» Le moment est venu que la classe ouvrière prenne les drapeaux de la révolution des mains tremblantes des étudiants »

Voilà un des slogans du printemps révolutionnaire de 1968 dont on entend peu parler. Pourtant, loin de l’inoffensif folklore libertaire il affichait sans fards une des formes inédites de la lutte politique qui devrait davantage nous inspirer aujourd’hui. Les étudiants luttant côte à côte avec les opprimés, les licenciés, les réprimés. Voilà la perspective juste, quels que soient les cris des réactionnaires qui veulent préserver l’université de la contagion de la lutte des classes.

Dans Paris en ébullition, les mains tremblantes des étudiants tenaient il ya quarante ans la grande banderole en tête de cortège. Partant du centre de Paris vers les usines, cette manifestation affichait toute la détermination des étudiants révolutionnaires qui aspiraient à la jonction avec les jeunes ouvriers révoltés, souvent des OS immigrés.

Existe t-il un message similaire aujourd’hui ? Est-il souhaitable de le formuler ? Est-il possible de lier luttes étudiantes et ouvrières ? Comment sortir du corporatisme et faire revivre l’idéologie « servir le peuple » ?

L’unité ouvriers-étudiants, ce mot d’ordre puissant de 1968 lancé par les maoïstes, tourné contre les syndicats réformistes et bureaucratiques, on pourrait presque l’inverser en 2009. Les luttes des ouvriers sont exemplaires. Les étudiants doivent se mettre à leur école. Certes, les syndicats de cogestion se vautrent toujours dans la collaboration de classe et n’organisant aucune riposte aux licenciements massifs. Mais dans des dizaines d’usines, la classe ouvrière, laminée par la gestion capitaliste de la crise, retrouve la voie des luttes radicales, réaffirme son identité de classe, n’hésite pas à agir en brisant l’épée de Damoclès de la légalité bourgeoise. Les occupations et les séquestrations fleurissent. Paniqué, le personnel politique de la bourgeoisie s’affole et crie au scandale. De l’UMP aux directions syndicales on appelle au calme. Les chiens de garde, appointés pour maintenir la paix sociale, tombent le masque.

Sur les campus, au contraire, un mouvement avorté, s’enfonce dans une défaite annoncée. Après 15-16 semaines de modes d’action qui à Nanterre furent douceureux et raisonnables, les opposants universitaires bien policés rentrent dans leur niche douillette. Cette capitulation est à contre-temps. A l’exeption notable de Toulouse, les universitaires baissent les armes au moment où le pouvoir commence à perdre pied. Il est vrai que le seul mot d’ordre de l’abrogation de la LRU était déjà jugé trop radical ! Comme d’habitude, la question des examens est celle qui depuis 1968 a raison des luttes dans l’éducation nationale car il faut « sauver les diplômes » même si ils sont vides de contenu ! Ce jeu de dupes sauve surtout la face de l’institution, c’est l’essentiel…Ce n’est pas un défaut d’explication qui a mené le mouvement à sa ruine mais une absence de ligne politique et syndicale claire. Nuance.

Mais cette parodie de la contestation a surtout permis de passer à côté de l’essentiel, alors même que les effets de la crise du capitalisme éclatent.

Jamais, même indirectement, la question de la validité du système économique et social n’a été posée, un système capitaliste qui génère des lois scélérates non seulement pour l’université mais pour l’ensemble des masses populaires. Sartre appelait les intellectuels à « regarder l’homme et la société dans leur vérité, c’est-à-dire avec les yeux des plus défavorisés ». Loin d’être galvaudé, cet appel est plus neuf que jamais. Pourtant, en 2009, sur les campus de France, on en est à des années-lumières !

C’est pourquoi, si on veut balayer devant notre porte la question de l’unité étudiants-ouvriers est fondamentale. Elle compte parmi les initiatives qui nous permettrait de sortir de l’ornière.

L’unité ouvriers-étudiants s’est traduite dans l’histoire des luttes par un itinéraire explicite : du quartier latin (épicentre du monde étudiant) aux usines Citroën de Flins et Renault de Billancourt (bastions ouvriers historiques). Parfois, ce fut un contact sans jonction, plus souvent un véritable combat commun, notamment sous l’impulsion des maoïstes. Des expériences réussies de solidarité qui restent dans l’ombre. Des expériences qui se sont aussi confrontées à un pouvoir assassin.

