Mouvement à la fac : un (super) texte d’analyse
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…On observe une dissolution ” matérielle ” de l’identité de l’étudiant qui laisse place à une figure hybride insérée dans les procès de production…
L’hypothèse directrice de ce qui suit sera la suivante : en même temps que la force de travail tend à se réaliser comme activité ” immatérielle “, que l’on met donc au travail la subjectivité elle-même, on assiste au passage de la discipline au contrôle (pour reprendre l’analyse de Deleuze commentant Foucault). C’est-à-dire que l’on passe de l’usine comme lieu d’enfermement de la force de travail au territoire urbain, nouveau cadre de la production des richesses. L’université y devient le principal médiateur entre savoir diffus et entreprises.
Là où l’université en tant qu’institution intégrée dans un État-nation était un pôle clos de distribution des savoirs, elle est aujourd’hui une machine réticulaire : les centres universitaires éclatent et on crée des antennes universitaires conçues en relation avec le maillage économique du territoire où elles naissent. D’où une tendance à la territorialisation de la formation, visible dans la profusion des stages qui se réalisent dans la région même où se trouvent les étudiants.
Les enjeux des diverses réformes en cours du système de formation ne sont donc pas technologiques : il ne s’agit pas de développer des secteurs économiques de pointe, mais de réorganiser les contextes sociaux de production dans leur globalité. Il s’agit, à travers la réforme de l’université, de constituer le cadre légal d’une normalisation et d’une mise au travail des connaissances. D’où l’insistance des gouvernements successifs sur ceci que l’exigence de professionnalisation s’adresse à tous, et pas seulement à ceux qui s’orientent vers des filières technologiques.
Parce que la formation est un point de vue sur les mutations du système global de production, et dans la mesure où elle tend à devenir un trait constitutif de la force de travail elle-même, nous la prendrons comme observatoire d’un processus de précarisation, qui comme tel semble le véritable axe de recomposition du rapport de production capitaliste. Nous n’assistons ni à une ” régression ” (notamment en termes d'” acquis sociaux “) ni à la mise en place d’une société duale (ordonnée autour de la dyade intégration/exclusion) mais à un processus d’institution de la précarité comme mode de régulation des rapports de production, qui se confond par conséquent avec une mise au travail généralisée.
C’est dans ce cadre que nous posons la question : que devient l’étude, et plus précisément la figure de l’étudiant, dès lors que c’est à l’échelle d’un territoire que s’effectue la mobilisation des savoirs ?
Les universités ne sont plus des pôles de diffusion d’un savoir académique, mais l’un des pôles de captation et de diffusion des savoirs, connecté aux nombreux centres de recherche et de formation publics et privés.
En effet : c’est seulement à l’échelle d’une ville, ou plutôt d’un bassin d’emploi, que peut s’opérer la capitalisation des savoirs en vue de l’augmentation de la productivité sociale. Ainsi, les universités sont de plus en plus liées aux entreprises dans le cadre d’un territoire urbain. Lors d’une journée de travail organisée par l’Université des Sciences et des Techniques de Lille (USTL) sur le thème ” Universités et Entreprises ” [1], deux ateliers proposaient respectivement comme axes d’interrogation ” la formation par la recherche ” et le ” transfert de technologies “, définis comme deux missions fondamentales de l’université. La recherche se voit alors intégrée comme une partie de la formation, en tant que ” moteur de l’innovation ” et comme un ” atout, notamment lorsqu’il faut anticiper “. Or, étant donné que la territorialisation des universités accompagne la territorialisation des marchés, l’anticipation est le mot d’ordre principal d’un système productif où la commercialisation précède la fabrication, où la demande règle la production.
Pour concrétiser ce discours, nous donnerons plusieurs exemples :
• L’USTL (Lille I – Sciences) et l’université de Lille III (lettres-sciences humaines) ont été créées en même temps que Villeneuve d’Ascq en 1970. À Lille I, 80 % des stages se font dans le Nord-Pas de Calais dont une grande part dans les 2827 PME-PMI de Villeneuve d’Ascq. Cette dernière développe 65 % du potentiel scientifique régional et est à l’origine de nombreuses innovations technologiques (nous y reviendrons).
• L’UPPA (Université de Pau et des Pays de l’Adour) créée en 1971 sur deux sites, Pau et Bayonne, reçoit dès le début le ” soutien ” d’Elf-Aquitaine. Soutien concrétisé d’abord sous la forme du mécénat, ensuite sous la forme d’une politique contractuelle (aux niveaux de la recherche, des stages et des cours dispensés par des employés d’Elf-Aquitaine). De plus en plus, l’UPPA développe la complémentarité entre ses sites (aux deux premiers s’est récemment ajouté Mont-de-Marsan) et des filières spécialisées (droit comparé, physique et chimie des matériaux).
• L’IUP de Roubaix de gestion de la distribution, spécialisé dans les métiers du grand commerce, a été fondé en 1991 avec le soutien de 14 entreprises (dont Auchan, Kiabi, La Redoute, Saupiquet, etc.) : les cadres de ces entreprises assurent la majorité des heures de cours.
Dans les divers lieux institutionnels de réflexion et de réforme du système de formation, on présente généralement la nécessité de cette inscription de la formation dans le territoire productif comme découlant d’une exigence de professionnalisation et permettant l’alternance entre temps d’étude et temps de stage sur le territoire. Autrement dit : le problème du lien des universités aux entreprises est posé en termes de nécessité de se préparer à la vie professionnelle. Or, un tel point de vue est soit naïf, soit cynique, en tout cas inadéquat pour comprendre la place et la fonction effectives des étudiants dans le système productif actuel. L’étonnement face à la réticence de beaucoup d’étudiants à aller effectuer des stages en entreprise est illégitime : dans la mesure où la majorité des étudiants connaît déjà le ” monde de l’entreprise “, on comprend qu’ils hésitent à se faire exploiter gratuitement [2].
