« séparatisme », « amish » : le chemin de l’autoritarisme
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Catégorie : Global
Thèmes : Racisme
En deuxième lecture, cette sémantique révèle en creux, par la négativité, la stratégie politique tenace du gouvernement : diviser (les classes, les races, les sexes), ordonner, réprimer les populations et affermir l’État.
Aux États-Unis, le séparatisme est revendiqué publiquement par les suprémacistes blancs (groupes fascistes en soutien de Trump)[3]. En France, ce choix véritable est plus silencieux, l’héritage historique en jeu – celui de l’Europe des Lumières – se voulant « normal » mais non-dit. Car c’est bien l’État français qui est voulu séparatiste (et non des groupes sociaux), et qui veut promouvoir une élite mâle, riche, blanche, chrétienne, hétérosexuelle, aux manettes du pouvoir politique. On retrouve ici ce qu’explique Frantz Fanon à propos de la violence coloniale – « De par sa structure […], le colonialisme est séparatiste et régionaliste »[4] – et bien plus.
Le gouvernement vise les ghettos plutôt que l’intégration, la division des luttes plutôt que les concertations collectives. Comme Charles De Gaulle à propos des communistes[5]et des anticolonialistes[6](Frachon et Césaire), au sortir de la IIeguerre mondiale, Macron utilise le mot « séparatisme », pour mieux mettre ses adversaires politiques hors jeu. Les stigmatiser lui permet de mieux exister. Le Président de la République entend tenir éloignés les « indésirables »[7]et les mettre dans un même sac bien à part. Il s’impose « homme universel » au contraire de « la » femme, racisée, homosexuelle, pauvre, considérée comme « minoritaire ». C’est ici que, dans la négativité, le « majoritaire », qui ne l’est pas et qui fait partie de ce que Colette Guillaumin appelle la « généralité humaine »[8], se crée. Le « minoritaire », le « séparatiste », le devient parce que le « majoritaire » en a décidé ainsi. Par exemple, comme le souligne Jean-Paul Sartre en 1946 à propos de la condition juive, « Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif : voilà la vérité simple d’où il faut partir »[9]. L’ensemble de ces exclusions sociales et politiques volontaires a pour objet d’assoir par effet miroir la légitimité de l’homme politique et de diviser les mouvements. Cette manœuvre est d’autant plus caricaturale que le projet de loi contre les séparatismes est porté par l’ex-Secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes et par un ministre poursuivi pour viol.
En parallèle des stigmatisations de classe, de race, de sexe, et par extension de ce que Michel Cahen analyse à propos de l’existence des États en Afrique ayant connu le colonialisme français, on peut affirmer que le gouvernement dont Macron s’est entouré a établi une hiérarchie entre appartenance nationale et démocratie. Il alimente la confusion entre les deux concepts pour mieux valoriser une vision occidentale de la « modernité » : « L’usage à tort et à travers du concept de nation entraîne des confusions permanentes entre nation et nationalisme, nation et État, État et État-nation, citoyenneté et nationalité, nation homogène et modernité… »[10]. L’historien évoque un « fétichisme d’État » : « [L’]éclatement [de l’État], le séparatisme d’une de ses parcelles sont d’abord suspectés de “divisionnisme”, de manœuvre impérialiste, de retour en arrière, d’enfermement identitaire. Le grand serait mieux que le petit, la mobilisation identitaire se voit niée en tant que désir de modernité collective »[11]. En propulsant le projet de loi en tête de gondole, Macron s’applique à renforcer le rôle de l’État.
