Une critique de la brochure « qu’est ce que le terrorisme ? »
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Catégorie : Global
Thèmes : Infokiosques.netRacisme
Lors de la fin 2020 et début 2021 et les agressions de l’Etat accusant de terrorisme des personnes militantes, évènements qui ont ponctués cette période, la brochure « Qu’est ce que le Terrorisme ? » – parue en novembre 2000 et mise en ligne onze ans plus tard sur le site Infokiosques.net – a connu une réimpression large dans nos cercles de politisation.
La brochure a été prise comme matière première à des discussions, publiques ou informelles, et malheureusement prise pour argent comptant par ces militant.e.s qui, ayant un besoin légitime de trouver matière à penser une période stressante afin d’y trouver des armes pour répondre aux agressions, n’avaient guère d’autre choix de lecture rapide, et surtout, accessible aux habitudes d’information normées du « milieu » militant. Or cette brochure présente de nombreux problèmes, et notre manière de la lire et d’utiliser son propos dans notre période politique en présente tout autant.
Une brochure au postulat réactionnaire
« La première définition qui est donnée à ce terme par la plus grande partie des dictionnaires est à caractère historique : « le gouvernement de la Terreur en France ». On connaît donc avec précision l’origine du vocable. Le terrorisme correspond à la période de la Révolution Française qui va d’avril 1793 à juillet 1794, lorsque le Comité de salut public mené par Robespierre et Saint-Just a ordonné un grand nombre d’exécutions capitales. La Terreur était donc représentée par cette guillotine dont la lame a tranché la tête à des milliers de personnes qui, présume-t-on, constituaient une menace pour la sécurité du nouvel Etat en formation. »
Outre le caractère cocasse pour une frange anarchiste de reprendre sans critique une définition académique d’un terme, rappelons le caractère intrinsèquement réactionnaire de l’Académie Française, dont le but est de « normaliser et perfectionner » la langue française. Objectifs garantis par un éventail de personnages peu sympathiques tels que feu Jean d’Ormesson et bientôt feu Alain Finkielkraut.
Donc, pour une « grande partie des dictionnaires » des années 2000, le terrorisme viendrait, historiquement, du gouvernement de Terreur de la Révolution Française. Ceci est un postulat politique qui est rattaché à une droite réactionnaire, et dont les premières traces prennent leur racines au lendemain du passage sur la guillotine de Robespierre et ses amis politiques, les Montagnards. Cette parole portée sur la culpabilité de Robespierre d’avoir institué un gouvernement de Terreur au travers du Comité de Salut Public (sorte de prémices de gouvernement exécutif) a été formulée par des personnages bien plus à droite et bien moins que connus que Robespierre, comme Merlin de Douai et Cambacérès, qui ont pourtant oeuvré a l’élaboration de lois liberticides comme la « loi des suspect », contre l’avis de Robespierre. Parole et révision de l’histoire qui se poursuit pendant les deux siècles qui suivent, au travers d’intellectuels, tous de droite, dont le plus emblématique fut l’historien François Furet, dont l’obsession de ses ouvrages au sujet de la Révolution Française a été de démontrer que la la Terreur a été la génèse des totalitarismes du XXe siècle.
Cette parole est fausse, et il n’est pas difficile de voir les arnaques intellectuelles qu’elle véhicule.
La personnification du Pouvoir
Il est moins question ici de défendre Robespierre que d’élargir les responsabilités politiques. Les analyses anti-autoritaires de l’histoire sont toujours basées sur des visions systémiques du pouvoir. Nous savons que peu importe la question des personnes, et que les actes du pouvoir sont guidés par sa volonté de se maintenir, et les formes que cela prend sont toujours à peu de chose près les mêmes, tant que le contexte politique l’y pousse.
