Contre l’antisémitisme, la politique du pir(e) ?
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Notre groupe s’est créé en raison d’un manque de prise en compte de l’antisémitisme dans le milieu révolutionnaire. Celui-ci a été particulièrement flagrant lors des attaques meurtrières ayant visées des Juifs et Juives de France ces dernières années, suite auxquelles une majorité de nos organisations sont restées silencieuses, ne considérant manifestement pas ces attaques comme ce qu’elles sont : des meurtres racistes. Ce constat nous a amené à nous interroger sur l’auto-défense des minorités nationales et à nous organiser pour lutter par nous-même contre le racisme. Particulièrement vigilants à l’égard des thèses qui peuvent circuler dans notre milieu politique, nous ne pouvons rester sans réaction face au texte de l’allocution d’Houria Bouteldja du 3 mars 2015 consacré au racisme et au « philosémitisme d’État ».
Une fois l’introduction passée, affirmant que l’antiracisme en France est structuré par la Shoah, ce qui est au moins incomplet (en ce qui concerne l’Éducation Nationale cela peut être le cas, mais la récupération de la Marche pour l’Égalité par SOS Racisme nous semble également un moment majeur de la création d’un antiracisme « institutionnel »), Houria Bouteldja en vient au cœur du sujet : la situation des Juifs et Juives de France. Le commencement du texte est extrêmement juste, évoquant trois « lapsus» étatiques révélant une différenciation de la population juive permettant de structurer en creux la création d’une identité majoritaire blanche, européenne, et chrétienne. Est affirmé ensuite, également avec justesse, que la réaction de l’État suite aux attaques de janvier a été de mener l’offensive contre les Musulman-e-s (nous parlons de « Musulman-e-s » avec une majuscule, car il s’agit de tous ceux qui, sans être forcément religieusement musulman-e-s, sont renvoyés à cette identité ou se définissent comme tels), ceux-ci faisant depuis des années office de bouc émissaire. Continuant sur sa lancée, Houria Bouteldja dénonce le manque de clarté de la gauche face au racisme. Celle-ci rencontre en effet des difficultés à le considérer comme structurel à la société française, ce qui l’amène à une fausse contradiction entre lutte contre l’islamophobie et lutte contre l’antisémitisme.
Jusque-là, nous ne pouvons qu’être plutôt en accord avec Houria Bouteldja, mais les choses se gâtent rapidement. D’abord, contredisant le constat fait plus haut que l’antisémitisme comme l’islamophobie sont nécessaires à la définition d’une identité majoritaire, elle refuse toute « fausse symétrie » qui consisterait à se positionner à la fois contre l’un et contre l’autre. Pourtant, si l’on part de ce constat, le moyen le plus évident de combattre le racisme serait de briser cette fonction
sociale, et cela ne peut être fait du point d’une seule minorité (auquel cas on est dans la demande d’intégration) mais dans la coordination des différents fronts antiracistes.
Ayant démontré que l’antisémitisme était structurel, Houria Bouteldja change brutalement son fusil d’épaule. En effet, l’antisémitisme ne viendrait pas de l’État. Dans un autre registre, l’exemple du sexisme nous prouve pourtant que la multiplication de discours étatiques, médiatiques, ou politiques pour condamner une discrimination n’équivaut pas à une lutte réelle et efficace contre celle-ci, et encore moins à sa disparation.
Pas plus que de l’État, l’antisémitisme selon Houria Bouteldja ne vient que marginalement de la majorité nationale ou de l’extrême droite « classique » (pour notre part, nous considérons que cet antisémitisme est loin d’être marginal, surtout au regard des explications développées plus haut), mais surtout des Musulman-e-s, considérés de manière homogène. On est ici dans le calque d’un discours nationaliste classique, c’est-à-dire niant toute contradiction de classe ou idéologique au profit d’une unité nationale fantasmée (paradoxalement, Houria Bouteldja est ici bien plus proche du nationalisme sioniste qu’elle ne veut bien l’admettre). Mais justement, homogènes, ceux-ci ne le sont pas.
De même que la société dans son ensemble, les minorités ont une histoire et sont traversées de contradictions sociales, de classe et idéologiques. L’antisémitisme qu’on peut trouver chez les Musulman-e-s est à la fois la reproduction plus ou moins fidèle de celui (soi-disant marginal) qu’on trouve dans la majorité nationale dont le côté pseudo anti-système facilite l’implantation au sein du prolétariat ; le produit d’une frange des Musulman-e-s qui le diffuse pour apporter du soutien extérieur à des régimes et groupes réactionnaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (dont elle est dépendante) ; et l’héritage d’une politique menée par la France à l’époque coloniale visant à diviser les populations du Maghreb entre Musulman-e-s et Juif-ve-s. Face à elle, d’autres groupes sociaux existent et mènent un combat idéologique, que ce soit la « beurgeoisie » en voie d’intégration institutionnelle, les travailleurs Musulman-e-s qui s’organisent dans les syndicats, etc.
Il en est de même au sein de la minorité nationale juive. L’islamophobie et le racisme anti-arabe qu’on peut y trouver est à la fois la reproduction plus ou moins fidèle de celui qu’on trouve dans la majorité nationale ; le produit d’une frange des Juif-v-e-s qui le diffuse pour apporter un soutien extérieur au colonialisme israélien ; et l’héritage d’une politique menée par la France à l’époque coloniale visant à diviser les populations du Maghreb entre Musulman-e-s et Juif-ve-s. Face à elle, d’autres groupes sociaux existent et mènent un combat idéologique, que ce soit la bourgeoisie juive républicaine légitimiste, les travailleurs et travailleuses Juif-ve-s qui s’organisent dans les syndicats, etc.
Une fois posé ce point, la suite du discours d’Houria Bouteldja s’effondre d’elle-même. Refusant de voir cette histoire et ces contradictions, elle en déduit que l’antisémitisme serait une conséquence du système raciste à l’encontre des Musulman-e-s (seule explication restante si on nie les contradictions internes à cette minorité sans tomber dans une explication raciste-culturaliste). Et explique que si cette réaction vise la minorité juive spécifiquement, c’est en raison d’un traitement préférentiel que l’État accorderait aux Juif-ve-s. Suivant jusqu’au bout cette logique faussée, la meilleure manière de lutter contre l’antisémitisme serait de lutter contre ce traitement (appelée ici « philosémitisme », on n’est pas loin du «privilège juif »), notamment contre la « religion civile » (ici aussi, on est n’est pas loin de la « pornographie mémorielle » ou du « Shoah business ») que serait la Shoah. Pour notre part, nous ne pensons pas qu’on lutte contre le racisme en s’attaquant aux victimes de celui-ci. Juifs et Juives révolutionnaires, nous entendons mener le combat sur plusieurs fronts :
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Contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne
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Contre tous les racismes, aux côtés des autres minorités nationales, seul moyen de déconstruire le système raciste
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Contre les idéologies réactionnaires au sein de notre groupe national
– juifs et juives révolutionnaires
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Pour l’autodéfense antiraciste
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Pour l’unité des opprimé-e-s
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Pour la révoution sociale
en pdf couleur : http://www.fichier-pdf.fr/2015/03/15/la-politique-du-pir-e-1/la-politique-du-pir-e.pdf
« à propos du racisme (et de l’essentialisme) du parti des indigènes de la république (P.I.R) » ! ! ! !
Quel beau sous-titre, qui en dit long sur les arrière-pensées des auteurs de ce pamphlet ! Déjà, la moindre des choses aurait été de donner le lien permettant de connaître la position du PIR autre que les interprétations qui en sont faites ici.
http://indigenes-republique.fr/racisme-s-et-philosemitisme-detat-ou-comment-politiser-lantiracisme-en-france-3/
On y aurait vu que le PIR non seulement n’est pas raciste, mais condamne TOUS les racismes, même s’il fait une distinction entre eux en fonction de leur histoire. Ce que font aussi les « juifs et juives révolutionnaires » avec leur fixette sur l’antisémitisme.
« Notre groupe s’est créé en raison d’un manque de prise en compte de l’antisémitisme dans le milieu révolutionnaire. » Rien que de lire ça montre le sérieux de ces communautaristes « révolutionnaires », alors que tout le monde sait très bien qu’aussi bien l’Etat que la classe politique et que les médias ne parlent QUE de l’antisémitisme, récupéré pour créer un antiracisme d’Etat destiné à occulter tous les autres. Voir :
Protestation devant les libertaires d’hier sur leur capitulation devant la pensée dominante et l’union sacrée
https://nantes.indymedia.org/articles/31214
C’est plutôt cocasse de voir ces gens-là parler du « racisme » et de l’« essentialisme » des autres, tout en employant des formules comme « minorité nationale juive », « notre groupe national », qui nous rappellent fâcheusement celles des stals illuminés de l’ex-Hapoel !