Ce que nous avons évoqué prend un tout autre sens dès lors qu’on ne considère pas l’étude comme un moment préparatoire au monde du travail, mais comme une composante à part entière de la production et l’étudiant comme ayant désormais une véritable fonction productive [3].
L’identité étudiante comme identité préservée du monde productif est une chimère qui ne survit (et nous verrons à travers quelles voies) qu’en totale contradiction avec la réalité matérielle des ” étudiants “. Les exemples précédents montrent que, dans sa dimension concrète, l’existence des étudiants s’ajointe à des processus productifs.
Ce qui le manifeste de la manière la plus criante aujourd’hui est peut-être l’insistance sur la nécessité d’une simplification des contenus de savoir. Celle-ci est d’ores et déjà engagée et dotée d’orientations précises. Pour aller vite, nous dirons que l’exigence d’une meilleure lisibilité des programmes s’adresse à la fois aux étudiants et aux entreprises :
aux étudiants dans la mesure où il s’agit d’abord, ainsi que le dit Dominique Ducassou, conseiller régional en Aquitaine, de parvenir à une ” meilleure lisibilité des filières proposées par l’université ” [4] , afin que les étudiants puissent mieux s’orienter. Il ne faut pas voir là un simple alibi idéologique (même s’il est vrai, comme nous allons le voir, que la lisibilité des contenus est avant tout dictée par l’ouverture aux entreprises) mais un véritable souci eu égard à la subjectivité étudiante en tant que telle. Il nous semble donc qu’il faut comprendre cela à partir de la nécessité qui s’impose aujourd’hui au pouvoir de faire en sorte que chacun assume pleinement (c’est-à-dire subjective intimement) son orientation.
aux entreprises, à travers deux cas de figure : soit elles participent directement de l’élaboration des programmes [5] ; soit des ” conseils de perfectionnement “, composés de professeurs et de cadres d’entreprise, sont chargés d’ajuster en permanence les contenus du savoir aux demandes du marché [6]. À noter toutefois que tout cela semble correspondre à une demande des étudiants eux-mêmes : lors de la journée de travail déjà évoquée, une conseillère d’orientation rapportait les propos d’étudiants en Histoire de Lille III, qui demandaient que la présentation des enseignements se fasse moins en termes de contenus de savoir pédagogiques que de compétences monnayables sur le marché de l’emploi.
À noter par ailleurs que cette entreprise de simplification des contenus de savoir se traduit aujourd’hui par le projet d'” universités thématiques “, où la formation est organisée autour d’un thème unique du premier au troisième cycle. Ce projet a en revanche suscité de telles protestations dans le milieu universitaire que l’université thématique d’Agen qui devait porter sur ” l’aménagement et le développement du territoire “, n’a pu ouvrir ses portes à la date prévue (fin 96).
L'” étudiant ” est une figure productive, mais une figure productive complexe : on retrouve une force de travail étudiante (ou, pour le dire autrement : une mise au travail de la formation) à tous les niveaux du système productif. De l’étudiante en DEUG de lettres qui travaille 200 heures par an à Kiabi ou à mi-temps au Mac Do, aux étudiants d’IUP qui réalisent des projets immédiatement utilisés par les entreprises mais non payés, jusqu’aux enseignants-chercheurs qui mobilisent un laboratoire autour d’un projet industriel, l’exploitation de la force de travail ” immatérielle ” est très différenciée et segmentée. On peut examiner de plus près ces trois niveaux de travail en formation ou de formation mise au travail.
Choisissons de désigner ainsi ces trois niveaux : a) le DEUG-Kiabi/Mac Do ; b) le diplôme professionnel-Tefal/Renault ; c) la recherche innovante.
a) Des entreprises telles que Kiabi ou Décathlon ont mis en place des ” contrats étudiants ” à horaires variables sur l’année qui requièrent une totale disponibilité de l’étudiant, celui-ci devant se tenir au service de l’employeur. Cela permet à l’entreprise de disposer d’un volant de main-d’œuvre hyperflexible pour restructurer ses coûts productifs. L’étudiant constitue alors une force de travail spécifique ayant une place spécifique dans l’organisation de la production.
Notons que ce type d’emploi requiert une flexibilité similaire à celle qu’impose l’organisation de l’étude en modules semestriels (voire quadrimestriels) qui existe déjà par endroits. Par exemple à Rennes où, par la mise en place d’un système avec disciplines ” majeure ” et ” mineure”, une réorientation est possible en cours d’année sans ” perte de temps “.
Notons enfin que c’est pour l’étudiant l’occasion de faire l’apprentissage du ” savoir-être ” désormais indispensable : c’est en décors réels qu’il pourra s’entraîner, sous l’œil de ses supérieurs, à exercer les nouvelles qualités immatérielles de la force de travail : curiosité, aptitude à communiquer, etc.
b) Le diplôme professionnel (préparé dans les Instituts Universitaires Professionnels) fait apparaître le caractère productif du travail fourni dans le cadre de la formation elle-même. Non seulement, comme on l’a vu, les groupes d’entreprise participent à l’élaboration des programmes et interviennent directement dans l’enseignement, mais aussi, les entreprises bénéficient des études de projets menées par les étudiants qui, parce qu’elles sont pour eux partie prenante de la formation, ne sont pas payées.