Aujourd’hui, l’étiquette du pouvoir est surtout contre révolutionnaire, et ses différentes tendances, sociales-libérales, droite-réactionnaires ou autre importent peu, car sa manifestation – telle qu’instituée dans les lois et mise en place par les administrations, tendent toujours vers une société de surveillance, de répression et de soumission aux règles capitalistes, patriarcales, néocoloniales. Ces tendances sont dues à une contestation de ce pouvoir, plus ou moins efficaces, dont des exemples flagrants qui feront histoire sont la révolte des Gilets Jaunes, et ses tentatives insurrectionnelles, les mouvements contre le racisme remis au devant de la scène par des actualités de violences Etatiques et leur réponse par des manifestations émeutières et massives ou encore les mouvements féministes qui en faisant des réunions non mixtes mettent en PLS la moitié d’un gouvernement d’ultra droite.
Ces exemples sont complètement partiels et carricaturaux, mais c’est pour donner l’ambiance quoi.
Lors de la révolution, les règles étaient différentes, l’Etat Bourgeois était en cours de construction, et surtout, pro-révolutionnaire face à une monarchie, perdant en 4 années la totalité de son pouvoir millénaire. Instable, la volonté de ce pouvoir nouveau était de prendre le contrôle de la violence révolutionnaire qui prenait place dans la rue, faite par des mouvements non contrôlable et mouvement dont le nouveau personnel politique était issu.
Les républicains, modérés ou d’extrème gauche qui oeuvraient pour cette récupération n’étaient pas forcément d’accord sur les moyens d’y parvenir, en fonction de leur base sociale plus ou moins active dans ces mouvements de violence. Mais la peur d’un « peuple » incontrôlable qui pourrait leur demander de rendre les mêmes comptes qu’aux nobles et curetons constituait leur principale hantise.
Ces élus de la Convention ou des différents Comités exécutifs s’affrontaient violemment sur ces questions (c’est pour ces raisons que des groupes politiques entiers de la Convention se sont retrouvés assignés à résidence empêchés d’exercer leur pouvoir législatif, ou bien envoyés sur la guillotine, empêchés tout court). Mais la question de la reprise en main de la violence populaire par les institutions Républicaines – au travers de formation de polices révolutionnaires (lol), de loi sur les suspects et de justice d’exception – a été celle qui a polarisé les actes politiques de la période.
Le point de tension et la contradiction politique de l’époque prenait corps autour de la violence nécessaire d’être exercée sur le camp monarchiste afin de préserver les acquis et de poursuivre la Révolution. Que ce soient les sans-culotte (émeutier.es de l’époque) dans la société en se faisant justice par eux et elles mêmes ou bien les élus et dirigeants, tentant d’endiguer cette dynamique en imposant des moyens encadrés et institutionnels d’opérer ces changements de sociétés.
Danton, lors d’une séance de la Convention, va illustrer cette contradiction politique avec une phrase restée célèbre : « Soyons terribles pour dispenser au peuple de l’être »
Ce qu’il faut retenir de la désignation de cette période de la Révolution est que le pouvoir donne des gages à la partie radicale de la Révolution en matant les révoltes jugées contre-révolutionnaires, en ayant l’ambition de créer un monopole Etatique de la violence. Que cette période aie été qualifiée de Terreur par la suite relève de la manipulation politique de personnages ayant besoin de se débarrasser de leur responsabilité personnelle vis à vis d’évènements de répressions sur d’autres acteurs du moments, qui, ayant été raccourcis ne pouvaient plus se défendre physiquement ou verbalement.
Interroger notre rapport à l’Histoire
Quand cette brochure a été écrite, dans les années 2000, les travaux dont la partie ci dessus s’inspire pour élaborer sa critique n’étaient pas encore publiés. Ils sont en réalité assez récents, et dans le passé les théories réactionnaires sur la révolution trouvaient un écho assez large dans les sphères du pouvoir, médiatiques et finalement, populaires au travers de l’institution scolaire où on nous apprend au collège à détester Robespierre et admirer Napoléon.
Aussi, il est tout à fait compréhensible que l’auteur.ice, une personne ayant publié son texte en Italie, où des éléments des Brigades Rouges étaient encore actives, aie un besoin de produire une réflexion sur le Terrorisme, et pour ce faire, puise dans le matériel historique à disposition.
