L’histoire aura voulu que ce début d’année 2015 marque un tournant majeur dans l’image dégradée des forces de l’ordre après 10 ans de mutilations et d’assassinats répétés.

Dans la rue d’abord, les soubresauts estudiantins des années 2000 sont venus s’ajouter à la colère des banlieues. Tous deux ont mis à jour l’un des aspects principal du maintien de l’ordre : une force essentiellement dissuasive qui le cas échéant contient l’affrontement dans un dispositif qu’elle a préméditée.

Dans les bocages plus récemment, la résistance aux projets d’infrastructures a eu raison un temps du savoir faire français en matière de contrôle d’un territoire. Les gendarmes se sont littéralement embourbés à Notre-Dame-des-Landes et leur naufrage a eu pour conséquence prévisible un usage frénétique de leurs armes entraînant de nombreuses blessures, et le 25 octobre 2014, la mort de Rémi Fraisse sur la Zad du Testet.

Dans la presse enfin, les experts de la sécurité intérieure ont subit l’un des plus gros échec de leur courte histoire en 2008 avec l’affaire de Tarnac. La figure construite de toutes pièces de l’ennemi intérieur devenait en quelques semaines le tombeau de ceux qui l’avaient brandie comme un épouvantail. Exit MAM, Fragnoli, exit les barbouzes de la DCRI chacun d’eux est sorti par la petite porte.

Et si on a perdu l’habitude des petites guerres sales menées aux confins des services de la sécurité intérieure, l’affaire Tarnac relève le niveau. Comme cette histoire en 2009 de disparition d’un militant basque, Jon Anza, dans un train pour Toulouse, qui réapparrait un an plus tard, anonyme, dans une morgue.

Puis, contre toute attente, un attentat frappe le siège de Charlie Hebdo aux premiers jours de l’année 2015. Plusieurs policiers meurent à cette occasion. Branle bas de combat international, tout est mis en œuvre pour orchestrer une des plus spectaculaires mobilisations des dernières années. Le peuple se dresse derrière sa police, et la lourde ardoise accumulée depuis plus de dix ans s’efface presque aussitôt. Des centaines de milliers de personnes défilent auprès de plusieurs chefs d’état et acclament les snipers qui sécurisent la manifestation. Belle démonstration de force de l’antiterrorisme qui trouve enfin sa traduction populaire. Et dans les deux mois qui suivent cet événement morbide, l’état répond méthodiquement à chacune des erreurs qu’il a accumulé.

Le 6 mars 2015 la Zad du testet est expulsée par 200 Paysans de la FNSEA accompagnés par un lourd contingent de gendarmes venu avec une douteuse position de neutralité afin d’ éviter l’escalade de la violence.

En mai 2015, le tribunal de grande instance de Paris rejette le recours civil de la famille de Jon Anza, tout en reconnaissant « un dysfonctionnement au niveau de l’enquête tant de la part de la police que du parquet », mais « pas de faute lourde ».

Le 18 mai, les deux policier responsables de la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois en 2005 sont relaxés après 10 ans de procédures.

Le 7 du même mois, la presse annonce la tenue d’un procès en antiterrorisme dans le cadre de l’affaire de Tarnac pour trois des inculpés.

Au même moment la commission parlementaire créée par Noël Mamère suite à la mort de Rémi Fraisse, louvoie sur les moyens accordés à la police et entérine leur nouvel armement. Conséquence directe, au flashball se substitue le LBD (Lanceur de balles de défense), plus précis et plus puissant que son prédécesseur.

Et pour couronner le tout, une proposition de loi sur le renseignement légalise toutes les techniques de surveillance que la police pratiquait dans l’ombre. Le message a le mérite d’être clair, plus rien ne viendra entraver l’exercice du maintien de l’ordre, dont l’imaginaire rénové concède à chacun de ses agents la plus respectable des fonctions : celle de protéger la population contre le chaos organisé. Ce que le message oublie de préciser c’est que pour le pouvoir, le chaos organisé qu’il faut conjurer n’a pas grand-chose à voir avec le spectre réinventé de Ben Laden, mais repose dans toutes les manières de vivre, d’habiter, de se rencontrer, de s’organiser qui échappent aux grilles d’analyses du présent.

Aujourd’hui pourtant, il n’est de secret pour personne que la police tue, elle tue tous les ans, à plusieurs reprises, avec les mêmes armes et sous la même autorité, et quand elle ne tue pas elle mutile. Si cette vérité est depuis longtemps d’une banalité affligeante dans les banlieues françaises, elle restait inexistante dans les manifestations.