A l’inverse, les antiracistes, eux, ont une appréciation totalement différente du PIR et luttent avec lui contre le racisme :
Plus que jamais, il faut combattre l’islamophobie
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/15/plus-que-jamais-il-faut-combattre-l-islamophobie_4557269_3232.html
http://www.ujfp.org/spip.php?article3773
http://indigenes-republique.fr/plus-que-jamais-il-faut-combattre-lislamophobie-tribune-a-lire-de-toute-urgence/
http://www.politis.fr/Le-Monde-Debats-Tribune,29716.html
« […] s’engage dans une voie dangereuse, celle d’accuser les critiques de Charlie Hebdo d’être, plus ou moins directement, responsables des morts du 7 janvier. Ecoutons Jeannette Bougrab, ancienne secrétaire d’Etat sous la présidence de Nicolas Sarkozy : « A force de les pointer du doigt, de dire qu’à Charlie Hebdo ils sont des islamophobes, qu’ils détestent l’islam (…). Je pense aux Y’a bon awards et aux Indigènes de la République, bien sûr qu’ils sont coupables. Je le dis et j’assume mes propos. »
Ce type d’argument est régulièrement développé par l’essayiste Caroline Fourest. Il a été repris dans une tribune du Monde (9 janvier) par Christophe Ramaux, qui insiste sur la responsabilité des organisateurs et des participants – du Parti des indigènes de la République à Politis, en passant par Edwy Plenel et Attac – à un colloque, le 13 décembre 2014, contre l’islamophobie (auquel Ramaux n’a visiblement pas assisté).
Ces attaques cherchent à nous enfermer tous dans des choix binaires (pour Charlie Hebdo ou pour les terroristes), à criminaliser ceux qui se mobilisent contre l’islamophobie, ceux qui ont critiqué l’hebdomadaire satirique, en les traitant de complices des assassins. Elles reviennent à refuser le droit à la critique, ce qui est pour le moins paradoxal venant de ceux qui s’érigent en défenseurs de la liberté d’expression, sans limites ni frontières. Ainsi nous serions responsables des morts de ce mois de janvier ? Que faut-il dire alors des intellectuels et des journaux qui ont soutenu l’intervention américaine de 2003 en Irak, qui a provoqué des dizaines de milliers de morts ? […]
L’autre débat porte sur l’existence et l’ampleur de l’islamophobie en France (et plus largement en Europe). Avant même l’attaque contre Charlie Hebdo, on assistait à la multiplication d’actes islamophobes ; ceux-ci se sont accrus depuis. C’était le sens de la réunion internationale du 13 décembre 2014 à Paris (et simultanément à Londres, Amsterdam et Bruxelles). Elle se tenait à un moment où le concept d’islamophobie a fini par s’imposer, comme le soulignait le dernier rapport du Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Que signifie-t-il ? L’accusation d’islamophobie ne vise pas ceux qui critiquent la religion, mais ceux qui attribuent aux musulmans une « identité » qui découlerait du Coran, qui en font un groupe homogène et porteur d’un projet cohérent visant nos institutions, nos valeurs. […]
Plus nombreux seront les antiracistes qui se joignent à ces mobilisations, plus il sera clair que nous ne sommes pas engagés dans un conflit identitaire, religieux ou culturel mais politique. Nous produisons un espoir face à tous les fabricants de désespoir. Nous mettons en garde, avec l’Union Juive Française pour la Paix, contre l’essentialisation des juifs et insistons sur le caractère politique, colonial et non confessionnel du conflit israélo-palestinien.
Nous ne défendons pas les musulmans, mais l’avenir de la société française dans sa diversité. Nous représentons un espoir que nos détracteurs risquent de détruire. L’essentiel est d’assurer l’égalité entre tous. « L’égalité ou rien », proclamait l’intellectuel américano-palestinien Edward Said.
Cette tribune est l’oeuvre d’un collectif : Saïd Bouamama, porte-parole du Front uni des immigrations et des quartiers populaires ; Houria Bouteldja, membre du Parti des indigènes de la République ; Ismahane Chouder, coprésidente du collectif féministe pour l’égalité ; Alain Gresh, journaliste ; Michèle Sibony, porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix, Denis Sieffert, directeur de Politis.
Tous des racistes ?
avis aux minoritaires nationaux, et a la petite bourgeoisie du PIR
Merci autant les un-es et les autres pour toutes vos interventions,tribunes,chroniques, passage a la télé ;vous reussissez a faire passer des concepts qui etaient impensables a mon époque .
J ai bien tenté avec mes potos nationalistes revolutionnaires,mais la vous faites plus fort.
Je savais bien qu il fallait etre attentif à la gauche de la gauche,merci grace a vous mes reves deviennent realité.
Dommage que j ai sauté (pas de joie)avec ma voiture un jour de 1978,je me serais bien vu vous conseiller,pour que la haine continue a se diffuser.
bien a vous et bonjour chez vous
francois duprat
Non seulement le PIR est DANS SON INTITULÉ MÊME un parti ouvertement raciste – sur quels critères définir les « Indigènes », sinon sur des critères ethniques qui sont par définition racistes ? – mais le groupe de « Juifs » qui a pondu ce texte est dans la même logique : c’est quoi, un « Juif »? Même question d’ailleurs pour « un Chrétien », ou « un Musulman », ou un « Bouddhiste », ou un « animiste ». Il n’y a que les athées qui soient clairement définissables…
« On est ici dans le calque d’un discours nationaliste classique, c’est-à-dire niant toute contradiction de classe ou idéologique au profit d’une unité nationale fantasmée ».
Ça, c’est sûr que dès qu’on parle de « la minorité nationale juive », on est dans ce cadre-là ! À partir du moment où on définit une « minorité » par son adhésion – ou pas ! – à une religion, on est clairement dans la « négation des contradictions de classe » et dans « l’unité fantasmée »! Autrement dit : le PIR et les auteurs de ce texte qui entendent le dénoncer sont idéologiquement sur le même terrain !
La seule réponse à ce faux terrain, pourri à l’avance, c’est justement de rester sur un terrain de classe : sur ce terrain-là, les questions de religion n’ont aucune importance, puisque ce qui unit les prolétaires, ce sont les intérêts réels de leur classe, et pas l’idéologie de leurs exploiteurs. Et l’idéologie religieuse est bel et bien une forme d’idéologie dominante, et rien d’autre !
« Très logiquement, alors qu’il appelle, par exemple, à s’interroger sur la compatibilité entre l’islam et la démocratie, Manuel Valls refuse l’utilisation du mot “islamophobie”. Contribuant d’un côté à attiser la suspicion à l’égard des musulmans, il leur refuse de l’autre l’un des instruments essentiels pour lutter contre la stigmatisation qu’ils subissent : le mot pour la désigner. »
http://lmsi.net/A-propos-de-l-islamophobie
L’annonce par le gouvernement d’un nouveau plan de « lutte contre le racisme » accompagné d’un budget de 100 millions d’euros sur trois ans a fait sourire bien des militantes et militants des luttes de l’immigration et des quartiers populaires. Le même premier ministre et le même gouvernement qui autorise la Rromophobie par sa thèse culturaliste sur « l’inintégrabilité des Rroms », prétend être antiraciste. Le même gouvernement qui dans son instrumentalisation du « Je suis Charlie » a autorisé allègrement l’islamophobie, voudrait nous faire croire qu’il est déterminé à lutter contre le racisme. Pourtant l’heure n’est pas au sourire.
Derrière ce nouveau plan se cache, selon nous, une offensive idéologique dangereuse visant à imposer par en haut une hiérarchisation « des racismes », à réduire le racisme à une dimension individuelle et apolitique, à imposer une criminalisation de l’antisionisme en l’amalgamant à l’antisémitisme.
Provocation
La nomination d’un nouveau « délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme » en charge de la mise en œuvre du nouveau plan, se réalise d’emblée sur le ton de la provocation. La première déclaration du nouveau DILCRA, Gilles Clavreul pose d’emblée une négation de l’islamophobie qui est amalgamée au « racisme anti-arabe » d’une part et une mise en exceptionnalité de « l’antisémitisme » d’autre part : « Tous les racismes sont condamnables, mais le racisme anti-Arabe et anti-Noir n’a pas les mêmes ressorts que l’antisémitisme dans sa violence. Il faut être capable de dire la particularité de l’antisémitisme. » (1)
La négation et/ou la sous-estimation et/ou l’euphémisation de l’islamophobie et la construction d’une « exceptionnalité » de l’antisémitisme constituent les deux segments articulés d’une offensive poursuivie de longue date mais qui est dotée aujourd’hui de nouveaux moyens. On retrouve cette logique dans l’expression consacrée de « lutte contre le racisme et l’antisémitisme » qui s’est banalisée à force d’être assénée par les appareils idéologiques d’Etat. Comme le souligne justement la brigade antinégrophobie : « l’appellation même de lutte contre le racisme et l’antisémitisme crée une hiérarchie symbolique. D’un côté l’antisémitisme, de l’autre un ensemble où tout est mélangé… C’est une profonde négation de la spécificité des racismes. Soit on gomme les différences pour tous, soit on les reconnaît pour tout un chacun. » (2)
La même logique est présente dans les propos de Valls lors de son discours du 13 janvier à l’Assemblée nationale : « les Français juifs ne devaient plus avoir peur d’être juifs » et « les Français musulmans ne devaient plus avoir honte d’être musulmans ». Aux uns la « peur » et aux autres « la honte ». Que ce soit de manière consciente ou non (le résultat est exactement le même), ces propos nient ou relativisent la « peur » des musulmans devant la montée sans précédents des actes et agressions islamophobes. Ils posent également une réalité inexistante, la soi-disant « honte d’être musulman ». Que le premier ministre se rassure, nous n’avons rencontré aucun musulman ayant honte de l’être. Il n’y a que ceux qui pratiquent des islamalgames qui peuvent penser à l’existence d’un sentiment de « honte ».
