Manifestation du 19 janvier à moscou contre les néo-nazis
Catégorie : Global
Thèmes : Racisme
Ces assassinats ont un caractère particulièrement décomplexé et une valeur de démonstration. On a voulu les expliquer de maintes façons. En tant qu’avocat, Markelov s’était occupé de nombreuses affaires concernant la Tchétchénie : il se dressait aussi bien contre les forces armées russes, responsables de tortures et de meurtres sur des civils tchétchènes, que contre les dirigeants tchétchènes soupçonnés d’enlèvements et d’assassinats ; il avait aussi représenté Mikhail Beketov, qui fut presque tabassé à mort en 2008, dans la bataille juridique qui l’opposait au maire de Khimki, Vladimir Strechenko.
Pourtant, les compagnons et amis de Stas et Nastia qui appartiennent au mouvement antifasciste pensent que les néonazis sont à l’origine de ces meurtres. Car c’était Stanislav Markelov qui avait fait pression sur les autorités judiciaires pour qu’elles mènent une enquête poussée sur le meurtre d’Alexandre Ryukhin, un jeune antifasciste assassiné au printemps 2006. C’est à cause des efforts de Markelov que les autorités n’ont pas pu enterrer cette affaire. C’est à cause de sa ténacité que les enquêteurs de la police sont arrivés non seulement à établir une liste de suspects mais aussi à emmener les suspects au tribunal. La moitié des suspects fut arrêtée et condamnée pour ce crime tandis que les autres étaient placés sur les avis de recherche fédéraux.
Aujourd’hui, nous sommes quasiment sûrs que les autorités judiciaires détiennent le véritable meurtrier de Stas et Nastia, ainsi que sa complice. Sur ces deux néonazis, l’un est également soupçonné d’avoir conduit l’agression qui a coûté la vie à Alexandre Ryukhin. Son nom apparaissait en effet sur les avis de recherche fédéraux, et il n’avait pas encore été arrêté. Aujourd’hui, les meurtriers ont été appréhendés et leur procès débutera bientôt. Cela signifie-t-il que la société peut pousser un soupir de soulagement ?
Non.
Des douzaines de meurtres racistes moins médiatisés ont lieu tous les ans dans notre pays. Les victimes de ces meurtres sont des citoyens russes d’apparence non-slave ainsi que des immigrés originaires d’anciennes républiques soviétiques ou de pays autrefois alliés à l’URSS. La solidarité internationale de l’ère soviétique (réelle ou fantasmée) a fait place à l’intolérance ethnique, à la haine de ceux qui sont différents, parlent une autre langue ou ont une forme d’yeux différente, des cheveux et une peau de couleur différente.
En règle générale, nous ne nous souvenons pas des noms de ces victimes de la terreur néonazie. Souvent, nous ne les connaissons même pas : c’est tout juste si la presse nous informe qu’on a tué un citoyen d’Ouzbekistan, un citoyen du Kirgistan, un Azéri, un Arménien, un immigré vietnamien, un réfugié afghan. On ne voit pas leurs visages ni les visages de leurs proches endeuillés. Tout se passe comme s’ils mouraient dans l’anonymat et n’habitaient notre conscience que quelques secondes, le temps pour nous de lire, horrifiés, la nouvelle de leur mort sur nos écrans d’ordinateur ou dans les pages d’un journal.
Mais aucun de ceux et celles qui sont morts des mains des néonazis n’est anonyme. Ils avaient tous des parents, des sentiments, des espoirs, une famille et des amis, des gens qu’ils aimaient et qui les aimaient.
Le problème, longtemps ignoré à la fois par la société et les autorités russes a été posé uniquement par les communautés auxquelles appartenaient les victimes de ces meurtres et par les jeunes antifascistes, ces mêmes personnes avec qui l’avocat Stanislav Markelov était ami et qu’il défendait, les mêmes personnes avec lesquelles militait Anastasia Babourova, qui avait elle-même émigré de Simféropol, en Crimée, pour aller s’installer à Moscou.
Il y a un an, le soir du premier anniversaire des assassinats de Stas et Nastia, des gens qui les connaissaient se sont réunis pour fonder le Comité du 19 janvier afin de commémorer leurs vies et leurs morts de façon digne et de dire clairement : « Non ! » à la terreur néonazie. Les membres du comité appartiennent à différentes composantes du mouvement social russe, et ils ont différentes opinions sur le présent et le futur de notre pays. Et pourtant, le 19 janvier 2010, environ 1500 personnes se sont retrouvées pour une manifestation antifasciste dans le centre ville de Moscou, bravant une température de -20°C et une opposition active de la police de Moscou.
Parmi les manifestants, il y avait à la fois des gens qui ont l’habitude de protester contre les autorités et des gens qui n’avaient peut-être plus participé à des protestations publiques depuis la perestroïka. Ces gens-là ont été rejoints par d’autres qui n’avaient encore jamais participé à une manifestation : la société avait commencé à reconnaître l’existence de la terreur néonazie, et les gens qui s’en souciaient avaient été poussés à agir quels que soient leur âge, leur statut social, leur profession, leur sexe, etc. La marche a été rejointe par des étudiants et des retraités, des salariés confiants dans l’avenir et des gens pauvres qui ont perdu tout espoir de s’en sortir, des membres de l’intelligentsia et de jeunes travailleurs, toutes sortes de gens différents. Ce qui les unissait, c’était leur refus des meurtres perpétrés par les néonazis et la honte que leur inspiraient leur pays et leurs villes où ces atrocités dignes du Moyen-Âge sont devenues la norme au quotidien.
