La colère de gavroche ou la « fourberie » des révolutionnair
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_Au-delà du compte-rendu…
« Je voudrais appeler chacun au respect de sa propre responsabilité, ceci notamment concernant les parents des trop nombreux mineurs qui, souvent d’ailleurs poussés en avant par leurs aînés, ont participé à ces violences urbaines… », Jacques Chirac, jeudi 10 novembre 2005.
Mi-octobre 2005 s’est tenu un cycle de réflexion et d’action sur la question de l’histoire coloniale, en particulier autour du 17-18 octobre 1961[1] et de la loi du 23 février 2005[2]. Le cycle était organisé par plusieurs collectifs grenoblois le temps d’un week-end, avant d’être ponctué par une manifestation en mémoire de la répression du 17 octobre. Deux conférences-débats eurent lieu : chacune rassemblant un nombre non négligeable de personnes aux vécus assez différents. Il n’y avait pas que des « blancs-becs » même si on pouvait peut-être regretter qu’il n’y eut pas autant d’ex-coloniséEs ou de descendantEs de coloniséEs ; le fait que ces événements se soient déroulés en ville, loin des grands quartiers populaires, explique peut-être cela.
La première conférence-débat fut animée autour de la question « quelles mémoires pour la colonisation française en Afrique Noire ? », avec l’intervention de Elikia M’Bokolo[3] de la coordination de la diaspora zaïroise et directeur d’études à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris). La salle était assez comble (une centaine de personnes à première vue). Les interventions du conférencier, ainsi que celles du public, étaient très riches en témoignages et en analyses. J’ai personnellement appris beaucoup sur ce que je croyais connaître en tant que descendant de colonisé-e-s d’Afrique du Nord, mais il s’avérait qu’un grand pan de l’histoire coloniale concernant l’Afrique Noire m’était bien inconnu. Un des intérêts de cette rencontre était en effet de pointer certaines lacunes historiques autour du colonialisme en Afrique Noire ; lacunes qui font dire que la pertinence de la mémoire autour du colonialisme en Afrique du Nord, ne doit pas pour autant prendre toute la place de la mémoire du colonialisme, même si le dépouillement et la transmission de la mémoire en Afrique du Nord restent fort à faire. C’est aussi dans son propre intérêt si la lumière est faite dans l’ensemble des territoires colonisés. Parce qu’en dépit des particularités géographiques et contextuelles qu’il faut aussi distinguer, cette mémoire coloniale du Maghreb fait partie d’un ensemble structurel qui s’appella la domination coloniale et qui toucha (qui touchent ?) de vastes ensembles régionaux.
La deuxième conférence-débat avait pour thème « l’histoire de la colonisation et la loi du 23 février 2005 ». Deux historien-ne-s furent invité-e-s : Sylvie Thénault[4], spécialiste notamment de la guerre d’indépendance algérienne, et Alain Ruscio[5], qui s’intéresse aux discours sur le colonialisme après un détour sur l’histoire des colonies françaises en Asie du sud-est. Une des approches de ces deux chercheur-euse-s est aussi intéressante dans la mesure où elle essaye d’aborder les rapports des médias traditionnels face à ces questions du colonialisme.
Une projection d’un film sur les massacres de Sétif en mai 1945[6] fut ensuite l’occasion de poursuivre les discussions. Une exposition intitulée « Images et colonies » permettait aussi d’illustrer ce cycle sous une autre forme[7]. Quant à la forme des discussions, on pouvait être déçu que le principe de l’assemblée plénière l’emporte. On aurait préféré que se constituent des formes incluant des petits groupes de discussion pour permettre l’expression de plus de personnes, notamment celles qui n’ont pas la facilité de ceux qui savent parler en public. Et puis on est toujours déçu de voir qu’une intervention du « public » est nécessairement perçue dans une logique de question-réponse, comme si le « public » n’était qu’un « enfant » qui ne devait poser que des « questions » auxquelles puissent répondre les intervenants « officiels ». Bon, je caricature parce que ce n’était pas vraiment ce qui s’est passé, et je pense aussi qu’il y a eu le souci de ne pas trop tomber dans ces rapports hiérarchisés. D’autant que malgré mes déceptions sur la forme, je m’aperçois aussi qu’il y a eu des efforts de la part des organisateur-euse-s pour que la conférence-débat fasse aussi place aux interventions publiques. La forme est malgré tout intéressante :
1.Temps où l’intervenant-e officiel-le déballe son savoir sur la question.
2.Temps assez large permettant plusieurs interventions dans le public.
3. Retour aux intervenant-e-s invité-e-s qui réagissent aux interventions du public.
4.(les temps 2 et 3 pouvant être renouvelés par la suite).
Donc un cycle de conférences très intéressant et très instructif, j’insiste, même si ce que je vais dire à partir de maintenant risque d’être perçu comme contradictoire. Le titre laisse en effet penser que j’ai quand même quelques petites critiques à apporter, encore faut-il considérer ces nuances comme une démonstration de l’intérêt apporté par ce rendez-vous. J’insiste sur le fait que ce n’est pas par plaisir de la contestation que j’exprime cette petite discorde. Cette volonté de titiller ceux et celles censéEs être du même camp (celui de l’anticolonialisme), exprime d’une part l’idée que malgré un objectif à peu près commun, il ne faut pas taire les dissensions. Et d’autre part (et c’est lié au précédent), ça permet de prévenir des problèmes de fonctionnement « internes », ce qui évite les illusions politiques et les désillusions que ça entraîne. Mais à part ça, on peut aussi essayer de faire des choses ensemble, parfois.
_Fouille de petites choses et de grands mots
« Eh bien, il y aurait quelque chose comme le silence, ou bien comme le bégaiement, ou bien comme le cri, quelque chose qui ferait filer le langage, et qui se ferait entendre quand même. Parler, même quand on parle de soi, c’est toujours prendre la place de quelqu’un, à la place de qui on prétend parler, et à qui on refuse le droit de parler. », Gilles Deleuze, Pourparlers, Minuit, 1990, p. 60-61.
Une infime remarque d’abord. Elle concerne les tables de presse qui ont accompagné ce cycle. S’étalaient de nombreux ouvrages apportant sans aucun doute de pertinentes critiques à l’encontre du colonialisme (de la traite négrière jusqu’à la Françafrique en passant par l’Empire colonial). Tout cela semblait très intéressant. Le seul problème, c’était que ces bouquins étaient bien inaccessibles financièrement. Le livre le plus abordable coûtait 3 euros, et seulement 3 ou 4 brochures permettaient de voir afficher le chiffre 1 € dans cet étal où les prix avaient souvent deux chiffres avant la virgule. Évidemment, ce n’est pas pour accabler les organisateur-euse-s ou les gens qui tenaient ces tables de presse. Les logiques éditoriales ne dépendent pas directement d’eux/d’elles. Il s’agit plutôt de poser de manière plus globale ce problème de l’accès financier aux savoirs. Surtout lorsque les personnes qui peuvent se sentir directement concernées par cette transmission, ne sont pas de celles qui ont l’habitude de passer à la caisse histoire d’acheter un objet de luxe comme un livre. Ceci amène à devoir construire (ou continuer à construire) d’autres formes d’accessibilité : bibliothèques collectives, diffusions par le biais de brochures, développement de petites maisons d’éditions fonctionnant sur le moindre bénéfice (qui font que des livres à 3 €, à prix libre ou gratuits, ça peut exister), etc. Des mesures tout à fait provisoires évidemment, en attendant la destruction du capitalisme et la révolution des mentalités et des pratiques qui va avec.