Si la thèse n’est pas nouvelle, l’arrogance dans son affirmation par l’Etat l’est. Elle révèle une volonté d’imposer par tous les moyens, de l’idéologique au répressif, une hiérarchisation « des racismes ».
Négation
Les propos du nouveau délégué interministériel portent également une négation de certains termes : islamophobie et négrophobie. Le choix des termes « racisme anti-Arabe » et « anti-Noir » n’est bien entendu pas neutre. Il constitue en premier lieu le refus d’utiliser les termes que les premiers concernés ont choisis pour désigner la réalité des discours et actes qu’ils subissent. Il suffit de lister le nom de quelques organisations militantes agissant sur cette question pour s’en convaincre : « Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie (CRI), Brigade Anti-Négrophobie (BAN), Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), etc. Nous aurions tort de ne considérer cette question que comme une question sémantique. En délégitimant le mot usité par ces militants c’est cette forme spécifique du racisme que l’on refuse de prendre en compte. Comme le souligne l’historien Nicolas Lebourg « la récusation de l’usage du terme […] revient à nier l’existence de cette nouvelle incrimination d’une « race de l’esprit », à ne pas admettre la nouvelle mutation de « l’altérophobie « . (3)
Les tentatives d’invalider le mot pour nier la réalité qu’il représente ne sont pas nouvelles. Alors que le terme remonte au début du vingtième siècle , une Caroline Fourest affirme faussement qu’il est issu des « mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de “mauvaises musulmanes” en les accusant d’être “islamophobes ” ». (4) Peu importe l’erreur et/ou le mensonge cette explication est diffusée largement dans les médias dominants et dans le discours politique. Cette diffusion contribue à la construction de la réalité sociale et politique dans le sens d’une opposition à la reconnaissance et donc à la prise en compte de l’islamophobie : « Cette erreur factuelle a pourtant été reprise abondamment, comme s’il s’agissait d’une vérité historique. Ainsi, un grand nombre d’acteurs présents dans les médias réfutent l’utilisation du terme, l’accusant d’être en réalité une injonction à interdire le blasphème. » (5)
Dans la même veine l’irremplaçable Pascal Brückner, qui considère également que le terme est forgé en Iran « à la fin de la décennie 70 », accuse le mot de « légitimer la réalité d’une offensive intégriste en Europe, d’attaquer la laïcité en l’assimilant à un nouveau fondamentalisme, et de faire taire les musulmans qui osent remettre le Coran en cause, qui en appellent à l’égalité entre les sexes, au droit à l’apostasie et aspirent à pratiquer paisiblement leur foi sans subir le diktat de doctrinaires ou de barbus ». (6) Une nouvelle fois les médias se font largement l’écho de cette affirmation sans fondement avec en conséquence le réflexe pavlovien consistant à déclencher la question « et le droit au blasphème ? » (Ou « et la laïcité ? » ou encore « et le droit des femmes ? »), dès qu’une personne ose prononcer le terme d’islamophobie. C’est cela la construction idéologique de la réalité et celle-ci est partie intégrante des luttes sociales.
La question n’est donc plus sémantique ou scientifique compte tenu de cette offensive visant à nier le réel en niant un terme qui le désigne. Elle est devenue politique par un double processus : de diabolisation du mot par les discours politiques et médiatiques dominant, de réappropriation du terme par les premiers concernés. Que des militants se réclamant du progressisme et de l’antiracisme continuent à récuser le terme souligne simplement qu’ils sont désormais irrigués par l’idéologie dominante. Marine le Pen a une nouvelle fois un boulevard devant elle : « Il n’y a pas d’islamophobie en France. Il n’y a pas d’actes antimusulmans – ou pas plus que les actes contre les femmes… ou les personnes de petite taille. Mais il y a une augmentation de l’antisémitisme. » (7)
Outre la banalisation scandaleuse des violences systémiques faites aux femmes, Marine le Pen dit ici explicitement, ce que d’autres avance de manière masquée c’est-à-dire la négation de l’islamophobie et la mise en exceptionnalité de l’antisémitisme
Réduction
La réalité étant têtue, il n’est pas possible de nier entièrement les violences faites aux musulmans. Il convient dès lors pour nier le réel de le nommer autrement c’est-à-dire de le réduire à un « racisme anti-Arabe » pour reprendre l’expression du délégué interministériel. Ce réductionnisme est une négation de l’historicité des différentes formes de racisme et en particulier le passage récent d’un marqueur ethnique à un marqueur religieux. Ce n’est pas la première fois que nous assistons à un transfert de marqueurs. Frantz Fanon a ainsi été un des premiers à alerter sur la mutation du racisme biologique en racisme culturaliste. (9)
Le réductionnisme au vieil antiracisme anti-Arabe conduit à l’invisibilisation des causes de la montée contemporaine de l’islamophobie :
la justification de guerres pour le pétrole et les matières premières par des arguments culturalistes : droit des femmes, lutte contre l’obscurantisme et/ou le terrorisme ;
les explications tout aussi culturalistes des problèmes politiques et sociaux de la société française en général et de ceux des populations issues de l’immigration en particulier : intégration insuffisante pour les uns et inintégrabilité pour les autres, « incompatibilité de l’Islam et de la république », etc. ;
l’autorisation étatique à l’islamophobie depuis la loi sur le foulard de 2004 et ensuite par les discours sur « la laïcité menacée », « le droit des femmes menacé », « la république menacée », « l’identité nationale menacée », etc.
Il mène également à masquer le processus de construction d’un « ennemi de l’intérieur ». Le vieux racisme anti-Arabe était, en effet, référé à la notion d’étrangers et/ou d’immigrés. Le nouveau racisme englobe désormais la réalité nouvelle que constitue l’existence de français depuis plusieurs générations ayant un marqueur réel ou supposé musulman. Le rêve intégrationniste (c’est-à-dire en fait assimilationniste) posant la disparition de l’altérité ayant échoué, la stigmatisation a besoin d’un nouveau marqueur. Ce marqueur recouvre en effet une partie importante de la population française susceptible de se révolter socialement en raison de leurs conditions d’existences marquées par l’inégalité et les discriminations. Il recouvre également une population caractérisée par une sensibilité exacerbée à la question palestinienne comme l’ont mise en évidence les manifestations massives de l’été 2014 dans lesquelles les jeunes issus de l’immigration étaient de loin majoritaires. Il recouvre enfin une population susceptible par son histoire et sa mémoire d’une prise de conscience plus rapide que d’autres du rôle impérialiste de la France dans le monde.
Le processus de construction d’un « ennemi de l’intérieur » n’est pas nouveau mais l’affirmation de son existence avérée s’est déployée depuis 2012 et a été consacrée par l’instrumentalisation de l’émotion suscitée par les attentats de janvier. Valls affirme ainsi l’existence de cette « cinquième colonne » devant le syndicat « Alliance Police Nationale » dès octobre 2012 :
« La menace terroriste est bien là, présente sur notre sol (…), en particulier dans nos quartiers populaires. Des dizaines d’individus sont, par leurs profils, susceptibles de passer à l’acte. Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre. [ …] La menace terroriste est désormais le fait de Français nés sur notre sol (…) qui ont versé dans l’islamisme radical et qui ont suivi un processus qui mêle délinquance, criminalité, antisémitisme virulent et soif de violence » (10)
La mise en place de lois liberticides et la pression policière sur les quartiers populaires et leurs habitants sont les premières conséquences de cette production d’un « ennemi de l’intérieur ».
Injonction
Une offensive idéologique par la classe dominante se traduit toujours par tentative de restriction du champ des comportements et des opinions légitimes. L’offensive nationaliste avant la première guerre mondiale par exemple s’est traduite par une tentative d’interdire les opinions et comportements internationalistes refusant la guerre en préparation. L’offensive colonialiste de la conquête à la guerre d’Algérie s’est traduite pour sa part par une tentative de restriction des opinions et comportements anticoloniaux. Le degré de traduction de la tentative dans les faits est fonction du rapport de forces. Selon celui-ci, elle peut aller de la diabolisation par les appareils d’Etat à la répression et à la criminalisation. Elle commence donc toujours par l’imposition d’injonctions pour se transformer ensuite en délit d’opinion puis en répression ouverte. Il est donc essentiel de repérer les injonctions qui se font jour dans le discours politique et médiatique dominant.