La mort en 1968 du lycéen Gilles Tautin en témoigne. Poursuivi par la police du Capital aux abords de l’ usine de Flins et retrouvé noyé dans la Seine.Le 11 juin, deux semaines après les prétendus « accords de Grenelle » négociés par la CGT en cabinet secret, la grève est toujours forte à Peugeot Sochaux, des étudiants progressistes sont du côté des ouvriers. Sochaux c’est un fief du patronat le plus réactionnaire, celui de la métallurgie. Et les patrons obtiennent l’intervention des CRS. Deux ouvriers, Pierre Beylot et Henri Blanchet sont tués dans les affrontements.

L’unité ouvriers-étudiants se redessine aujourd’hui. Avec d’autres contours. Loin du séréotype d’une jeunesse dorée, la maind’oeuvre étudiante est plus que jamais utilisée comme cobaye de la précarité. L’opposition stérile et fausse entre « gens de culture » et mouvement ouvrier a du plomb dans l’aile à l’heure de l’utilisation de la main-d’oeuvre intellectuelle sous forme de stages sous-payés.

Plus profondément, en dehors de quelques gosses de riches braillards qui voient avec dégoût le monde ouvrier et se préparent avec délectation à subir les tests d’entrée ou de relève du paradis bourgeois, les étudiants ont des intérêts communs avec le prolétariat. De fait, le système capitaliste est non seulement inhumain et injuste mais de surcroît il ne peut répondre aux aspirations des étudiants.

La question de savoir de quelle côté de la barrière doivent être les étudiants s’est posée historiquement depuis Vichy. C’est la fameuse question de l’apolitisme du mouvement étudiant. Le mouvement étudiant doit prendre des positions politiques ou doit-il être apolitique ? C’est la réponse à cette question qui définit la position de classe du mouvement étudiant

L’UNEF d’avant-guerre végétait dans l’ambiance corpo et associative. Elle est donc restée muette sur la déclaration de guerre, sur le STO, sur l’occupation et sur la dénonciation des Juifs. Une majorité des corpos se rallie au pétainisme.

Après-guerre rebelotte : les guerres coloniales, les crises économiques, l’absences de ressources des étudiants ne sont pas dénoncées. Seules quelques sections de l’UNEF s’engagent pour l’accès de toutes les classes sociales à l’université ou contre la guerre d’Algérie. Certes en 1947, la charte de Grenoble, fondatrice du syndicalisme étudiant, définit l’étudiant comme un « travailleur intellectuel en formation » ce qui le place du côté des luttes des travailleurs, mais en pratique c’est l’apolitisme qui domine. Un apolitisme qui sert l’ordre établi. En 1957, les étudiants colons en Algérie demandent au congrès de l’UNEF de « ne pas avoir de politique ». Une scission a lieu entre un pôle progressiste et cet apolitisme réactionnaire qui redéfinit l’étudiant comme « un être libre, futur cadre de la nation ». Tout un programme.

En 1964, un Manifeste de l’Université démocratique rédigé par le mouvement étudiant remet en cause l’autorité professorale et les examens et préconise les groupes de taravail, le pré-salaire et des allocations logements. Pompidou construit alors massivement des cités-U. Les campus doublent leurs effectifs. Les mouvements « apolitiques » de droite se concentrent dans les filières d’élite. Les nouvelles facs de sciences humaines commencent quant à elles à poser les problématiques politiques. Sous l’impulsion des combats du Tiers-Monde et des grèves ouvrières de plus en plus dures, les campus se radicalisent. En opposition et en dehors du parti révisionniste (PCF), trois options se présentent, soit avec les JCR le jeu de l’entrisme dans les organisations réformistes, soit avec les anarchistes la lutte antiautoritaire et la libération des moeurs, soit avec les maoïstes de l’UJCML, l’idéologie « servir le peuple », c’est-à-dire, la lutte anti-impérialiste et la jonction concrète (jusqu’à l’établissement en usine) avec le monde ouvrier. De cette configuration émerge l’idée d’une « université autonome et populaire » c’est-à-dire ouverte aux travailleurs. De son côté, l’UNEF est déjà moribonde mais son sigle est familier aux médias et aux autres organisations ce qui lui permet, avec son statut de syndicat jaune, d’usurper le rôle de porte-parole des étudiants.

