En mars, c’est la jeunesse qui ouvre le bal en battant le pavé suite à un appel sur les réseaux sociaux. A Nantes, alors que l’agitation gagne les lycées des quartiers populaires et qu’un amphi est occupé à la fac, la jeunesse prend la tête des cortèges et pose le tempo du début du mouvement.

A mesure qu’elles se répètent, les manifs prennent de l’ampleur. Elles rassemblent toutes les générations, des habitants du centre ville de Nantes et de sa banlieue, des salariés, des étudiants, des chômeurs, encartés ou non, chasubles rouges, K-ways noirs, survet’-casquette…

Le 31 mars, c’est l’apothéose, nous sommes nombreux à ne pas vouloir rentrer chez nous, à tout faire pour que la manif s’éternise. Après huit heures d’affrontements, la police quitte la ville et nous laisse la place. Une fête endiablée autour d’un feu au Bouffay dure jusqu’au petit matin. Cette place occupée sera tantôt le lieu d’affrontements et de barricades, tantôt celui des assemblées « nuit debout ».

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Le mois d’avril et ses manifestations débordantes marquent toute la ville de leur empreinte. Lorsqu’une vitrine de banque brisée recouverte par un panneau de bois se métamorphose en mur d’expression libre, c’est tout un monde qui s’efface au profit d’un autre.

Mais à mesure qu’approchent les examens et que la répression s’accroît, les manifs s’essoufflent peu à peu. Les interdictions, les mesures administratives arbitraires, les tirs de flashballs et les arrestations en nombre, n’y sont pas pour rien. C’est alors que s’ouvre un nouveau front. Les salariés en lutte prolongent le mouvement en organisant des blocages économiques : chaque jour, on se retrouve à l’aube. A Donges, devant le dépôt de carburant. A Bouguenais, devant les portes de l’aéroport de Nantes. Employés en lutte du bassin nazairien, occupants de la ZAD, étudiants… : partout on observe le même désir de recharger les pratiques de blocages d’une dimension combative.

Mais le gouvernement garde le cap. Il mise sur l’essoufflement estival. Il nous a manqué quelque chose pour arracher l’abandon de la loi travail. Les blocages, les occupations, les manifs, se juxtaposent mais ne trouvent pas l’espace qui permette les rencontres, les circulations, les agencements susceptibles de nous faire gagner en puissance.

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A Nantes, alors que les grèves et les manifs touchent à leur fin, ça sent la dispersion. Mais une cible logique s’impose. Le parti socialiste entend organiser son université d’été fin août à Nantes. C’est la naissance de l’assemblée « à l’abordage ! », créée pour saborder l’événement. Celles et ceux qui se sont rencontrés dans la rue et sur les piquets les semaines précédentes y convergent. On y trouve ce qui nous a fait défaut au printemps : un espace d’organisation transversal d’où puisse germer une inventivité, une intelligence collective.

Comment reconvoquer toutes les formes et toutes les forces qui ont fait la texture du mouvement ? On imagine bloquer l’arrivée des participants, occuper une place, marcher sur la cité des congrès… Il aura suffi que toutes les composantes qui ont fait la vitalité du printemps se réunissent en assemblée et que nous commencions à nous organiser pour que le parti au pouvoir préfère sagement se retirer, craignant d’apparaître comme assiégé.

L’annulation en catastrophe aurait dû mettre un terme au processus et nous précipiter vers la route des vacances. Mais au fil des discussions, nous avions dépassé la simple question de la loi travail pour nous projeter ensemble dans la séquence politique de l’année à venir. Et rien, pas même le recul du PS, ne pouvait interrompre ce qui venait de commencer.

Nous avons alors décidé d’organiser une université d’été des luttes, au moment même où tous les partis politiques faisaient leur rentrée, et où s’étalait partout l’obsession du scrutin présidentiel à venir. Trois jours de rassemblements, de discussions, de fêtes, ponctués par une marche funèbre qui, à la stupéfaction des passants actait la mort du parti au pouvoir. Trois jours dans la rue, à débattre des suites du mouvement, de la situation des exilés, de l’État d’urgence et de la défense de la ZAD, de la la possibilité d’une vie sans gouvernement.

On a donné le ton de la rentrée politique à Nantes. Une rentrée politique aux antipodes du grand talk show de l’année qui va se dérouler dans les mois qui viennent. Dans cette cacophonie attendue, il est vital de s’organiser sur tous les plans pour ouvrir d’autres horizons, d’autres perspectives. Pour que l’énergie si particulière du printemps perce à nouveau et plus profond encore.

La classe politique a bien compris que le temps de l’agitation ne peut se superposer au temps de l’élection. C’est donc fort logiquement, qu’au terme de quatre mois de lutte et de débordements de la politique classique, le retour au calme estival a laissé place à une intense surenchère raciste et islamophobe, sécuritaire et néolibérale. Les têtes d’affiche d’un spectacle électoral qui n’amuse plus personne pensent pouvoir revenir tranquillement sur le devant de la scène à la rentrée. L’urgence est donc celle d’un prolongement et d’un élargissement du mouvement.

Au delà de l’abrogation de la loi travail, c’est l’hypothèse d’une reprise des hostilités qui fait trembler le gouvernement quand il arrête des dockers du Havre qui ont lutté trop fort, fait licencier un syndicaliste d’Airfrance et persiste dans le harcèlement judiciaire des opposants. Alors que le parti au pouvoir est traqué partout au moindre meeting, alors que la politique traditionnelle s’effondre, il s’agit donc de continuer le début.

Nous appelons à créer partout des assemblées, avec toutes celles et ceux qui ont fait la force du mouvement du printemps, pour mener une contre-campagne des luttes.

L’assemblée nantaise « à l’abordage ! »