La deuxième remarque porte sur ce que j’ai pu interpréter, à des moments, comme la survivance de préceptes coloniaux dans le discours de certains « blancs-becs » qui semblaient se réclamer pourtant de l’anticolonialisme. Je mets certes le mot « blancs-becs » entre guillemets pour ne pas stigmatiser les individus dans des catégories trop simplifiantes[8]. Cependant, par ce terme, je me place dans une vision sociale qui perçoit (encore)[9] les rapports entre les individus à travers des réalités et des constructions sociales qui ne sont pas épargnées par des rapports hiérarchisés. Je parle, autrement dit, de structures de domination pour illustrer le fait que des rapports entre des dominants et des dominés sont encore le lot commun de la plupart des rapports sociaux, et je n’ai qu’une envie, c’est que ces rapports de domination disparaissent, et ma déception et ma colère sont le fait que ces rapports de domination ne sont pas près de totalement disparaître. J’utilise donc le terme de « blancs-becs » que j’oppose à « non-blancHEs » ou à « indigènes », pour signifier l’existence de rapports hiérarchisés entre deux individus qui malgré toute la singularité que je leur accorde, tombent parfois sous le coup de cette appartenance catégorielle. C’est ce qu’on peut appeler aussi du « déterminisme social » ; à distinguer évidemment du fâcheux « déterminisme naturel » qui correspond à un discours essentialiste, à savoir un dispositif idéologique visant à enfermer éternellement des individus dominés en fonction des stigmates attribués par les dominants qui les essentialisent, c’est-à-dire des dominants qui parlent pour les dominés en leur disant ce qu’ils sont, et là où ils doivent être. Je considère « blancs-becs », ceux portant les attributs historiques de la justification du colonialisme (peau blanche, patronyme « gaulois »…). Je considère « non-blancHEs » ou « indigènes », ceux portant les stigmates historiques de la subordination au colonialisme (descendantEs de coloniséEs ou ex-coloniséEs). L’utilisation de ces termes insiste sur le fait que la domination perceptible actuellement, est directement issue de l’histoire coloniale. En mentionnant des « couleurs » de peau, il est signifié que cette domination s’est constituée (se constitue) autour de ce qui a fondé le colonialisme : à savoir un système raciste (théorie de la supérioté de la « race blanche » sur les autres « races » qu’elle est précisément venue coloniser). De cette prégnance actuelle de l’histoire coloniale et de son support raciste, découle tout un emboîtement de structures de domination : c’est notamment parce que les rapports régissant les individus sont de structure raciste que se perpétuent d’autres hiérarchisations sociales. Les « blancs-becs » auront ainsi plus d’aisances matérielles que les « non-blancHEs ». Inversement, les ex-coloniséEs et leurs descendantEs connaitront davantage de discriminations journalières que les « blancs-becs ».
En outre, ce n’est pas en vertu d’un registre uniquement ironique que j’utilise, comme d’autres « indigènes », cette notion « d’indigènes » justement. L’anachronisme du terme n’est que partiel. Bien que le colonialisme n’existe plus officiellement, il continue de s’imprégner sous d’autres formes peut-être moins flagrantes dans les sociétés européennes, héritères des empires coloniaux. Le racisme au quotidien à l’égard des ex-coloniséEs et de leurs descendantEs, perpétue en filigrane le Code de l’Indigénat[10] jadis en vigueur dans l’Empire colonial. Parcage dans des « réserves » en périphérie des villes « européennes », discours et pratiques sécuritaires qui voilent à peine le racisme des dirigeants et de ceux qu’ils sont censés diriger, contrôles policiers incessants pour inciter les « indigènes » à rester, au mieux dans leurs « réserves », sinon dans leur cage à lapin (encore mois dans leur cage d’escalier) ; et si ceux-ci ne sont pas contents, d’autres « réserves » leur sont réservées et ont pour nom « case prison »[11]. Tout cela se résume à un apartheid républicain qui n’a rien à envier aux politiques volontaristes du colonialisme d’antan. Il s’agit bien de politiques volontaristes et pas d’accidents discriminatoires qui transparaissent de manière isolée dans les médias bourgeois – du moins lorsqu’ils délaissent la rubrique très raciste des « faits divers » pour admettre par moment qu’il y a « en effet » quelques problèmes discriminatoires, mais ils y tiennent à leurs « faits divers ». C’est pourquoi je tends à être rigoureux dans le vocabulaire utilisé. Je préfère parler de structures de domination pour signifier que ces discriminations qu’on croirait isolées, font partie d’un immense rouage, apparemment complexe, mais très soudé. J’insiste donc sur cette vision très structurale des choses, quitte à utiliser un vocabulaire parfois lourd à digérer (lourdeur qui ne fait que répondre aux massifs mastondontes auxquels on a affaire et face à qui il n’est pas inutile de comprendre d’abord comment ils fonctionnent, où sont leurs prises, leurs anfractuosités, leurs coins saillants pour tenter de mieux les saisir et les renverser).
C’est pourquoi aussi je préfère éviter, dans la mesure du possible, la référence aux notions d’égalité ou d’inégalité. Même si le précepte d’égalité est a priori un concept généreux, lorsqu’il n’est pas clairement inclus dans le problème des hiérachies sociales, il peut tout à fait revêtir un système d’oppression. C’est le cas lorsque le concept d’égalité dissimule en fait un discours dominant visant à imposer les normes de la bourgeoisie comme modèle égalitaire. On applique alors la même recette pour tou-te-s, alors qu’on oublie de mentionner que cette recette est à la base de toutes les indigestions. Avec un peu d’attention, on peut déceler ce mécanisme idéologique en décortiquant, par exemple, ce concept naturaliste de « l’égalité des chances ». Ce concept sort régulièrement, depuis une dizaine d’années, de la bouche de la plupart des protagonistes idéologiques : médias traditionnels, politicienNEs de tout bord, militantEs de la gauche réformiste… Un ministère de « l’égalité des chances » a même été créé très récemment, et a vu, placé à sa tête, l’écrivain-sociologue Azouz Begag. C’est le style de gadget qui permet d’installer un notable « indigène » pour donner plus de poids idéologique à une administration (néo)coloniale – d’ailleurs, le manège illusoire n’a pas duré longtemps : le ministre en question a vite été ramené dans son statut d’Arabe de caution et de figuration quand il s’est risqué à critiquer les manières cavalières d’un membre plus « éminent » du gouvernement colonial lorsqu’il a fallu gloser sur le déclenchement des insurrections en banlieues de cet automne. Le danger de cette notion d’« égalité des chances » est le même que peut propager une croyance mystique qui impose la soumission à un supposé fatalisme. Cette croyance parle alors d’éléments « naturels » pour désigner ce qui est profondément construit socialement. L’« égalité des chances » ne se conçoit que par son corollaire inverse : la « malchance ». Et le concept suppose ainsi que la règle admise, c’est la « malchance », c’est-à-dire l’inégalité entre les individus. Cette inégalité est alors supposée « naturelle » ; et en invoquant « l’égalité des chances », on signifie qu’on va essayer de lutter contre cette « malchance », mais que le travail est perdu d’avance parce qu’on a affaire à une « montagne ». On a ainsi l’exemple d’un discours naturaliste qui agit en double-bind : un discours pris en tenaille par lui-même. Raison de plus pour en finir définitivement avec tout discours naturaliste, avec toute idée de « nature ». Et là on en revient pleinement à l’histoire coloniale, voire à toutes les questions de domination. Le racisme, comme le sexisme par exemple, sont avant tout des systèmes d’oppression fondés sur des discours naturalistes : faire d’un signe biologique ou visible (couleur de peau, sexe, handicap, port vestimentaire…) un stigmate discriminant. C’est d’ailleurs intéressant de voir que l’équivalent britannique du « ministère à l’égalité des chances » s’appelle « commission pour l’égalité des races ». Le verrou saute alors : « chance » = « race », ou plutôt, « chance » = « chance supposée de revêtir l’habillage social de la ”race” supposée supérieure