreux et nombreuses à venir décuver au jardin. On ne peut pas dire que ça bosse dur, mais il y a du monde. Le mouvement n’est pas décrédibilisé pour autant, et l’opinion publique rallie peu à peu les jardiniers et jardinières. Au départ réticents mais curieux, les nouveaux venuEs, ceux et celles pour qui toute activité militante est dédié dans ce mélange étrange d’attraction-répulsion (ils sont cons et regardent la télé, mais on en a besoin pour faire la révolution), bref, les fameux GENS, finissent par trouver sympa de boire un p’tit canon au soleil avec du monde, même s’il s’agit, ni plus ni
moins, de squatteurs. En fait, tout le travail de communication en amont avait résidé en cette subtilité : donner la définition du squat sans dire le mot. Les mythiques habitants du quartier rejoindraient-ils enfin la cause de la guérilla potagère ? À la friche de Doulon, tout le monde veut y croire. La révolution semble bien partie. En tout cas, c’est l’analyse des insurrectionalistes romantiques rennaisEs (« illes disent ça à chaque fois », raille un rabat-joie) venuEs en masse.
En revanche, question jardinage, y’a du boulot. Un naïf demande si on pourrait pas plutôt planter des frites. « Des chips ! », surenchérit son pote. Un maniaque passe son
temps à biner et rebiner ce que touTEs s’acharnent à piétiner. De fait, la plupart des personnes glandouilllent et sont plus venues pour papoter dans la verdure que pour arracher des pieds d’orties. Par ailleurs, ce petit bout de
terrain se révèle propice à l’expression de ses rêves les plus fous. Chaque visiteureuse retombe en enfance. Les idées fusent et les désirs jaillissent.
Curieusement, les chiottes sèches en palettes semblent être le projet suscitant l’enthousiasme le plus unanime.
Cependant, dans cette joyeuse bande de jardiniers et jardinières novices et citadinEs, mais néanmoins sûre d’elle, des différences de tactiques biologiques voient déjà le jour. ChacunE y va de sa technique imparable. L’assurance de ces débutantEs, conférée par tous ces savoirs engrangés sur internet, est ahurissante. A les écouter, il apparait comme évident que les courges feront
minimum 80 kg, qu’on remplira des piscines avec les petits pois, et qu’on pourra lancer les radis sur la flicaille. Les certitudes les plus enracinées sont sans aucun doute celles des geeks de vidéos de permaculture : grâce à leurs nouvelles méthodes, on fera pousser les légumes en se berçant dans des hamacs. Hélas, ce foisonnement provoque rapidement quelques conflits : certainEs ont la débroussailleuse facile, quand les naturalistes et autres amateurs et amatrices de confitures veulent préserver la ronce. Ça y est, c’est le bordel.
Vive l’anarchie ! Au moment critique, des militants pensent qu’il faudrait faire une petite réunion. Tout le monde opine du chef, l’harmonie est retrouvée.
D’ailleurs, aux yeux de touTEs, le bilan de ce week-end politique trépidant est extrêmement positif. Tous les signaux sont au vert ! Pour commencer, le puits est découvert, remonté et dégagé. Il s’agit là sans hésitation de l’événement le plus marquant de ces deux jours pourtant forts intenses en émotions. Deuxièmement, la parcelle derrière les ronces est plantée, mais il reste pas mal de pommes de terre. N’en déplaise aux permaculturienNEs, il va
falloir se sortir de son hamac si on veut bouffer des frites dans trois mois.
Sinon, des framboisiers et du maïs sont semés et plantés sur la première parcelle : contrairement à 99 % de la surface de la planète, à Doulon, la biodiversité (humaine et végétale) progresse ! Pour résumer, ce fut mal parti, mais on peut dire que la barre a été redressée (sans jeu de mot). Face au courage et à la détermination de cette poignée d’individus têtus, le vieux monde peut trembler : la révolution par la carotte a commencé !
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