C’est tout aussi compréhensible car cette période que représente la Révolution Française, est une période injustement délaissée par les franges révolutionnaires actuelles qui évoluent sur le territoire Français, lui préférant la Commune.
Ces appréhensions et inconnaissances ne sont pas pertinentes. La Commune prend racine dans la Révolution Française, tous.tes ses acteurs.ices y font référence sans arrêt, se proclamant « républicain.e » même pour les anarchistes, et s’interpellant « citoyen.ne ! » signifiant à l’époque une marque d’égalité car sous la monarchie de Napoléon 3, les gens étaient des « sujets », tout comme pendant des évènements survenus moins d’un siècle que ceux d’avant mars 1871.
Nous gagnerions à mieux connaître cette histoire et à en faire des récits anti-autoritaires pour nous approprier cette période et ainsi éviter de tomber dans des idées reçues réactionnaires qui, comme on l’a vu ces derniers temps, nous ont fourni une grille d’analyse faussée et contre productive pour penser les évènements qui ponctuent notre existence. Non, la Terreur n’est pas un événement politique tel que décrit par les classes bourgeoises, non elle ne peut pas servir à définir un terrorisme d’Etat. Les bases du terrorisme sont un champ d’étude à produire, à étudier, et pour sûr les liens avec l’Etat sont étroits, mais ne participons pas à la bataille culturelle réactionnaire qui nous ampute d’une partie sinificative de l’histoire des luttes dans laquelle nous essayons de prendre part aujourd’hui.
L’histoire de la Révolution est aussi celle des anarchistes, et c’est de là que partent les mouvements révolutionnaires en dynamique qui parviennent à défaire des systèmes politiques vieux de mille ans par l’insurrection populaire et armée. Le débat d’idée constant qui forment par la suite les différents courants de pensées et de pratique politique qui traversent les siècles suivants, période dont nous sommes aujourd’hui héritièr.es malgré nous.
P.-S.
Voici les sources qui ont permis l’écriture de cet article :
https://venividisensivvs.wordpress.com/2017/12/06/la-terreur-juillet-1793-juin-1794/
https://infokiosques.net/lire.php?id_article=890
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Furet#Sur_la_R%C3%A9volution_fran%C3%A7aise
« L’histoire de la Révolution est aussi celle des anarchistes, »
S’il s’agit de la Révolution Française, raciste comme pas possible (ne tolérant pas de langue autre que celle des parigos, d’où aujourd’hui le terme de jacobin pour exprimer la phobie de tout ce qui ne parle pas avec la bouche en cul de poule pour faire bien les o fermés) non merci. S’il s’agit de la révolution russe, chinoise, coréenne, cubaine, vénézuélienne, et autres monstruosités rouges, non merci aussi ! S’il s’agit des révolutions nationalistes, drapeau au vent et hymnes nationaux criés dans les manifs, non merci aussi !
Pourquoi ne pas juste accepter que la révolution c’est un truc de réacs qui a soif de pouvoir ? En quoi l’anarchisme aurait à avoir avec tout ça ? Les anarchistes japonais et coréens ont essayé de lutter contre l’impérialisme japonais, s’intégrant dans un mouvement révolutionnaire plus large, et ça a donné quoi exactement ? Le petit-fils de celui qui a pris le pouvoir alors qu’il faisait la « révolution » pour libérer son pays est toujours à la tête d’une dictature en Corée du Nord ! Oh on peut regarder la situation à Cuba ou en Russie, ou en Chine, ça donne tout autant envie ! Vive la révolution sociale et anarchiste avec de bonnes grosses dictatures à la clé !
J’ai oublié : s’il s’agit de la révolution espagnole, qui avait des ministres, et faisait fabriquer des bagnoles et des chars dans les usines, tandis que des rouges butaient de l’anarchiste pour faire avancer les projets de Staline, non merci aussi ! Ces mêmes ordures de ministres cntistes qui ont craché sur le cadavre de Sabaté quand il est mort, parce qu’ils étaient eux-mêmes trop lâches pour oser foutre un seul pied dans l’Espagne de franco.