La première injonction est celle de la dénonciation de l’antisémitisme à la moindre prise de parole sur le racisme. Alors qu’il est légitimement fréquent dans les médias ou le champ politique, de discourir sur l’antisémitisme, de débattre sur ses causes, de le dénoncer, de mener des campagnes de sensibilisations, etc., sans faire aucune référence aux autres formes du racisme en général et à l’islamophobie en particulier, l’inverse n’est pas vrai. Toutes les prises de parole concernant l’islamophobie sont mises en demeure d’ajouter l’expression « et l’antisémitisme ». Le refus d’ajouter ce bout de phrase est immédiatement suspecté d’antisémitisme caché. C’est ainsi que des manifestations contre l’islamophobie ou la Rromophobie se sont transformées en manifestation contre « l’islamophobie et l’antisémitisme », « la Rromophobie et l’antisémitisme », etc.
La seconde injonction est celle de se démarquer des fractions de la résistance palestinienne se définissant comme « musulmane » en général, du Hamas et du Djihad islamique en particulier. Ces organisations résistantes sont réduites à leur dimension religieuse afin de les exclure du soutien « légitime » et « acceptable ». La dimension centrale de lutte de libération nationale que portent avec d’autres ces organisations est entièrement niée par cette injonction. Le résultat est ici aussi une mise en suspicion. Le refus de condamner ces organisations suffit à être accusé « d’islamiste ». C’est de cette manière que le soutien massif à la résistance palestinienne des jeunes issus des quartiers populaires est réduit à une affirmation religieuse porteuse de dangerosité. La mise sous surveillance des « classes dangereuses » qui habitent les quartiers populaires apparaît dès lors comme nécessaire, incontournable et indiscutable.
Ces injonctions convergent pour produire progressivement un amalgame entre antisionisme et antisémitisme ayant comme débouché la criminalisation du soutien au peuple palestinien. « L’antisionisme est la forme contemporaine de l’antisémitisme » entend-on ainsi de plus en plus fréquemment dans des écrits à prétention savante, des propos de journalistes ou des déclarations d’hommes politiques. Les tentatives de déconstruire ces processus idéologiques sont immédiatement catalogués d’antisémites ou de révéler une croyance en une quelconque théorie du complot. Il n’y a pourtant pas besoin de croire en un « complot juif mondial » ou en un « attachement absolue » à l’Etat d’Israël pour comprendre ce « philosémitisme d’Etat » pour reprendre l’expression d’Houria Bouteldja (11). Il suffit pour cela de prendre en cause la base matérielle de ce soutien : les intérêts de l’impérialisme français dans la région et plus globalement de toutes les puissances impérialistes. Comme le colonialisme portugais ou comme l’Afrique du Sud hier, Israël est un outil de gestion des intérêts impérialistes dans la région.
S’opposer à l’offensive idéologique actuelle et à ses injonctions est en conséquence une nécessité essentielle.
Notes
1. Gillez Clavreul, la valse antiraciste, http://www.liberation.fr/societe/20…, consulté le 21 avril à 11 h 30.
http://rue89.nouvelobs.com/2012/10/…, consulté le 21 avril à 12 h 00.
Nicolas Lebourg, Taubira « guenon », montée du FN et islamophobie : qu’est-ce que le racisme exactement ?, http://leplus.nouvelobs.com/contrib…, consulté le 21 avril à 15h15.
Hajjat A. & Mohammed M., Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman, Paris, La Découverte, 2013.
Fourest C. & Venner F., « Islamophobie ? », Pro Choix, n° 26 27, dossier « Islamophobes ? Ou laïques ! », Automne hiver 2003.
Houda Asal, Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. État des lieux de la recherche, Sociologie, n° 2014/1, pp. 13-29.
Pascal Brückner, L’invention de l’islamophobie, Libération du 23 novembre 2010.
Marine le Pen, Financial Times, 5 mars 2015.
Frantz Fanon, Racisme et Culture, Pour la révolution africaine, La Découverte poche, 2001.
Terrorisme : Valls met en garde contre « l’ennemi intérieur », http://tempsreel.nouvelobs.com/soci…, consulté le 21 avril 2015 à 17 heures.
Houria Bouteldja, Racisme (s) et philosémitisme d’Etat ou comment politiser l’antiracisme en France ?,http://indigenes-republique.fr/raci…, consulté le 21 avril à 18 h.
https://bouamamas.wordpress.com/2015/04/25/la-construction-etatique-dune-hierarchisation-des-racismes/
sous prétexte de lutte antiraciste ou anti-islamophobie, est il convenable de s’allier avec des gens défendant des formes d’oppressions s’agissant des femmes, des LGBTI ou de toute autre catégorie de la population victime aussi de racisme ou de discriminations ?
à lire ci dessous :
http://www.streetpress.com/sujet/74580-plus-forts-que-frigide-barjot-les-indigenes-de-la-republique-denoncent-l-imperialisme-gay#
Plus forts que Frigide Barjot, les Indigènes de la République dénoncent l’« impérialisme gay »
« Le mariage pour tous ne concerne que les homos blancs »
Extrême gauche | Contre enquête | par Robin D’Angelo | 6 Février 2013
L’homosexualité, invention occidentale imposée à l’Afrique et au Maghreb, via un « impérialisme des modes de vie »? C’est la thèse qui se développe dans une partie de l’extrême gauche, alors que la France débat du mariage homo. Fli
C’est une idée en vogue dans les milieux anti-impérialistes : Si le mariage pour tous n’a pas la cote dans « les quartiers populaires », c’est parce que ses habitants – descendant en majorité de « colonisés », ne seraient pas sensibles à cette idée occidentale.
Petit livre vert Alors que toute la France débat du mariage homo, StreetPress vous signale la parution d’un essai qui vient apporter de l’eau au moulin à cette surprenante théorie : « Les féministes blanches et l’empire » (link is external), signé Stella Magliani-Belkacem et Félix Boggio Ewanjé-Epée, aux éditions La Fabrique. Un petit livre vert (110 pages) dans lequel les deux auteurs affirment que « l’homosexualité, comme identité » est « une notion » occidentale qui n’est pas adaptée au monde arabe et africain. Et par « analogie », pas adaptée non plus à ceux qui en sont issus : les habitants des « quartiers populaires ».
Vous avez peut-être aperçu Stella Magliani-Belkacem à l’université d’été du Front de Gauche, ce mois d’août à Grenoble où elle était à la tribune pour s’exprimer sur « l’anti-racisme et le mutliculturalisme ». Félix Boggio Ewanjé-Epée – essayiste précoce puisqu’il n’a que 22 ans – est, lui, un ancien du NPA. Mais c’est surtout grâce à leurs activités dans le monde de l’édition qu’ils bénéficient d’une notoriété certaine dans le milieu anti-impérialiste. La paire a coordonné la rédaction du recueil Nous sommes les Indigènes de la République (Ed. Amsterdam, 435 p) du mouvement du même nom. Stella Magliani-Belkacem est secrétaire d’édition dans la maison d’édition La Fabrique d’ Eric Hazan.
