Depuis plusieurs années, les groupes, les partis, ou les individu.es d’extrême droite ne manquent pas de plateformes pour diffuser leur propagande : minitel, réseaux sociaux, Web TV (Égalité et Réconciliation, TV Libertés, Vincent Lapierre, etc.), et site internet (La Furia, Valeurs Actuelles, Boulevard Voltaire, Breizh-Info, Riposte Laïque), services de streaming musical, et bien d’autres.

Les commentaires haineux, racistes, antiféministes, xénophobes,LGBTphobes, et discriminatoires, prospèrent sans aucune inquiétude. Dans cette publication, nous allons revenir sur quelques exemples aux techniques bien rodées.

En 2021, Erik Tegnér, originaire de Lamballe, dans les Côtes-d’Armor, lance un média conservateur et identitaire, Livre Noir. Son nom est choisi en référence à un livre du polémiste d’extrême droite Éric Zemmour : «Le livre noir de la droite». D’après Le Monde, le but officieux de cette chaîne est de pousser la campagne électorale de Zemmour à la présidentielle de 2022.

Constitué d’une équipe d’une quinzaine de salariés, Livre Noir se dote d’un «comité stratégique» comprenant l’ex-ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt, l’ancien PDG d’Elf Aquitaine, Loïk Le Floch-Prigent, et l’avocat Thibault de Montbrial.

Si le média d’extrême-droite encourage le candidat de Reconquête à se présenter à l’élection présidentielle, le peu de soutien politicien se fait ressentir très vite. Pour remédier à cette erreur, il s’appuie sur une base de jeunes partisan·es, présent·es sur TikTok. L’application mobile de partages de courtes vidéos et réseautage social, prisée par 72% (des moins de 24 ans) d’utilisateurices françaises, va servir detremplin pour la propagande idéologique de l’essayiste et pour le recrutement pour les groupuscules d’extrême-droite.

Si ses partisan·es ont choisi TikTok plutôt qu’Instagram ou Facebook, c’est d’abord parce que TikTok est un réseau social jeune pour les jeunes. Ils y trouveront leur public. Mais c’est aussi surtout parce que les contenus clivants créent du débat.

Romain Fargier, chercheur en communication politique au centre d’études politiques et sociales de Montpellier, explique : «Plus il y a de la tension, plus il y a de l’interaction et cela favorise l’activité sur les réseaux sociaux. Deuxièmement, il n’y a pas d’espace médiatique pour ce type d’idées, du moins dans la presse ou dans les médias généralistes.»

Alors bien sûr, TikTok interdit les propos violents ou racistes ainsi que toutes les formes d’insultes ou la promotion de discours haineux, mais les militant·es d’extrême droite cherchent à maîtriser la censure et inventent toujours plus de nouvelles techniques pour contourner les règles : langage codé, double discours, sarcasme, etc. Les vidéos supprimées peuvent aussi devenir un argument pour légitimer le discours. Selon Vanessa Lalo, psychologue spécialiste des réseaux sociaux : «Plus elles sont extrêmes, et plus elles vont jouer sur ces notions de censure en disant qu’ils ne sont pas invités dans les médias alors que c’est faux ou qu’on leur coupe leur liberté d’expression.»

Si une vidéo est supprimée, trois, ou quatre vidéos sont publiées dans la foulée. Les militant·es pro-Zemmour ou de groupuscules ne renoncent pas, et investissent de nouvelles plateformes, comme Telegram, où les moyens de lutte face aux discours haineux et discriminatoires sont restreints. Un autre support avantage la fachosphère : les plateformes audio. Après avoir longtemps exporté leur idéologie sur les plateformes vidéo, les influenceurs identitaires investissent de plus en plus l’audio, comme Spotify.

Le 9 juin 2023, YouTube fermait la chaîne de Papacito pour «harcèlement et cyberintimidation» contre le maire sans étiquette de Montjoi, un petit village du sud-ouest de la France, visé dans une vidéo mise en ligne en mai. Au sein de son bord politique, il n’est pas le seul à avoir quitté YouTube. Ismaïl Ouslimani, plus connu comme Le Raptor, n’a lui pas été banni de YouTube, mais c’est tout comme.