S’il s’agit de cette belle révolution qui a fait que des communistes français et des anarchistes espagnols se sont trouvés dans les maquis français, et certains anars espagnols (qui avaient survécu aux purges staliniennes en Espagne) se sont fait buter par les FTP parce qu’ils étaient anars, non merci !
Il n’y a pas un seul exemple où les anars ne finissent pas par se faire buter ou emprisonner par ceux avec qui ils luttent, ou par être les collabos de la reconstruction d’un État (comme la CNT l’a fait magistralement). En fait au bout de plusieurs siècles il n’y a rien qui n’a été retenu, c’est désespérant !
S’il s’agit de la Révolution Française, raciste comme pas possible (ne tolérant pas de langue autre que celle des parigos, d’où aujourd’hui le terme de jacobin pour exprimer la phobie de tout ce qui ne parle pas avec la bouche en cul de poule pour faire bien les o fermés)
MERCI A TOI ESPRIT LIBRE
Ne parlons même pas du « chant » de la « Révolution » de 89 alias la Marseillaise » PUANT DE RACISME ET DE COLONIALISME qu’il ne faudrait pas laisser aux fachos » dixit certains esprits malades et camarades en peine cagasse intellectuelle gilet bruniste que ça ne semble pas gener quand il est bramé dans nos manifs.
QUE CREVE ROBESPIERRE ET TOUS LES NEO JACOBIN STALINO-FASCITOIDES
Nan mais serieux lisez sur la periode avant de la ramener dans les commentaires, vous passez pour des debilos. C’est pas comme si y avait pas une historiograghie anarchiste de la révolution française.
En effet, les raccourcis pris dans les commentaires ci-dessus débouchent sur l’incompréhension historique. L’antienne à la mode, notamment chez les post-modernes et les relativistes, « République = racisme » et même ici « Révolution = colonialisme » doit être examinée un peu sérieusement.
Le colonialisme français débute bien avant la révolution française et la République !
Les auteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et les fondateurs de la Convention émancipent les Juifs, admettent les protestants, soutiennent les esclaves révoltés de Saint Domingue (Cf. La Société des Amis des noirs) et abolissent l’esclavage.
L’esclavage a ensuite été réinstitué par l’EMPIRE.
La colonisation de l’Algérie a ensuite été le fait de la MONARCHIE de Louis-Philippe.
Et l’esclavage est définitivement aboli par la 2ème République.
Ensuite, effectivement, la III° République confirme le régime de l’indigénat en Algérie et fait des indigènes musulmans des sous-citoyens. Mais là dessus il faut aussi préciser que le Décrêt Crémieux, accepté par les israélites d’Algérie, est proposé aux chefs religieux musulmans qui le refusent car ils ne veulent pas abandonner la charia ou profit des lois de la République. Pourquoi, comment, j’en sais rien…
Sur les responsabilités de la III et de la IV République dans la colonisation, il n’y a pas de débat.
feed the troll
Les « débilos » vous avez déjà foutu un pied dans un autre pays européen ? À votre avis, pour quelle raison l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, etc, ont encore une pluarilité linguistique, comme dans n’importe quelle région du monde en fait ?
Alors la réponse … tadammmmmmmmm : ils ont pas eu le centralisme jacobin, qui a voulu d’un coup uniformisé tout un pays, oubliant que les « citoyens » n’étaient pas de vulgaires sujets de la République, mais des gens avec une cultures, des habitudes, etc, différents dans chaque coin.
La pluralité c’était pour eux l’ennemi de la République. Alors que dans les campagnes y a personne qui parlait le « français », certains ne parlant même pas une langue indo-européenne !
C’est à cause de la révolution française que pendant un bon moment on battait les enfants à l’école et on les obligeait à se dénoncer pour ne pas être puni, dès qu’ils faisaient du tort à la République de nos grands Révolutionnaires, en parlant simplement la langue qu’ils entendaient chez eux.