Depuis la mort de Malik Oussekine en 86, le maintien de l’ordre à la française faisait office d’exemple pour toute l’Europe. Un savoir-faire irréprochable, disait-on, conjugué à un armement fiable bien que de plus en plus létal. En 10 ans et sur différents terrains de lutte, cette maîtrise si fièrement publicisée a fait l’épreuve d’une détermination nouvelle, et surtout d’une extension du champ de l’affrontement. Incendies et saccages dans les banlieues, confrontations dans les bocages, généralisation des techniques de blocage jusqu’à certains cadres de la CGT, sabotages d’outils de travail, de lignes haute tension, les occasions ne manquent pas pour les autorités de se mesurer à des formes de contestation plus hétéroclites. Depuis dix ans maintenant la police ne cesse de réajuster ses méthodes d’intervention et chaque nouveau conflit, chaque revers encaissé est une occasion pour elle d’améliorer sa capacité d’intervention, d’affiner sa doctrine.

Un rapport récent indique à ce propos que l’utilisation des grenades offensives est circonscrite en France à trois types de territoires, les banlieues, les dom tom et les zad. Ce que les pouvoirs se complaisent à qualifier zone de non-droit semblent bénéficier d’un statut particulier et deviennent de véritables laboratoires pour les autorités.

Après les banlieues, les usines, les facs, les lycées, c’est au tour des Zad et de leurs ramifications urbaines d’être l’un des principaux objets d’étude des entrepreneurs de la sécurité.

Dépasser la peur

Il faut reconnaître une certaine tétanie dans les mouvements de lutte face à l’effet ravageur des armes du maintien de l’ordre et à leur usage devenu presque systématique. Si nous étions surpris de voir si peu de monde descendre dans la rue suite à la mort de Rémi, nous l’étions moins de constater les clivages que cette séquence a fait ressurgir dans les mouvements. La crainte plus ou moins fondée de voir se répéter dans les manifs anti répression le même dispositif d’affrontement entraînant les mêmes conséquences, a eu raison de la réaction massive à cet assassinat. Planait comme un sentiment d’abandon pour ceux qui descendaient dans les rues et de dépossession pour ceux qui craignaient les débordements, les blessures etc. La police, elle, s’est contentée de boucler intégralement les centre-villes et d’alimenter le sentiment de crainte par assauts médiatiques successifs.

Cependant, une chose importante et significative s’est produite. Bien que la peur couvrait d’un épais nuage l’atmosphère des manifestations de l’automne, chacune d’entre elles comme à Nantes et Toulouse rassemblait de plus en plus de monde. Et seul le temps et la répétition jouaient contre les manifestants. Il y avait là une colère contenue qui cherchait ses formes d’expression entre prises de rue, blocages de gendarmerie et d’usine d’armement.

La peur est un sentiment paradoxal qui appelle à la fois au replis, à la fois au dépassement. La première réaction, la plus courante produit en substance ce qui fait mourir les luttes ou qui les maintient dans un certain état d’agonie. Chaque peur prend le pas sur l’élaboration. Celle de devoir assumer des pratiques d’affrontement, celle de voir des compagnons de lutte se dissocier de certains actes, celle de trahir son identité politique, et bien d’autres encore.

Toutes ces peurs sont la conséquence en même temps que le moteur de la répression. Elle mettent en lumière ce qui depuis une fragilité de composition ouvre une brèche pour amoindrir la puissance d’un mouvement.

Le meilleur rempart à ce type d’effet c’est de trouver les conditions pour construire une forme de confiance commune, qui n’efface pas les désaccords mais qui prend acte de certaines nécessités stratégiques dans une lutte qui se confronte à un appareil d’état. En somme, la confiance qui nous a permis de repousser 2000 flics en 2012 sur la ZAD, de bloquer en 2011 un train de déchets nucléaires pendant plusieurs heures, d’amener 500 tracteurs dans les rues de Nantes, ou encore de mettre en échec des rafles de sans papier comme à Montreuil.

Il n’y a pas de fatalité derrière les obstacles que nos histoires traversent, il n’y a que des dépassements possibles.

Déplacer le conflit

On le sait, la question du conflit est un des nœuds indémêlables des luttes que nous menons ensemble. Certains le situent sur le terrain juridique, d’autres sur celui des média et de l’opinion publique, d’autres encore sur le terrain de l’action dans la rue, et les clivages ne manquent pas à ce propos.

Reste que beaucoup semblent d’accord pour prétendre qu’une certaine composition entre toutes ces idées produit de la puissance, une puissance capable de défaire les plus audacieuses percées du maintien de l’ordre.

Ce que la conjonction de ces formes permet, c’est d’extraire chacune d’entre elle de son isolement propre.

Réduire le conflit politique à l’affrontement de rue, c’est au mieux avoir l’impression de faire peur au pouvoir, au pire perdre un œil ou la vie.

Assumer une foi sans limite dans « l’opinion publique » c’est abandonner aux journalistes la manière d’énoncer nos idées et leur laisser le monopole de la pensée politique.

S’en remettre à la justice c’est faire preuve d’une croyance aveugle dans une indépendance consumée depuis les premières minutes de sa création.

