Le vote électronique
« Donnez-moi votre bulletin, je me charge de le mettre dans l’urne. »

L’évolution technique n’accompagne pas toujours le progrès humain. La technologie est au service des personnes qui la contrôlent. Pour peu que ces personnes aient fait preuve de malhonnêteté et d’un certain mépris de la démocratie, l’utilisation des technologies se fera contre la population. Et si les personnes contrôlant ces technologies n’ ont jamais fait preuve de malhonnêteté et/ou de mépris de la démocratie, on ne sait pas ce qu’il se trame dans leur esprit, et le principe de précaution prévaut. La technologie n’est ni bonne ni mauvaise, c’est l’utilisation qu’on en fait qui l’est. Cependant, toute technologie peut comporter des risques et ceux-ci sont plus ou moins grands en fonction de l’importance de l’enjeu. Le pouvoir, par exemple, est un enjeu très important qui accroît les risques de fraudes. Concernant la France, par exemple, pour les élections de 2007, l’enjeu est double : En 2008, la France présidera l’Union Européenne. Et ce sera donc le parti élu en 2007 qui aura le contrôle de l’Europe.

L’UMP s’intéresse beaucoup à l’e-vote et veut tenter de l’introduire en France avant les élections de 2007. Elle prétend que cela luttera efficacement contre l’abstentionnisme, « les jeunes » s’intéressant à l’outil informatique. Mais cela permettra surtout un meilleur contrôle des résultats et de la population :

En effet, cela fait un moment que la droite veut modifier le mode électoral pour introduire le vote électronique. Au début, elle parlait surtout de l’e-vote (le vote à domicile, par le biais d’Internet). Mais les nombreux risques de l’e-vote ayant été dénoncés notamment par la CNIL, le projet a dû être écarté.

L’e-vote posait de nombreuses questions et comportait d’importants risques :

– Comment s’assurer que l’électrice ou l’électeur n’est pas contraint-e et/ou forcé-e de voter pour tel parti plutôt que tel autre et pour telle personne plutôt que telle autre ?
– Comment s’assurer que l’électrice ou l’électeur est bien la personne qu’elle prétend être (comment éviter l’usurpation du vote) ?
– Comment assurer la transparence du dépouillement des bulletins tout en conservant l’anonymat des votant-es ?
– Comment s’assurer de la fiabilité du programme du logiciel comptabilisant les votes ?
– Comment s’assurer de l’honnêteté, de la transparence et de l’intégrité des médias diffusant les résultats ? (il y a 2 ans seulement, en 2004, aux Etats-Unis, la Fox, dirigée par le cousin de George W Bush, affirmait le triomphe de Bush contre Kerry, alors que les autres chaînes donnaient Kerry largement gagnant. Brusquement, toutes les chaînes se sont alignées sur le pronostique de la Fox. Quelles pressions ont été exercées ? Quels dessous de table ? Quelles menaces ? Au Mexique, Calderon a truqué les élections pour remporter la victoire contre Obrador. Pas un média officiel n’a dénoncé la fraude et n’a contesté sa victoire, etc.)

La droite aujourd’hui revient avec sa volonté d’introduire le vote électronique. Elle ne précise pas cette fois s’il s’agît d’e-vote ou de machine à voter (machines situées dans les bureaux de vote et dont l’unique fonction est la comptabilité du vote électronique). Elle avance comme solution le contrôle biométrique (identification par l’iris et les empruntes digitales) pour déjouer l’usurpation de vote et le vote sous contrainte. Mais de nombreux problèmes demeurent : la confidentialité n’est plus respectée, car à vouloir s’assurer que la personne qui vote est bien celle qu’elle prétend être et qu’elle ne le fait sous aucune contrainte morale ou physique, l’identité de l’électrice ou de l’électeur est dévoilée, ce qui l’expose à des risques de représailles ou à un fichage (il est alors tout à fait possible d’interdire le vote ou de programmer le logiciel pour qu’il bloque le vote d’un groupe de personnes afin de s’assurer un contrôle plus ou moins important sur les résultats électoraux.). L’entrave à la confidentialité est d’autant plus accrue que la carte INES (nouvelle carte d’identité en France) et le passeport électronique (nouvellement introduit en France) utilisent eux aussi des éléments biométriques. Ce qui veut dire aussi qu’au moindre contrôle d’identité (par la police ou les administrations), nous pourrons rencontrer des problèmes à cause de notre vote, car si les autorités nous promettent de détruire les données collectées lors des élections électroniques, comment pouvons-nous nous assurer qu’elles auront bien été détruites ? Qui peut nous garantir leur destruction ? Le gouvernement en place ? C’est justement lui qui nous aura fait cette promesse et qui est le plus susceptible de la trahir. Une autorité choisie par le gouvernement en place ? Ce n’est pas une garantie, car la population n’aura aucun moyen de vérifier l’honnêteté de cette autorité ni l’absence de corruption et/ou de pressions exercée sur elle par le gouvernement qui l’aura choisie.