En un an, l’influenceur, présenté comme l’un des fers de lance de la fachosphère, n’a publié qu’une seule vidéo.Début mai 2023, il explique dans une vidéo se consacrer dorénavant à son entreprise dédiée à la musculation et à son podcast. Sur ses enregistrements audio, on retrouve le langage codé : business de la protéine, masculinisme et virilisme, opposé aux haters (sous-entendus aux opposant·es politiques).

À eux deux, Papacito et Le Raptor faisaient partis, courant 2023, du «Top podcasts France» de Spotify. Le média Livre noir s’est aussi mis à la page. La chaîne YouTube ne propose pas encore de format natif exclusif, mais elle poste depuis quelques mois des entretiens en podcast sur différentes plateformes dédiées.Ils ont trouvé un espace d’expression pas toujours bien modéré. L’Arcom (gendarme de l’audiovisuel et du numérique) ne surveille pas les podcasts et les plateformes ne démonétisent pas les audios d’extrême droite, contrairement à YouTube.

Et s’ils étaient un jour bannis des plateformes audio, ces podcasts auront l’avantage d’être plus faciles à héberger sur un site personnel que les vidéos. C’est le cas d’Alain Soral, fondateur d’Égalité et Réconciliation, banni par Spotify en 2022, et qui a refait surface sur ERFM (radio en ligne et en continu d’Egalité et Réconciliation).

Sur le discours antiféministe et masculiniste, on retrouve l’ex-visage de Génération Identitaire, Thaïs D’Escufon, nouvelle «coach de vie» de l’extrême droite. Sur sa chaîne YouTube, elle joue désormais la «tradwife» (épouse traditionnelle). Là encore, elle utilise un langage codé pour séduire de nouveaux adeptes : questionnement sur la biologie, apocalypse du monde occidental venant de l’industrie du porno, débunkage du patriarcat, vérité sur les amitiés homme-femme, misère sexuelle, polyamour…

D’autres influenceuses sont sur le devant de la scène avec la marque de protéine, Prozis : Alice Cordier et Mila Orriols.

La première citée, fondatrice et présidente ducollectif fémonationaliste, Némésis, ne semble plus être soutenue par la marque depuis peu.

La seconde, islamophobe et féministe identitaire, s’est lancée dans le bodybuilding. Elle relaye des posts de Marion Maréchal ou de Stanislas Rigault, publie des posts sur «les racailles» et affiche très fréquemment son soutien au collectif Némésis sur les réseaux sociaux, selon Street Press.

À cet instant, nous évoquons globalement quelques derniers faits. Mais lors de la conférence du 31 janvier, il vous sera présenté une palette bien plus large de la stratégie numérique de l’extrême droite. Avant de conclure, revenons sur l’origine de cette stratégie.

Comment le Front National est devenu le premier parti sur internet ?

En 1985, le FN lance 3615 LE PEN sur le minitel, à une époque où il n’existe rien d’autre que des sites institutionnels et de rencontres coquines.Le parti d’extrême droite crée une version du célèbre jeu vidéo Pac-Man avec le père Le Pen en lieu et place du personnage en forme de fond jaune doté d’une bouche. On y voit le fondateur du FN manger ses concurrent·es aux élections et ses opposant·es idéologiques. C’est un flop commercial, avec seulement 30 ventes. Pourtant, il fait scandale et attire la lumière sur son parti.

En avril 1996, dans l’indifférence générale la plus totale, le parti lepéniste devient la première formation politique à se doter d’un site internet (www.front-nat.fr). Il comprend rapidement que l’ancêtre d’internet est depuis le départ un moyen de dépasser le filtre médiatique. Cette obsession le pousse à se lancer dans la vidéo en ligne, trois ans après l’apparition de YouTube.

Il prend le nom de domaine Lepen.tv, quand tout le monde achetait des .com. Et quand en 2002, il se hisse au second tour de l’élection présidentielle, le parti d’extrême droite envahit les forums et les zones de commentaires des grands médias en ligne pour poser de fausses questions et répondre avec des solutions de Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, ce schéma est toujours reproduit par l’extrême droite et notamment sur Twitter !

Pour prolonger cette publication, le CAM (Collectif Antifasciste du Morbihan) organise, avec la participation du réseau VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales), la quatrième conférence débat de son cycle autour des dangers de l’extrême droite et des manières de la combattre.
Rendez-vous le mercredi 31 janvier, à partir de 20h, Maison des associations, ancien collège Jean Le Coutaller, 5 Place Bonneaud, à Lorient.