Nous le voyons un an après, ce mouvement de protestation était plus que nécessaire. Il est possible qu’il se soit même produit trop tard. En tout cas, les événements qui ont eu lieu entre le 11 et le 15 décembre à Moscou et dans d’autres villes russes ont prouvé que le néonazisme n’avait pas baissé la tête. Les idées d’extrême droite ont eu un large écho chez un grand nombre de jeunes, et ces foules de jeunes, qui ont vu leur éducation sacrifiée et se sont élevés dans la pauvreté durant les années de la stagnation Eltsine-Poutine, sont prêts à s’engager sur la voie de la violence. Le mot russe pogrom, qu’on avait presque oublié, a ressurgi : la foule sur la place du Manège a été le point de départ d’un véritable pogrom, et la foule qui s’était massée à la sortie de la gare de Kiev à Moscou quatre jours plus tard était préparée à engager le combat, en utilisant ses poings, des couteaux ou des armes à feu.
Pendant ces journées, certains ont demandé où étaient les antifascistes. Pourquoi ils n’avaient pas essayé de s’opposer physiquement aux néonazis. Il y a plusieurs réponses à cette question. Tout d’abord, pourquoi ceux qui posent ces questions n’essaient pas de se mettre en travers du chemin de ce genre de foule ? Ensuite, essayez un peu d’organiser la résistance face à une foule agressive de néonazis, de gens qui n’hésitent pas à assassiner ou à tabasser les autres, quand vous êtes devenus la cible d’une campagne de harcèlement (quand ce n’est pas une chasse aux sorcières) de la part des autorités ! Telle était la situation dans laquelle se trouvaient les jeunes du mouvement antifasciste pendant la seconde moitié de l’année 2010. Des perquisitions, des arrestations massives lors des concerts, des interpellations et de violents interrogatoires de la police qui voulait extorquer aux interpellés des témoignages par la force : voilà ce que cela signifiait d’être antifa en 2010. Ça ne voulait pas dire faire un travail de sensibilisation auprès des jeunes, organiser des événements culturels, publier des livres, des brochures ou des magazines, ou encore organiser des tournois d’arts martiaux ou de football, choses que les jeunes antifascistes étaient parvenus à faire en 2009.
Sentant que les jeunes antifascistes représentaient un mouvement qui gagnait en puissance, l’État a engagé tout le poids de son appareil policier contre eux. Pendant ce temps-là, les néonazis ont pu défiler pour leurs Marches russes en toute légalité, organiser des tables rondes et prendre la pose devant les journalistes dans des hôtels luxueux, tout en continuant à assassiner des gens sans défense : des concierges, des ouvriers, des adolescents.
Tandis que l’État resserrait ses filets autour de l’antifa, les néonazis jouaient la carte de la respectabilité pour montrer aux autorités et au monde des affaires qu’ils pouvaient être une source « d’ordre » en cette période troublée d’un point de vue politique et économique, qu’ils étaient capables à la fois de faire le sale boulot et de mettre des chemises bien repassées et des cravates aux shows télévisés à la mode. Tout cela a fini place du Manège au début du mois de décembre. Si l’on considère l’absence de réelles mesures susceptibles de trouver et de punir les gens qui avaient organisé ces émeutes, il apparaît clairement que certains officiels haut placés du Kremlin ont trouvé cette démonstration de force à leur goût.
Face à cette situation, le Comité du 19 janvier déclare qu’il est nécessaire pour tous ceux qui s’opposent au glissement de la Russie dans les abysses du nationalisme de s’unir et d’organiser des actions de solidarité. Nous vivons dans un pays immense, et nous sommes tous différents. Notre pays est divisé par ses contradictions, ses querelles, et ses différences, mais au bout du compte, nous ne sommes pas forcément obligés de nous aimer. Mais nous sommes unis sur un point : le nazisme, qui au 20ème siècle a amené d’innombrables souffrances dans notre pays et dans d’autres pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique, est encore une fois à son œuvre sanglante. Il est trop tard pour dire qu’il ne doit pas relever la tête. Il est déjà debout et maintenant, il faut se concerter pour l’arrêter dans sa course.
Nous appelons tous les gens de bonne volonté, ceux qui chérissent les idéaux de liberté et de justice et veulent juste mener une vie normale dans ce pays, quels que soient leur nationalité, leur confession religieuse, leurs convictions et leurs principes de vie, à nous rejoindre dans la manifestation qui aura lieu à Moscou et dans d’autres villes de Russie.
Ce ne sera pas seulement une action commémorative à la mémoire des morts (Stas Markelov, Nastia Babourova et de trop nombreux autres). Le 19 janvier 2011 doit devenir un jour de détermination, un jour de protestation, un jour de lutte contre la menace fasciste en Russie.
Finissons-en avec la terreur néonazie !
Sauvons la Russie de la menace d’extrême droite !
Tant que nous serons unis, nous ne serons jamais vaincus !
Le Comité du 19 janvier
Commentaires
Les commentaires sont modérés a priori.Laisser un commentaire