Pourtant, conjuguer par exemple ces trois dimensions c’est donner les moyens à chacune de soutenir le rapport de force qui lui est imposé. Le soutenir en déplaçant les termes du conflit.

Le maintien de l’ordre ne trouve sa puissance que lorsqu’il a face à lui une force qui se soumet à la symétrie qu’il impose ou parfois qu’il supervise (comme à Sivens récemment).

Déplacer le conflit ne signifie pas qu’il faut renoncer aux pratiques de luttes qui ont fait notre force, il faut en revanche les sortir de l’isolement que l’autorité leur impose. Contourner un dispositif plutôt que le prendre de front, utiliser le droit pour mettre en lumière les irrégularités d’une opération de maintien de l’ordre et la ralentir en conséquence, déjouer à l’unisson les figures médiatiques fabriquée de toutes pièces, bref ramener à soi chaque possibilité comme des options stratégiques plutôt que comme des vérités immuables. L’industrie de l’armement en France a cette double particularité d’être à la pointe des exigences internationales en matière de maintien de l’ordre tout en bénéficiant d’une relative opacité sur la destination de sa production. Pourtant, si en Grèce ceux qui subissent quotidiennement la police sont bien en peine de pouvoir s’attaquer aux producteurs d’armement c’est parce que les armes qui servent à les mutiler viennent de chez nous. Aussi la mort d’un adolescent lors de l’anniversaire de l’occupation du parc Gezi en Turquie il y a un an provient de l’explosion d’une grenade française. Partout et jusque dans les insurrections arabes l’industrie de l’armement français produit le même désastre. Mettre en lumière l’existence de ce type d’industrie n’est rien d’autre que commencer à la sortir de la niche dans laquelle elle est logé et trouver les moyens pour la bloquer.

Pratiques de lutte

S’intéresser au fonctionnement de la police, comme de la justice, y trouver des failles, et les partager, savoir ce qu’ils mangent, comment ils se déplacent, qui les arme et comment ils s’arment, c’est autant de questions que nous souhaitons nous poser pour chercher des manières d’agir. Connaître ces failles pour pouvoir aussi, à un moment opportun, être capable d’amoindrir la capacité de nuisance de ce type d’industrie.

L’idée de se retrouver à Pont de Buis remonte à décembre dernier où suite aux manifestations répondant à la mort de Rémy Fraisse, nous étions plus de 200 à nous être retrouvés devant les portes de Nobelsport sans trop savoir ce qu’il y avait à l’intérieur. Cette expérience nous a appris une chose. Il a suffi d’être ce nombre à tourner autour des grilles d’enceinte de l’usine pour bloquer sa production. Là réside toute la limite d’un site de production d’explosifs soumis à une réglementation drastique. Une simple présence hostile suffit à interrompre la production. Aujourd’hui nous souhaitons aller plus loin dans l’expérimentation des pratiques de blocage de ce type d’industrie. Comment fonctionnent les unités de production, quelles routes empruntent les transporteurs, pour se rendre sur quels sites de stockage, en somme, mettre à jour la petite économie secrète que constitue l’armement de la police et trouver les moyens de la perturber.

Et Nobel Sport dans tout ça

Nobel Sport, c’est une des grandes boîtes de production d’armement de maintien de l’ordre qui existent en France, elle gère la poudrerie de Pont de Buis depuis 1996 et y fabrique pêle-mêle, grenades, cartouches etc. Elle arme non seulement la police mais aussi l’armée et vend ses produits à divers pays étrangers. Quatre établissements sont répartis sur tout le territoire, dont le siège à Paris. La société est dirigée par un ensemble de sept actionnaires évoluant entre l’industrie de l’armement et la finance. C’est une boîte parmi d’autres, nous verrions autant de sens à cibler Alsetex dans la Sarthe ou Verney Carron à Saint Etienne, comme d’ailleurs toutes les sociétés qui équipent les forces de l’ordre, de l’uniforme jusqu’à la peinture des camions. Le site de production représente environ la moitié de la superficie du village, soit plusieurs kilomètres de grillages d’enceintes. Il s’inscrit dans un territoire longtemps dévolue à l’industrie du maintien de l’ordre. École de gendarmerie de Chateaulin, base de sous-marins nucléaires de l’île longue, la présence des autorités ne manque pas dans cette région. Ce que l’on connaît de cette usine, à part son implication historique dans les menées guerrières de Louis 14, c’est la triste réalité d’une industrie hautement explosive, emportant régulièrement avec elle la vie de quelques ouvriers ou les fenêtres des maisons. Les deux moments qu’on retiendra entre 1975 et aujourd’hui laisse quelques sueur froides à qui veut bien imaginer ce que peux signifier vivreà coté d’une usine à poudre.

TOUS À PONT-DE-BUIS !