et qui s’impose comme un modèle aux autres ». Puisque l’idée de « race » est revêtue de l’habillage idéologique du « naturel », l’idée de « chance » ne peut être qu’un alibi naturaliste. Or, tout discours naturaliste sert à fonder des structures de domination. Le discours naturaliste sort donc avant tout de la bouche des dominants. Le concept « d’inégalité naturelle » qui découle de la notion « d’égalité des chances », est donc lui aussi un concept de dominant. Ce dominant fait alors la confusion entre son égocentrisme supposé égalitaire et les utopies égalitaires qui le dépassent, entre son omniprésent égo et son supposé « égal ». L’égalité se ferait selon lui dans un seul lieu : celui des normes qui le conditionnent et qui lui font dire qu’il n’y a d’égalité que dans son égo. Et dans son égo de dominant, « égalité des chances » résonne avec univers du chômage et prétendue crise de l’emploi, autrement dit avec la peur inculquée à chacun-e de ne pas avoir un emploi ou de le perdre quand on en a un. Cette notion d’« égalité des chances » joue donc à un jeu dangereux : celui d’imposer le dogme de la « chance de posséder la tête-de-l’emploi ». Ce qui fait qu’on est sommé-e de s’estimer heureux-se quand on a trouvé un emploi dans n’importe quelle condition, s’estimer heureux-se de se faire exploiter et de la boucler. « Égalité des chances » rime donc avec le monde « heureux » de l’entreprise et de l’exploitation salariale. La concept d’« égalité des chances » est donc la forme la plus aboutie du fascisme telle que Michel Foucault la décriait[12] : l’individu incité subtilement à tomber amoureux de l’ordre qui le subordonne.Non, décidément, il ne peut y avoir que de la méfiance quand le mot « égalité » sort de la bouche des politiciens et des médias bourgeois. Dans nos sociétés où le principe est la domination, l’égalité acceptable ne peut être qu’une utopie, un lieu qui semble toujours ailleurs, mais qu’on veut d’abord ici. Je veux dire par là, qu’il est un lieu à construire et qu’avant cela, une étape est nécessaire : détruire ces contre-lieux de « l’égalité » que sont les systèmes de domination (racisme, sexisme, capitalisme, etc.) et qui sont par contre, eux, ici, palpables, mais indésirables. La méfiance pourrait s’appliquer aussi au concept de « liberté ». C’est le style de concept qui devient creux si on ne le replace pas dans un contexte de cheminement déconstructif. En ce sens, on ne peut pas parler de « liberté » puisqu’il ne peut y avoir que des libérations (on pourrait ajouter des « autolibérations » pour être plus clair). Sans ce processus de réflexion, on ne fait que mépriser l’étape importante des déconstructions. Et là on en vient à l’idée de colère, parce que cette étape des déconstructions passe très souvent par l’expression de la colère des dominéEs.
_Froncement et convulsion : de l’usage politique de la colère
« Il n’y a pas deux choses pareillement plissées, pas deux rochers, et pas de pli régulier pour une même chose. En ce sens, il y a partout des plis, mais le pli n’est pas universel. C’est un “différenciant”, un “différentiel”. Il y a deux sortes de concepts, les universaux et les singularités. Le concept de pli est toujours un singulier, et il ne peut gagner du terrain qu’en variant, en bifurquant, en se métamorphosant », Gilles Deleuze, Ibid., p. 214.
Après cette mise au clair confuse (?) du vocabulaire, entrons un peu plusdans le vif du sujet. J’ai donc cru, par moment, voir réactivée une partie des discours qui fondent le colonialisme. Cela venait pourtant de personnes a priori très critiques envers le colonialisme. Mais celles-ci ne se rendaient pas compte certainement des infimes gouttes qu’elles pouvaient reproduire. Et en y regardant de plus près, on s’aperçoit que ces infimes gouttes sont instillés de la baveuse bouche des médias traditionnels ; et que ces « blancs-becs consciencieux » sont, au final, très imprégnés du discours des médias dominants, qui arrivent à glisser çà-et-là un peu de leur salive bien dosée pour faire tourner la machine idéologique dominante. Il suffisait de voir comment certaines questions semblaient parfois s’imbiber de polémiques d’éditorialistes qui ne savent plus quoi faire de leurs après-midi : « il faut dépassionnaliser les débats », « il ne faut pas nous faire culpabiliser (nous : les blancs-becs) », « le FLN était quand même violent, avait-il besoin de tuer de simples policiers français dans leur guérite ? », « les enfants qui ont porté le drapeau à la manifestation de Sétif, le 8 mai 1945, ont-ils été manipulés ? »… Autant de questions qui prétendent promouvoir une approche critique de l’analyse mais qui renforcent l’approche dominante du discours. Ce qui fait que par ce style de questions apparemment anodines, les médias traditionnels sont également capables de promouvoir la transmission d’un « discours critique » dominant. Le caractère dominant de cet aspect renforce la définition du « blanc dominant », qui même consciencieux des problèmes de l’histoire coloniale, est un relais de façonnage de l’opinion publique normative, « opinion publique » construite en fonction de normes morales dont les médias traditionnels se font chantres. Autrement dit, le « bon citoyen », autre nom pour désigner le « blanc dominant » dans cette fabrique sociale, ne peut se générer que s’il est au fait des polémiques brocardées par ces médias traditionnels, et que si il arrive à instiller dans des discussions avec ses collègues militants ou de travail, quelques bribes de questions qu’il a relevées de la bouche d’un éditorialiste, dont le métier est de ne plus savoir que faire de ces journées pour écrire des réflexions qu’il espère spectaculaires mais qu’il ferait mieux de garder dans son journal intime ou dans son carnet de WC destiné à épater les chics amis du mardi soir. Dans ces questions « anodines » relevées plus haut, on voit aussi l’écueil d’une autre figure de domination : celle du « bourgeois », celui qui porte le drapeau d’une morale intellectuelle péremptoire : « sois raisonnable », « garde ton contrôle », « apprends les bonnes manières », sont autant de formules inculquées au « gentilhomme » pour qu’il tisse son assise sociale. Autant de principes relayés par les médias traditionnels qu’on peut désigner, sans coup férir, comme des médias bourgeois. Bourgeois à double sens comme le laisse supposer le terme : ces médias ne construisent qu’un discours généré par des enjeux financiers, lesquels enjeux sont générés par des individus construits selon les formules « gagnantes » qui font d’eux des dominants. La boucle est bouclée.
Mais revenons aux conférences. Une personne, donc, est intervenue pour dire qu’il fallait « dépassionnaliser » les débats si on ne voulait pas créer des processus de culpabilisation, en l’occurrence pour que lui (cette personne semblait de sexe masculin), ne se mette pas à culpabiliser. Certes, il est quand même resté vague sur les origines des « passions » à « dépassionnaliser » : de quelles « passions » parlait-il au fond ? De la « passion » des indigènes en colère ? De la « passion » des nostalgiques de l’Empire colonial français ? Il semblait parler de toutes les « passions ». Mais encore faut-il dire que même cet amalgame est problématique. Toutes ces « passions » n’ont pas le même « pathos ». Il y a en effet des passions à ne pas mettre sur le même plan ; la « passion » pour la chasse, est-elle comparable à la « passion » pour le soutien animalier : entre les deux, il y a tout un enjeu de société, pour ne pas dire un enjeu de révolution des mentalités, notamment le fait d’arrêter de prendre les animaux pour du gibier ou de la viande. Certes, la question posée par cette personne en amène une autre, non négligeable : celle de la forme du message, qui puisse prendre en compte les sentiments liés à des vécus ou à des transmissions de vécus (donc à des singularités pour ne pas dire des susceptibilités).
Il n’empêche que ce discours exigeant de « dépassionnaliser » le débat, peut s’interpréter parfois comme un nouveau chantage imposé par le dominant. Chantage qui fait presque office de discours paternaliste ordonnant aux dominéEs la chose suivante : « Attention, ne te fâche pas, tu risques de me faire culpabiliser et je risque alors de ne pas essayer de me remettre en question ».