La prise en charge par les étudiants eux-mêmes de leur formation, alors même que pendant ce temps ils produisent de la richesse, est un outil (matériel) essentiel de maintien d’une domination dans le travail. Pour donner un exemple de cette production de richesse non rémunérée : à l’IUP d’Evry-Val d’Essonne, les étudiants en deuxième année planchent en TD sur des ” cas concrets ” ; ainsi, on a pu leur faire réaliser une étude de montage robotisé des serrures de portière Renault, ainsi que la mise au point d’un système de pesage électronique pour Tefal.
c) Enfin il faut évoquer les projets de recherche pris en charge par les enseignants-chercheurs à l’université. On a dit plus haut que Villeneuve d’Ascq développe plus de 65 % du potentiel scientifique régional. Quelques exemples d'” innovations villeneuvoises “, à travers des projets de transfert de technologies à dimension européenne ou mondiale :
• le VAL (Véhicule Automatique Léger) est issu d’un contrat de recherche entre MATRA et un laboratoire de Lille I. Après les succès de la recherche, MATRA a embauché les chercheurs.
• Le nanoréseau, implanté dans la plupart des réseaux informatiques de l’éducation nationale.
• La biocarte à microprocesseur, mémorisant des détails relatifs à la santé.
À ces différents niveaux (a, b, c) on peut observer la mise en place d’une précarité spécifique, liée à chaque fois à une manière spécifique d’occulter le caractère productif de l’activité fournie :
a) Soit parce que les aptitudes effectivement mises en œuvre (phone-marketing, vente à Kiabi, etc.) ne sont pas reconnues pour elles-mêmes.
b) Soit parce qu’elles ne sont pas rémunérées comme telles.
c) Soit par le risque permanent d’une dépossession de projets ou par l’interruption d’une recherche en cours par l’entreprise qui la finançait.
Les éléments d’analyse introduits jusqu’ici témoignent d’une dissolution de l’identité étudiante comme identité à part. Dissolution matérielle, du fait du rôle productif effectivement joué par les étudiants comme cas particulier d’une force de travail dont les principales caractéristiques sont ” immatérielles “, c’est-à-dire liées à des aptitudes intellectuelles générales.
La distinction entre travailleur et étudiant se brouille, s’estompe, sous la montée de la sollicitation généralisée de la disposition à l’apprentissage, à la formation ” tout au long de la vie “. Parce que cette dissolution de l’identité étudiante s’opère dans le cadre d’une précarisation généralisée du monde productif, d’une institution de la précarité comme mode de régulation des rapports sociaux, elle recèle un potentiel de lutte. C’est sans doute un tel potentiel que, successivement, les projets relatifs au statut de l’étudiant et la loi sur les ” emplois-jeunes ” ont visé à désamorcer.
Dans le premier cas, la revendication syndicaliste, aveugle sur la réalité du système productif, et engluée dans un corporatisme sans idées, a trouvé un écho dans les projets du ministère Bayrou, même si ceux-ci ont finalement été jugés en deçà de la revendication initiale. Dans l’esprit de Bayrou et de ses acolytes, il s’agissait nettement de désamorcer tout conflit en renvoyant l’étudiant à son identité illusoire. Un tel désamorçage n’est pas ” idéologique ” : il ne s’agit pas de distiller une ” fausse conscience ” estudiantine pour recouvrir la réalité de la condition étudiante. En réalité, il consistait, dans le projet Bayrou, en deux aspects essentiels :
• Un mode de financement des études sous forme d’une ” allocation sociale d’études ” ; une telle allocation qui prendrait en compte ” les revenus de la famille, la distance entre l’université et la résidence et les critères pédagogiques ” reviendrait à ” reconnaître ” partiellement le droit à la rémunération d’une production ” immatérielle “. Mais, faisant intervenir l’idée du ” sérieux ” des études, elle constituerait un outil évident de coercition matériel et d’auto-contrôle, dans la mesure où elle resterait refusée à tout jeune non-étudiant.
• Un mode de subjectivation, indissociable du premier aspect, que par là on tendrait à imposer. C’est ce qui ressortait des discours du précédent ministre de la recherche : ” Le statut étudiant ne peut pas concerner les seules aides sociales. Il touche à l’ensemble de la vie de l’étudiant à l’université, à sa position, à sa responsabilité ” [7] . En bref, il viserait la constitution d’une ” identité étudiante “.
Cette subjectivation, là encore, repose sur le postulat qui fait du temps de l’étude un temps spécifique, coupé de la production, et donc préparatoire au monde de la production, un temps de découverte des voies de formation possibles qui s’offrent à l’étudiant. Nous sommes loin, ici, d’une simple ” idéologie “. Il s’agit d’une mesure politique qui s’inscrit dans une démarche globale : à l’heure où l’identité étudiante éclate sous le coup de la mise au travail de ses multiples aptitudes intellectuelles, la question du ” statut de l’étudiant ” est un enjeu stratégique. Reposant sur une non-reconnaissance du ” temps de la formation ” comme nom générique du temps productif aujourd’hui, ce statut de l’étudiant reconduirait les conditions de l’exploitation de cette force de travail en grande partie non reconnue et de la sorte abondamment utilisée. Ce n’est au contraire qu’en s’engageant sur la voie de la revendication politique de sa dissolution effective que ” l’étudiant ” pourra échapper aux cercles dans lesquels on le place aujourd’hui.