Vous croyez que vous allez effacer ça de l’histoire alors que tous les 6 mois ce genre d’obsessions jacobines reviennent sur le devant de la scène ? Des politicards qui décrètent que les écoles en langues autres que le français (sauf l’anglais bien sûr) sont du communautarisme ! Mais les régions colonisées n’ont jamais demandé à être françaises, et n’ont jamais demandé à parler français … à quel moment on est communautariste quand on veut simplement que son enfant parle la langue de sa famille ? Si demain on impose le russe dans les écoles aux petits français, est-ce que les gens ne vont pas s’opposer ? Pourquoi l’imposition du français depuis la révolution française devrait être considéré comme un truc bien ? La Suisse s’en sort pas trop mal à parler plusieurs langues, mais lorsque nos grands jacobins ont voulu mettre en place leur République il voulait faire comme les soviétiques : créer un homme et une femme nouveau, le Français-e, qui parle française, qui mesure et compte de la même façon, etc. L’uniformisation totale, qui a donné aujourd’hui le centralisme française, unique au monde, où il n’y a qu’une seule ville qui concentre tout.
« Parmi les idiomes anciens, welches, gascons, celtiques, wisigoths, phocéens ou orientaux, qui forment quelques nuances dans les communications des divers citoyens et des pays formant le territoire de la République, nous avons observé (et les rapports des représentants se réunissent sur ce point avec ceux des divers agents envoyés dans les départements) que l’idiome appelé bas-breton, l’idiome basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer dans neuf départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France.
Je commence par le bas-breton. Il est parlé exclusivement dans la presque totalité des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord, d’Îlle-et-Vilaine, et dans une grande partie de la Loire-Inférieure. Là l’ignorance perpétue le joug imposé par les prêtres et les nobles ; là les citoyens naissent et meurent dans l’erreur : ils ignorent s’il existe encore des lois nouvelles.
Les habitants des campagnes n’entendent que le bas-breton ; c’est avec cet instrument barbare de leurs pensées superstitieuses que les prêtres et les intrigants les tiennent sous leur empire, dirigent leurs consciences et empêchent les citoyens de connaître les lois et d’aimer la République. Vos travaux leur sont inconnus, vos efforts pour leur affranchissement sont ignorés. L’éducation publique ne peut s’y établir, la régénération nationale y est impossible. C’est un fédéralisme indestructible que celui qui est fondé sur le défaut de communication des pensées ; et si les divers départements, seulement dans les campagnes, parlaient divers idiomes, de tels fédéralistes ne pourraient être corrigés qu’avec des instituteurs et des maîtres d’école dans plusieurs années seulement.
Les conséquences de cet idiome, trop longtemps perpétué et trop généralement parlé dans les cinq départements de l’Ouest, sont si sensibles que les paysans (au rapport de gens qui y ont été envoyés) confondent le mot loi et celui de religion, à un tel point que, lorsque les fonctionnaires publics leur parlent des lois de la République et des décrets de la Convention, ils s’écrient dans leur langage vulgaire : Est-ce qu’on veut nous faire sans cesse changer de religion ?
Quel machiavélisme dans les prêtres d’avoir fait confondre la loi et la religion dans la pensée de ces bons habitants des campagnes ! Jugez, par ce trait particulier, s’il est instant de s’occuper de cet objet. Vous avez ôté à ces fanatiques égarés les saints par le calendrier de la République ; ôtez-leur l’empire des prêtres par l’enseignement de la langue française.
Dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, qui a donc appelé, de concert avec les traîtres, le Prussien et l’Autrichien sur nos frontières envahies ? l’habitant des campagnes qui parle la même langue que nos ennemis, et qui se croit ainsi bien plus leur frère et leur concitoyen que le frère et le concitoyen des Français qui lui parlent une autre langue et ont d’autres habitudes.
Le pouvoir de l’identité du langage a été si grand qu’à la retraite des Allemands plus de vingt mille hommes des campagnes du Bas-Rhin sont émigrés. L’empire du langage et l’intelligence qui régnait entre nos ennemis d’Allemagne et nos concitoyens du département du Bas-Rhin est si incontestable qu’ils n’ont pas été arrêtés dans leur émigration par tout ce que les hommes ont de plus cher, le sol qui les a vus naître, les dieux pénates et les terres qu’ils avaient fertilisées. La différence des conditions, l’orgueil, ont produit la première émigration qui a donné à la France des milliards ; la différence du langage, le défaut d’éducation, l’ignorance ont produit la seconde émigration qui laisse presque tout un département sans cultivateurs. C’est ainsi que la contre-révolution s’est établie sur quelques frontières en se réfugiant dans les idiomes celtiques ou barbares que nous aurions dû faire disparaître.