Devant son expresso dans un bistrot de la rue de Belleville, Félix Boggio Ewanjé-Epée résume le leitmotiv du chapitre consacré à la question LGBT de son essai:
« Dénoncer la tentative de faire de l’homosexualité une identité universelle qui serait partagée par tous les peuples et toutes les populations. »
« Une tentative » relayée dans les pays anciennement colonisés par « les ONG et l’Onu avec un discours d’inscription des droits sexuels qui institutionnalise l’homosexualité telle qu’elle est définie en Occident. »
Mais aussi dans « les quartiers populaires. » Les auteurs de s’en prendre à Fadela Amara qui avait appelé dans une interview à Têtu à l’émergence « d’un mouvement gay dans les quartiers. »
L’homosexualité, comme identité, ne serait pas adaptée aux habitants des quartiers populaires
Magliani-Belkacem et Boggio Ewanjé-Epée ont coordonné le livre Nous Sommes Les Indigènes de la République
Félix Boggio Ewanjé-Epée, Stella Magliani-Belkacem et leur petit livre vert
« Mission civilisatrice » La question de « l’homonationalisme » n’est pas nouvelle. En juin 2010 à la Gay Pride de Berlin, c’est même l’égérie du mouvement queer Judith Butler (link is external) qui s’était alarmée que la cause LGBT ait été « enrégimentée dans un combat nationaliste et militariste. » En cause, « l’exotisation » de l’homophobie : Les banlieues des grandes métropoles et les pays africains et musulmans sont accusés de concentrer les homophobes. Le mouvement LGBT s’inscrirait alors dans une nouvelle « mission civilisatrice » contre « les jeunes de banlieue » et plus généralement « les cultures non-occidentales. »
Import / Export Mais ce que dénoncent aussi les théoriciens de l’anti-impérialisme de La Fabrique, c’est que l’homosexualité est imposée comme identité dans des contrées où elle n’existerait pas. « Dans la tradition des identités arabes par exemple, cette notion-là a été importée », justifie Félix. Stella ajoute elle que les « les conditions matérielles à l’émergence de ce qu’on appelle l’homosexualité ne sont pas forcément réunies dans ces espaces. »
« C’est une question d’organisation de la famille et de la société. »
Ils ne nient pas la réalité de « pratiques homo-érotiques » mais minimisent l’existence « d’un mode de vie homosexuel ». Un raisonnement qui vaut « par analogie » dans « les quartiers populaires. »
« impérialisme gay » « Monde blanc », « homosexualité imposée », « impérialisme gay »… Jointe par StreetPress, Houria Bouteldja, boss des Indigènes de la République, reprend à son compte la théorie de l’essai qui lui est dédicacé. Mais celle qui est régulièrement invitée par Frédéric Taddéï dans « Ce soir ou jamais » va encore plus loin en affirmant que « le mode de vie homosexuel n’existe pas dans les quartiers populaires. Ce qui n’est pas une tare » :
« Le mariage pour tous ne concerne que les homos blancs. Quand on est pauvre, précaire et victime de discrimination, c’est la solidarité communautaire qui compte. L’individu compose parce qu’il y a d’autres priorités. »
Bouteldja, qui prépare un article de 7 pages sur le sujet, d’ajouter que le choix de l’homosexualité est un luxe :
« C’est comme si on demandait à un pauvre de manger du caviar. »
Autant d’arguments qui expliquent pour Stella Magliani-Belkacem que « le mariage pour tous n’est pas une revendication portée dans les quartiers populaires. » Bouteldja insiste :
« L’impérialisme, ce n’est pas seulement militaire et économique. C’est aussi par les modes de vie. »
Un discours dangereux Joint par StreetPress, Johan Cavirot, administrateur du Refuge, une association qui loge les jeunes victimes d’homophobie, s’inquiète des conséquences que peut avoir ce discours chez des « jeunes des cités » qui ont déjà du mal à s’identifier comme homosexuels :
« On leur met encore un poids. Ils vont encore plus se cacher, se renfermer, et ne pas s’assumer. C’est quand même chez les jeunes homos qu’on trouve les plus hauts taux de suicides. »
Il explique que 50% des jeunes qu’il reçoit dans son antenne francilienne sont issus des cités, « où il n’y a pas moins d’homos mais où ils sont plus cachés et dans le déni. »:
« Alors oui, le mot ‘‘homo’‘ n’existe pas en langue arabe. Soit. Mais à partir du moment où on couche régulièrement avec une personne du même sexe, on est homo, bi ou trans’ ! Ce n’est pas plus compliqué que cela ! »
Johan, qui vient du fin fond de la campagne, le Morvan « où les gays n’existent pas non plus », d’insister sur « l’importance de pouvoir mettre des mots sur ce que l’on est pour pouvoir s’accepter » :
« Quand ces jeunes viennent au Refuge, ils discutent avec d’autres personnes et s’aperçoivent qu’ils sont comme eux : homos. »
« Discours homophobe » Joint par StreetPress, le sociologue Daniel Welzer-Lang, spécialiste des questions de genre et d’ethnicisation, qualifie carrément « d’homophobe » le discours des Indigènes : « Dire que des personnes n’existent pas comme le fait Bouteldja, alors qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour les voir, c’est de l’homophobie. » Il met en garde contre des « définitions arrangées de manière très homophobes par les Indigènes » pour servir leur discours anti-impérialiste.
Avant de balancer les dossiers :
« Dans le cadre de mes recherches, j’ai même interviewé des membres de leur mouvement qui ont des frères ou des cousins homos dans des cités ! C’est juste absurde. »
Au Parti de gauche où Pascale Le Neouannic (link is external) est en charge du pôle LGBT, on s’agace aussi : « Il y a des relents d’homophobie derrière ce discours. Quelque part [on laisse entendre que] ce ne serait pas naturel. »
Pour l’élue Front de gauche qui se revendique aussi de l’anti-impérialisme, le débat sur le mariage pour tous en France retentit bien au-delà de l’Hexagone :
« Tous ces débats, les jeunes Algériens aussi veulent les avoir. C’est une bataille universelle. Il n’y a qu’à voir le nombre de jeunes issus du Maghreb qui suivent avec attention nos débats. C’est une soupape, un air frais »
Houria Bouteldja a écrit un texte où elle dénonce, avec raison le philosémitisme d’Etat. Ce texte lui a valu de nombreuses critiques dont celle du MRAP qui a trouvé son texte antisémite, ce qui me semble stupide et injurieux.
Pour mettre en peu d’ordre dans cette notion de philosémitisme, je vous envoie le texte suivant que je propose de mettre sur le site (UJFP).
Du philosémitisme d’Etat
Par Rudolf Bkouche
Le philosémitisme est une forme d’antisémitisme.
La philie comme la phobie conduit à mettre un groupe humain à part. Qu’on lui prête des qualités exceptionnelles ou qu’on le considère comme un ennemi du genre humain, il s’agit dans les deux cas d’enfermer un groupe humain dans une essence immuable, de le sortir de l’histoire et de le réduire à un mythe.
Mais la philie, en particulier lorsqu’elle est prise en charge par l’Etat, a d’autres enjeux, enjeux essentiellement politiques, dont le plus important est de diviser en fabriquant du ressentiment renforçant ainsi la concurrence des victimes.
C’est ce qui se passe avec le philosémitisme d’Etat tel qu’il se développe aujourd’hui.
Un phénomène comme le philosémitisme d’Etat a plusieurs causes et nous proposons ici d’analyser quelques unes d’entre elles.
D’abord le philosémitisme est une façon pour l’Europe de se débarrasser d’une part de son histoire, celle des persécutions antijuives. Ces persécutions ont commencé bien avant l’époque moderne, d’abord avec l’antijudaïsme chrétien, ensuite avec l’antisémitisme racial. L’antijudaïsme chrétien est né du conflit entre le judaïsme et le christianisme, conflit essentiellement religieux autour de la personne de Jésus. Ce conflit est devenu politique lorsque l’Empire Romain est devenu chrétien avec l’empereur Constantin. Mais l’attitude envers les Juifs était ambiguë dans la mesure où d’une part les Chrétiens reprochaient aux Juifs d’être le peuple déicide, celui qui a provoqué la condamnation à mort et l’exécution de Jésus, et d’autre part les Chrétiens considéraient les Juifs comme le peuple témoin, celui d’où est venu Jésus, celui qui, après avoir refusé le Christ, ralliera le Verus Israël [1] à la fin des temps, lors du retour glorieux du Christ sur terre comme l’indique Paul dans l’Epître aux Romains. C’est cela qui explique ce mélange de persécutions et de protection que l’on retrouve tout au long de l’histoire européenne. Cette double attitude se transformera avec la sécularisation du monde chrétien à l’époque moderne, d’abord avec l’humanisme de la Renaissance, ensuite avec les Lumières. La sécularisation va conduire à repenser la position des Juifs dans le monde européen, ce qui conduira à l’émancipation des Juifs, laquelle commencera à la fin du XVIIIe siècle et se poursuivra tout au long du XIXe siècle. Mais l’émancipation aura son revers avec le développement d’une nouvelle forme de haine des Juifs, l’antisémitisme, ainsi nommé dans la seconde partie du XIXe siècle par un journaliste allemand, Wilhelm Marr. Au contraire de l’antijudaïsme chrétien fondé sur un conflit religieux, l’antisémitisme invente une présumée race juive, laquelle constituerait un corps étranger en Europe. C’est donc au nom de la race que les Juifs sont rejetés, y compris ceux qui se convertissent au christianisme, le luthérianisme en Allemagne ou le catholicisme en France. On renvoie ainsi à une prétendue essence juive de laquelle tout Juif ne saurait se détacher.
L’émancipation a eu pour conséquence une certaine invisibilité des Juifs, ceux-ci se fondant dans la société, ce qui a conduit les antisémites à chercher à donner aux Juifs une visibilité sociale permettant de les reconnaître [2]. Pour cela les antisémites vont s’appuyer sur quelques figures de l’élite juive, parmi lesquels les banquiers. Ainsi se met en place le mythe de la Banque juive qui dominerait l’Europe, le symbole de cette domination étant la famille Rothschild. Cela conduira les antisémites à tirer deux conséquences. D’une part une identification du capitalisme et des Juifs ; ainsi les Juifs ont inventé le capitalisme pour dominer le monde ce qui permet d’oublier ce qu’est le capitalisme [3]. D’autre part, poussant cette identification à l’extrême, les antisémites verront dans tout Juif un riche. On peut voir dans cette relation supposée entre les Juifs et le capitalisme, la source de ce qu’on a appelé l’antisémitisme de gauche, une réaction quelque peu simpliste contre la naissance du capitalisme et plus généralement contre la modernité, ce que le marxiste autrichien Bebel appelait le socialisme des imbéciles. Ainsi Drumont, rappelant l’émancipation des Juifs par la Convention, explique dans La France Juive que ce sont les Juifs, bénéficiaires de la Révolution de 1789, qui l’ont fomentée. On ne peut pourtant réduire ce qu’on appelle l’antisémitisme de gauche à cette vision. A la fin du XIXe siècle, à l’époque des grandes manifestations antisémites en France, on verra des groupes d’extrême gauche qui, tout en condamnant la Banque juive, créeront des comités de secours pour accueillir les émigrés juifs fuyant l’antisémitisme et la misère de l’Europe orientale.
