Il y a 148 ans cette semaine, le 6 avril 1871, des participant·e·s révolutionnaires armé·e·s de la Commune de Paris ont saisi la guillotine qui était entreposée près d’une des prisons de Paris. Ils et elles l’ont apporté au pied de la statue de Voltaire, l’ont brisée en morceaux et l’ont brûlée dans un feu de joie, le tout, sous les applaudissements d’une immense foule. Il s’agissait d’une action populaire émanant de la base et non d’un spectacle coordonné par des politiciens. À l’époque, la Commune contrôlait la ville de Paris, qui était encore peuplée par des gens de toutes classes sociales ; les armées françaises et prussiennes encerclaient la ville et se préparaient à l’envahir afin d’imposer le gouvernement républicain conservateur d’Adolphe Thiers. Dans ces conditions, brûler la guillotine était un geste courageux qui répudiait le règne de la Terreur et l’idée selon laquelle un changement social positif peut être obtenu en massacrant des gens.

« Quoi ? » tu te dis, choqué·e, « les Communard·e·s ont brûlé la guillotine ? Pourquoi diable feraient-iels cela ? Je pensais que la guillotine était un symbole de libération ! »

En effet, pourquoi ? Si la guillotine n’est pas un symbole de libération, alors pourquoi est-elle devenue un motif répandu pour la gauche radicale au cours de ces dernières années ? Pourquoi internet est-il rempli de mèmes à l’effigie de la guillotine ? Pourquoi le groupe The Coup chante « We got the guillotine, you better run » (« Nous avons la guillotine, tu ferrais bien de courir ») ? Le périodique socialiste le plus célèbre s’appelle Jacobin, du nom des premiers partisans de la guillotine. Tout cela ne peut certainement pas n’être qu’un sentiment ironique d’anxiété persistante de droite à l’égard de la Révolution française.

La guillotine en est venue à occuper notre imaginaire collectif. À une époque où les fractures de notre société s’élargissent vers la guerre civile, elle représente une vengeance sanglante sans compromis. Elle représente l’idée que la violence de l’État pourrait être une bonne chose si seulement les bonnes personnes étaient aux commandes.

Celles et ceux qui tiennent leur propre impuissance pour acquise supposent qu’ils et elles peuvent promouvoir des fantasmes de vengeance macabres sans conséquences. Mais si nous voulons vraiment changer le monde, nous nous devons de veiller à ce que nos propositions ne soient pas tout aussi macabres.

Vengeance

Il n’est pas surprenant qu’aujourd’hui les gens veuillent se venger de manière sanglante. Le capitalisme et son accumulation incessante de profits rendent rapidement la planète inhabitable. La police aux frontières américaine kidnappe, drogue et emprisonne des enfants. Des actes individuels de violence raciste et misogyne se produisent régulièrement. Pour de nombreuses personnes, la vie quotidienne est de plus en plus humiliante, elle nous fragilise et nous rend impuissant.

Celles et ceux qui ne désirent pas se venger parce qu’ils ou elles ne sont pas assez compatissant·e·s pour être indigné·e·s par l’injustice ou parce qu’ils ou elles ne sont tout simplement pas attentif·ive·s ne méritent aucun crédit pour cela. Il y a moins de vertu dans l’apathie que dans les pires excès de la vengeance.

Est-ce que je veux me venger des officiers de police qui assassinent des gens en toute impunité, des milliardaires qui tirent profit de l’exploitation et de la gentrification, des bigots qui harcèlent les gens sur internet et publient leurs informations privées ? Oui, bien sûr que je le veux. Ils et elles ont tué des gens que je connaissais ; ils et elles essaient de détruire tout ce que j’aime. Quand je pense au mal qu’ils et elles font, je me sens prêt à leur briser les os, à les tuer à mains nues.