Enfin, la référence aux Amish pour qualifier non seulement les écologistes mais aussi les militants de la préservation des libertés individuelles, est exemplaire. Elle a pour objet un effet repoussoir, les Amish symbolisant l’anti-modernité, y compris en matière de hiérarchie sexuelle[12]. Pour autant, il semble important dans le contexte qui nous occupe de souligner que ces communautés religieuses s’affichent pacifistes et contre la suprématie de l’État[13]. Comme les mennonites qui leurs sont historiquement liés[14], ils expriment leur ferme opposition au racisme. Par exemple à propos des événements à Charlottesville en août 2017, ils écrivent : « À la lumière des événements récents, nous sommes à nouveau contraints de dénoncer et de condamner les idéologies racistes de la suprématie blanche en tant que “pouvoirs cosmiques” et “forces spirituelles du mal” à l’œuvre contre les desseins de Dieu lors de la création »[15]. Entre les lignes, en comparant ses opposants politiques aux Amish, Macron continue d’affirmer ses options bellicistes et suprémacistes.
L’accélération de ces offensives est impressionnante. Marcher sur les plates-bandes de l’évidence (discours empruntés à l’extrême-droite) risque de nous ralentir sérieusement et de nous retrouver dépassés, si ce n’est déjà le cas, par un autoritarisme délétère.
Joelle Palmieri
25 septembre 2020
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[1]Le gouvernement et ses défenseurs amalgament tous les féminismes et frappent ce qui se revendique le « féminisme lesbien ». Guy Bouchard, « Typologie des tendances théoriques du féminisme contemporain, Philosophiques, 18 (1), 1991, p. 119–167.
[2]Isabelle Avran « “Séparatisme” et “ensauvagement” : quand l’exécutif reprend les thèmes chers à l’extrême droite », nvo,13 septembre 2020, https://nvo.fr/separatisme-et-ensauvagement-quand-lexecutif-reprend-les-themes-chers-a-lextreme-droite/.
[3]Betty A. Dobratz & Stephanie L. Shanks-Meile,“The Strategy of White Separatism”, Journal of Political and Military Sociology, 34 (1), 2006, p. 49-80.
[4]Franz Fanon, Les damnés de la terre, Gallimard, La Découverte, 2003 [1961].
[5]Bernard Lachaise, « De Gaulle et les gaullistes face aux conflits sociaux au temps du RPF », La politique sociale du général de Gaulle, Centre d’Histoire de la Région du Nord et du Nord-Ouest, 1990.
[6]Elisabeth Léo, « Le référendum de 1958 à la Martinique », Outre-mers, tome 95, n°358-359, « 1958 et l’outre-mer français », 2008, p. 107-131.
[7]Éric Maurin,Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Le Seuil, coll. « La République des idées », 2004.
[8]Colette Guillaumin, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Gallimard, 2002.
[9]Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Gallimard, 1946.
[10]Michel Cahen, « L’État ne crée pas la nation : la nationalisation du monde », Autrepart N°10, 1999, p. 151-170.
[11]Ibid.
[12]? John Hostetler, spécialiste de l’histoire et de la culture des Amish, parle effectivement de « willing submission » (soumission volontaire)[12]pour caractériser le rôle des femmes dans ces sociétés. John A. Hostetler, Amish Society, JHU Press, 1993, 435 p.
[13]Fabienne Randaxhe, « Les Amish ou le communautarisme apaisé », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 75, Religion, société et politique aux États-Unis, 2004, p. 50-56.
[14]Jacques Légeret, Catherine Légeret, Quilts amish & [et] quelques autres patchworks mennonites, Labor et Fides, 2001, 77 p.
[15]« Mennonite Central Committee in the U.S. statement on white supremacy and racism in light of the events of August 12, 2017, in Charlottesville, Virginia », Mennonite Central Committee (MCC), https://mcc.org/stories/statement-white-supremacy-racism.
https://joellepalmieri.org/2020/09/24/separatisme-amish-le-chemin-de-lautoritarisme/
Le séparatisme ethnique, national, régional, racial est revendiqué partout sur la planète et en France y compris par ceux qui se croient indigenisés, racisés, antiracistes, sexisés, antisexistes… . Viendez faire un tour en Kabylie, là aussi on est bien dans la merde avec cette pensée rance d’archéo-humain. Il n’y a que vos journaleux de Mediapart et vos pleureuses de militants gauchistes pour exceller dans le déni, le manichéisme policitien mystificateur, mensonger.