Discours qui réactive des clichés coloniaux dans la mesure où c’est nécessairement la personne dominée qui, parce qu’elle s’énerve, sera désignée comme celle qui ne peut s’empêcher de laisser éclater sa « passion », comme un enfant capricieux, ou comme un fou gesticulant. Alors que le « bon blanc » qui aurait pris conscience d’un problème tout en disant « attention à la culpabilisation, il faut raison garder », incarnerait de nouveau la rationalité et l’analyse scientifique. Blancheur et clarté du discours, c’est l’attirail du « dominant » qui assure, le « blanc assurant ». Le risque est alors plutôt de recréer des stigmates séparatistes entre le blanc-universitaire-ou-militant-anticolonialsite
-qui-a-tout-compris-et-qui-explique-à-l’assemblée
-avec-calme-comme-un-bon-professeur
-comment-il-a-tout-compris, et l’indigène qui vit concrètement l’oppression et qui, de ce fait, a « le malheur » de s’emporter, mais au fond ce bon bougre n’a rien compris quant à la complexité du problème. Sauf qu’à propos de cette complexité, le « blanc assurant », en plus de sa position, se voile un peu la face. Il oublie d’admettre que la « complexité du problème » qu’il invoque, c’est le fait qu’il a aussi des choses à remettre en cause et que ces choses ne passent pas uniquement par son travail théorique des sphères universitaires, militantes ou sympathisantes, mais par le fait, qu’il le veuille ou non, qu’il est «blanc-bec», et que dans son quotidien, il a plus de facilités à vivre sans trop de problèmes matérielles, sans trop de brimades racistes, sans trop d’obstacles administratifs ; des facilités à écrire, à éditer, à s’exprimer en public clairement, pour dire qu’il faut raison garder et qu’il n’a rien à apprendre des dominés parce que, lui, a fait des études, a passé des années à faire de l’anticolonialisme ou qu’il a des amiEs « indigènes » et qu’il comprend, alors que « l’indigène en colère » s’emporte du fait de son émotion, braille, cafouille, est confus au final, contreproductif même dans le discours. La « complexité du problème » serait donc que le dominant consciencieux initie un travail qui passe aussi par la critique concrète de cette structure qui lui est davantage profitable, sans pour autant qu’il s’arrête d’exister ou qu’il s’autoflagelle. Il faut ainsi qu’il admette que même s’il n’a pas l’impression d’être un partisan du colonialisme, il n’en reste pas moins un bénéficiaire, et au fond un agent. Il ne suffit pas de déclarer qu’on est un maillon involontaire d’un rouage. Encore faut-il le détruire, ce rouage, ou commencer à le faire. Ce rouage a beau être une machine dentelée presque abstraite, il n’en reste pas moins qu’il se situe au quotidien, qu’il est palpable, qu’il est donc destructible. En outre, le moindre service à rendre à « l’indigène en colère » serait que le « blanc-bec culpabilisant » lui évite le spectacle de sa mutilation et de la souffrance qui en découlerait. Ça lui éviterait de sombrer dans l’illusion d’un rapprochement avec le vécu indigène par ce biais comparatif. Au mieux, « l’indigène » n’en aura cure. Au pire, ille ressentira cette tentative de comparaison comme une provocation, ou du moins comme une chose déplacée. « L’indigène » n’attend pas du dominant consciencieux qu’il s’autoflagelle, mais ille attend de lui des reconnaissances historiques, un travail autocritique et un co-engagement afin de lutter contre toutes les structures de domination (c’est-à-dire aussi contre une part de lui-même qui fait qu’il est un dominant). L’« indigène » veut donc aussi faire des choses avec lui, des choses aussi diverses que discuter, transmettre des témoignages ou fomenter des révolutions…
N’empêche, ce discours sur la culpabilisation apparaît encore comme un bon moyen pour les domiants de jeter la « faute » sur les dominés et éviter de se remettre en question. Tout ceci renvoieà Audre Lorde (une féministe et lesbienne et Afro-Américaine, etc.) et à son texte sur la colère des dominéEs[13] : cette colère des dominéEs, c’est l’étape déclencheuse pour dire stop à l’oppression qu’illes subissent et pour amorcer une bombe réflexive en vue de désamorcer la structure de domination qui s’est imposée dans les habitudes et les mentalités. La colère des dominéEs, c’est un visage qui se disloque parce qu’il disloque le lissage d’une norme. C’est un visage qui se contorsionne, l’expression d’une grimace à laquelle n’a pas l’habitude d’assister le dominant charitable qui s’aperçoit qu’il y a un problème sans pour autant agir sur lui-même afin de changer les choses. La colère des dominés, c’est le visage de l’oppriméE qui ne veut pas se complaire dans le statut de victime ; statut que lui concède le dominant pour asseoir plus tacitement les rapports de domination. D’ailleurs, lorsque le dominant accorde aux dominéEs ce statut de victime, cela suppose, en un sens, que le dominant se met à culpabiliser de quelque chose qui le tracasse. La colère des dominéEs vise ainsi à en finir avec l’image de la victime, avec l’image de la passivité, l’image du faible qui est sauvé par la (con)science infuse du dominant – heureusement qu’il est toujours là pour opprimer et désopprimer celui-là ; n’est-ce pas le comble, finalement, du maître qui a la double capacité de contraindre l’esclave et de l’affranchir, sous-entendant que celui-ci ne peut pas s’affranchir tout seul, que même pour se libérer, il a besoin de celui qui l’emprisonne. La colère dont il est question est une colère déconstructive donc ; parce qu’elle amorce une critique inhabituelle : la critique de l’habitude d’une domination. La colère indigène n’est pas seulement une colère indignée, encore moins une colère indigne. C’est une colère déconstructive qui envisage d’être aussi une colère constructive. Elle ne s’arrête pas au désir de vengeance, mais va au-delà en tentant de dépasser d’une part la victimisation des dominéEs, mais aussi la fuite des dominants qui préfèrent se réfugier dans la carapace facile du sentiment de culpabilité – « Je me sens culpabilisé, ouh lala ! Je ne vais pas pouvoir changer à cause des dominéEs qui sont devenuEs violentEs ». Quand le dominant invoque la peur d’être culpabilisé par cette colère, c’est qu’il culpabilise déjà. Sous prétexte d’invoquer ce spectre de la culpabilisation qui est déjà en lui, il affiche tout simplement la volonté de ne pas opérer un travail de déconstruction sur lui et sur les constructions sociales qui le conditionnent et le privilégient.
Cette question peut aussi être vue sous l’angle de la dialectique cause/conséquence. Un dominant qui refuse de comprendre la colère des dominéEs et qui se réfugie pour cela dans le prétexte de la culpabilisation, c’est un peu l’arbre qui essaye de se cacher derrière la forêt. Au lieu de percevoir plus loin que le bout de son nombril, le dominant s’arrête à ce qu’il voit, et ce qu’il voit, c’est un visage rouge de colère, une grimace pas belle à voir, mais qui est sans doute la conséquence de causes bien moins visibles (comme le racisme que subissent ces dominéEs énervéEs). En invoquant le « danger de culpabilisation », le dominant consciencieux s’interdit à pousser l’analyse jusqu’aux causes profondes. Et pour cause : cela signifierait pour lui un acte vertigineux, parce que cela l’impliquerait davantage dans une remise en question de son quotidien. Pourtant le dominant consciencieux se réclame souvent d’une tradition de « gauche ». Il aime bien ainsi manier la dialectique cause/conséquence comme une ficelle d’analyse pour dénoncer les politiques sécuritaires de la vilaine « droite » par exemple – voir le discours très judicieux qui affirme qu’en enfermant les « pauvres », l’État ne s’attaque pas aux causes du problème, mais le conforte dans son assise structurelle à savoir le système capitaliste. Cela ne l’empêche pas de refuser d’appliquer cette analyse sur lui ou sur ses « pairs » politiques.