Mais ce désir est distinct de mes convictions politiques.  Je peux vouloir quelque chose sans avoir à faire de la rétro-ingénierie pour le justifier politiquement. Je peux vouloir quelque chose et choisir de ne pas poursuivre cette envie, en particulier si je veux encore plus quelque chose d’autre – en l’occurrence une révolution anarchiste qui ne soit pas fondée sur la vengeance. Je ne juge pas les autres parce qu’ils ou elles veulent se venger, surtout s’iels ont vécu quelque chose de pire que ce que j’ai vécu. Mais je ne confonds pas non plus ce désir avec une proposition de libération.

Si le genre de soif de sang que je décris t’effraie, ou si cela te semble tout simplement inconvenant, alors tu n’as absolument pas à plaisanter sur les autres personnes qui commettent des meurtres industrialisés en ton nom.

Car c’est ce qui distingue la fantaisie de la guillotine : tout est question d’efficacité et de distance. Celles et ceux qui fétichisent la guillotine ne veulent pas tuer les gens à mains nues ; ils et elles ne sont pas prêt·e·s à déchiqueter la chair de quiconque avec leurs dents. Ils veulent que leur vengeance soit automatisée et exécutée à leur place. Ils et elles sont comme les consommateur·rice·s qui mangent allègrement des Chicken McNuggets mais ne pourraient jamais personnellement abattre une vache ou couper une forêt tropicale. Ils et elles préfèrent que les effusions de sang se déroulent de manière ordonnée, avec tous les documents dûment remplis, selon l’exemple donné par les Jacobins et les bolcheviks lors de leur imitation du fonctionnement impersonnel de l’État capitaliste.

Et encore une chose : ils et elles ne veulent pas avoir à en assumer la responsabilité. Ils et elles préfèrent exprimer leur fantaisie avec ironie, en conservant une possibilité de déni plausible. Pourtant, quiconque a déjà participé activement à des bouleversements sociaux sait combien la frontière peut être étroite entre le fantasme et la réalité. Examinons le rôle « révolutionnaire » que la guillotine a joué dans le passé.

« Mais la vengeance est indigne d’un·e anarchiste ! L’aube, notre aube, ne réclame ni querelles, ni crimes, ni mensonges ; elle affirme la vie, l’amour, la connaissance ; nous travaillons pour hâter ce jour. »

– Kurt Gustav Wilckens – anarchiste, pacifiste, et assassin du Colonel Héctor Varela, l’officier argentin qui a supervisé le massacre d’environ 1 500 travailleur·euse·s en grève en Patagonie.

Une très brève histoire de la guillotine

La guillotine est associée à la politique radicale car elle a été utilisée lors de la Révolution française pour décapiter le monarque Louis XVI le 21 janvier 1793, soit plusieurs mois après son arrestation. Mais une fois que l’on ouvre la boîte de Pandore de la force exterminatrice, il est difficile de la refermer.

Ayant commencé à utiliser la guillotine comme instrument de changement social, Maximilien de Robespierre, ancien président du Club des Jacobins, a continué à l’employer pour consolider le pouvoir de sa faction pro-gouvernement républicain. Comme il est d’usage chez les démagogues, Robespierre, Georges Danton et d’autres radicaux ont eu recours à l’aide des sans-culottes, les pauvres en colère, pour chasser la faction la plus modérée, incarnée par les Girondins, en juin 1793. (Les Girondins étaient eux aussi des Jacobins ; si vous aimez un Jacobin, la meilleure chose que vous puissiez faire pour lui est d’empêcher son parti d’accéder au pouvoir, puisqu’il est assuré d’être, après vous, le prochain sur la liste à se retrouver aligné contre un mur). Après avoir guillotiné les Girondins en masse, Robespierre s’est attelé à consolider le pouvoir aux dépens de Danton, des sans-culottes et de tous les autres.

« Le gouvernement révolutionnaire n’a rien en commun avec l’anarchie. Au contraire, son but est de la supprimer afin d’assurer et de consolider le règne du droit. »

Maximilien de Robespierre, distinguant son gouvernement autocratique des mouvements plus radicaux émanant de la base qui ont contribué à la création de la Révolution française.

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