Le temps de vivre
Catégorie : Global
Thèmes : Actions directesArchives
Par l’aigri, par l’amer, par le sucré,
L’expérience, le fruit présent, l’espoir
Me menacent, m’affligent, m’apaisent
Giordano Bruno
Notre temps n’est pas le leur.
Leur temps est celui de la faute, de l’aveu, du châtiment ou du repentir
: c’est le temps des prêtres et des geôliers. C’est un temps d’oubli, un
temps sans histoire, un temps de registres morts.
Un jour ils viennent vous chercher; ils vous entravent les mains; ils
disent que vous devez embarquer dans une machine à remonter le temps. Ils font comme s’ils pouvaient vous transporter tel[le] que vous êtes
aujourd’hui dans un temps de vingt-cinq ans en arrière ; comme si vous
étiez pareil[le], inchangé[e], transposable, décalquable, démontable et
remontable… Il n’existe pas de mots pour dire ce qu’ils croient qu’ils
peuvent faire de vous.
À chaque fois qu’ils se servent du mot «espace», c’est pour réduire
l’espace réel. Ils disent «espace de Shengen» et ils construisent une
nasse. Ils disent «espaces de libre expression» pour annoncer que
l’expression sera réglementée.
Ils veulent que le monde entier ressemble à un hall d’aéroport; zone
duty-free pour les riches, zone de rétention pour les pauvres.
Et la même «justice», partout. Pas pour tous ! Non ! Partout : deux poids, deux mesures. De toute façon, ce sont eux qui ont construit les
instruments de mesure : codes, chronomètres, sondages.
Ça n’est pas difficile à comprendre. L’Europe par exemple; c’est un
espace qu’ils construisent (qu’ils réduisent, donc); ils le mesurent avec leurs instruments (ceux qu’ils ont construits). Donc, plus il y a de pays en Europe et moins il y a d’étrangers dans le monde qui peuvent demander l’asile, par exemple à la France. Donc, plus l’Europe est grande, moins il y a d’asile possible dans le monde. Comme cela vise les pauvres, les militants et les artistes, cela s’appelle une harmonisation.
Ils ont décidé le «mandat d’arrêt européen». C’est un instrument avec
lequel ils pourront arrêter le temps et réduire l’espace des pauvres, des militants et des artistes sans asile partout dans l’espace qu’ils
calculent. C’est une machine nouvelle qui demande quelques réglages. On y procède en usant d’exilé[e]s qu’on avait mis de côté dans un coin de
l’espace. Comme un vieux chiffon; ça n’est pas joli mais ça peut servir.
Ils ont utilisé, sans anicroche, un Paolo Persichetti; ils essaieraient
bien un Cesare Battisti, une Roberta Cappelli, et quelques autres. À
chaque fois, ils améliorent le système. Quand tout sera au point, ils
n’auront plus qu’à faxer: «Machin Chose», et hop! le lendemain, Machin
remontera le temps jusqu’à une prison, plus loin en Europe. Quelle
harmonie! Quelle paix sociale! Quelle démocratie! Ils en ont les larmes aux yeux…
Pas la larme facile pourtant, ou alors se retiennent, par pudeur. Mais
immense grandeur d’âme, ça oui, du côté du deuxième poids de la deuxième
mesure qui, bientôt, partout. Libèrent un Papon par ci, un Patron par là.
Mais les quatre d’Action directe? Non, pas ceux-là! Pas le temps! Pas
dans les temps! «N’a qu’à se passer de jogging!» dit le magistrat d’une
Nathalie Ménigon diminuée par deux accidents vasculaires-cérébraux. Déjà
hors du temps. Pas de machine disponible, et pour remonter jusqu’où?
Vous entendez ce qu’ils nous disent ?
ILS DISENT QUE MENIGON, CYPRIANI, ROUILLAN ET AUBRON DOIVENT D’ORES ET
DEJA ETRE CONSIDERE[E]S COMME DES CADAVRES !
Critiquant (en 1985) l’absurdité de la stratégie armée d’AD, j’avais
qualifié ses militants de «bouffons sanglants*». Je le rappelle ici à
destination de certains soucieux pétochards qui se taisent par crainte de paraître approuver des actes commis il y a vingt ans.
Qui, aujourd’hui, sont les bouffons sanglants? qui sont les assassins?
Sinon ceux qui condamnent des exilés politiques à l’extradition après
vingt-cinq ans de vie en France, et à une mort en cage – longue et
douloureuse – quatre personnes gravement malades. Un aliéné, une
hémiplégique et deux cancéreux, pitoyable tableau de chasse pour une loi
du talion qui n’ose pas dire son nom!
Rien n’est donné ou acquis dans le monde du «droit». Il n’est rien que
nous ne devions arracher; y compris l’espace et le temps de vivre.
Paris, le 9 avril 2004
Claude GUILLON
*Cf. Pièces à conviction. Textes libertaires 1970-2000, Noesis, 2001.
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