Vers une autre extrémité de la République est un peuple neuf, quoique antique, un peuple pasteur et navigateur, qui ne fut jamais ni esclave ni maître, que César ne put vaincre au milieu de sa course triomphante dans les Gaules, que l’Espagne ne put atteindre au milieu de ses révolutions, et que le despotisme de nos despotes ne put soumettre au joug des intendants : je veux parler du peuple basque. Il occupe l’extrémité dés Pyrénées-Occidentales qui se jette dans l’Océan. Une langue sonore et imagée est regardée comme le sceau de leur origine et l’héritage transmis par leurs ancêtres. Mais ils ont des prêtres, et les prêtres se servent de leur idiome pour les fanatiser ; mais ils ignorent la langue française et la langue des lois de la République. Il faut donc qu’ils l’apprennent, car, malgré la différence du langage et malgré leurs prêtres, ils sont dévoués à la République qu’ils ont déjà défendue avec valeur le long de la Bidassoa et sur nos escadres.
Un autre département mérite d’attirer vos regards : c’est le département de Corse. Amis ardents de la liberté, quand un perfide Paoli et des administrateurs fédéralistes ligués avec des prêtres ne les égarent pas, les Corses sont des citoyens français ; mais, depuis quatre ans de révolution, ils ignorent nos lois, ils ne connaissent pas les événements et les crises de notre liberté.
Trop voisins de l’Italie, que pouvaient-ils en recevoir ? des prêtres, des indulgences, des Adresses séditieuses, des mouvements fanatiques. Pascal Paoli, Anglais par reconnaissance, dissimulé par habitude, faible par son âge, Italien par principe, sacerdotal par besoin, se sert puissamment de la langue italienne pour pervertir l’esprit public, pour égarer le peuple, pour grossir son parti ; il se sert surtout de l’ignorance des habitants de Corse, qui ne soupçonnent pas même l’existence des lois françaises, parce qu’elles sont dans une langue qu’ils n’entendent pas.
Il est vrai qu’on traduit depuis quelques mois notre législation en italien ; mais ne vaut-il pas mieux y établir des instituteurs de notre langue que des traducteurs d’une langue étrangère ?
Citoyens, c’est ainsi que naquit la Vendée ; son berceau fut l’ignorance des lois ; son accroissement fut dans les moyens employés pour empêcher la révolution d’y pénétrer, et alors les dieux de l’ignorance, les prêtres réfractaires, les nobles conspirateurs, les praticiens avides et les administrateurs faibles ou complices ouvrirent une plaie hideuse dans le sein de la France : écrasons donc l’ignorance, établissons des instituteurs de langue française dans les campagnes !
Depuis trois ans les assemblées nationales parlent et discutent sur l’éducation publique ; depuis longtemps le besoin des écoles primaires se fait sentir ; ce sont des subsistances morales de première nécessité que les campagnes vous demandent ; mais peut-être sommes-nous encore trop académiques et trop loin du peuple pour lui donner les institutions les plus adaptées à ses plus pressants besoins.
Les lois de l’éducation préparent à être artisan, artiste, savant, littérateur, législateur et fonctionnaire public ; mais les premières lois de l’éducation doivent préparer à être citoyens ; or, pour être citoyen, il faut obéir aux lois, et, pour leur obéir, il faut les connaître. Vous devez donc au peuple l’éducation première qui le met à portée d’entendre la voix du législateur. Quelle contradiction présentent à tous les esprits les départements du Haut et du Bas-Rhin, ceux du Morbihan, du Finistère, d’Ille-et-Vilaine, de la Loire-Inférieure, des Côtes-du-Nord, des Basses-Pyrénées et de la Corse ? Le législateur parle une langue que ceux qui doivent exécuter et obéir n’entendent pas. Les anciens ne connurent jamais des contrastes aussi frappants et aussi dangereux.
