LGS : retour sur polémique

lundi 4 avril 2011, par Lémi et JBB

Il ne s’agit pas d’en rajouter encore et encore, d’alimenter une guerre blogosphérique à grand renfort de billets, réponses, contre-réponses et énième attaque en règle. Ce serait sans fin. Il s’agit – par contre – de revenir un brin sur un billet qui a fait couler beaucoup de pixels : un nombre dément de commentaires, un affrontement sans merci et, dans l’ensemble, une question qui ne semble pas prête de s’apaiser… Quelques considérations générales en forme d’ultime retour sur le sujet, donc. .

Quand les deux auteurs du texte – Marie-Anne Boutoleau et Joe Rashkounine – nous ont fait part de leur souhait de nous proposer un texte incisif et peu complaisant sur Le Grand Soir, notre première réaction n’a pas vraiment été enthousiaste. « Faudra vraiment que ce soit béton », a-t-on répondu, en marchant sur des oeufs. Logique : nous n’avions guère envie d’une guerre à la con, d’un conflit où les protagonistes se tirent dessus à boulets rhétoriques rouges. Pas non plus envie de jouer le rôle des “méchants” dézinguant à tout va – contrairement à ce que beaucoup sous-entendent, ce n’est guère le style de publicité que nous souhaitons faire à Article11. Et pas vraiment hâte de se mettre à dos une bonne part de la sphère dissidente. Bref : on ne sautait pas totalement de joie. Problème [1] : le papier envoyé par Marie-Anne Boutoleau et Joe Rashkounine était précis, documenté, appuyé sur des liens et des faits sourcés. Rien d’une attaque purement gratuite, mais un constat réellement argumenté. Alors ? C’est vrai, nous aurions pu ne pas le publier, par facilité, lassitude pressentie devant la polémique, ou par refus de s’attaquer à un site que nous considérions jusqu’il y a peu comme “de famille proche”. Après réflexion, nous avons au contraire décidé de le mettre en ligne. Et ce billet, hier comme aujourd’hui, nous l’assumons pleinement et totalement – au sens éditorial du terme. Parce que nous le pensons utile et nécessaire. Et parce que nous estimons que le sujet soulevé est d’une importance capitale : par-delà la question du Grand Soir, il renvoie à une évolution politique lourde qui traverse une extrême-gauche en partielle recomposition idéologique et qui voit une frange de l’extrême-droite tirer les marrons du feu de la confusion ambiante [2].

Il n’y a pas que dans le champ institutionnel (disons : le champ électoral et politicien) que les temps se font troubles, que les repères tombent et que la vague volonté de mettre à bas un système déliquescent justifie tous les errements. Et il est finalement assez étonnant, voire paradoxal, que le brouillard du jeu dit démocratique soit partagé – sous une forme différente mais en y retrouvant les mêmes fondements – par une partie des acteurs de la contestation. En l’absence de claire boussole idéologique, les positions bougent et flottent : la dénonciation du système vaudrait seule ligne d’attaque, ligne sur laquelle se nouent d’étranges alliances et compagnonnages. En gros : “Ne sommes-nous pas camarades puisque nous avons les mêmes ennemis ?” Le Grand Soir n’est ici que l’un des innombrables miroirs d’une tendance lourde. Laquelle s’exprime jusqu’à l’international : le désolant soutien formel apporté, au nom de l’anti-impérialisme, par Chavez à certains des pires dictateurs de la planète, qu’ils se nomment Ahmadinejad, Khadafi ou – plus récemment encore – el-Assad, en vaut parfaite illustration.