C’estdans ce même cas de figure qu’une gauche bourgeoise, confortée dans sa non-violence politique rébarbative, va parfois reprocher l’utilisation de la violence par des indigènes en colère. On a parfois senti des interlocuteurs reprocher au FLN algérien d’avoir, par exemple, tuer de « simples » flics qui n’auraient pas participé à des ratonnades pendant l’occupation et la guerre d’Algérie. Le reproche semblait se broder d’une morale noyée d’humanisme qui accusait le FLN de tirer à l’aveuglette alors que celui-ci menait une résistance judicieuse (malgré d’autres critiques qu’on peut faire sur lui, concernant notamment son fonctionnement interne, mais là n’est pas le propos). Quand une armée d’occupation est là pour vous brimer, peu importe de savoir si les militaires qui la composent, sont au fond de « bons bougres ». L’uniforme qu’ils portent les transforme en un outil qui se fait le relais de l’oppression, même si ceux qui le portent ne s’avèrent pas tous être au même niveau d’engagement volontariste. Cet uniforme est déjà oppression dès lors qu’il est destiné à être visible. Il est déjà oppression dès lors qu’il est étendard. Il est déjà oppression dès lors qu’il est porté. Dans les reproches faits à l’usage de la violence politique, apparaît un décallage dans le discernement des contextes. Quand on fait ces reproches ou qu’on tend à le faire, on est dans l’anachronisme historique et social : on efface le contexte de guerre et le contexte colonial qui font que les forces d’oppression ne s’embarrassaient pas de scrupules pour ratisser, ratiboiser et ratatonner. Il faudrait que cette gauche bien pensante accepte l’idée qu’en temps de résistance, tout ce qui incarne l’oppression est bon à l’élimination. Abattre une police, qui s’avère être une troupe d’occupation, ne relève que de l’autodéfense des individus. Il semble que les maquisard-e-s, en 1939-45, ne s’entichaient pas de tels questionnements quand des occupants nazis et leurs alliés vichystes tombaient dans leurs embuscades. Ou du moins, il semble que cette gauche franchouillarde ne le leur reproche pas. Il faut que cette gauche (et les autres) comprenne(nt) qu’une oppression implique une résistance, qu’une résistance ne peut pas toujours se faire sans violence si elle ne veut pas tout simplement être écrasée. « La vipère fuit le pied du passant jusqu’à ce qu’elle comprenne que ce passant s’est donné pour but de l’acculer dans un coin pour la capturer ou l’écraser à sa guise. La vipère consciente du danger sort alors ses crocs contre l’agresseur et crache son venin », pseudo-proverbe des Alpes.
Ce thème très journalistique du « Il faut dépassionnaliser les débats », serait très volontiers contré par une citation détournée de ce vieux moraliste de Pascal : « La passion a des raisons que la raison ne connaît pas ». La colère est l’expression d’une sensibilité rationnelle. La colère d’une logique. La colère peut tout à fait être un élément d’analyse encore plus pertinent qu’un discours de « blanc-bec universitaire ». Parce qu’elle est l’élément d’analyse vécu directement par l’analyseur/euse. La colère peut être le rare lieu où l’objet de l’analyse se confond avec l’analyseur/euse. C’est un lieu épistémologique rêvé que la recherche universitaire peut rarement s’offrir… ou qu’elle stigmatise souvent comme « peu scientifique », puisqu’elle se met alors à invoquer le mythe de l’objectivité, mythe qui consiste à dire que la confusion entre le vécu du chercheur et l’objet de recherche ne peut pas garantir un recul nécessaire d’analyse. Comme si le chercheur prétendu objectif était totalement vierge de toute construction sociale (de toute « passion » pour reprendre un peu son vocable) ; comme si son champ de vision, et donc son champ de recherche, n’était aucunement influencé par des normes sociales. Comme si, a contrario, le « chercheur en colère » n’était pas capable de prendre lui-même du recul, non pas pour s’éloigner de son sujet-vécu, mais pour l’inclure dans un domaine plus vaste et plus complexe. Petite précision : quand je parle de « chercheur/euse en colère », la colère en question est toujours rattachée à une minorité sociale. Et dans mon langage, une minorité sociale est le corollaire inverse d’une structure de domination. Cette précision permet de mieux considérer la spécificité des « chercheurEUSEs des minorités ». Une spécificité marquée par l’imbrication de la recherche à travers un vécu. Imbrication ne signifie pas pour autant embrouillement. Elle peut être un dispositif qui envisage aussi d’aller vers des « au-delà », c’est-à-dire vers des dépassements, volontés d’aller d’un lieu vers d’autres lieux. Ce noeud entre la recherche et le vécu permet d’envisager, par la même occasion, quelque chose de non négligeable : dépasser le dispositif de séparation entre les « chercheurs spécialistes » et les « autres ». À partir de là, le concept d’université serait peut-être conduit à moins se figer dans le monde clos dans lequel « on » a bien voulu le cantonner – le cantonner, histoire qu’il ne déroge pas trop au système politique dominant et histoire qu’il renforce ce système, tant qu’à faire, par sa soumission institutionnelle et par le fait même de sa relative absence d’écho en dehors de son enclos. De là également, il s’agit de dépasser la norme institutionnelle, logique de dominant qui enferme les savoirs dans l’enclave sacrée de « l’Institution ». Dépassement qui permettrait de mettre alors le terme de « chercheur » entre guillemets, puisque ce terme cesserait de désigner un statut juridique, au profit d’une activité que pourraient s’approprier ceux/celles chez qui la colère du vécu déclenche la volonté de creuser.
Ceci dit, si on en revient aux conférences en question, on peut aussi admettre l’intérêt de cette initiative qui marque en soi une étape dans l’enjeu du décloisonnement des savoirs. La présence d’un chercheur comme Elikia M’Bokolo semblait même incarner, dans une certaine mesure[14], ce lien vigoureux entre la rigueur du savoir et la colère du vécu. De là, une des prochaines étapes pourrait être d’imaginer des formes de transmission, qui permettraient d’explorer un peu plus ce décloisonnement du rapport entre « public » et « savoir ». En disant cela, il ne s’agit pas de relayer des propos populistes ou anti-intellectualistes ; il ne s’agit pas de remettre en cause l’importance du travail consacré par des « spécialistes », ni de nier leur contribution à l’éclairage des choses, ni même de minimiser la difficulté de faire sortir ce savoir de son enclos. Pour autant, certaines expériences montrent que ce qui est censé représenter le « public », au cours d’un événement, a aussi beaucoup de choses à dire et à faire sans qu’il n’ait besoin systématiquement de rapports verticaux ou de guide sauveur[15]. C’est là, en effet, que se répercute la force des colères constructives. Du fait de la confusion entre vécu et savoir, le dispositif des « masses » dans lequel ces colères sont censées se figer, tend à être dépassé. C’est le dépassement du « public », et du rôle auquel il est censé se conformer : poser des questions à. Un certain imaginaire des « foules » peut alors sauté. Le « public » ne se met plus à poser de question à, parce qu’« il » s’est mis à questionner. La question n’est plus envisagée dans un dispositif de subordination ; elle ne sert pas à demander une autorisation, mais à interpeller pour dire qu’« il » apportera des réponses tout en ne cessant pas de (se) questionner. La question sert désormais à dire : « on ne va pas demander à se servir, on va se servir, et on se sert, et pourquoi on ne l’a pas fait avant ? ». Les colères constructives font sortir ce « public » de ses gonds. Il pète les plombs, c’est logique, et alors le dispositif éclate. L’uniformité censée constituer le « public » ou la « masse », éclate du coup. Les colères constructives peuvent ainsi imaginer différentes formes d’expression, d’analyse et de transmission : des écrits variés aux groupes de paroles et d’actions[16], en passant par des formes plus théâtrales sans pour autant gommer la pertinence de l’analyse politique dans le superflu spectaculaire. Soit toute forme incitant les individus à agir sur eux-mêmes et sur la société qui les environnent. Le « public » cesse d’être parce qu’il devient ce clown qui se joue de son cliché espiègle et plaintif pour mieux effrayer, qui déjoue sa grimace enjouée pour donner des coups de marteau non fictifs là où il faut frapper. Le « public » cesse d’être parce qu’il invite des passantEs à une table dressée dans la rue et fomente avec eux/elles des ateliers qui débouchent vers des endroits inexplorés, confidentiels, explosifs. Le « public » cesse d’être parce qu’il s’engouffre dans des questionnements qui dépassent le « chercheur » diplômé d’Etat.