Concernant les emplois-jeunes de Martine Aubry, en dehors de l’effet d’annonce et des emplois effectifs aussitôt générés dans l’Éducation et la Police Nationales, on notera qu’ils sont intéressants à deux points de vue : en prétendant se placer sur de nouveaux secteurs d’activité qui se verraient ainsi stimulés ; en inaugurant de nouveaux modes d’intervention des collectivités publiques [8].
• Le premier objectif laisse perplexe [9]. Si l’on exclut les ministères déjà évoqués, ces emplois seront mis en place dans des secteurs aussi divers que les activités culturelles, le tourisme, le sport, la mise en valeur des territoires, les transports, les NTIC, les services d’aide à la personne, de proximité ou de ” qualité de la vie “. Il s’agit là essentiellement des nouveaux segments du marché de l’emploi qui ne trouvent pas toujours, ou pas encore, leur rentabilité. Le dispositif des emplois-jeunes est certes un formidable cadeau aux nouveaux entrepreneurs associatifs (20 % du SMIC restant au maximum à leur charge), mais il risque fort de venir percuter la montée en qualification qui s’opère peu à peu dans ces nouveaux métiers où justement les compétences recherchées sont transversales, difficilement ” mesurables ” et relevant très souvent directement des relations humaines [10]. Le niveau pressenti de recrutement (Bac + 2) suffira-t-il à assumer de telles tâches ou bien attend-on, là aussi, à l’instar des jobs étudiants, que les ” jeunes ” trouvent en eux-mêmes les ressources suffisantes tout en étant payés au salaire minimum ? On peut d’autant plus s’interroger sur la pertinence d’un tel dispositif que le temps plein de travail exclut la poursuite des études d’autant plus que la reconduction du contrat (jusqu’à cinq années, avec possibilité pour les employeurs de se grouper pour partager dans la durée un emploi-jeune) fera pression pour bloquer le titulaire. Pour lui, l’alternative est simple : poursuivre des études-jobs précaires (au mieux 1/2 SMIC) ou ramer dans un emploi-jeune (au SMIC, d’année en année…).
• Le second aspect ” intéressant ” est celui de la mise en place d’un suivi de projets comme mode de décision autour des emplois-jeunes. Il s’agit là d’une volonté politique : les emplois, les fonds, les subventions diverses iront vers la nouvelle figure des entrepreneurs sociaux pourvu qu’ils se coulent dans le prêt-à-penser que leur servent élus et technocrates. C’est à partir de leur analyse du territoire, des besoins solvables ou tendant à le devenir, bref d’une démarche purement descendante, que viendra la ” solution ” au chômage des jeunes, ou tout au moins une certaine paix sociale. On laisse bien sûr une certaine place à l’expérimentation sociale.
Les emplois-jeunes, loin d’être ” une nouvelle chance “, s’inscrivent donc dans des logiques de mise au travail de la jeunesse, sans lui reconnaître d’un point de vue salarial ou statutaire les compétences acquises au cours des études et des jobs antérieurs ou au cours de ces emplois eux-mêmes. Ils s’inscrivent aussi bien sûr dans une démarche de clientélisme électoral auprès des associations et des collectivités locales demandeuses de subventions ou de moyens nouveaux, ce qui est une tradition de la gauche française. De tout ceci on conclut que les emplois-jeunes ne constituent une ” avancée ” ni ” sociale “, ni ” économique “.
Le constat le plus englobant à partir duquel nous devons aborder l’analyse de l’université concerne le travail ” en général “, et plus exactement sa mesurabilité : le post-fordisme, comme il a été souvent dit, se caractérise par l’éclatement du temps-mesure, compris comme le fait de mesurer la valeur par le temps de travail. Un tel éclatement nous laisse donc avec deux questions : quel rôle peut dès lors avoir le temps ? Qu’est-ce qui peut avoir le rôle de mesure ?
Lors de la journée de travail déjà évoquée, était clairement posé le problème de l’insuffisance du diplôme à rendre lisibles les compétences. L’un des ateliers théorisait le passage du ” savoir ” à l'” être “, comme signe d’une mutation des attentes des entreprises à l’égard des jeunes diplômés. De là à en conclure à un effondrement pur et simple de la valeur-diplôme, il y a évidemment une marge ; mais ce que nous explorons ici est avant tout ce qui peut indiquer les tendances qui dessinent déjà l’avenir du monde capitaliste. Et justement, s’y découvre bien une tendance réelle de la réorganisation post-fordiste des activités.
Il faut alors lire en parfaite continuité la proposition de Barrot, relative au passeport des compétences, prolongée par le rapport de Michel de Vriville concernant notamment la constitution d’un ” référentiel national ” des compétences ; et tout ce qui concerne, dans les projets-Bayrou et le rapport Fauroux, la simplification des contenus de programme, la mise au jour de ” connaissances élémentaires ” [11], et d’une culture générale de base, et la possibilité corollaire d’une évaluation par-là même simplifiée de l’acquisition des savoirs.
Cela signifie tout d’abord que la lisibilité des compétences acquises est conditionnée par la lisibilité des ” contenus de savoir ” transmis à l’université [12] . Dès lors nous pouvons formuler l’hypothèse selon laquelle les luttes à venir se distribueront en deux directions : émergera tout d’abord la volonté de faire reconnaître les compétences elles-mêmes, à travers notamment la question du revenu ; mais, de façon plus radicale, et sans doute à la fois enchaînées aux premières, elles devront porter sur le refus de l’évaluation des compétences acquises à partir de ” référentiels ” normatifs.
