Palestine : une révolte désespérée qui est sans doute le seul espoir
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Désespoir contre sauvagerie
Des colons ont assassiné la famille Dawabcheh le 31 juillet dans le village de Douma en la brûlant dans leur maison. Pas d’arrestation. Déjà avant l’attaque « Bordure Protectrice » (été 2014) contre Gaza, un jeune palestinien, Mohamed Abou Khdeir, avait été brûlé vif. Les colons, c’est plus de 10% de la population juive israélienne. C’est près de la moitié du gouvernement et de l’armée. Il fut un temps où les colons étaient impopulaires en Israël. Ils ont imposé leurs « valeurs » faites de messianisme perverti, de haine, d’insensibilité, de tribalisme. « Les Palestiniens sont des Amalécites et la Torah autorise qu’on les tue ainsi que leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux » expliquait le Rabbin Rosen, directeur de l’institut Tsomet. Pour ces fondamentalistes, « Dieu a donné cette terre au peuple juif ». Aujourd’hui, n’importe quel Palestinien peut être tué impunément puisque ce sont des intrus. Parmi les dizaines de mort-e-s de cette nouvelle Intifada, il y a plusieurs militant-e-s, y compris certain-e-s qui ont fait le choix de la non violence et que les internationaux qui vont en Palestine connaissent bien.
Une secte millénariste juive manifeste sur l’esplanade des mosquées. Son programme ? Raser les mosquées et « reconstruire le Temple ». Autrefois, ce genre de provocation, dont le but évident est de mettre à feu et à sang le Proche-Orient, était interdit. Immédiatement, le gouvernement Nétanyahou propose qu’on coupe en deux la mosquée Al Aqsa pour en transformer la moitié en synagogue comme cela s’est fait avec le Caveau des Patriarches d’Hébron. Obligé de reculer aujourd’hui, Nétanyahou reviendra à la charge quand le rapport de force sera favorable.
« Il n’y aura pas d’État palestinien », martèle Nétanyahou. Pourquoi faire semblant puisque la « communauté internationale » détourne pudiquement la tête face à cet apartheid assumé et revendiqué ? Un site sioniste français est allé jusqu’à affirmer qu’empêcher les Juifs de prier sur l’esplanade des mosquées était un acte antisémite ! Les médias occidentaux ferment les yeux sur la brutalité de l’armée israélienne. « Pluie d’attaques en Israël : la terreur règne » titrait le journal « Le Progrès » alors que les mort-e-s se comptaient par dizaines en Palestine.
La révolte du peuple palestinien rappelle par plusieurs aspects la première Intifada en 1987. Pas de mot d’ordre et pas de direction politique. Juste des milliers d’actes individuels signifiant : « nous n’avons aucun avenir, vous nous étouffez à petit feu, nous refusons l’enfermement, la répression, l’impunité, l’humiliation ».
Comme l’a expliqué très simplement Marwan Barghouti du fond de sa prison : « il n’y aura pas de paix tant que l’occupation israélienne de la Palestine durera ».
Ce sont tous les morceaux éclatés de la Palestine fragmentée qui se soulèvent. Y compris Gaza où l’armée israélienne a assassiné des adolescents qui manifestaient près de la « barrière de sécurité ». Y compris Jérusalem Est où les Palestiniens vivent tous les jours les bouclages et les lynchages.
La Palestine abandonnée.
Il aura fallu 22 ans pour que Mahmoud Abbas reconnaisse que les accords d’Oslo étaient caducs. En fait depuis le début, ces accords ont été une gigantesque illusion : Rabin lui-même a installé 60000 nouveaux colons dans les deux ans qui ont suivi ces accords et il a signé avec Arafat la division de la Cisjordanie en trois zones qui rendaient impossibles la création d’un État palestinien viable.
En reconnaissant la Palestine à l’UNESCO et en lui donnant un strapontin à l’ONU, la communauté internationale a signifié son refus d’une annexion pure et simple des territoires occupés en 1967. Mais en ne décrétant aucune sanction contre l’occupant, elle laisse le peuple palestinien désarmé et désespéré.
À quoi sert l’Autorité Palestinienne ? Elle paie les salaires de fonctionnaires qui font vivre des centaines de milliers de personnes sur un territoire qui n’a presque plus d’économie réelle, sciemment détruite par l’occupant. Mais elle sert surtout à assurer la sécurité de l’occupant et à jouer la comédie de pseudo négociations qui ont toujours été des exigences de capitulation. Sur un territoire dont l’économie est régulièrement pulvérisée, l’Autorité Palestinienne gère un argent venu de l’extérieur. D’où les phénomènes inévitables de népotisme, de clanisme et de corruption. On construit des hôtels cinq étoiles à Ramallah alors que les Bantoustans qui constituent ce qui reste de la Palestine sont étranglés. La situation n’est guère différente à Gaza où le Hamas n’a plus qu’un seul projet politique : conserver le pouvoir sur ce territoire minuscule. Toutes les tentatives pour constituer un gouvernement d’Union Nationale ont échoué, chaque parti, Fatah ou Hamas n’ayant qu’un seul projet : écraser l’autre. On continue d’emprisonner les militants du Hamas en Cisjordanie tandis qu’à Gaza, le Hamas semble uniquement préoccupé par le maintien d’un certain ordre moral et le contrôle des frontières de l’enclave.
En privé, tous les Palestiniens se plaignent des deux grands partis et du manque de « leadership ». C’est dans ce vide politique qu’ils se révoltent avec l’énergie du désespoir à cause de l’avenir bouché et de l’absence de perspective. Seuls les prisonniers qui multiplient les grèves de la faim contre l’isolement, la torture et la détention administrative, donnent l’image de l’unité. Des mouvements de résistance comme le Jihad Islamique qui ont toujours prôné la résistance et dénoncé les négociations avec l’occupant retrouvent une audience certaine.