L’émancipation a permis à une partie de la société juive de s’intégrer dans la grande bourgeoisie européenne, ceux que Hannah Arendt appelle les “parvenus” ; c’est cette partie, dont la famille Rothschild, qui a conduit au mythe de la Banque juive et à l’identification des Juifs et des puissances d’argent, c’est cette bourgeoisie juive qui est la cible de Marx dans La question juive. Mais à côté des parvenus, Hannah Arendt définit les “parias”, ces Juifs héritiers de la Haskala [4], parmi lesquels de nombreux intellectuels juifs, souvent plus proches de la culture européenne que de la tradition juive, pour lesquels l’antisémitisme constituait un obstacle à l’entrée dans la vie européenne [5]. D’autres juifs résistaient à l’antisémitisme en s’engageant dans les mouvements révolutionnaires. Mais derrière toutes ces formes, l’idéal restait celui de l’intégration dans les pays européens. Sans oublier que la situation était différente suivant les pays, entre l’Europe Occidentale (Allemagne, Autriche, France, Grande Bretagne) et l’Europe Orientale (Russie, Balkans).
A l’opposé de ce désir d’intégration à l’Europe, un mouvement se dessinait en réaction à l’antisémitisme posant la question juive comme une question nationale, le mouvement sioniste, militant pour la construction d’un Etat juif. Mouvement laïc, le sionisme s’inscrivait dans la tradition de la Haskala et certains de ses membres manifestaient des tendances antireligieuses [6]. Dans les premiers temps du sionisme, la question du territoire de l’Etat juif restait indéterminée et l’une des composantes du sionisme, les territorialistes, cherchaient “une terre sans peuple pour un peuple sans terre”. Mais le sionisme allait rencontrer, à côté de la Haskala, une autre idéologie qui s’est développée en Europe à la fin du XVIIIe siècle, en partie en réaction contre l’universalisme des Lumières, l’idéologie de l’Etat-nation [7]. L’Etat s’identifiait à la nation, celle-ci s’appuyant sur la terre et la langue, ce qui renvoyait à l’histoire. Si la plupart des mouvements nationalitaires européens du XIXe siècle s’appuyaient sur ces trois éléments, la terre, la langue et une histoire relativement stable, il n’en était pas de même du nationalisme juif exprimé par le sionisme. C’est cela qu’exprimait Jacob Klatzkin, rédacteur en chef du journal du mouvement Die Welt :
“Dans le passé il y avait deux critères au judaïsme : celui de la religion, selon quoi le judaïsme est un système de commandements positifs et négatifs, et celui de l’esprit, qui considérait le judaïsme comme un complexe d’idées, tel que le monothéisme, le messianisme, la Justice absolue, etc.
En opposition avec ces deux critères qui font du judaïsme une affaire de croyance, un troisième est maintenant apparu, celui d’un nationalisme conséquent. Selon lui, le judaïsme repose sur une base objective : être juif ne signifie pas l’acceptation d’une croyance religieuse ou éthique. Nous ne sommes pas plus une dénomination qu’une école de pensée, mais les membres d’une famille porteurs d’une histoire commune…
La définition nationale aussi exige un acte de volonté. Elle définit notre nationalisme sur deux critères : une association dans le passé et la volonté consciente de poursuivre une telle association dans le futur…
Elle refuse de définir le Juif comme quelque chose de subjectif, comme une foi, mais préfère le définir sur quelque chose d’objectif, sur la terre et la langue…” [8]
Mais langue et territoire n’existent pas pour la nation juive, et Klatzkin ajoute :
“Mais notre terre n’est pas la nôtre et notre langue n’est pas aujourd’hui la langue de notre peuple. Oui, ce sont là des accomplissements qui doivent être réalisés par notre mou¬vement national.”
Ainsi la renaissance de la nation juive impliquait une double conquête : conquête de la langue, ce sera l’hébreu moderne, conquête de la terre, ce sera la conquête de la Palestine. Quant à l’histoire, on la retrouvait dans la Bible que l’on peut lire comme le roman national du peuple hébreu.
Ainsi, dès qu’il s’exprime sous la forme du sionisme politique, le mouve¬ment national juif va s’enfermer dans une rationalité qui en marquera les limites ; le mouve¬ment de libération que veut être le sionisme va se donner comme objectif la constitution de l’Etat-nation avec comme priorité, le territoire, objectivité oblige, c’est-à-dire la conquête de la Palestine et la spoliation des Palestiniens.
Le sionisme était, à ses débuts, minoritaire parmi les Juifs. Parmi les premiers critiques du sionisme, les religieux qui considéraient que le retour en Palestine relevait de Dieu et non des hommes. Quant aux révolutionnaires, ils considéraient qu’ils devaient lutter dans leur pays pour l’émancipation du genre humain. Sans oublier une majorité de Juifs qui voulaient vivre là où ils habitaient. Mais le développement de l’antisémitisme allait renforcer l’idéologie sioniste et après la Seconde Guerre Mondiale et la Shoah, le sionisme apparaissait pour la majorité des Juifs comme le rempart contre l’antisémitisme et le nouvel Etat d’Israël comme le dernier refuge.
Les deux guerres mondiales allaient montrer que l’Europe des Lumières savait être barbare et que la culture était compatible avec la barbarie. En fait culture et barbarie ont su coexister au cours de l’histoire comme le rappelle Walter Benjamin dans ses Thèses sur l’Histoire :
“Car il n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie.” [9]
On peut considérer que, jusqu’en 1914, cette coexistence était invisible. La barbarie se développait lors des conquêtes coloniales dans des contrées lointaines et la vulgate renvoyait la barbarie moins aux armées “civilisatrices” qu’aux “Barbares” qui leur résistaient. Avec les deux guerres mondiales, la barbarie apparaît sur le territoire européen et comme l’explique Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme :
“Ce que le très chrétien bourgeois du XXe siècle ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc …, d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique” [10]
On pourrait ajouter aux propos d’Aimé Césaire que c’est parce que les Juifs ont été massacrés en Europe par des Européens qu’ils sont devenus des Blancs ; ce n’étaient plus des étrangers massacrés dans des contrées lointaines, mais des habitants de l’Europe massacrés en Europe par des Européens. Le génocide des Juifs en Europe allait leur conférer le droit au statut d’Européens et cette reconnaissance de leur européanité amenait un regard nouveau sur les Juifs. Georges Bernanos a exprimé cela d’une phrase terrible : “Après le massacre, on ne peut plus être antisémite”, phrase terrible au sens où il a fallu ce massacre pour reconnaître l’humanité des Juifs.
Mais l’Europe sait ne pas aller trop loin et restreindre la reconnaissance de ses crimes dans des limites raisonnables. Les Tsiganes, victimes d’un génocide perpétré en même temps que celui des Juifs [11], n’ont pas “bénéficié” du même “privilège”, mais cela renvoie à ce que l’on pourrait appeler le caractère théologique [12] du génocide des Juifs, caractère théologique qui s’inscrit dans le prolongement de l’antijudaïsme chrétien comme le montre, par exemple, l’usage du terme “holocauste”. Les Tsiganes étaient déjà chrétiens et le mépris dont ils font l’objet ne relevant pas de la théologie, le massacre dont ils ont été victimes frappe moins les esprits, d’autant qu’ils sont encore aujourd’hui des parias en Europe.
Quant aux crimes perpétrés dans les colonies, non seulement ils ne seront pas remis en question, mais ils continueront avec la répression contre les luttes de libération qui ont suivi la seconde guerre mondiale. Quant aux immigrés issus des anciennes colonies européennes, ils sont, avec leurs enfants, toujours l’objet de discriminations même si certains d’entre eux possèdent la nationalité des pays européens dans lesquels ils vivent. Exemple de cette discrimination, le numérotage des générations en France, une façon de rappeler qu’un enfant ou petit-enfant d’immigré, même s’il est français, ne l’est pas complètement.
Ainsi l’Europe sait choisir ses culpabilités.
A la question du massacre des Juifs s’ajoutera la question du sionisme.
Le sionisme, nous l’avons déjà dit, est un mouvement européen et pour les pères du sionisme, puisque les Européens rejetaient les Juifs, il fallait construire pour les Juifs un Etat européen hors d’Europe. Une fois choisie la Palestine comme territoire de l’Etat juif, il devenait pourtant nécessaire de chercher des alliés parmi les puissances européennes et par conséquent convaincre ces puissances de leur intérêt à soutenir le sionisme. C’est ainsi qu’on peut lire la phrase de Herzl présentant un Etat juif aux portes de l’Asie comme un bastion de la civilisation contre la barbarie. En contrepoint, une puissance comme la Grande Bretagne qui espérait, après la première Guerre mondiale, prendre le contrôle des territoires arabes de l’Empire Ottoman, un Etat juif, ou du moins une population juive européenne, au Moyen Orient ne pouvait que lui être utile, c’est le sens de la déclaration Balfour de 1917. Ainsi se mettait en place une alliance entre le sionisme et l’impérialisme britannique.