Le déplacement de la mesure du temps de travail vers les compétences acquises commence a apparaître comme l’une des opérations fondatrices du nouvel espace capitaliste. Il est en effet vital pour lui de parvenir à rendre visible le savoir diffus qui est aujourd’hui le soubassement de la production de richesses. L’enjeu des luttes n’est pas en-dehors d’une telle production de visibilité, et de ce que le pouvoir est contraint d’inventer comme dispositifs pour y parvenir ; d’où la nécessaire mise en place, à chaque fois locale, de la contestation systématique de ces dispositifs.
Dans le cadre strict (si l’on peut dire) de l’université, la lisibilité des compétences, comme mesure de la valeur dans le capitalisme contemporain, est la véritable cause de la crise de la valeur-diplôme. Mais cela fait symptôme, là encore, d’un déplacement plus général de l’exercice du pouvoir. Il est clair que la crise de la valeur-diplôme va de pair avec une crise plus générale des lieux disciplinaires. Le diplôme sanctionnait la sortie d’un de ces lieux et l’entrée dans un autre. Il servait donc de sas dans le cadre d’une sociétéreposant sur l’identification des lieux clos, et de ceux qui s’y trouvaient enfermés. Mais dans un monde qui ne fonctionne plus à partir de l’assignation des places, mais à partir de la modulation des parcours, des trajets de vie, l’activité doit être tout autrement sanctionnée, normalisée, orientée.
On voit alors apparaître de nouveaux outils de mesure des compétences, beaucoup plus ” adaptés ” que le diplôme à la demande de lisibilité des compétences émanant des gestionnaires de ” ressources ” humaines. Ainsi, le logiciel des ” arbres de connaissances “, imaginé par P. Lévy et M. Authier, d’autant plus performant qu’il cultive une ambiguïté constitutive. Le projet, d’abord théoriquement esquissé dans un livre programmatique [13], a donné naissance à une entreprise dont les fondateurs soulignent [14] la vocation sociale et non ” d’affaires “, dans la mesure où elle est née d’une demande d’Édith Cresson (alors Premier Ministre) de ” mettre en place des systèmes de reconnaissance des savoirs les plus divers, des individus diplômés ou non, travailleurs ou exclus “. Soulignant ” l’humanisme ” du projet (le logiciel des arbres de connaissance est vendu moins cher aux associations qu’aux entreprises !), M. Authier revendique le fait de ” s’en remettre à l’initiative privée, [d’] introduire un principe de réalité en se soumettant à la loi économique et à une validation du concept par les usages dans l’entreprise ou dans les quartiers “. Mais la distinction entre humanisme et affaires témoigne seulement d’un ” retard ” du discours par rapport à une demande de fait unifiée. Car comment établir une distinction entre l’exigence ” sociale ” d’Édith Cresson et le constat d’un chef de département de la RATP qui prépare l’utilisation de Trivium dans la ” gestion ” des personnels, car dit-il ” de nos jours, le diplôme ne suffit plus à justifier des compétences ” ?
Un logiciel comme celui des arbres de connaissances révèle au contraire de manière éclatante combien la production est devenue sociale, et raffinées les procédures de mise au travail. Et toute la philanthropie du monde ne peut rien changer au fait qu’un outil lancé sur le marché n’est pas neutre, et que son usage ” bon ” ou ” mauvais ” n’est pas fonction de la bonne ou de la mauvaise volonté des DRH : même si on le développe en milieu scolaire pour lutter contre l’échec ou dans les jardins ouvriers pour développer les relations sociales, un tel logiciel est essentiellement conçu pour rendre visibles des compétences ; or, l’exigence de mesurer les compétences individuelles est conditionnée par la question de l’employabilité des personnes sur tel ou tel poste requérant des compétences précises. La limite inhérente à ce logiciel est que, rendre visible des compétences, c’est d’abord les définir, et définir à partir de chacune une incompétence correspondante. Les potentialités insoupçonnées, celles qui ne peuvent se déplier qu’à l’occasion de situations particulières, ne sont par définition pas répertoriables dans un thesaurus. Or, c’est peut-être en elles que réside la véritable intelligence collective. Pour paraphraser Deleuze : méfions-nous de ceux qui nous plantent des arbres dans la tête.
Tout ce qui précède devient parfaitement clair dans la mesure où il n’y a plus d’étanchéité entre sphère productive et sphère de diffusion des savoirs. Le problème des gestionnaires du pouvoir est dès lors d’organiser la fluidification du passage entre ces sphères que l’on avait voulu jusque récemment maintenir séparées. De sorte qu’il n’est plus possible d’interpréter indépendamment l’une de l’autre la crise de l’université et celle du monde du travail. Notons qu’à ce niveau, l’idée d’un revenu garanti a pu, et peut encore, jouer un rôle intéressant ; mais seulement sur une base subjective claire. La question restera ici ouverte de savoir si la politique doit se recomposer sur des bases classistes ou sur le mode d’une subjectivité d’emblée générique.
À travers tout ceci nous voyons essentiellement se dégager une circularité entre l’intériorisation, par chacun, de son orientation dans la formation comme ” choix de vie ” et la lisibilité des contenus de savoir tournée vers les besoins des entreprises. Plus généralement, nous parlerons alors d’une complémentarité entre l’auto-contrôle [15] et les dispositifs de filtrage chargés de rendre visibles et lisibles les compétences cumulées en un lieu ou en un individu.
