Article publié dans l’hebdomadaire de gauche « Ekmek ve Adalet » (Pain et justice), 21 septembre 2003, Numéro: 78

L’isolement dans la photo, c’est la photo de l’isolement

Les autorités pénitentiaires ont fini par donner aux prisonniers le droit de se prendre en photo dans les prisons de type F. Mais à une condition : il leur faudra apparaîte seul sur la photo! Interdit de prendre une photo avec son camarade de cellule. L’isolement doit ainsi continuer, même dans la photo. La photo doit exhiber votre solitude. Ainsi, même dans un carré de photo, vous êtes soumis à l’isolement.

Si vous vous contentez uniquement d’observez le cas de la « photo sous conditions », cela peut suffire à comprendre la cervelle qui a produit les prisons de type F mais aussi jusqu’où un telle cervelle peut en arriver.

Si les classes dominantes ont auparavant exprimé leurs sentiments au sujet des prisonniers par « il faudrait tous les pendre… », « il faudrait s’en débarrasser pour de bon », aujourd’hui, ne pouvant agir ainsi, ils ont été contraints de développer divers moyens « d’extermination ». La cellule et l’isolement sont en l’occurrence à compter parmi ses moyens.

Toute personne sensée sait désormais que la « réforme des prisons », la « liberté individuelle », les « problèmes de sécurité » qui ont servi à légitimer la mise en service des prisons de type F, ne sont que du boniments.

Dans le livre écrit par le révolutionnaire tchèque Julius Fucik et intitulé « Ecrit sous la potence », on peut lire ce passage-ci:

« Il arrive que tuer un homme ne soit pas le plus grand mal que l’on puisse faire à cet homme. Les nazis étaient des spécialistes, non pas uniquement dans le meurtre, la torture physique, mais aussi dans la dégradation et l’avilissement de l’homme, dans l’extermination de son espoir, de ses attaches à la vie et de sa faculté de raisonnement. »

Ce sont des méthodes que l’Amérique et l’Europe ont reprises à leur compte et ont développées de manière spectaculaire, notamment dans le domaine de l’incarcération.

Il faut aussi rappeler que lorsque l’Armée rouge entra dans Berlin, des milliers d’officiers nazis spécialistes dans la torture, les massacres, les intrigues et les complots ont été expatriés sous la protection de la CIA pour être emmenés en Amérique, via la Grande Bretagne ou même par vol direct. L’Amérique a pu ainsi bénéficier de toutes le savoir-faire de ces officiers en la matière.

L’isolement est une forme d’extermination particulièrement en vogue après la deuxième guerre de partage impérialiste, lorsque ces impérialistes étaient contraints d’utiliser davantage des propos tels que « droits de l’homme », « liberté », « démocratie » afin de pouvoir concurrencer le socialisme.

Quand nous disons : « Les prisons de type F sont des camps de concentration » ou « dans les prisons de type F, il y a des mesures nazies », ce n’est ni pour exagérer, ni pour ‘comparer’ les deux formes d’incarcération. En fait, nous parlons de la politique sous-jacente qui est typiquement nazie.

Aujourd’hui, comme les impérialistes et les oligarchies collaborationnistes ne peuvent plus utiliser de chambres à gaz, ils recourent à des procédés comme l’isolement cellulaire que l’on peut définir comme des « chambres à gaz spéciales qui ne tuent que l’esprit ».

« Pense à TOI ! Oublie les autres, sauve TA peau »!

Ce qu’ils tentent d’imposer, c’est une culture. Celle de l’égoïsme et de l’individualisme les plus vils et les plus bas ».

Est-ce quelque chose de nouveau ? Non ! La bourgeoisie impose cela depuis un siècle, avec des centaines de moyens et de méthodes.

L’individualisme, c’est véritablement l’épine dorsale de l’idéologie et de la culture bourgeoises.

Cependant, l’isolement n’est pas une culture véhiculée par les films, la musique ou les livres.

Elle est imposée par la torture physique et mentale, avec la menace de supprimer le droit à la vie. Sa devise : « Le reniement de ses idées ou la mort ».

C’est sur ce point que convergent les prisons de type F et les camps nazis. Après 50 ans, les différentes formes de violence ont la même essence.

Dans sa description du prisonnier soumis à l’ennemi, Fucik dit ceci: « lorsqu’il se retrouva seul face à un ennemi qui attaque de toute part, il perdit toutes ses forces. Il la perdit parce qu’il commença à penser à lui-même. »

« La captivité et la solitude sont des notions qui sont délibérément confondus pour brouiller la tête des gens. C’est une erreur que de les confondre. Car le prisonnier n’est pas seul. La prison est une micro-société où l’isolement le plus dur ne peut soustraire le captif à la société tant que celui-ci ne s’y est pas soustrait. »

C’est précisément ce que recherche l’oligarchie par tous les moyens. Elle sait que tant qu’elle ne parvient pas à s’emparer du cerveau des prisonniers, son entreprise est vaine, malgré sonµ recours à des interdictions de photos collectives.