A la fin de la seconde Guerre mondiale, lorsque la Grande Bretagne, empêtrée dans ses alliances contradictoires, décidait de quitter la Palestine et de laisser la question à la nouvelle Organisation des Nations Unies, les deux grandes puissances de l’époque, les Etats-Unis et l’Union Soviétique, s’empressaient de soutenir le nouvel Etat d’Israël, espérant que celui-ci lui serait utile pour prendre le contrôle du Moyen-Orient arabe. L’Union Soviétique envoyait des armes au nouvel Etat tandis que les Etats-Unis, plus réservés, se partageaient entre le Président Truman, favorable à l’Etat d’Israël, et le Département d’Etat qui craignait que le nouvel Etat dont l’idéologie était à gauche rejoigne le camp soviétique. Ces deux puissances furent les premières à reconnaître le nouvel Etat. En fin de compte, Israël choisissait le camp occidental.
Nous ne reviendrons pas ici sur l’histoire des relations entre l’Etat d’Israël et les Etats européens. Disons cependant qu’Israël, conformément aux vœux des premiers sionistes, est considéré par les Etats de l’Union Européenne comme un Etat européen et que, lorsqu’on parle du soutien de l’Europe à Israël, il faut l’entendre comme un soutien à elle-même. On comprend que dans ce cadre les Palestiniens n’ont pas leur place. Tout au plus certains demanderont à l’Etat d’Israël de ne pas aller trop loin dans leurs actions contre les Palestiniens.
“Quel Européen pourrait, après la Shoah, contester à Israël son droit à l’existence ?” [13]
déclarait le philosophe Habermas dans un entretien avec le quotidien français Le Monde, comme si la question d’un Etat juif en Palestine ne concernait que les Juifs et l’Europe, comme si la question ne concernait pas les Palestiniens.
Ainsi se confortent les deux faces du philosémitisme européen, d’une part un sentiment de culpabilité envers les Juifs et d’autre part un soutien au sionisme.
On peut voir ici la double signification du philosémitisme européen, d’une part occulter l’antijudaïsme et l’antisémitisme européen, d’autre part soutenir ce bastion européen aux confins de l’Europe pour contenir la barbarie. Et on peut comprendre comment ce philosémitisme affiché a des répercussions à l’égard des populations arabes et musulmanes qui vivent en Europe.
Le terme “islamophobie” est ambigu dans la mesure où il est à la fois antimusulman et anti-arabe, mêlant à la fois un sentiment antireligieux et une idéologie raciste à l’encontre les Arabes, mais cette ambiguïté est liée à une classique confusion entre les Musulmans et les Arabes. On oublie que tous les Arabes ne sont pas musulmans et que la majorité des Musulmans dans le monde n’est pas arabe. Mais on sait que la phobie se moque des définitions et qu’elle relève essentiellement d’opinions plus ou moins infondées.
Si on s’en tient aux aspects politico-religieux, il faut rappeler que l’islamophobie européenne est ancienne. Il ne faut pas oublier que le conflit entre le monde chrétien et le monde musulman commence dès les origines de l’Islam, conflit entre le monde musulman et l’Empire Byzantin au Moyen Orient, conflit entre le monde musulman et l’Europe Occidentale avec l’islamisation de l’Espagne et des luttes qui vont durer jusqu’au XVIIe siècle avec le siège de Vienne par les Ottomans, sans oublier les Croisades qui marquent la volonté du monde chrétien de reprendre Jérusalem. Mais ces périodes de conflit sont aussi des périodes d’échanges culturels et diplomatiques [14]. Pendant qu’il combat les Sarrasins en Espagne, Charlemagne entretient des rapports diplomatiques avec Bagdad ; la Sicile de Frédéric Barberousse est un lieu de rencontre entre les trois religions monothéistes, et pendant la Reconquista espagnole, Tolède est un lieu de traduction en latin des auteurs arabes. La situation se transforme au XVIe siècle avec les débuts de la colonisation. L’Europe occidentale prendra peu à peu le contrôle de la rive sud de la Méditerranée et du Moyen Orient, ce qui contribuera à développer un ressentiment anti-européen de la part des Arabes [15] et ne sera pas sans laisser de traces dans le développement de l’islamophobie. Celle-ci se renforcera avec la décolonisation qui remet en question la domination européenne sur le monde arabo-musulman [16].
Cette islamophobie, qui plonge ses racines dans l’histoire des relations entre le monde chrétien et le monde musulman, va rencontrer le philosémitisme. Si le sionisme n’est pas anti-arabe par principe, la décision de construire l’Etat juif sur une terre arabe, la Palestine, conduira les Arabes à s’opposer au sionisme, et en contrepoint, le mouvement sioniste deviendra anti-arabe. Au conflit politique s’ajoutera un conflit religieux lié au rôle que joue la ville de Jérusalem pour les religions monothéistes. Il n’est donc pas étonnant que l’islamophobie et le philosémitisme se soient rencontrés autour d’un ennemi commun, à la fois arabe et musulman.
En cela le philosémitisme, loin d’être une arme de lutte contre l’antisémitisme, ne peut que le conforter ; quant au philosémitisme d’Etat il ajoute une touche supplémentaire dans la mesure où il apporte la caution du pouvoir. Ce philosémitisme d’Etat sera d’autant plus fort que le mouvement sioniste saura en profiter. Un exemple est donné en France avec le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) [17]. Ce n’est que plus tard qu’il deviendra l’officine sioniste qu’il est aujourd’hui.. Décrété représentant de l’ensemble des Juifs de France par le monde politique et par une partie des média, le CRIF devient le représentant officiel des Juifs de France et ses déclarations deviennent l’opinion des Juifs de France. Cette officialisation du rôle du CRIF apparaît dans cette grande manifestation qu’est le banquet annuel du CRIF. Il s’agit moins, pour le beau monde qui y accourt, de faire allégeance à je ne sais quel pouvoir juif (l’une des obsessions classiques des antisémites) mais d’exprimer le philosémitisme d’Etat mêlant la lutte contre l’antisémitisme et le soutien à l’Etat d’Israël. Si pouvoir du CRIF il y a, il est d’abord le pouvoir que lui confèrent ceux qui le courtisent. Se joue ainsi une comédie dont l’enjeu est de maintenir la flamme du sionisme, l’antisémitisme n’étant que la braise nécessaire à l’entretien de cette flamme.
Si le sionisme s’est constitué en réaction à l’antisémitisme européen, devant ce que l’on peut appeler son échec, l’Etat d’Israël étant loin d’être le havre de paix espéré, l’antisémitisme est aujourd’hui devenu nécessaire au sionisme. D’abord l’antisémitisme permet de rassembler les Juifs autour du sionisme et de l’Etat d’Israël, Ensuite cela permet de rappeler aux Nations qu’elles doivent soutenir l’Etat d’Israël ; ne pas soutenir l’Etat d’Israël apparaît comme une preuve d’antisémitisme. Enfin la question reste celle de la démographie ; avant la création de l’Etat, la conquête démographique de la Palestine était un objectif stratégique, aujourd’hui, après la création de l’Etat, la question démographique reste entière et c’est la raison de ces appels récurrents à l’alyah [18] de la part des gouvernements israéliens ; en ce sens l’antisémitisme est bien utile. Les gouvernements israéliens savent que leur politique ne peut que renforcer l’antisémitisme et ils font ce qu’il faut pour cela, que ce soit vial’occupation, les agressions contre les Palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, la politique d’Apartheid. En fait, les Juifs ne les intéressent que dans la mesure ils sont de bons petits soldats du sionisme.
Les gouvernements israéliens savent pour cela qu’ils peuvent compter sur le philosémitisme des gouvernements. Ainsi le gouvernement français qui lutte, avec raison, contre le recrutement de “djihadistes”, laisse faire l’armée israélienne lorsqu’elle vient recruter des Juifs français, y compris dans des synagogues. Et ces recrues sont qualifiées de soldats franco-israéliens, ce qui n’a aucun sens puisqu’il n’existe pas d’armée franco-israélienne.
Les sionistes savent aussi qu’ils peuvent compter sur le philosémitisme d’Etat pour organiser cette imposture que constituent le culte de la Shoah et le devoir de mémoire qui l’accompagne. Il s’agit ici moins de se souvenir des victimes de la Shoah que d’utiliser leur souvenir à des fins politiques, c’est-à-dire au soutien au sionisme et à la politique israélienne. Un comportement en miroir de celui des négationnistes ; si ces derniers nient la Shoahau nom de leur obsession antisémite, les adeptes du culte de la Shoah, Juifs ou philosémites, utilisent ce massacre pour défendre une idéologie qui a montré ses capacités criminelles, comme si le massacre des Juifs justifiait la destruction de la Palestine et la spoliation des Palestiniens. Et le devoir de mémoire qui veut fonder ce culte n’oublie pas de reprocher aux assassinés de la Shoah qu’ils ont constitué un “manque à gagner” pour le futur Etat d’Israël. C’est ainsi qu’un historien sioniste, Georges Bensoussan, peut écrire dans un opuscule publié par le CRIF :
“Appréhender la fondation de l’Etat d’Israël comme la “conséquence” de la Shoah, c’est occulter la réalité historique d’avant 1940 et passer sous silence quatre-vingt années de l’histoire du sionisme. Le lien de la Shoah à l’Etat d’Israël est négatif sur un plan politique d’abord puisque avant 1939, le sionisme n’a pas su convaincre la majorité des Juifs de faire leur alya. Sur un plan moral ensuite puisque le Yishouv s’est montré incapable (mais pouvait-il en être autrement ?) de sauver les Juifs d’Europe.