Il faut populariser la langue, il faut détruire cette aristocratie de langage qui semble établir une nation polie au milieu d’une nation barbare.
Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les mœurs, les costumes, le commerce et la pensée même ; révolutionnons donc aussi la langue, qui est leur instrument journalier.
Vous avez décrété l’envoi des lois à toutes les communes de la République ; mais ce bienfait est perdu pour celles des départements que j’ai déjà indiqués. Les lumières portées à grands frais aux extrémités de la France s’éteignent en y arrivant, puisque les lois n’y sont pas entendues.
Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l’italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreur.
Le comité a pensé qu’il devait vous proposer, comme mesure urgente et révolutionnaire, de donner à chaque commune de campagne des départements désignés un instituteur de langue française, chargé d’enseigner aux jeunes personnes des deux sexes, et de lire, chaque décade, à tous les autres citoyens de la commune, les lois, les décrets et les instructions envoyés de la Convention. Ce sera à ces instituteurs de traduire vocalement ces lois pour une intelligence plus facile dans les premiers temps. Rome instruisait la jeunesse en lui apprenant à lire dans la loi des douze tables. La France apprendra à une partie des citoyens la langue française dans le livre de la Déclaration des Droits.
Ce n’est pas qu’il n’existe d’autres idiomes plus ou moins grossiers dans d’autres départements ; mais ils ne sont pas exclusifs, mais ils n’ont pas empêché de connaître la langue nationale. Si elle n’est pas également bien parlée partout, elle est du moins facilement entendue. Les clubs, les Sociétés patriotiques, sont des écoles primaires pour la langue et pour la liberté ; elles suffiront pour la faire connaître dans les départements où il reste encore trop de vestiges de ces patois, de ces jargons mainenus par l’habitude et propagés par une éducation négligée ou nulle. Le législateur doit voir d’en haut, et ne doit ainsi apercevoir que les nuances très prononcées, que les différences énormes ; il ne doit des instituteurs de langue qu’au pays, qui, habitué exclusivement à un idiome, est pour ainsi dire isolé et séparé de la grande famille.
Ces instituteurs n’appartiendront à aucune fonction de culte quelconque ; point de sacerdoce dans l’enseignement public ; de bons patriotes, des hommes éclairés, voilà les premières qualités nécessaires pour se mêler d’éducation.
Les Sociétés populaires indiqueront des candidats : c’est de leur sein, c’est des villes que doivent sortir ces instituteurs ; c’est par les représentants du peuple, envoyés pour établir le gouvernement révolutionnaire, qu’ils seront choisis.
Leur traitement sera payé par le trésor public. La République doit l’instruction élémentaire à tous les citoyens ; leur traitement n’éveillera pas la cupidité ; il doit satisfaire aux besoins d’un homme dans les campagnes ; il sera de 100 frs par mois. L’assiduité prouvée par des autorités constituées sera la caution de la République dans le paiement qu’elle fera à ces instituteurs, qui vont remplir une mission plus importante qu’elle ne paraît d’abord. Ils vont créer des hommes à la liberté, attacher des citoyens à la patrie, et préparer l’exécution des lois en les faisant connaître.
Cette proposition du comité aura peut-être une apparence frivole aux yeux des hommes ordinaires, mais je parle à des législateurs populaires, chargés de présider à la plus belle des révolutions que la politique et l’esprit humain aient encore éprouvées.
Si je parlais à un despote, il me blâmerait ; dans la monarchie même chaque maison, chaque commune, chaque province, était en quelque sorte un empire séparé de moeurs, d’usages, de lois, de coutumes et de langage. Le despote avait besoin d’isoler les peuples, de séparer les pays, de diviser les intérêts, d’empêcher les communications, d’arrêter la simultanéité des pensées et l’identité des mouvements. Le despotisme maintenait la variété des idiomes : une monarchie doit ressembler à la tour de Babel ; il n’y a qu’une langue universelle pour le tyran : celle de la force pour avoir l’obéissance, et celle des impôts pour avoir de l’argent.