Les trolls dans leur haine des racisé-e-s ont du mal à cacher leur adhésion aux thèses de Macron sur le « séparatisme »
« Séparatisme » et « ensauvagement » : quand l’exécutif reprend les thèmes chers à l’extrême droite
Tandis que le pays affronte une grave crise économique, que le monde du travail en paie la lourde facture, le ministre de l’Intérieur provoque la polémique en parlant d’«?ensauvagement?» de la société et Emmanuel Macron désigne, lui, le danger du «?séparatisme islamiste?» et annonce une loi qui sera présentée à l’automne. Retour sur la généalogie et les enjeux de ces thèmes.
La patrie est en danger, le séparatisme menace la République, la nation est confrontée à un véritable ensauvagement. En pleine crise sanitaire et alors que se multiplient les plans sociaux et les chantages à l’emploi permettant au grand patronat d’imposer des accords dits de compétence collective, tel est donc le nouveau credo de l’exécutif, jouant la partition ressassée de la peur et de la nécessaire unité nationale face à un ennemi intérieur.
Emmanuel Macron avait déjà annoncé la couleur lors de son déplacement à Mulhouse le 18 février dernier, annonçant, en introduction d’une conférence de presse, qu’il fallait «?Protéger les libertés en luttant contre le séparatisme islamiste?», un objectif dont il a même alors fait le titre de son intervention. L’ennemi est donc désigné. Le locataire de l’Élysée précise qu’il préfère dénoncer le séparatisme plutôt que le communautarisme «?Parce que nous pouvons avoir dans la République française des communautés. Selon le pays d’où on vient, chacun se revendique d’ailleurs selon la communauté à laquelle il appartient. Il y en a aussi selon les religions.?»
Emmanuel Macron réitère le 4 septembre au Panthéon, prétendant célébrer à cette date l’anniversaire de la République, née en 1792, mais qu’il date, lui, de la naissance de la Troisième République, dont le premier Président, Adolphe Thiers, affirmait dans son discours de rentrée parlementaire, le 13 novembre 1872 : «?La République sera conservatrice ou elle ne sera pas.?».
L’insécurité est au menu du séminaire gouvernemental du 9 septembre et un projet de loi contre le séparatisme doit être présenté au conseil des ministres «?à l’automne?», puis discuté au Parlement «?début 2021?». Le Président veut notamment la fin des imams étrangers, de l’accueil des quelque 300 «?psalmodieurs?» reçus chaque année durant le ramadan, le contrôle du financement des mosquées et la création d’une charte d’engagement sur la laïcité que devront signer les associations est également au programme avec la fin des subventions en cas de non-respect. L’élaboration en a été confiée à Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, en charge de la citoyenneté.
Tandis que le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer affirmait en février sur France Info que la loi islamique aurait pris le pas sur celle de la République dans les quartiers de certaines villes comme Roubaix ou Maubeuge, suscitant l’indignation des maires concernés, Gérald Darmanin relance la polémique cet été. Et il ne mâche pas davantage ses mots. «?Un séparatiste est quelqu’un qui veut renverser la République, se séparer d’elle?», affirme-t-il en août, sans s’embarrasser de la contradiction entre ces deux assertions. Mais il reprend aussi à son compte l’expression de l’extrême droite sur un «?ensauvagement de la société?», critiquée par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.
Quand le Président de la «France Relance» prend les Lumières pour des lanternes
Dans la dernière plaisanterie d’Emmanuel Macron pour promouvoir la 5G, c’est la référence ironique aux Amish qui a provoqué des réactions. Mais il faut peut-être se pencher sur la vision tronquée et réductrice des Lumières présentée par le Président.