De là une contradiction inscrite en profondeur dans le développement actuel du capitalisme : ce qui est sollicité, ce qui est requis pour qu’un individu soit apte à remplir les fonctions qui lui sont demandées, est ce qu’il a de plus singulier : un ensemble d’aptitudes acquises tout au long d’un trajet aléatoire qui décrit la totalité d’une vie. Nous sommes loin de Marx, où une telle singularité était précisément recouverte, étouffée, par le travail abstrait. Mais justement : il s’agit encore, nécessairement, pour le capital, de mesurer l’activité, aujourd’hui en termes de compétences pour l’établissement desquelles il faut bien envisager un cadre d’évaluation. Ainsi, la singularité comme telle sollicitée, immédiatement valorisée, est d’autant plus brutalement rabattue sur la généralité de l’évaluable. D’où la nécessité d’une dénonciation de la fausse pertinence du terme même de ” compétences “, quel que soit le travail demandé, dans la mesure ou il touche à l’ensemble de la vie, dans la mesure où il est, toujours et nécessairement, l’expression d’une telle contradiction.
THÈSE 8 : La lisibilité des savoirs est la condition de la mesure des compétences.
Du point de vue des contenus de savoir, avons-nous dit, il apparaît que la tension vers une lisibilité accrue des enseignements s’accompagne nécessairement d’une simplification des savoirs eux-mêmes. De sorte que le savoir lui-même apparaît comme un enjeu de lutte direct. Il est clair aujourd’hui que c’est l’ensemble de ce que recouvrent les vocables ” éducation ” et ” formation ” qui peut apparaître comme un gigantesque appareil de production d’ignorance, ce qu’il a toujours été, mais selon d’autres modalités : que ce soit à l’école ou à l’université, celle-ci passait jusque récemment par des cloisonnements entre des régions supposées distinctes du savoir, par une étanchéité entre des champs de connaissance prédécoupés, légitimant la posture de ” spécialiste “. Aujourd’hui, le souci très idéologique de la dispensation d’une ” culture générale “, et la pratique de l'” inter-disciplinarité ” traduisent la nécessité d’une flexibilisation du savoir lui-même [16], mieux adaptée à la polyvalence requise dans les différents types de travail.
Dans l’entretien qu’il a récemment accordé à Edgar Morin [17], l’actuel ministre de l’Éducation nationale insiste sur la nécessité de mettre un terme à l’accumulation des savoirs et même d’abandonner une partie d’entre eux. Parallèlement, deux thèmes sont développés : celui de l’instauration d’une ” dîme universitaire ” (qui consisterait à consacrer un pourcentage déterminé dans l’enseignement de chaque discipline à des ” problèmes fondamentaux ” d’ordre général) et celui de l’inter-disciplinarité. Celle-ci fait signe vers une science des sciences susceptible d’unifier la base de toutes les disciplines, de disposer un socle commun auquel les rapporter. La ” systémique ” semble constituer le paradigme à même de jouer ce rôle : c’est là le versant académique des réformes en cours. Il est symptomatique que l’interdisciplinarité ou, mieux, la transdisciplinarité, se trouve ainsi à l’avance rabattue sur les protocoles d’une science constituée, qui n’est autre que la science de la régulation des systèmes [18].
Il faut ici prévenir un éventuel contresens : que le savoir devienne un enjeu de lutte ne signifie pas qu’il faille attendre quoi que ce soit de l’idée très répandue de l’université comme espace de diffusion de connaissances ” désintéressées “, comme le veut l’idéal républicain, et base, à ce titre, d’un ” accomplissement intellectuel “. Que ce soit au niveau des étudiants, particulièrement dans les filières ” sciences humaines ” [19], ou au niveau des enseignants, la défense d’un ” savoir critique “, contre toute entreprise de ” marchandisation ” du savoir, est brandie, et corollairement, l’université est pensée comme un pôle de résistance face aux impératifs du marché. Il ne suffit pas de dénoncer ici l'” idéologie ” intériorisée de la posture ” bourgeoise ” classique. Il faut dire que l'” accomplissement intellectuel “, surtout s’il se drape dans la posture de la ” résistance “, voire de la contestation, est une forme parfaite du compromis post-fordiste.
Il faut alors appliquer à cette revendication d’une résistance par et dans le savoir universitaire [20] ce que Sergio Bologna disait il y a dix ans de la ” précarité subjective ” [21], à savoir qu’elle est, sans doute malgré elle, une des formes d’activité parfaitement adaptées à un segment essentiel de la recomposition du marché du travail. Précarité subjective et résistance intellectuelle sont devenues de parfaites expressions d’un compromis historique, selon un contrat implicite qui fait que les ” marges ” dont peut disposer un individu relativement à la contrainte de/au travail (sur le plan du ” temps libre ” ou sur celui de la ” conscience critique “) sont devenues parfaitement valorisables en tant que telle (disponibilité au travail le plus flexible, capacité de compréhension et d’expression ” génériques ” engagées dans différents types de travail…).
Le savoir comme enjeu de lutte ne se situe donc pas à ce niveau là. Le savoir n’est comme tel un enjeu qu’en tant qu’il peut être compris comme une composante essentielle de la production sociale. Dès lors, le véritable problème légué à l’université aujourd’hui n’est certes pas de reconstruire une clôture auto-référentielle qui de fait est déjà perdue (qui s’en plaindra ?) mais de pratiquer sa propre dissolution d’une manière alternative à celle que l’on cherche à lui imposer.