Évidemment, le « public » qui cesse d’être, permet de dépasser le concept même devulgarisation. Car le concept de vulgarisation est un dispositif qui va du haut vers le bas, qui va du sommet d’une pyramide vers un tapis de « vulgarité ». Il reste un dispositif vertical même s’il y a un mouvement. Ne pas se leurrer lorsque des archétypes de changement donnent leur nom à des radios pour « jeunes » ou à des partis politiques, gardiens par excellence des conservatoires de domination. Cela ne suffit pas. Un mouvement n’est qu’un pet de glace dans une galaxie s’il n’est pas conçu à l’intérieur d’un dispositif horizontal. L’idée serait alors que le « vulgum pecus » (expression vulgaire pour désigner le « péquin » dit « moyen ») cesse d’être uniquement l’objet vers qui le dispositif du savoir s’adresse, pour devenir à la fois l’objet et le savoir, c’est-à-dire un maillon à part entière dans les dispositifs de transmission. C’est de mèche avec l’idée du passage de la pseudo « démocratie » représentative (même agrémentée au goût du jour « participatif »), à un dispositif de démocraties totales, lesquelles seraient autogérées non pas par « le peuple » (terme trop immatériel et récupéré par tous les régimes autoritaires) mais par « les individus » (terme à redéfinir sans cesse parce que lui aussi peut-être récupéré par n’importe quoi).
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Cf. petit cas d’école d’un « public » qui cesse d’être ce qu’il est censé être:
Lors du cycle en question, l’intervention d’une personne du « public » est venue contrer pertinemment un propos de Sylvie Thénault. L’historienne semblait avoir désigné le colonialisme comme ayant été une politique froide que les mécanismes étatiques auraient l’habitude d’avoir. Cette personne s’insurgea contre cette perception en insistant sur l’idée que les politiciens qui mènent cette politique soi-disant froide, sont tout autant baignés de construction sociale que quiconque. De ce fait, les politiciens des régimes coloniaux, par leur position hiérarchique, n’ont pu être que des relais puissants du racisme qui fut à la base des structures coloniales, puisqu’eux-mêmes avaient été baignés dans les théories racistes de Gobineau[17] et des eugénistes. L’intervention de cette personne peut résonner avec l’époque actuelle, parce qu’elle insiste sur le fait que les politiciens ne sont pas des mécaniques froides et rationnelles malgré leurs apparences. À partir de là, on est même tenté de penser que c’est précisément cet aspect métallique qui permet de dissimuler leur jeu de dominants complètement bourrés de références répressives et normatives. Jeu métallique qu’ils continuent de manipuler même lorsque éclatent des révoltes indigènes : ils s’étonnent ainsi de voir que ceux/celles qu’ils ont élevéEs et employéEs depuis des décennies[18], se retournent contre eux, les armes à la main. Les castes dominantes qui nous colonisent par médias interposés, sont à nouveau prévenus. Celles-ci ne devront pas feindre de s’étonner quand éclateront les révoltes des néo-coloniséEs.
Je termine sur ce paragraphe en disant que je ne veux pas accabler ici les « spécialistes » qui ont été invitéEs lors des conférences. On ne peut pas dire qu’illes avaient des rapports condescendants avec le « public ». Leur écoute à l’égard des interventions du « public » était assez attentive, parfois impressionnée par les pertinences de celles-ci.
_Si même les mioches s’y mettent…
« On voit des enfants lapider, brûler, traîner dans les rues les corps d’hérétiques : la violence exercée étant censée être celle de Dieu, elle ne pourrait mieux se manifester que par l’intermédiaire de mains innocentes », Arlette Jouanna, La France du XVIe siècle, 1483-1598, Paris, PUF, 1996, p. 407-408.
Toujours dans la rubrique « Séquelles de mécanismes coloniaux , y compris chez des anticolonialistes », une autre question a pu être soulevée : la question de savoir si les scouts algériens au devant de la manifestation subversive du 8 mai 1945 à Sétif, ont été « manipulés ». La question a été posée dans les mêmes termes, ou presque, lorsqu’il s’est agi d’inventer une polémique sur le 17 octobre 1961 : le FLN (Front de Libération Nationale) aurait-il « manipulé » les Algériens d’Ile-de-France pour qu’illes manifestent contre le couvre-feu imposé par le préfet Papon (le préfet Papon qui est avant tout le relais, volontaire, d’une politique globale de l’État), avec femmes et enfants, en sachant d’autant plus que la police était remontée depuis le mois de septembre, avec pour seule volonté d’en découdre avec ces « bougnoules » qui ont tué quelques uns des leurs ? Le fait même de poser la question est assez imprudent, pour le moins condescendant, dans tout les cas déplacé. Cette question réactive en effet des ficelles du colonialisme en occultant deux choses :
1.La capacité d’autonomie des « encore plus dominéEs » (à savoir les « enfants » et les « femmes »).
Comme si ces dernierEs, du fait de leur subordination sociale, n’avaient pas même la capacité d’être sensibles et réactiVEs à une oppression vécue au quotidien. On retrouve là les ficelles du paternalisme qui ont structuré l’idéologie raciste coloniale : à savoir que les « indigènes » n’étaient au fond que des « enfants » qu’il fallait prendre par la main, pour les guider vers leur éveil, quitte à leur donner de petites fessées quand ils se montraient capricieux (sauf que ces petites fessées aboutissaient bien souvent à des opérations dites de « pacification » qui prenaient rapidement l’aspect de massacres ou d’assassinats)[19].
2.La cause du problème en se focalisant sur un aspect consécutif de cette cause.
Le problème, est-ce le fait que des enfants (des scouts) soient en tête de manif pour porter un drapeau interdit par l’occupant, ou est-ce contre quoi ces enfants manifestent, à savoir l’occupation de leur territoire et leur subordination à l’occupant (en bref, la colonisation). De même concernant la polémique autour de la marche du 17 octobre 1961 à l’appel du FLN. Le problème, est-ce ces AlgérienNEs venuEs bravéEs un couvre-feu imposé à leur encontre par l’État, ou est-ce le couvre-feu raciste et l’acharnement militaire de la France en Algérie. Sans peut-être s’en rendre compte, ce questionnement frise avec une certaine stratégie idéologique de domination : « Au fond, c’est de leur faute s’ils se sont fait tuer ; ils n’avaient qu’à rester sagement chez eux, parce qu’ils devaient se douter que les flics allaient les ratatonner ». Franche évocation des discours paternalistes et patriarcaux qui vont jusqu’à décharger le violeur en accusant la personne violée d’avoir provoqué son viol parce qu’elle serait sortie seule ou qu’elle portait une tenue « indécente ». Discours qui renvoie aussi à la polémique qui ressurgit parfois pour discréditer la résistance palestinienne contre l’occupation israëlienne. Il y a quelque temps, on a ainsi vu fleurir des articles ou des éditos sur la soi-disant responsabilité[20] des mères palestiniennes qui auraient envoyé leurs enfants sur les premières lignes pour qu’ils aillent caillasser les chars et se faire éclater la tête par des tireurs d’élite de Tsahal[21]. Cette polémique s’humectait d’une condescendance occidentale, occultant un fait primordial : la colonisation des territoires palestiniens par Israël.
