Nous, les six inculpés du 21 juin, souhaitons donner un ton tout autre à ce procès, qui, sans les quelques précisions suivantes sur la situation, ne serait que l’arbre cachant la forêt.

Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le Président, que la situation politique se trouve à un point de tension bien particulier. Malheureusement, ce point de tension n’a pas comme qualité la tentative de dépassement de la crise sociale actuelle mais plutôt comme objet une chasse aux sorcières avouée contre tout ce qui s’apparenterait à une hypothétique “mouvance anarchiste”, un fourre-tout bien pratique pour des forces de l’ordre qui n’ont peut être pas tout compris, à l’image de ce policier qui nous définissait la mouvance anarchiste comme “la mouvance des ultras”.

L’histoire nous a appris que le processus de construction d’une représentation barbare d’un mouvement, d’une tendance ou encore d’une dynamique n’était qu’un préalable, pour le pouvoir en place, à une tentative d’isolement de ce même mouvement dans le seul et unique but de cibler la répression sur un espace restreint et permettre l’étouffement de nos expressions dans un mélange de propagande subtile et de brut enfermement.

L’intention de cette déclaration n’est pas, nous le précisons, de définir nos positionnements politiques, de nous cerner dans un mot ou une pseudo mouvance, mais bien de relater les différents faits et situation qui nous portent à croire que ce présent procès n’est pas celui de simples jeunes mais bien celui d’individus qui, par leurs positions, interventions et actes dérangent le pouvoir en place, toute prétention gardée.

Il y a maintenant environ 3 ans que les affrontements oraux, physiques et judiciaires perdurent entre les personnes actives des mouvements socio-politiques poitevins et le commissariat de la ville de Poitiers, soutenu par la Préfecture et la Mairie. Ces affrontements fréquents traduisent une proximité qui nous est affreuse.

Nous dénonçons le littéral passage à tabac que nous avons subi ce soir du 21 juin 2010.

Nous dénonçons la systématique de nos notifications de garde à vue, de leur prolongement et de nos déferrements au Parquet.
De manière plus générale, nous dénonçons l’attitude des forces de l’ordre qui ne ratent jamais l’occasion de nous interpeller oralement dans la rue par nos prénoms, de nous provoquer lors de manifestations ou encore de nous harceler lors d’évènements publics comme celui de la fête de la musique.

Nous ne reviendrons pas sur l’intégralité des faits, la liste étant trop longue et notre temps à tous bien trop précieux, à concentrer évidemment sur ce procès.

Mais, il nous paraît important de relier cette affaire à son contexte pour la distinguer de ce dit fait divers où une rixe se serait produite entre un groupe anodin de jeunes alcoolisés et excités et des policiers en patrouille victimes d’un guet-apens.

Entre les affaires de tags, d’occupation, de dégradations, d’outrages, de violences contre la police, en réunion comme à l’accoutumée, appuyées par des certificats médicaux hallucinants, les forces de l’ordre nous livrent une guerre au grand jour, avec ses victoires et ses défaites.

Des victoires comme nos différentes condamnations où le seul témoignage assermenté réussit à balayer une ribambelle de contradictions, comme l’obligation pour certaines des personnes ciblées de fuir la ville de Poitiers ou encore, plus récemment, comme la mise en détention provisoire de cinq personnes, une vengeance publique qui, à notre avis, les laisse sur leur faim.

Des défaites irréversibles, comme leur impunité qui se fragilise au fil de leurs coups d’éclats, comme le fait que chacun d’entre nous persistera à lutter, malgré la répression et qu’avant tout, nous ne sommes pas les seuls.

Pourquoi parlons-nous de vengeance ?

Prononçons la date interdite du 10 octobre 2009.

Une manifestation anti-carcérale, un procès sous tension, un placement en détention pour trois personnes et finalement un certain bide judiciaire en vue des premières ambitions du Ministère de l’Intérieur. Et voilà que la frénésie sécuritaire s’amplifie. On parle d’une liste de 28 noms qui traînerait entre les bureaux de la Sûreté Départementale, de la Mairie et de la Préfecture.

28 noms dans le fourre-tout de la “mouvance anarchiste” et des forces de l’ordre sur les dents, bien décidées à faire baver “ces petits cons” comme ils nous appellent tendrement.

Et nous voilà rendus à la fête de la musique édition 2010.

Des policiers qui nous collent aux pattes toute la soirée, une histoire d’insultes, une course poursuite pédestre, une interpellation plus que musclée puis un matraquage en règle contre toute forme de contestation, à l’extérieur mais aussi à l’intérieur du commissariat, cachés de tous y compris de la réglementation. Des forces de l’ordre en surnombre et 12 policiers victimes de violences sur le papier, le Préfet les appuie sans aucune hésitation.

Nous sommes six à comparaître devant vous aujourd’hui.

Nous ne sommes pas les seuls à constater l’accroissement de ce genre d’affaires.

Les violences policières reviennent constamment à l’ordre des discussions de promenade. La B.A.C. a une lourde réputation. La seule chose que nous sachions, c’est que n os blessures parlent bien plus que n’importe quelle assermentation.

Et à ceux qui jugeront que nous fabulons, que cet état de droit garantit un espace de liberté suffisant, nous leur répondrons que nous n’avons pas la même définition du mot “liberté” comme celle du mot “anarchiste”.

Pour finir, nous lancerons une modeste réflexion, illustrant à merveille ce procès : “La police nous protège, mais qui nous protège de la police”.

Les inculpés du 21 juin 2010.