Un monde arabe en plein chaos
L’histoire de la Palestine est jalonnée de trahisons et de coups bas de la part des principaux dirigeants arabes. Mais l’époque actuelle est pire que jamais.
L’Égypte, depuis le coup d’État du Maréchal Sissi a totalement bouclé la frontière de Rafah avec la bande de Gaza et a détruit les tunnels qui permettaient aux Gazaouis d’échapper à certaines pénuries. Ce régime a totalement tourné la page de la formidable aspiration à la liberté symbolisée par les manifestations de la place Tahrir. Les prisons sont pleines. Des mouvements djihadistes sont apparus dans les régions désertiques et en particulier dans le Sinaï où ils s’appuient sur une partie de la population très hostile au pouvoir central. Ces djihadistes n’ont aucune sympathie pour la Palestine au contraire, et le Hamas a très peur qu’ils puissent s’infiltrer à Gaza où plusieurs attaques à la voiture piégée ont eu lieu en juillet.
En Syrie, les réfugiés palestiniens sont pris entre deux feux. Assiégé et affamé par les troupes d’Assad, le camp de Yarmouk a été en partie investi par l’État Islamique qui a fait décapiter deux militants du Hamas. Le gouvernement israélien qui accuse régulièrement ceux qui le critiquent de se taire sur la Syrie, joue aussi sa partition en aidant et en soignant dans ses hôpitaux les djihadistes de al-Nostra.
Les richissimes régimes féodaux et esclavagistes du Golfe se désintéressent de la Palestine. Il fut un temps où le Qatar finançait le Hamas. L’Arabie Saoudite avait proposé autrefois un « plan de paix » pour donner une issue politique aux accords d’Oslo. Les féodaux laissent aujourd’hui les Palestiniens dans la misère et ne tentent rien pour briser leur enfermement. Par contre l’Arabie Saoudite dépense des milliards de dollars pour monter une coalition internationale contre les dits-rebelles Houthis du Yémen présumés pro-iraniens.
La société israélienne en voie de fascisation
« Hitler ne voulait pas à l’époque exterminer les juifs, il voulait expulser les juifs. Et Haj Amin Al-Husseini est allé voir Hitler en disant : “Si vous les expulsez, ils viendront tous ici.” “Que dois-je faire d’eux ?”, demanda-t-il. Il a répondu : “Brûlez-les.” »
Seuls ceux qui font mine de ne pas savoir qui est Nétanyahou peuvent s’étonner de cette réécriture imaginaire de la rencontre entre le grand mufti de Jérusalem (nommé à ce poste par le haut-commissaire britannique, Herbert Samuel qui fut plus tard un des fondateurs de l’Agence Juive) et Adolf Hitler.
Le père de Nétanyahou, prénommé Bentsion, fut le secrétaire particulier de Zeev Jabotinsky, fondateur de l’aile « révisionniste » (c’est comme cela qu’elle s’est elle-même intitulée) du sionisme. Depuis la victoire électorale de Menahem Begin en 1977, la plupart des dirigeants israéliens (Begin, Shamir, Sharon, Livni, Olmert, Bennet, Lieberman et bien sûr Nétanyahou) se revendiquent de l’héritage de Jabotinsky. Ce courant a fabriqué de vrais terroristes comme Begin, d’authentiques collabos comme Shamir et des théoriciens du nettoyage ethnique comme Sharon.
Ces révisionnistes ont eu (comme Jabotinsky qui fut admirateur de Mussolini) des proximités idéologiques avec le fascisme. Ils tentent aujourd’hui de faire croire que l’antisémitisme est venu du monde arabo-musulman et pas de l’Europe et du monde chrétien. Ils n’ont hélas pas été les seuls à imprégner l’opinion publique israélienne de slogans meurtriers comme « Arafat est un nouvel Hitler », assimilant systématiquement les Palestiniens à des continuateurs du judéocide nazi.
Dans « Les Arabes et la Shoah », Gilbert Achkar montre que, si le mufti al-Husseini a bien été un authentique collabo, son cas fut relativement isolé et que le monde arabe a été bien moins contaminé par le fascisme que toutes les sociétés européennes.
Chez les sionistes, seuls les nostalgiques de Rabin réagissent un peu en rappelant que Nétanyahou avait diffusé des images de Rabin avec un uniforme hitlérien peu avant l’assassinat de ce dernier (Amos Gitaï le rappelle dans son film “le dernier jour”). Le reste de la société israélienne ou des institutions sionistes comme le CRIF ne réagissent pas. La société israélienne ressemble à ce qu’aurait été la France si l’OAS avait gagné la guerre d’Algérie.
Le gouvernement israélien est en train de préparer une loi interdisant à toute personne en faveur du boycott ou appartenant à une association favorable au boycott d’entrer en Israël ou en Palestine.
Il y a des manifestations anti-guerre en Israël, mais elles restent peu nombreuses. Malgré les témoignages ou les protestations, les auteurs de crimes ne sont pas poursuivis. Psychose aidant, un immigrant venu d’Érythrée a été lynché par la foule avant d’être abattu par un « garde armé ».
Ça bouge un peu chez les intellectuels. L’historien (pourtant sioniste) Zeev Sternhell considère que les Palestiniens ont raison de se révolter. Shlomo Sand, qui vit maintenant en France, considère qu’il s’est trompé en étant contre le boycott d’Israël et que celui-ci est le seul moyen de changer les choses. Donnons-lui raison !
Pierre Stambul
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