Dans la démocratie, au contraire, la surveillance du gouvernement est confiée à chaque citoyen ; pour le surveiller il faut le connaître, il faut surtout en connaître la langue.
Les lois d’une République supposent une attention singulière de tous les citoyens les uns sur les autres, et une surveillance constante sur l’observation des lois et sur la conduite des fonctionnaires publics. Peut-on se la promettre dans la confusion des langues, dans la négligence de la première éducation du peuple, dans l’ignorance des citoyens ?
D’ailleurs, combien de dépenses n’avons-nous pas faites pour la traduction des lois des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes parlés en France ! Comme si c’était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires !
Laisser les citoyens dans l’ignorance de la langue nationale, c’est trahir la patrie ; c’est laisser le torrent des lumières empoisonné ou obstrué dans son cours ; c’est méconnaître les bienfaits de l’imprimerie, car chaque imprimeur est un instituteur public de langue et de législation.
Laisserez-vous sans fruit sur quelque partie du territoire, cette belle invention qui multiplie les pensées et propage les lumières, qui reproduit les lois et les décrets, et les étend dans huit jours sur toute la surface de la République ; une invention qui rend la Convention nationale présente à toutes les communes, et qui seule peut assurer les lumières, l’éducation, l’esprit public et le gouvernement démocratique d’une grande nation ?
Citoyens, la langue d’un peuple libre doit être une et la même pour tous.
Dès que les hommes pensent, dès qu’ils peuvent coaliser leurs pensées, l’empire des prêtres, des despotes et des intrigants touche à sa ruine.
Donnons donc aux citoyens l’instrument de la pensée publique, l’agent le plus sûr de la révolution, le même langage.
Eh quoi ! tandis que les peuples étrangers apprennent sur tout le globe la langue française ; tandis que nos papiers publics circulent dans toutes les régions ; tandis que le Journal Universel et le Journal des Hommes Libres sont lus chez toutes les nations d’un pôle à l’autre, on dirait qu’il existe en France six cent mille Français qui ignorent absolument la langue de leur nation et qui ne connaissent ni les lois, ni la révolution qui se font au milieu d’eux !
Ayons l’orgueil que doit donner la prééminence de la langue française depuis qu’elle est républicaine, et remplissons un devoir.
Laissons la langue italienne consacrée aux délices de l’harmonie et aux expressions d’une poésie molle et corruptrice.
Laissons la langue allemande, peu faite pour des peuples libres jusqu’à ce que le gouvernement féodal et militaire, dont elle est le plus digne organe, soit anéanti.
Laissons la langue espagnole pour son inquisition et ses universités jusqu’à ce qu’elle exprime l’expulsion des Bourbons qui ont détrôné les peuples de toutes les Espagnes.
Quant à la langue anglaise, qui fut grande et libre le jour qu’elle s’enrichit de ces mots, la majesté du peuple, elle n’est plus que l’idiome d’un gouvernement tyrannique et exécrable, de la banque et des lettres-de-change.
Nos ennemis avaient fait de la langue française la langue des cours ; ils l’avaient avilie. C’est à nous d’en faire la langue des peuples, et elle sera honorée.
Il n’appartient qu’à une langue qui a prêté ses accents à la liberté et à l’égalité ; à une langue qui a une tribune législative et deux mille tribunes populaires, qui a de grandes enceintes pour agiter de vastes assemblées, et des théâtres pour célébrer le patriotisme ; il n’appartient qu’à la langue française qui, depuis quatre ans, se fait lire par tous les peuples, qui décrit à toute l’Europe la valeur de quatorze armées, qui sert d’instrument à la gloire de la reprise de Toulon, de Landau, du Fort Vauban et à l’anéantissement des armées royales ; il n’appartient qu’à elle de devenir la langue universelle.
Mais cette ambition est celle du génie de la liberté ; il la remplira. Pour nous, nous devons à nos concitoyens, nous devons à l’affermissement de la République de faire parler sur tout son territoire la langue dans laquelle est écrite la Déclaration des droits de l’Homme. »