Pour moteur de ces étranges compagnonnages [3], deux positionnements politiques devenus, pour certains, grille de lecture totale et unique du monde : l’anti-impérialisme et l’anti-sionisme. Deux engagements aussi précieux que nécessaires – Article11 s’en réclame évidemment [4] – mais qui peuvent, à l’occasion et parce qu’ils sont partagés par des camps politiques théoriquement opposés, faire fonction de point de basculement. En quelques lieux, la désignation d’un même ennemi vaut cri de ralliement. En clair : “Peu importe d’où tu hurles, de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite, seul compte le fait que notre cri aille dans la même direction.” Une confusion que savent parfaitement exploiter les groupuscules et personnages qui, depuis une certaine extrême-droite [5], souhaitent élargir leur assise. Pour être plus précis et sur le sujet de ce billet : en matière éditoriale, nous ne croyons guère au hasard. Dit autrement : les textes publiés ici, quand ils émanent de gens que nous ne connaissons pas personnellement, sont soupesés, leurs auteurs (un brin) scrutés. Nous vérifions les pedigrees des contributeurs et nous nous assurons que – par-delà les mots qu’ils couchent sur le clavier – ils appartiennent bien au même camp que nous (au sens large). Question de responsabilité éditoriale. Nous avons donc extrêmement de mal à croire qu’il n’en aille pas de même sur Le Grand Soir, lequel affirme découvrir le CV d’une Skandrani, d’un Parti Anti-sioniste ou d’une Eva R-sistons après publication de leurs textes. Au mieux, une impardonnable légèreté ; au pire, une volonté d’entretenir la confusion. Dans les deux cas, la désignation d’un même ennemi aura suffi comme critère de jugement de la publication des textes en question. Par-delà la légitimité ainsi accordée à des auteurs plus que tendancieux se dessine aussi une aberrante simplification de la réflexion politique. Le nombre plutôt ahurissant de commentateurs, sur Le Grand Soir et sur d’autres sites nommés dans l’article, expédiant le débat soulevé par un infâme raccourci – Article11 “site sioniste” ou “sponsorisé par Israël” – suffit à prouver toute l’ampleur du problème. Pointer les errements idéologiques d’un site s’affichant anti-sioniste suffit à faire de vous un soutien de la politique criminelle de l’État d’Israël ? Ce pourrait être rigolo, c’est finalement plutôt dramatique.

Enfin, nombre de commentaires et critiques disent voir dans le travail de Marie-Anne Boutoleau et Joe Rashkounine l’œuvre de « flics de la pensée ». Las, il n’a jamais été question d’interdire ou de poursuivre : il s’agit au contraire de poser un débat politique. Libre à chacun de retenir ce qu’il souhaite des informations fournies, d’en tenir compte ou non : peu leur importe, peu nous chaut. Nous notons par contre que l’article en question nous a valu quelques menaces de procès des concernés : si soulever un débat fait de vous « un flic de la pensée », l’agitation de la menace juridique doit – au minimum – correspondre à quelques brigades desdits flics… Nous croyons profondément à la liberté d’expression, nous la souhaitons même totale – y compris pour nos ennemis les plus affirmés [6]. Partant, nous croyons tout autant à la liberté de la critique – quel que soit le sujet de celle-ci, et ce même s’il s’agit du Grand Soir. Nous pensons enfin que les mots ne se suffisent pas à eux-mêmes dès lors que l’on se positionne dans un champ politique : savoir d’où parle l’auteur d’un texte est indispensable. C’est ce légitime travail d’information qui a été effectué par Marie-Anne Boutoleau et Joe Rashkounine. Pour salutaire qu’il soit, il n’oblige personne : à chacun de prendre ses responsabilités. Nous avons pris et assumons celles que nous estimons nôtres. Notes

[1] Façon de parler, bien entendu.

[2] A ce sujet, lire le long papier consacré au retour d’une extrême droite relookée dans le champ militant, publié dans le numéro 2 d’Article11, “Retour de brun”, et disponible ici.

[3] Que Le Grand Soir mette en ligne un texte de la plus que controversée (on parle de sympathies négationnistes, quand même…) Ginette Skandrani sur la Libye, quelques jours avant que cette dame ne parte, en ce pays et en compagnie de Dieudonné, crier son soutien à Kadhafi, est déjà dérangeant. Que les deux auteurs de l’article publié ici soient “les méchants” pour avoir pointé ce très étrange mélange des genres est encore plus étonnant…

[4] Tout lecteur un tant soit peu attentif du site l’admettra sans peine.

[5] Il s’agit notamment ici de Soral et d’Égalité et réconciliation, de Dieudonné et de ses soutiens, des gens du PAS ou du Centre Zahra.

[6] Mais il importe ici de ne pas entretenir de malsaine confusion : la liberté d’expression n’a jamais consisté à considérer que toutes les opinions se valent, non plus qu’à promulguer celles qu’on estime contraires à son engagement politique. En l’espèce, publier des auteurs tendancieux sur son site ne relève pas de la liberté d’expression, mais d’un positionnement politique.

http://www.article11.info/spip/LGS-retour-sur-polemique