Il n’y a donc pas à s’affliger du devenir-marchandise de l’enseignement, de la formation et du savoir en général ; il y a une positivité de ce devenir-marchandise qui réside dans le fait même de l’extension quasi illimitée de l’activité productive. Car en devenant immédiatement productive, c’est chacune de ces activités qui est aussi d’emblée politique (du fait de l’indissociabilité entre ” politique ” et ” économie “, que nous a appris à penser Marx). La lutte contre l’autonomie du politique se recompose donc à un niveau supérieur, avec des éléments inédits.
Pour autant, l’unité de cette lutte n’est pas aisée à exprimer. Ce n’est pas en déduisant, de façon très objective, de la situation actuelle, le mot d’ordre du revenu garanti comme germe d’une crise réelle, que l’on aura une matrice politique suffisante en termes subjectifs. La pertinence de ce mot d’ordre est il est vrai aisément déductible de la situation, mais elle ne saurait faire oublier que les logiques subjectives sont tout autre chose que des éléments qui peuvent être simplement déduits de la critique de l’économie politique.
La mesurabilité du travail en termes de temps a été l’élément essentiel à partir duquel a été réalisée dans le monde capitaliste la dépossession de l’activité des sujets, et sa mise au service de l’accumulation du capital. La crise issue de la reconfiguration post-fordiste de l’activité présente donc une portée que l’on commence à peine à mesurer, celle-ci étant généralement le moins analysée du côté de ceux qui se déclarent hostiles au capitalisme.
C’est à partir de là que l’on doit entendre la proposition de Jacques Barrot, ancien ministre du travail, selon laquelle le temps de la vie et le temps de la formation doivent coïncider ; d’où la nécessité d’élaborer une loi portant sur ” le développement de la formation tout au long de la vie ” [22]. C’est dans cette perspective qu’il proposait la constitution de ” banques du temps “, ou un ” compte-épargne temps ” ” permettant aux salariés de “capitaliser” année par année des droits à la formation sous forme d’une réserve de temps rémunéré dans laquelle chacun pourra puiser ” ; compte-épargne-temps lui-même bien évidemment conditionné par un accord sur l’A.R.T.T. [23].
À travers cela, et pour la première fois de façon officielle, acte était pris de ceci que le temps est aujourd’hui un enjeu essentiel en tant que temps de la vie, pris d’une manière générique, au-delà du temps abstrait comme mesure extérieure de l’activité. Que ce projet n’ait pas été repris par le nouveau gouvernement sous sa forme initiale n’enlève rien au fait qu’une même logique se poursuit : le fait de conditionner l’ouverture de droits à la formation à la quantité de temps travaillé n’apparaît plus que comme une mesure de contrôle social, une manière d’imposer la valeur-travail comme horizon de l’activité, c’est-à-dire une manière de conjurer les effets virtuels de ” libération ” que contient le passage tendanciel à la mise au travail immédiate du temps de la vie.
Mais qu’entendre, exactement, à travers l’expression ” temps de la vie ” ?
Le temps de la vie désigne l’ensemble des aptitudes développées pendant l’existence, la capacité d’un individu à devenir, à se transformer. En ce sens, de mesure abstraite qu’il était, le temps, compris comme temps de la vie, est bien devenu une source vivante. Il est ainsi fait appel à ce qu’une personne a de singulier, à un ensemble de dispositions, d’aptitudes, qui ne sont pas sanctionnables par un diplôme, mais qui peuvent néanmoins être mesurées par leur degré d’investissement dans la tâche demandée.
Les quelques mots d’ordre (Deleuze dirait : ” mots de passe “) que l’on a pu rencontrer en termes de refus des critères fixant les ” compétences ” et de refus de la simplification des savoirs, touchent directement au problème crucial de l’exploitation du temps de la vie.
Qu’est ce que le capitalisme ? Avant tout (et c’est là, sans doute, que Marx est indépassable) une forme déterminée de l’agir humain. Sa caractéristique essentielle, en tant qu’il a coupé les activités de leur enracinement et qu’il a donc, si l’on peut dire, inventé le travail abstrait, est d’avoir rendu le temps extérieur à l’agir. Dans la phase cruciale de recomposition qu’il traverse maintenant, qui se caractérise par un éclatement du temps-mesure, il semble que l’extériorité du temps soit vaincue, qu’une perspective de reconquête de l’adéquation temps/activité soit possible, dans la mesure où le ” travail ” se distingue toujours moins du temps de la vie.
En réalité, l’extériorité demeure plus que jamais, et ce dans la mesure où le capitalisme ne peut renoncer à sa réalité ontologiquement constitutive, à savoir la médiation. Celle-ci, il est vrai, ne repose plus sur la mesure abstraite de l’activité, mais sur une prolifération de dispositifs d’évaluation qui sont autant de filtres pour rendre visible et contenir la réalité diffuse du savoir et des aptitudes acquises au cours d’une vie. C’est en tout cas la thèse que nous avons voulu soutenir.
Comment penser alors concrètement cette nouvelle extériorité du temps ? En ceci que dans les dispositifs de pouvoir centrés sur la formation, le temps de la vie apparaît comme un capital exploitable à gérer, c’est-à-dire à penser en termes de stocks disponibles valorisables. Inutile de souligner ce qu’une telle orientation subjective peut avoir de désastreux. Il faut plutôt en montrer le correspondant au niveau du contrôle exercé sur les vies, qui apparaît comme une menace permanente de dé-propriation de l’activité (dont le chômage n’est que l’une des expressions, et non l’inverse) ayant pour rôle de garantir une ” bonne ” orientation, une ” bonne ” gestion de l’activité, c’est-à-dire conforme aux visées générales de régulation de la société.
