La vie invisible des migrants
Catégorie : Global
Thèmes : CapitalismeEtatRacisme
Lieux : Earth
La vie invisible des migrants
Par Citizen Ilya.
Après être devenu migrant en Europe, j’ai vu toutes sortes de personnes que la culture dominante et l’État ignorent. Ces gens sont rejetés par une société qui ne les utilise que pour du sale boulot. Et je parle des migrant·e·s et des réfugié·e·s en Europe qui vivent pour survivre. iels sont le groupe de personnes le plus en danger, qui resteront invisibles même après leur mort.
Beaucoup d’entre eux ont franchi les frontières sous la menace d’être abattu·e·s. Beaucoup dépendent de petites communautés de migrant·e·s alors qu’une société entière continue de les considérer comme des objets inexistants. Beaucoup travaillent du lever au coucher du soleil pour gagner un SMIC, et encore. Les clichés xénophobes les montrent comme des non-humains parce qu’iels viennent d’une culture différente, sont arrivé·e·s dans leur pays « illégalement » ou travaillent là où les gens « normaux » ne le feraient pas, et iels sont donc traité·e·s comme s’iels n’avaient aucun droit. Les migrant·e·s sont présenté·e·s comme répugnant·e·s et menaçant·e·s : iels sont les seuls à commettre des crimes tels que le trafic de drogue ou le vol, ce sont des barbares incultes qui vivent aux dépens des allocations chômage, ou qui travaillent trop peu et propagent leur propre culture “haineuse”.
Quand j’étais plus jeune, je croyais à ce genre de mythes. Maintenant, je suis moi-même un migrant et je connais toutes les difficultés de cette vie invisible. Tu n’es personne aux yeux de l’État et du marché du travail, même quand tous tes papiers sont en règle. Tu n’es personne pour ceux qui travaillent après que le soleil soit levé, car iels te reconnaissent comme migrant·e. Tu rentres chez toi surexploité·e en te disant que tu reviendras plus jamais à un boulot de 14 heures. Tu retiens les horaires du bus de nuit et les endroits où trouver de la nourriture pas trop pourrie dans les poubelles. Tu paniques quand quelqu’un te parle dans la langue du pays plutôt que dans la tienne ou en anglais. Tu n’es personne.
Tu ne deviens quelqu’un qu’après être parvenu à la classe moyenne, alors les autres te traitent comme un touriste. Ou en parlant mieux la langue locale que ta langue maternelle, pour qu’iels pensent que tu es né·e ici. Tu vois l’ironie ? Il est presque impossible d’être reconnu·e par la société pour ce que tu es. Ce n’est pas toi qui choisis ou modifie les étiquettes, ce sont les gens qui t’entourent et qui te reconnaissent comme un·e “touriste”, un·e “migrant·e”, un·e “citoyen·ne” ou un·e “cher·e client·e”, mais jamais comme un être humain ou un individu.
Être un individu implique son lot de difficultés dans la vie. Mais tu vois qu’une la société est malade quand elle devient une partie de celles-ci – de devoir lutter pour être traité·e comme un être humain. Dans le même temps, ça pourrait aider si elle était même consciente de ton existence. Comme tu le sais sans doute, la vie des migrant·e·s est compliquée et pénible. Iels se battent pratiquement toujours seul·e·s contre le système, et ça pourrait changer du tout au tout si d’autres personnes leur offraient de l’aide. C’est si facile ! Mais pourquoi quelqu’un aiderait il les migrant·e·s alors qu’il est plus facile de croire aux histoires nationalistes qui montrent comme iels sont méchant·e·s ?
La xénophobie commence par l’État. Il te déshumanise même avant même que tu aies franchies ses frontières. Si tu le fais légalement, le type de visa que tu as déterminera qui tu es dans le pays. Si tu le fais illégalement, tu n’auras même pas de statut officiel. Puisque l’État voit le fait de passer la frontière comme un crime, il essaiera de présenter ça comme immoral auprès de la population. Tu es venu·e dans un pays sans une étiquette précise qui indique comment l’État et le capitalisme devraient t’exploiter et te diviser. En guise de punition, l’autorité t’humiliera pour ne pas avoir suivi scrupuleusement la voie vers la citoyenneté.
L’établissement de documents légaux est, en soi, un processus absurde. Ce n’est pas ta volonté de t’enregistrer quelque part et de prendre des photos pour faire de la paperasse. Le fait que l’État l’exige devient ta raison de te soumettre à cette bureaucratie sans vie. Sinon, l’État et son système juridique perdront ta trace. C’est le seul moment où l’État reconnaît les migrants comme des objets. Le système ferme les yeux lorsqu’iels meurent ou sont en difficultés. Le système est interessé lorsque les migrants rapportent de l’argent à un budget pourri, ou construisent des manoirs pour la classe dirigeante.
L’autre fois où les migrant·e·s sont reconnu·e·s, c’est lorsque les nationalistes nous gavent de leur propagande. Iels accusent les migrant·e·s de tout ce qui les contrarie. Par exemple, c’est un mythe bien connu que les migrant·e·s volent les emplois des habitant·e·s de souche. En réalité, iels ne travaillent même pas là où la majorité le fait – c’est principalement des emplois mal payés et sans perspective d’avenir. Parfois, leur travail se transforme même en esclavage (et ce sous les yeux de tout le monde, mais personne ne s’en soucie !) avec des châtiments corporels et sans salaire. Un autre problème se pose sur le marché du travail. Les migrants sont-iels responsables de la rareté des emplois, ou du système économique ? Les patrons cupides ne sont-iels pas les responsables ?
Le nationalisme germe des graines de l’État. L’État considérera toujours les migrant·e·s et les réfugié·e·s comme un problème, car cela fait partie de sa logique autoritaire. Le nationalisme persiste, et il attise les flammes de la haine. Tandis que la police torture silencieusement les migrant·e·s, les nationalistes continuent de les frapper publiquement ou de perquisitionner leurs domiciles. Et ensuite, iels essaient de justifier la violence en faisant reposer la culpabilité sur la victime. De façon assez troublante, c’est l’une des rares fois où les migrant·e·s sont ne serait-ce que reconnu·e·s par la société. Tant qu’iels ne sont pas à la télé, les migrant·e·s vivent invisibles.
Et comment la société peut-elle aider les migrant·e·s ? Tout ce dont les migrant·e·s ont besoin, c’est d’être traités comme des êtres humains. Iels ne sont pas des objets ! C’est une erreur que même les bénévoles des ONG commettent parfois. En tant qu’êtres humains, nous oublions parfois que les gens qui nous entourent sont les mêmes. Nous oublions qu’iels ont les mêmes sentiments et pensées (sauf les flics et des ministres). Les nationalistes sont ceux qui appliquent les étiquettes en fonction de la couleur de peau ou de l’origine, car iels ne veulent pas reconnaître les autres comme humain·e·s. Les problèmes de discrimination pourraient simplement disparaître si on arrêtait de suivre une telle logique. Je ne suis pas unique en raison des étiquettes qu’on m’attribue – je suis unique parce que je suis humain·e. Mon origine, ma couleur de peau, la langue que je parle, la couleur de mon passeport, mon salaire, mon diplôme, mon apparence ou quoi que ce soit d’autre ne devraient pas compter autant que le fait d’être un être humain. Et traiter les autres comme des êtres humains me rend plus humain·e.
Citizen Ilya
(Article original: The Invisible Life of Migrants, 7 novembre 2022. Traduction française par Éléazar. Source : https://c4ss.org/content/58821 (July 18th, 2023)
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