L’oligarchie tente donc d’arracher au détenu, son lien affectif qui le lie à la société, à son pays et son peuple. Elle veut les lui arracher de son cerveau. Les interdictions, les peines disciplinaires, la suppression de la réduction de peine, les lois visant au repenti servent à créer cette « rupture ».

L’isolement s’attaque à l’existence sociale de l’être humain

La politique de l’isolement est entièrement bâtie sur la destruction de la capacité de résistance du détenu. La vie communautaire génère-t-elle la résistance ? Oui. Dans ce cas, elle doit être interdite. Le partage génère-t-il la résistance ? Oui. Alors, interdit. Cela singifie que vous ne pouvez même pas partager une aspirine avec celui qui se trouve dans « l’autre » cellule. La mentalité qu’ils veulent inculquer se résume par: vous n’êtes pas une partie du « nous », vous n’êtes qu’un « autre ». Les lettre et les livres rattachent le détenu à la vie et sont vecteurs de résistance ? Interdit. C’est pourquoi, meme s’ils ne peuvent pas tout interdire, ils doivent agir de telle sorte que vos droits deviennent « inutilisables »…

Cet inventaire de vertus et d’activités sociales tels que le partage ou le dialogue sont des choses tellements naturelles que leur inexistance est difficilement concevable. La désocialisation, l’état de rupture avec son entourage, en d’autres termes, le renfermement sur soi-même, sont considérés comme des maladies. Et c’est précisément pour les rendre malades que les autorités placent les prisonniers dans des cellules. En d’autres termes, les
prisonniers sont condamnés à souffrir de « maladie ».

Les tyrans s’évertuent à modifier les caractéristiques essentielles de l’être humain. Par conséquent, on peut aisément voir que la lutte contre la cellule et l’isolement, c’est la lutte contre la « déshumaniation, l’avilissement de l’homme ».

Dans le combat qui émaille les prisons, les impérialistes et leurs collaborateurs ont développé maintes méthodes pour éliminer la résistance et en assécher les sources. Les détenus ne demeurent pas pour autant inactifs: ils ont, ainsi, développé diverses formes de résistances physiques et idéologiques.

Le combat continue

La mentalité qui interdit la photo ‘à deux’, continue donc sa guerre « d’extermination ».
Que dit Julius Fuçik à ce sujet: « si vous mettez deux prisonniers ensemble, qui plus est, s’ils sont communistes, en cinq minutes, une organisation oeuvrant à la destruction de vos plans verra le jour. »
Les disciples américains, européens et turcs des Nazis ont certainement du lire ces propos. Des criminels comme Sami Türk, Cemil Ciçek et Ali Suat Ertosun ont certainement lus ces paroles puisqu’ils refusent de réunir deux prisonniers révolutionnaires pendant deux minutes, ne fût-ce que pour faire une photo.
Pourront-ils parvenir à un résultat total? Nous le disons haut et fort: Jamais!

Soit vous devrez vous opposer à l’isolement sous toutes ces formes, soit « vous danserez sur nos tombes »! »

Tant pour ceux du dedans que pour ceux du dehors, il ne peut pas y avoir de juste milieu concernant l’opposition à l’isolement. Une approche éclectique de l’isolement (qui stipule qu’il y a du bon et du mauvais dans le système cellulaire) ne fait que renforcer le parti des apologistes de la politique d’isolement. Nous pouvons voir aujourd’hui à qui a servi la position disant « oui aux prisons de type F mais non à la torture ».

A l’intérieur comme hors les murs, une résistance acharnée se poursuit depuis 3 ans déjà. Comme cette résistance a établi la nature de la politique de l’isolement de manière claire et nette, les opposants à l’isolement se battent contre son essence même.

L’Amérique, l’Europe et l’oligarchie imposent non seulement aux prisonniers isolés mais aussi à toute l’opposition populaire, le message suivant: « vous devez penser selon mes exigences ! ». « Vous devez être égoistes. » « Vous ne devez pas vous opposer aux fondements de notre système ». « Vous devez vous purifiez de toute idéologie nocive ! »

A l’intérieur comme à l’extérieur, qu’est ce qui est dit à ce sujet? La question est simple : il n’y a pas de juste milieu. Voyez comment Fucik dépeint ceux qui sont « au-dessus de la mêlée »:

« Il n’y a que le sujet et l’action : le loyal résiste, le traître trahit, le héros se bat, le couard se résigne. En chacun de nous, il y a la force et la faiblesse, le courage et la peur, l’endurance et la fragilité, la propreté et la salissure. Ici, c’est l’un ou l’autre qui survit. C’est oui ou c’est non. Se mettre à faire des acrobaties, c’est comme faire le bouffon avec un chapeau surmonté d’une plume jaune ou comme danser lors de funérailles. »

Telle est la réalité de l’isolement cellulaire. Personne n’est à l’abri de la résignation. Il est possible de résister comme il est possible de se soumettre et de danser sur les tombes.

Prochaine réunion préparatoire du symposium sur l’isolement carcéral du 19 décembre

Date : Samedi 11 octobre 2003 à 15 h.
Lieu : CPA-Fi Sud à Florence (Italie)
Pour tout contact :
Tél : 00 32 2 230 08 66
E-mail : isolation@post.com