Sur un plan démographique enfin tant le génocide a vidé le réservoir humain du sionisme en Europe orientale, tant il y a englouti les bataillons de réserve du mouvement national juif, tant il y a scellé une faiblesse démographique qui grève encore l’avenir de l’Etat d’Israël.” [19]
Bel exemple d’un qui, au nom du devoir de mémoire, montre autant de mépris pour les assassinés de la Shoah.
On pourrait continuer longtemps. Je me contenterai ici de noter ici la différence de réaction de la part des autorités devant une agression antijuive et devant une agression anti-arabe ou antimusulmane. Toute agression antijuive est dénoncée comme une agression contre le France, et l’on voit accourir les officiels pour affirmer leur soutien aux victimes de ces agressions ; les agressions anti-arabes ou antimusulmanes suscitent des réactions moins vives et si elles sont condamnées, elles ne donnent pas lieu aux mêmes marques de soutien. Ces différences de comportement sont perçues, par les Arabes et les Musulmans de France, comme, sinon une marque de mépris, du moins un moindre intérêt pour ces habitants considérés comme de seconde zone ; c’est cette différence de comportement qui conduit au ressentiment de la part de ceux qui se sentent discriminés et qui souvent le sont. C’est cela qui permet, à des organisations comme Al-Qaïda ou DAESH de recruter ceux qu’on appelle des djihadistes.
Ainsi le philosémitisme d’Etat peut contribuer à renforcer des sentiments antijuifs et à jouer la concurrence des victimes, contribuer aussi au développement des extrémismes. C’est en ce sens que le philosémitisme, loin de participer à la lutte contre l’antisémitisme, ne peut que le renforcer.
Si le racisme peut prendre des formes différentes en fonction des groupes concernés, que ce soit les racistes ou les victimes, il ne saurait être question de constituer une hiérarchie entre les racismes ou entre les victimes du racisme, le racisme doit être combattu pour ce qu’il est, non seulement un refus de l’unité de l’espèce humaine mais une hiérarchisation des groupes humains conduisant à une domination des groupes humains qui se considèrent comme supérieurs sur des groupes humains considérés comme inférieurs. En ce sens la lutte contre le racisme, même si elle doit prendre en compte les différentes formes de racisme, ne saurait se diviser. C’est ce refus de hiérarchiser les formes de racisme qui conduit à dénoncer le philosémitisme et particulièrement le philosémitisme d’Etat.
[1] Verus Israël est le nom que se donnent les premiers Chrétiens.
[2] C’est pour reconstruire cette visibilité que la littérature antisémite égrène de longues listes de Juifs ou supposés Juifs, principalement parmi ceux qui sont proches de l’argent et du pouvoir, comme pour mieux montrer la richesse juive et le pouvoir juif.
[3] Dans sa polémique avec Edouard Drumont, Bernard Lazare rappelle que si Drumont a raison d’attaquer la Banque juive, il ne faut pas oublier les banques chrétiennes.
[4] La Haskala (les Lumières juives) est née de la rencontre de Moses Mendelssohn avec Kant.
[5] Ainsi le mathématicien anglais Sylvester qui, ne pouvant devenir professeur à Cambridge, s’en alla aux Etats-Unis où il participa à la fondation de l’école mathématique américaine.
[6] Pour certains sionistes, le sionisme était une façon de se libérer de l’antisémitisme et des contraintes de la tradition juive.
[7] La notion d’Etat-nation a été théorisée par Herder.
[8] cité par Yohannan Manor in Naissance du Sionisme Politique, préface par Annie Kriegel, Collection “Archives”, Julliard, Paris 1981, p. 190
[9] Walter Benjamin “Sur le concept d’histoire” in Œuvres III, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, “folio-essais”, Gallimard, Paris 2000, p. 433
[10] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, cité par Marc Ferro in Histoire des colonisations (1994) p. 12-13
[11] Claire Auzias, Samudaripen, le génocide des Tsiganes (1999)
[12] Si le génocide des Juifs par les nazis est un crime racial, pour de nombreux Européens, il apparaît comme un crime contre les membres d’une religion, le terme “juif” renvoyant d’abord à une religion. On reste dans la confusion antijudaïsme = antisémitisme. C’est cette confusion qui a conduit Pierre Legendre à dire qu’à Auschwitz on brûlait des Talmuds vivants (“Le crime nazi contre la filiation” in Legendre, Leçon IV).
[13] Jürgen Habermas, “Dans la pratique, l’antisionisme est désormais discrédité” in Le Monde, 31janvier 2004
[14] Jack Goody, L’Islam en Europe (histoire, échanges, conflits), traduit de l’anglais par Isabelle Taudière, “textes à l’appui/islam et société”, La découverte, Paris 2004
[15] Il ne faut cependant pas oublier le regard positif du mouvement de renaissance arabe, la Nadah, qui se développe à la fin du XIXe siècle dans le monde arabe. Rappelons que le premier congrès panarabe s’est tenu à Paris en 1913. Cela n’empêchera pas les puissances coloniales européennes de combattre la Nadah.
[16] On peut considérer l’islamophobie comme un mélange de racisme anti-arabe et de sentiments anti-musulmans.
[17] Rappelons que le CRIF est une organisation née de la Résistance
[18] Le terme “alyah” signifie la montée, c’est-à-dire la montée en Israël.
[19] Georges Bensoussan, Sionisme, Passion d’Europe, Les Etudes du CRIF, numéro 6, Paris 2004, p. 5
http://la-feuille-de-chou.fr/archives/79865
Par exemple sur ce magnifique texte COMME PAR HASARD posté en même temps sur Indymedia :
Du droit d’être islamophobe :
https://nantes.indymedia.org/articles/31407
C’est à peu près du même niveau !
un peu marre que toute pensée soit taxée de racisme par un troll raciste de connard de merde …
c’est toi le raciste car c’est (structurellement) celui qui dit qui y est !
essentialiser des catégories comme musulman, blanc ou indigène = racisme
« c’est toi le raciste car c’est (structurellement) celui qui dit qui y est ! »
C’est un beau résumé de cet article de trolls qui traitent tout le monde de racistes, pas seulement le PIR, mais tous les antiracistes qui ne rentrent pas dans leur moule d’« antiracistes » sélectifs.
Allez donc faire mumuse avec vos amis Finkielkraut, Val, Hollande, Fourest, Hoellebecq, Coleman et autres Boutoleau-Guyet, les véritables antiracistes ont d’autres fréquentations :
Nous ne défendons pas les musulmans, mais l’avenir de la société française dans sa diversité. Nous représentons un espoir que nos détracteurs risquent de détruire. L’essentiel est d’assurer l’égalité entre tous. « L’égalité ou rien », proclamait l’intellectuel américano-palestinien Edward Said.
Cette tribune est l’oeuvre d’un collectif : Saïd Bouamama, porte-parole du Front uni des immigrations et des quartiers populaires ; Houria Bouteldja, membre du Parti des indigènes de la République ; Ismahane Chouder, coprésidente du collectif féministe pour l’égalité ; Alain Gresh, journaliste ; Michèle Sibony, porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix, Denis Sieffert, directeur de Politis.
Moi je croyais que l urgence c etaient les conditions de vie et de survie chaque jour attaquées: le logement, des revenus décents , des meilleures conditions de travail,la fin des controles et culpabilisation des chomeurEs et précaires,la fin des centre de rétention,l ouverture des frontieres, l abolition de l agence frontex,la fin des crimes policiers,la fin de la domination masculine, et pourquoi pas le reve de la fin de l exploitation et du capitalisme….non a croire que je ne “joue pas dans la meme cour” que la petite bourgeisie intellectuelle du Parti des Indigenes.
Ca sera tout pour ce soir.
http://lmsi.net/Feministes-contre-l-islamophobie
http://lmsi.net/A-propos-de-l-islamophobie
http://lmsi.net/Pour-une-sociologie-de-l
http://lmsi.net/Islamophobie-au-nom-du-feminisme
http://lmsi.net/Stop-Mon-corps-ne-vous-appartient
http://lmsi.net/Censure-droit-au-blaspheme-et
peut on ne pas être d’accord avec le concept d’islamophobie sans se faire insulter de raciste ?
peut on avoir des analyses révolutionnaires différentes de LMSI (qui ne sont pas révolutionnaires ) ?
peut on considérer LMSI comme un tas de merde républicain ?
Le collectif signataire de ce texte est composé de : Saïd Bouamama, Youssef Boussoumah, Houria Bouteldja, Henri Braun, Abdelaziz Chaambi, Ismahane Chouder, Olivier Cyran, Christine Delphy, Thomas Deltombe, Rokhaya Diallo, Sébastien Fontenelle, Nawel Gafsia, Laurent Lévy, Hassina Mechaï, Ndella Paye, Faysal Riad, Arielle Saint Lazare, Karim Tbaili, Pierre Tevanian, Sylvie Tissot, et Najate Zouggari
http://lmsi.net/Pour-la-defense-de-la-liberte-d
On vous laisse les islamophobes !