La racine même du problème est d’ordre philosophique, d’où sans doute la difficulté de le traduire en revendications directes : la reconquête d’un agir commun (mais il est de l’essence de l’agir de n’être pas ” individuel “) dont le temps serait la forme d’accomplissement, loin d’en être un cadre abstrait, loin aussi d’être un réceptacle d’expériences valorisables sur le marché de l’emploi.
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[1] Organisée en juin 96, cette rencontre était censée réunir responsables d’entreprises et acteurs du monde de la formation. Un fait était notable : la quasi-absence des premiers.
[2] Cf., sur ce problème, le projet de réforme très contesté (mis en place sous le ministère de Bayrou et dont le destin est aujourd’hui incertain), visant à généraliser les stages gratuits en entreprise, en vertu de leur caractère ” diplômant “.
[3] Ce qui apparaît ne serait-ce qu’à considérer ces chiffres : seuls 14 % des étudiants n’ont exercé aucun type de travail, et 1/4 environ exercent un travail régulier. A titre indicatif : 2 % seulement appartiennent à un syndicat, et 2 % également sont membres d’une organisation politique.
[4] Cf. La Revue de l’Université n° 8, p. 75.
[5] Voire de la création même des universités. Ainsi l’université de sciences d’Evry-Val d’Essonne, financée par la Snecma et Peugeot, ou l’IUP de gestion de la distribution à Lille II, créé avec le soutien de 14 entreprises (dont Kiabi, Habitat, la Redoute, …).
[6] Ainsi l’OFIP (Observatoire des Formations et de l’Insertion Professionnelle) à Lille I (USTL).
[7] Discours prononcé par Bayrou le 18 juin 1996, en conclusion des états généraux de l’université.
[8] ” L’activité est trop sensible au contexte local et aux variations temporelles courtes pour qu’on puisse planifier un tel programme à l’avance et dans l’ensemble de la région ” (texte introductif à l’atelier 10 lors du lancement des emplois-jeunes par le Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais, le 3 novembre 1997).
[9] Sauf bien sûr les idéologues de la valeur-travail, tels Didier Demazière : ” que les activités soient nouvelles ou pas n’a aucune importance. L’essentiel est qu’elles soient réintroduites ” (interview dans Le Monde de l’Éducation de décembre 1997), c’est-à-dire que ce qui est bon par essence, c’est la mise au travail, la plus massive possible, en l’occurrence d’une grande partie de la jeunesse.
[10] ” Des fonctions d’accueil, d’accompagnement, de tutorat devraient être développées… La demande n’est donc pas celle d’une compétence technologique, mais bien d’une mise en relation entre l’usage de la technologie et le projet… Les profils requis pour les emplois-jeunes apparaissent alors comme aux frontières de métiers et de qualifications diverses. D’une certaine façon, ils préfigurent les compétences futures… ” (atelier 4, NTIC, texte introductif, Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais).
[11] Fauroux propose une liste de ce qu’il désigne comme ” savoirs réellement primordiaux ” que l’école a pour mission première de transmettre, auxquels doit être associée ” la mise au point d’une batterie d’épreuves, annuellement renouvelables, qui permettra d’apprécier rubrique par rubrique s’ils sont acquis ou font défaut ” ; cf. Pour l’École, Calmann-Lévy/La Documentation française, Juin 1996, p. 73.
[12] Bayrou en appelle en effet à une simplification des contenus des DEUG, au profit des ” modules de culture générale et d’expression “.
[13] Les arbres de connaissance, Michel Authier et Pierre Lévy, La Découverte, 1992.
[14] In Libération du 28/11/1997, supplément ” multimédia “.
[15] Dont la forme la plus prometteuse semble contenue dans le concept d'” auto-formation ” ; à l’université de Bordeaux I, 20 000 heures de cours sur CD-rom et sur cassettes sont mises à la disposition des étudiants, qui sont ainsi invités à s’auto-former.
[16] Cela n’est bien sûr pas vrai au niveau de la manière très française de prendre en charge la ” reproduction de l’élite ” à travers les grandes écoles, et au niveau de certains secteurs de la recherche. Nous nous intéressons ici à une partie de la réalité étudiante, il est vrai quantitativement considérable.
[17] Le Monde de l’Éducation, octobre 1997, pp. 53-55.
[18] Une alternative véritable à cette compréhension des espaces interstitiels aux disciplines en terme d’interdisciplinarité, apparaît dans l’idée d’une ” écologie des pratiques ” développée par Isabelle Stengers dans les Cosmopolitiques, La Découverte et Les Empêcheurs de Penser en Rond, Paris et Le Plessis-Robinson, 1997.
[19] 80 % d’entre eux disent avoir d’abord choisi leur filière par désir d’accomplissement intellectuel ; rappelons que les étudiants inscrits dans ces filières constituent 80 % des étudiants inscrits en filières dites ” non-professionnelles “.
[20] Et pas seulement universitaire, mais aussi, pourrions-nous dire, para-universitaire, sous la forme des ciné-clubs, groupes d’expression, associations philosophiques, revues, etc.
[21] ” La vision du travail précaire en termes d’auto-libération renvoie à une phase du passé, à une phase où l’économie informelle connaissait un boom, où elle était autre qu’actuellement ” ; cf. Le Philosophe et le Gendarme, Actes du colloque de Montréal, vlb éditeur, p.228.
[22] Discours prononcé le 01/10/96 lors de la clôture des Entretiens Condorcet.
[23] Idem ; nous reprenons ici le compte-rendu qui a été fait par l’Hebdo de la Formation, sur Internet, le 02/10/96.
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