On voit d’ailleurs comment cette question de la manipulation des « foules » ou des plus « faibles », peut contribuer à réactiver des stéréotypes racistes comme celui de l’Arabe éternellement fourbe qui cacherait de sombres desseins sous ses habits et sous ses voiles.
Par manque de discernement structurel d’un problème, on en arrive ainsi à dire que la violée est responsable de son viol, que le dominé est responsable de sa domination. Absence de discernement et absurdité. Et pourtant : est-ce que les dominants consciencieux se sont posés la question de savoir si Gavroche avait été manipulé par les Communards[22] ?
Kandjare Bayn Asnan
novembre 2005
NB : Tout est politique, même la façon d’écrire. Ce texte est notamment conscient des décalages hiérarchiques qu’il peut créer ou contribuer à maintenir entre l’auteur et ceux/celles supposéEs le lire. Si un blocage survient dans la lecture, s’il y a besoin d’éclaircir des propos, si des suggestions ou des critiques apparaissent, c’est possible de contacter kandjare@no-log.org
Tout est politique, donc, même la façon d’écrire. Ce texte a essayé d’être conscient d’un décalage hiérarchique existant dans le langage, cette chose qui se conjugue en général au masculin. Ce texte a ainsi essayé de déconstruire ce « neutre grammatical » si masculin en émaillant l’écriture de signes bizarres (lettres majuscules incrustées dans des mots en minuscule, lettres entre tirets, usage de barres obliques, non respect de certaines liaisons grammaticales, que sais-je encore). Tout ça pour dire que le langage lui-même est à déconstruire et à reconstruire sans cesse puisqu’il est l’émanation des formes de pouvoir. Avouons quand même que le « neutre grammatical masculin » fut utilisé dans ce texte quand nous croyions que ça pouvait alléger la lecture du texte dans des endroits que nous trouvions déjà chargés pour la compréhension. Preuve que nous aussi avons été baignÉ dans des constructions sociales « grammaticalement correctes »…
***NOTES***
[1] Plus de 200 AlgérienNEs venuEs manifester à Paris contre le couvre-feu raciste imposé à leur encontre, furent massacréEs par la police dans la nuit du 17 octobre. Près de 15000 autres furent enferméEs dans des camps de concentration pendant plusieurs jours. Pour aller plus loin, voir Le 17 octobre 1961, un crime d’État à Paris, Paris, La Dispute, 2001 (recueil de témoignages, de documents et d’analyses) ; Nacer Kettane, Le sourire de Brahim, Paris, Denoël, 1985 (roman) ; ou Agnès Denis et Mehdi Lallaoui, Le silence du fleuve, Paris, Forum des Images, 1992 (documentaire filmé).
[2] Impulsée par le lobby des nostalgiques de la colonisation française, cette loi fut votée dans une absence manifeste de relais médiatiques. Les médias, à l’époque, ont tout simplement fermé leur gueule qu’ils ont pourtant très grande sur d’autres sujets vendeurs. Cette loi vise explicitement à marquer la « reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés ». Pour ce, elle incite les programmes scolaires à reconnaître « le caractère positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » (art. 4), preuve d’ailleurs, s’il est encore besoin de le démontrer, que l’État ne se gêne pas de rappeler qu’il préfère lui-même fixer les contenus scolaires. Elle accompagne aussi cette mesure en accordant toute une série « d’allocations de reconnaissance ». C’est ainsi que l’article 13 de la loi instaure une indemnité en faveur d’anciens condamnés, internés et assignés à résidence, de telle façon que cela concerne d’anciens membres de l’OAS (organisation d’extrême-droite qui n’hésita pas à utiliser l’outil de la terreur pour « sauver » à tout prix « l’Algérie française »).
[3] Auteur notamment de L’Afrique noire. Histoire et civilisation, 2 vol., Paris, Hatier, 1992 et de Au coeur de l’ethnie. Ethnie, tribalisme, et États en Afrique, Paris, La Découverte, 1999 (ouvrage codirigé avec Jean-Loup Amselle).
[4] Auteure notamment d’une Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005, et d’Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
[5] Auteur, entre autres, du Credo de l’homme blanc. Regards coloniaux français, XIXe-XXe siècle, Bruxelles, Complexe, 1996 et de La guerre française d’Indochine 1945-1954, Complexe, 1992.
[6] Les partis indépendantistes algériens (PPA et AML) organisent des cortèges pour participer à leur manière au 8 mai 45, jour de l’armistice. Il s’agit de nuancer la fête et d’amener les « peuples libres » devant le fait accompli : prendre en compte la volonté du peuple algérien de se libérer à son tour et rappeler à l’occupant français les gages d’autonomie qu’il a promis aux « indigènes » en vertu de leur participation à la guerre contre l’occupation nazie. Des manifestations sont prévues dans plusieurs villes algériennes. Elles sont parfois ponctuées de heurts, voire d’émeutes. C’est le cas à Sétif, où éclate une insurrection spontannée qui se propage rapidement à la région de la Petite Kabylie. Même les partis organisateurs sont dépassés par les insurgéEs qui s’avèrent notamment être des ruraux descenduEs des montagnes alentour pour assister au souk (marché), et qui n’ont fait que réagir à une brimade coloniale de plus. Les forces de police avaient en effet arrêté le cortège indépendantiste en exigeant le retrait des banderoles et du drapeau algérien (interdit par la puissance coloniale). Devant la résitance non armée des manifestantEs, la police s’est mise à tirer dans le tas. Dans l’embrasement qui suivit, les insurgéEs abattaient ce qui incarnait selon eux/elles l’ordre colonial. En représailles, l’armée réagissait aussitôt, procédant à un ratissage de toute la région, recourant à l’aviation et à la marine pour bombarder et mitrailler les « indigènes » sans discernement pendant plusieurs semaines, armant les milices de colons européens qui se sont formées pour participer elles-aussi à la « chasse aux merles ». Ce nouveau massacre colonial sonnait comme un message d’intimidation qui devait résonner dans tout l’Empire : montrer aux « indigènes » dont les velléités indépendantistes reprennaient vigueur en cette fin de guerre, que la puissance coloniale s’accrochait plus que jamais à « ses » territoires, logique ilustrée entre autres par ce mot d’ordre lancé par de Gaulle durant la Résistance : « Il s’agit d’empêcher que l’Afrique du Nord ne glisse entre nos doigts pendant que nous libérons la France » (cité par Annie Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945. De Mers-El-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, 2002).
[7] Cette question de l’image et de l’imaginaire colonial est aussi traitée dans un livre riche en illustrations : Iet colonies. Iconographie et propagande coloniale sur l’Afrique française de 1880 à 1962, (dir. Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Laurent GERVEREAU, BDIC-ACHAC), 1993. Un documentaire filmé pourrait aussi servir de référence à cette problématique : Virginie Adoute et Jean-Claude Guidicelli, Les trois couleurs de l’Empire (produit par Arte), 2001.
[8] C’est d’ailleurs pour les mêmes raisons que l’usage de guillemets sera très sollicité ici.
[9] Et j’ai peur que ce sera loin d’être fini, n’en déplaise aux croque-morts de la gauche fashion qui ont décrété la mort des luttes de classe, à l’instar de Jean Daniel, co-fondateur du Nouvel Observateur et qui ne cesse de répéter confortablement qu’il faut « démarxiser la gauche », croyant que les théories communistes s’arrêtaient à ceux qui ont déifié Marx (Le Nouvel Observateur, fin janvier 2002) ; ou à l’exemple de Bernard Kouchner qui se met à donner son avis dans l’indigeste Reader’s Digest (Séléction, novembre 2005) en aboyant comme d’autres faiseurs d’opinion que « la France va mal » et que « les clivages simplistes sont non seulement dépassés, mais nocifs » ; pour sûr, qu’ils seront nocifs pour sa gueule de privilégié quand une révolte d’oppriméEs éclatera devant chez lui. Le french doctor semble confondre la notion de « sans frontière » et celle de « sans discernement ». C’est par ailleurs cette absence de discernement dialectique qui l’a mené en mars dernier, alors que la révolte lycéenne grondait, à signer un appel contre les «ratonnades anti-blancs » au côté notamment d’Alain Finkielkraut, la croûte philosophique du Pouvoir.
