Chaque jour charrie son lot de violences extrêmes sur les personnes en déplacement vers l’Europe ou parvenues sur son sol. La liste est trop longue pour la tenir entière : sur la frontière même, les gardes-côtes nationaux et l’agence Frontex laissent des bateaux en détresse à l’abandon au large de la Libye et en coulent volontairement au large de la Grèce ; à l’intérieur du territoire européen, les polices étatiques frappent, violentent, contrôlent, persécutent, enferment, expulsent ; aux pourtours de l’Europe, les forces européennes passent des accords avec d’autres États (Libye, Turquie) pour que ces pays exercent à moindre frais ces contrôles et négations de droits internationaux et humains – même quand, en Libye par exemple, le degré de violence rejoint celui des pires crimes contre l’humanité.

Dans ce contexte inouï, en espérant échapper à l’hostilité directe des polices, les migrant-es sont contraint-es d’emprunter des voies et des moyens de passage qui les mettent en danger de mort et qui souvent, effectivement, les tuent. Qu’ils aient lieu au Sahara ou au milieu de la Méditerranée, dans les centres urbains ou dans les marges de l’espace européen, ces plus de 40 000 morts et ces violences incommensurables ont pour origine la fermeture sélective des frontières européennes.

Il est difficile de rassembler l’information sur ces violences, du moins celle à laquelle nous avons accès en France, presque toujours compartimentée dans des discours centrés sur un fait, un lieu. Le terme de « guerre aux migrants » est parfois utilisé pour qualifier l’esprit des politiques, pratiques et moyens frontaliers européens. Ces violences sont cependant unilatérales, exercées par des forces étatiques, interétatiques et des milices, toujours au détriment des migrant-es, ce qui pourrait justifier la qualification de massacre. Pour autant, l’externalisation d’une partie importante de ces crimes et la nature indirecte de nombreux décès rend difficile l’utilisation de ce terme. Dès lors, nous proposons d’appeler « xénocide européen » les violences meurtrières et de masse portées par les politiques frontalières européennes, au vu et au su des décideurs et des acteurs de ces politiques, perpétrées sur des personnes en déplacement vers l’Europe ou parvenues sur son sol.

Bien évidemment, tous les étranger-es à l’Europe ne sont pas visées par ce régime de violence. Le groupe social qui subit le xénocide n’a malgré cela pas d’identité sociale précise. Il regroupe des personnes placées sous le feu de différents rapports sociaux de domination : pauvres, racisées, post-colonisées, musulmanes, rassemblées par leur statut d’étrangers refoulés. Ce groupe est soumis à une persécution administrative, qui renvoie à la mémoire dense des persécutions d’État (noirs américains, apartheid, etc.).

Le xénocide « européen » est né dans un espace politique plus large que l’Europe. Des violences du même type sont exercées aux États-Unis, en Australie, en Chine, notamment. Au-delà des alternances des partis au pouvoir, il s’inscrit dans un contexte mondial, colonial et capitaliste, et se nourrit des politiques bellicistes, sécuritaires et liberticides à l’œuvre dans les régimes xénocidaires.

Mettre fin au xénocide européen

Nous donnons un nom au xénocide européen pour qu’il prenne fin. Nous peinons à envisager que, sans dénomination propre, il puisse être reconnu publiquement et que soit prise la mesure de son horreur.

Nous espérons que nommer le xénocide européen aidera des personnes en capacité d’identifier précisément les responsabilités de ses acteurs à faire ce travail d’identification et à le rendre public – ce qui permettrait ensuite d’examiner les poursuites juridiques potentielles à l’encontre de ces responsables.

Nous espérons également que nommer le xénocide européen aidera toute personne, dans la mesure de ses moyens individuels et collectifs, à se positionner vis-à-vis des politiques xénocidaires. Nous espérons notamment qu’y faire référence aidera à fédérer les initiatives politiques nombreuses et éclectiques qui cherchent à construire une activité collective d’ampleur contre les politiques frontalières européennes.

Nous espérons enfin que nommer le xénocide européen et les rapports de domination qui lui sont liés facilitera les luttes des personnes migrantes, exilées, sans papier, étrangères, réfugiées. De nombreuses actions ont déjà été menées, qui cherchent à lutter contre les violences et le statut donné aux étranger-es refoulé-es : actions directes ou médiatiques contre la fermeture des frontières, réquisition de lieux de vie, accueil, mise à l’abri, passage de frontière en soutien aux personnes migrantes, etc. Ces actions nous semblent d’autant plus nécessaires une fois partagé le constat d’un système global de violence envers ces étranger-es.

Des personnes mobilisées pour l’accueil des personnes en exil