Emmanuel Macron est un familier des plaisanteries faciles et des formules stigmatisantes. Les amateurs et amatrices ont pu s’en constituer une collection : il y avait eu les « illettrées » de Gad et le tee-shirt et le costard quand il était ministre, puis les gens « qui ne sont rien », les « fainéants », les kwasa-kwasa qui « ramènent du Comorien », et d’autres encore. On pourra consulter cet article de Libération qui rappelle ses « innovations » visant spécifiquement les écologistes.
Le 14 septembre, devant un public d’une centaine de startupeurs et startupeuses par avance acquis.es à son discours, derrière un pupitre portant l’inscription « France Relance – French Tech », il s’est livré une nouvelle fois à cette petite activité en plaisantant sur la demande de moratoire de 70 élu.e.s de gauche et écologistes à propos de la 5G. Voici le verbatim :
« Évidemment on va passer à la 5G. Je vais être très clair. La France c’est le pays des Lumières, c’est le pays de l’innovation et beaucoup des défis que nous avons sur tous les secteurs se relèveront par l’innovation. Et donc on va expliquer, débattre, lever les doutes, tordre le cou à toutes les fausses idées, mais oui, la France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation. Et j’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile ! Je ne crois pas au modèle Amish. Et je ne crois pas que le modèle amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine. » (Vidéo sur la chaîne Youtube de L’Obs)
Qu’il soit savamment préparé ou spontané, ce qu’on ne saura jamais, ce type de discours ne convient ni au locuteur, ni aux interlocuteurs et interlocutrices, ni à la situation, ni aux Lumières, ni à la 5G (et pas non plus aux Amish et leur supposée lampe à huile…) pour plusieurs raisons. […]
https://www.quieryavenir.fr/blog/2020/09/25/amish-lampe-a-huile-et-lumieres/
La 5G c’est la cinquième génération de communications mobiles… toutefois, si la 3G a permis l’arrivée d’Internet sur les téléphones, et la 4G les a transformés en petits ordinateurs portables, la 5G promet une véritable rupture, puisqu’elle promet d’ouvrir des perspectives en matière médicale, de transport, d’urbanisme, ou encore d’industries…
Cette promesse d’un saut technologique sans commune mesure avec les précédents, l’entrée dans l’ère de l’internet des objets, des drones et des robots provoque évidemment enthousiasme chez certains, et réticences chez d’autres. Alors que de nombreuses questions restent ouvertes en matière ‘d’environnement, de santé ou même de choix de société, et mériteraient d’être discutés dans un cadre démocratique… le débat a pris ces derniers jours une tournure qui ne semble pas à la hauteur des enjeux.
En effet, à l’approche du début des enchères le 29 septembre pour attribuer les fréquences d’utilisation, 70 élus de gauche et écologistes ont demandé dans le Journal du dimanche la semaine dernière un moratoire sur le déploiement de la 5G. Ils profitent ainsi d’un moment qui leur est politiquement propice pour reprendre une proposition de la Convention citoyenne pour le climat. Le président de la République, qui s’adressait cette semaine aux représentants de la French Tech, leur a répondu en rejetant ce qu’il a appelé le modèle Amish et une volonté de retour à la lampe à huile.
« Il doit y avoir un débat sur ce qu’on veut faire avec cette technologie » Serge Abiteboul
« Ce n’est pas juste une 4G » Yaël Benayoun
« Il n’y aucune urgence » Jean-Baptiste Fressoz « La 5G ce n’est pas pour demain matin… ce n’est pas avant 2025 » Serge Abiteboul
« Il n’y a aucune proposition sérieuse sur l’utilité de la 5G… le débat est particulièrement ubuesque » Jean-Baptiste Fressoz
« Il y a une consommation considérable pour toutes les technologies… ça n’a rien à voir avec la 5G » Serge Abiteboul
« On n’a même pas une expertise neutre et sérieuse sur la 5G » Jean-Baptiste Fressoz
« En tant que citoyen mon interrogation est plus environnementale que sanitaire » Serge Abiteboul
« La question de la dérive sécuritaire doit se poser » Yaël Benayoun
https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/5g-etes-vous-amish-ou-technolatres