Les arguments les plus utilisés pour défendre le vote électronique sont les suivants :

– Plus de simplicité
– Plus de rapidité
– Plus moderne
– Plus économique
– Plus écologiste
– Plus de fiabilité
– Plus de participations électorales
– S’aligner sur nos voisins européens
– Geste citoyen
– Plus de facilité pour le vote pour des personnes à mobilité réduite

Plus de simplicité :

C’est aussi l’argument qui a été développé à chaque occasion de remplacer les humain-es par des machines. Certaines fois, c’est vrai. D’autres fois, ça a compliqué beaucoup les choses et participé activement aux licenciements massifs dans les entreprises. Notons toutefois que lorsque l’utilisation est simplifiée par la machine, le problème est accru lorsqu’elle ne fonctionne pas comme elle devrait, voire pas du tout. On fait alors généralement appel à l’employé-e qui se trouve dans les environs lorsqu’on a de la chance et qui bien souvent ne peut rien pour vous, n’y comprenant rien non plus. Dans le meilleur des cas, elle/il vous donnera un numéro de téléphone à composer ou une adresse pour faire une réclamation si vous avez perdu de l’argent dans la machine, ce qui vous obligera à chercher une autre machine qui marche cette fois, et à faire une croix sur l’argent perdu pendant plusieurs jours.

Plus de rapidité :

Un problème de machine dans le cas d’élections va compliquer les choses et allonger la durée des élections (cf. Plus de rapidité). Lors des essais de votes électroniques au bureau de vote n° 3 de Mérignac, un votant a mis 1h pour que son vote puisse être enregistré. « A mon avis, ça vient de ma carte, l’ordinateur ne la reconnaît pas », tentait-il de se convaincre. Il était pourtant parvenu à choisir son candidat sur l’écran tactile d’un des trois ordinateurs à voter du bureau, à l’abri de l’isoloir, mais la machine refusait de valider son vote. Par ailleurs, les écrans tactiles n’enregistrent parfois pas la sélection effectuée, et l’on doit se tordre le doigt 5 ou 6 fois d’affilée avant que la sélection ne soit mémorisée. Parfois aussi, sans le moindre problème technique, l’utilisation de l’informatique est loin de faciliter les choses. J’en ai moi-même vécu l’expérience avec les nouvelles machines à billets de la SNCF, dont est équipée la Gare de l’Est, à Paris : mauvaise mise en page, questions approximatives (ce qui donne lieu à des erreurs), trop de questions (ce qui ralentit l’obtention du billet et ce qui n’est pas commode quand le train part dans quelques minutes). Par ailleurs, il n’est pas demandé au vote électoral d’être rapide mais d’être sûr, confidentiel, que son dépouillement soit honnête et transparent. En plus de tout cela, personnellement j’aime le fait de sortir pour aller au bureau de vote, entrer dans l’isoloir, suivre les résultats des votes pour chaque bureau de vote à la télévision. C’est un rituel qui me plaît et qui, je trouve, a son charme.

Plus moderne : Encore une fois, comme je l’ai écris plus haut l’évolution technique n’accompagne pas toujours le progrès humain. La modernité est une régression si elle ne garantit aucune amélioration. C’est le cas du vote électronique. On peut tout aussi bien inventer une machine à mâcher des chewing gums pour éviter d’avoir à les mâcher soi-même. Acheter cette machine n’améliorera pas notre vie, ce n’est en rien un véritable progrès et pourtant la modernité technologique est là. La modernité n’est souhaitable que si elle permet d’améliorer les choses. L’argument de la modernité est l’argument fétiche des pouvoirs publics. Il implique la caricature, la moquerie voire les insultes à l’encontre de l’adversaire là où devrait se tenir un véritable débat d’idées. C’est une manière de dire que les personnes qui s’opposent à la technologie préfèrent s’éclairer à la lampe à pétrole que d’utiliser la technologie. C’est le même type d’arguments qui était utilisé contre les écologistes. Et aujourd’hui, tout le monde connaît les catastrophes écologiques et leurs conséquences, notamment sur le climat, sur la biodiversité, etc.