[10] Le Code de l’Indigénat succéda au Code Noir, succéssion qui permettait à l’Empire colonial de traduire juridiquement le passage de la traite négrière à l’exploitation indigène dans « ses » territoires outre-mer. Le Code Noir a en effet permis de régir l’esclavage dans les colonies sucrières françaises entre 1685 et 1848. Le Code de l’Indigénat fut quant à lui instauré en 1887. Il permettait d’assujettir les « indigènes » dans les colonies et en métropole, à diverses mesures dégradantes et liberticides (travaux forcés, interdiction de sortir la nuit, parcages dans des réserves…). Ce code instituait de fait et de droit un apartheid républicain dans la mesure où « l’indigène » se distinguait du « citoyen français » par son statut de « sujet français». Ce code a été aboli en 1946, du moins officiellement, puisque l’État français continua de l’appliquer, notamment en Algérie jusqu’à l’indépendance en 1962.
[11] Sur ce quadrillage de l’espace (néo)colonial, voir Annexe 1 : « La banlieue ou espace néocolonial ».
[12] Préface à la traduction américaine du livre de Gilles Deleuze et Felix Guattari, L’Anti-Œdipe : capitalisme et schizophrénie. Texte disponible ici : http://infokiosques.net/IMG/rtf/foucault-en-integral.rtf
[13] Voir des extraits de ce texte en Annexe 2.
[14] Petite nuance qui rappelle que la complexité et la variation des situations sociales font qu’une personne est un noeud où de multiples systèmes de domination peuvent se croiser, et même parfois se contredire. Ce qui fait dire que les questions de domination doivent se poser en fonction des contextes structurels dans lesquels se meuvent les individus.
[15] Pour une amorce de dépassement des formes de discussion et d’échange de savoir, voir cette petite brochure intitulée Débat sur les débats (disponible ici : http://infokiosques.net/article.php3?id_article=87 ). La question concerne aussi largement le problème de l’école et des rapports adultes-enfants. Se reporter par exemple aux sites consacrés aux méthodes pédagogiques « différentes » comme : http://ecolesdifferentes.free.fr
[16] Groupes pouvant se constituer temporairement en non-mixité, c’est-à-dire entre des personnes subissant ou ayant subies les mêmes formes de domination.
[17] Triste auteur d’un Essai sur l’inégalité des races humaines au milieu du XIXe siècle.
[18] Voir Annexe 3 : « Il n’y aurait pas eu crime ».
[19] Les conférences en question ont permis de rappeler quelques exemples marquants ou oubliés : en plus des guerres de décolonisation marquant l’intensification de ces opérations de « pacification » (guerre d’Indochine, guerre d’Algérie), ont été cités des mouvements de résistance réprimés très violemment par l’armée française et qui n’ont pas abouti directement à une décolonisation : Sétif et sa région en 1945, Madagascar en 1947, Cameroun en 1960).
[20] Ou « irresponsabilité », parce que dans ce domaine du discours raciste, on ne sait plus vraiment. On a, après tout, affaire au cliché sur les « Arabes » à qui on continue de faire porter l’image de « l’indigène », et, par conséquent, l’image de l’absence d’autonomie.
[21] À propos de ce mythe colonialiste : Eyyad Sarraj, « Des enfants au front », Le Monde Diplomatique, nov. 2000.
[22] Sur la question de la violence politique et de « l’enfance », voir Frédéric Chauvaud, « Gavroche et ses pairs : aspects de la violence politique du groupe enfantin en France au XIXe siècle », dans la revue Cultures et Conflits (http://conflits.revues.org/document463.html).
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ANNEXE 1
LA BANLIEUE OU ESPACE NÉOCOLONIAL
I-À PROPOS DE LA GESTION COLONIALE ACTUELLE
(extraits des propos de Pascal Blanchard (historien à Marseille) tirés du livre de Karim Bourtel et Dominique Vidal, Le mal-être arabe. Enfants de la colonisation, Marseille, Agone, 2005, pp. 79 sq.)
–Décentralisation et ethnicisation du contrôle social
« “Que dire de ces maires qui financent des caïds pour avoir la paix ? D’ailleurs, le ministère de l’Intérieur, depuis quinze ans, ne préfère-t-il pas traiter avec des religieux, mêmes islamistes, plutôt qu’avec les laïques revendicatifs ?” Dans les années 1930 déjà, le pouvoir colonial négociait prioritairement avec les oulémas… ».
–Militarisation de l’espace néocolonial
« “Regadez, dit-il, le plan Borloo, où des militaires sont consultés, en fonction d’une logique sécuritaire, pour les programmes de réhabilitation. Ou encore l’implantation des commissariats de banlieue qui se trouvent désormais, non plus au centre, mais près du RER, cordon ombilical entre la cité et la ville – comme les casernes, au XIXe siècle, étaient installées à la sortie des villes coloniales, pour mieux contrôler les routes.” (…) “[Il a été] frappé de lire, dans des rapports de l’armée française sur sa participation à la sécurisation du Kosovo, de curieux développements sur les opérations dans les espaces urbains et péri-urbains, suivis de demandes d’entraînement en France dans cette perspective. On y décryptait, entre les lignes, une stratégie visant les cités…” ».
–Sur le raisonnement en terme de logique coloniale
« “Le schéma colonial n’est pas une vue de l’esprit, il imprègne encore bien des logiques étatiques (…) Même si une partie de l’appareil d’État a compris que ces pratiques, obsolètes, devaient être profondément modifiées. Nous sommes passés du temps des sauvages à celui des indigènes, du temps des sujets de l’Empire à celui des fellaghas, du travailleur immigré aux sauvageons.” »
« “Tout cela, accuse Pascal Blanchard, le mouvement des droits de l’Homme – SOS-Racisme, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), etc. – n’a pas voulu le prendre en compte. Il a combattu les violences faites aux immigrés et à leurs descendants, mais pas la logique coloniale dont elles procédaient. Il n’a pas su faire la différence entre le vécu des immigrés maghrébins et européens. En plaçant sur le terrain moral la réponse au racisme et aux discriminations, il a deshistoricisé ce processus.” »
II-AUTOPSIE D’UN MONTAGE MÉDIATICO-POLICIER
http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=513
III-MON QUARTIER À L’HEURE DU MARÉCHAL
http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=1093
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ANNEXE 2
Audre Lorde, « The uses of anger : women responding to racism » (discours d’ouverture prononcé à la conférence de l’Association des Études Féministes tenue à Storrs dans le Connecticut, USA, juin 1981), in Sister outsider, New York, Ed. The Crossing Press, 1984. Une version traduite en français est disponible dans le n° 1 de la revue féministe lyonnaise Et ta soeur ?!, paru en mars 1998. Cette version fut reproduite dans une brochure éditée en avril 2000 sur le racisme en milieux féministes, par Madivine, un réseau de lesbiennes basé à Lyon.
Extraits :
(…)
« Aux femmes présentes ici et qui ont plus peur de la colère des femmes de Couleur que de leurs propres attitudes racistes intériorisées, je demande : la colère des femmes de Couleur est-elle plus menaçante que cette haine des femmes qui empreint tous les aspects de nos vies ?
Ce n’est pas la colère des autres femmes qui nous détruira mais nos refus de nous arrêter pour écouter les rythmes de cette colère, pour apprendre en son sein, pour aller au-delà de la façon dont on la représente et ainsi en toucher la substance, pour exploiter cette colère comme une source importante de puissance.
Je ne peux pas cacher ma colère pour vous éviter la culpabilisation, ni les sentiments blessants, ni pour m’épar
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