Avec 9 millions de grévistes, le mouvement de grève générale de mai 1968 est le plus massif de l’histoire de France.Pour comprendre ce qui se jouait écoutons un ouvrier de Peugeot-Sochaux : « Les occupants sont entre 200 et 300, parfois moins les week-ends. Chaque soir, ils tiennent un « comité central de grève ». « Petit à petit, ces réunions sont devenues des forums. C’est là que la parole s’est libérée, explique Gilbert Marion. On discutait de ce qui se passait au niveau national, de la politique, du devenir de la société. Mai 68, je l’ai vécu comme une révélation. Ça a fait évoluer ma conscience politique. » Les jeunes ouvriers « gauchistes » qui prennent la parole ne sont pas toujours en phase avec les syndicats qui ont transmis une liste de revendications à la direction. « Le jour où j’ai entendu Séguy dire à la radio que les ouvriers de Renault pouvaient reprendre le travail parce qu’ils avaient obtenu des augmentations, je n’y comprenais rien du tout », se souvient Noël Hennequin, encarté CFDT à l’époque et sensible aux idées des « révolutionnaires » : « On n’était pas là pour se battre pour nos 20 centimes comme en 1965 , on était là pour tout changer, pour prendre le contrôle de l’usine à la place du patron qui nous exploitait. »

A l’université, ceux qui étaient jugés « irréalistes », « fermés dans leurs thèses politiques », deviennent des acteurs du mouvement. L’après 68 est riche d’expériences politiques mais à la fac le retour à l’ordre se nomme loi Faure qui se veut une concession aux étudiants (Création des UV, du contrôle continu, de la participation étudiante aux conseils qui ouvre la voie à la cogestion). Une UNEF tenue par le PCF s’oppose à une Unef tenue par les trotskistes, les batailles de chapelles remplacent les comités d’action et en 1971 le TGI de Paris déclare qu’en fait comme en droit il n’y a plus d’Unef. Le mouvement étudiant va dépasser cette situation en créant des coordinations d’assemblées générales comme meilleurs outils de lutte. Du côté des syndicats c’est la lente dérive politicienne et affairiste, les mittérandistes s’allient aux trotskistes de Cambadélis dans l’UNEF-ID qui prend le contrôle de la MNEF, cogèrent le CROUS et vend des services aux étudiants. Les syndicats étudiants ont un poids institutionnels mais non représentatif, pourtant ils élaborent les réformes avec le ministère. Quand la droite revient au pouvoir ces syndicats domestiqués redeviennent contestataires. Pourtant depuis 1986, la plupart des mouvements leur échappent et leur double rôle est dénoncé dans les AG. En 2001, la fusion des Unefs redessine le paysage syndical : ceux qui refusent la fusion créent à gauche SUD et la FSE, à droite la Cé. L’UNEF n’est pas un syndicat de masse mais une structure institutionnelle compromise de haut en bas.

Du mouvement contre le CIP en 1994, à celui contre le CPE en 2006 et contre la LRU en 2007, la question de la jonction étudiants-ouvriers est largement laissée de côté même si pour les deux premiers l’entrée de la jeunesse des milieux populaires dans le lutte a fait reculer le pouvoir.

Au final, l’ absence de jonction politique et pratique entre les luttes étudiantes et les luttes ouvrières est une des raisons des impasses auxquelles est confronté aujourd’hui le mouvement étudiant. C’est pourtant au nom de « l’ouverture mondiale » et de la « compétitivité internationale » que sont menés de concert les plans de licenciements et les réformes scélérates de l’université.

Mais pour que cette jonction ait vraiment lieu, le mouvement étudiant doit se doter d’une orientation révolutionnaire. Seule une conception authentiquement communiste permettra d’unir les deux courants de révolte étudiants et prolétariens. A quoi reconnaît-on si un intellectuel est un révolutionnaire ? A sa volonté de lier effectivement aux masses opprimées. Un critère proposé par Mao et toujours aussi pertinent. Plus qu’un critère, une devise aussi celle de l’AGEN.

Le 29 mai 2009

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