Plus économique : C’est sans doute vrai. Mais nous ne sommes pas dans une société miséreuse, la France fait partie de 8 pays les plus riches du monde. Et il y a des choses pour lesquelles on ne doit pas regarder à la dépense, les droits fondamentaux dont celui d’assurer la transparence démocratique. Or elle n’est pas du tout assurée par le principe du vote électronique.

Plus écologique : Non. Non seulement le vote électronique n’est pas écologiste, mais en plus il est extrêmement polluant. Les déchets électroniques ne sont pas recyclables et sont aussi désastreux sur l’équilibre écologique que les déchets radioactifs. Le papier, lui, est biodégradable et recyclable.

Plus de fiabilité : Au contraire. S’il y a bien quelque chose que le vote électronique remet en question, c’est justement sa fiabilité. Le vote traditionnel garantit une totale confidentialité et une absolue transparence. On arrive dans le bureau de vote, on prend plusieurs papiers sur lesquels il est écrit le nom de la/du candidat-e et une petite enveloppe. Il nous est demandé si l’on veut participer au dépouillement des bulletins de vote le soir (la demande est faite à chaque personne sans savoir qui elle est, pour qui elle vote, etc). On entre ensuite dans l’isoloir (dans lequel personne n’est autorisé-e à nous suivre). On met le papier avec le nom de la/du candidat-e dans l’enveloppe. On se dirige vers l’urne. Il est uniquement mentionné que nous avons voté. L’enveloppe que nous avons glissé dans l’urne est exactement du même format, de la même couleur, de la même présentation que toutes les autres enveloppes qu’elle a rejointes. Du début à la fin, la confidentialité et la transparence sont maintenues rigoureusement. Si les médias venaient à mentir sur le décompte, les différents bureaux de vote peuvent dénoncer les médias concernés et saisir le tribunal. Or si elle n’est pas bafouée, aucune étape du vote électronique ne peut garantir la confidentialité et la transparence.

Concernant les fraudes électorales, il est beaucoup plus facile de falsifier les résultats électoraux d’un vote électronique que celui d’un vote traditionnel.

Plus de participations électorales : Faux. Le taux d’abstention relève plus du manque d’intérêt pour la politique que du fait de se déplacer ou non dans un bureau de vote. Le désintérêt des gouvernements successifs aux problèmes sociaux et les ambitions carriéristes en sont directement responsables, et introduire le vote électronique (e-vote ou machine à voter) n’y changera rien.

S’aligner sur nos voisins européens : Tous les pays européens n’utilisent pas le vote électronique, et ceux qui l’utilisent sont même minoritaires. D’autre part, même s’ils avaient été majoritaires, il est essentiel de faire les choses pour des raisons valables et non uniquement pour faire comme l’autre.

Geste citoyen : Le geste citoyen consiste surtout à s’assurer de défendre la souveraineté populaire et non la compromettre. Défendre la démocratie, et non la mettre en péril. Lutter pour la reconnaissance du vote blanc, lutter pour le droit de vote des immigré-es sont des actes citoyens, car ils permettent d’améliorer la représentation de la diversité des opinions et donc une meilleure démocratie.

Plus de facilité pour le vote pour des personnes à mobilité réduite :

« Plus de facilité pour le vote pour des personnes à mobilité réduite » était l’argument pour défendre l’e-vote. Si l’UMP parle de l’e-vote quand elle parle du vote électronique, il est important de préciser quelques points : Il existe encore de nombreuses personnes n’ayant pas Internet, voire pas d’ordinateur du tout. Alors l’e-vote les oblige surtout à s’équiper en matériel informatique et prendre un abonnement Internet (ce qui n’est pas à la portée de tout le monde) ou à se rendre dans des cybercafés. Dans les deux cas, on instaure là de facto un vote payant. Car si pour voter on doit acheter un ordinateur et prendre un abonnement Internet ou on doit se rendre dans un cybercafé, cela représente une dépense qui n’existe pas avec le vote dans l’isoloir. Par ailleurs toutes les villes n’ont pas forcément de cybercafés. Beaucoup de petites villes en sont totalement dépourvues. Cela implique donc que des personnes ne pourront pas voter du tout ou qu’elle devront aller jusqu’à la ville voisine (qui est parfois assez loin) pour espérer trouver un cybercafé (ce qui peut poser de gros problèmes pour les personnes à mobilité réduite : handicapé-es, personnes âgées, précaires. Il leur est souvent plus simple et plus rapide d’aller au bureau de vote de leur propre quartier). Cela implique sinon que les personnes n’ayant pas d’ordinateur ou Internet se rendent chez des connaissances possédant, elles, Internet. Et dans ce cas encore, la confidentialité (garantie par l’isoloir) devient inexistante.

Cilou
http://alternativesprogressistes.over-blog.com