La campagne de contre-guérilla « Salwa Judum » en Inde, expression de la contre-révolution mondiale

Aujourd’hui il n’est pas une journée qui passe sans que les médias indiens ne parlent des naxalites.

Une chose inévitable – la guérilla naxalite est présente dans 170 districts, soit 15 Etats. Il existe de véritables bases rouges, qui forment comme un long corridor dans l’Est de l’Inde.

Contrairement aux zapatistes, qui forment dans la région du Chiapas au Mexique des structures communautaires parallèles à l’Etat, les naxalites affrontent l’Etat et développent un nouveau pouvoir, fondé sur l’armée populaire, l’école populaire, les tribunaux populaires, etc.

Une alternative très concrète qui est connue et visible par plus d’un milliard de personnes en Inde, mais aussi par les 150 millions de personnes au Pakistan et les 130 millions de personnes au Bangladesh, sans compter le Bhoutan et bien entendu également le Népal.

La rébellion maoïste au Népal n’est pas le modèle des naxalites. Ce sont les naxalites qui ont été le modèle des maoïstes du Népal. Le terme de « Naxalites » vient de la région de Naxalbari, au Bengale occidental. La révolte paysanne partie de ce village en 1967, portée par les maoïstes, a fait que depuis pour les masses les maos sont les « naxalites. »

La progression sans cesse croissante des naxalites exige de la part de l’Etat indien des réponses toujours plus grandes. La domination du système des castes s’effrite; les affrontements ultra-violents et meurtriers inter-communautaires (entre les hindouistes et les musulmans) des années 1990 ainsi que l’idéologie ultra-nationaliste, raciste et religieuse du parti hindou BJP sont de plus en plus compris comme un obstacle aux luttes authentiquement populaires.

Alors l’Etat indien a lancé une gigantesque campagne de contre-guérilla, campagne appelée Salwar Judum. Cette campagne utilise les mêmes principes que les campagnes utilisées depuis des années par les pays impérialistes comme la France et les USA : il s’agit de s’appuyer sur des minorités pour diviser les pays et faire s’entretuer les gens.

“S’il y a des moeurs et des coutumes a respecter, il y a aussi des haines et des rivalités qu’il faut démêler et utiliser a notre profit, en opposant les unes aux autres, en nous appuyant sur les unes pour mieux vaincre les autres”. (Lyautey dit « Lyautey l’Africain », maréchal de France et académicien, l’un des penseurs du colonialisme français)

C’est la tactique coloniale des Français, précurseurs et maîtres en matière de domination, grands instructeurs de la contre-révolution à l’échelle mondiale.

C’est ce qu’ont fait les Anglais pour diviser l’Inde en trois Etats; c’est ce qu’ont fait les Etats-Unis en Palestine avec le sionisme ou encore au Laos en s’appuyant sur les tribus méos contre les guérillas, sans parler du Vietnam, etc.

La campagne Salwar Judum est ainsi une campagne classique de contre-guérilla, visant à encercler et anéantir les naxalites, en s’appuyant sur des minorités, principalement tribales. Car les naxalites sont connus pour être les plus fervents défenseurs des tribaux, et cela depuis le début de leur existence.

Cette campagne a été lancée en juin 2005, dans le district de Dantewara dans l’Etat du Chhattisgarh. Ce district a trois autres Etats comme frontières, Etats où les naxalites sont particulièrement présents (Maharashtra, Andhra Pradesh et Orissa).

Le district de Dantewara faisait auparavant partie de l’Etat du Madhya Pradesh, mais l’Etat indien recompose souvent ses Etats, selon les besoins des grands propriétaires fonciers ou de l’impérialisme, en s’appuyant sur les castes dominantes et la langue hindi pour opprimer les multiples nationalités – en Inde il y a 18 langues reconnues officiellement, mais il y en a en pratique 1600 !

Les Etats indiens sont dominés dans les campagnes par les grands propriétaires terriens et leurs milices, qui font régner la terreur et laissent les paysans sans terre. Dans les villes, une bourgeoisie bureaucrate, ultra-minoritaire et oligarchique, vit de ses relations avec l’impérialisme, historiquement anglais, russe et américain.

L’Etat du Chhattisgarh a ainsi été formé en 2001, pour servir les besoins de la domination. C’est un Etat où les villages forment 62% du territoire, 38% étant composés de forêts – mais comme les zones villageoises sont composées à 46% de forêts, celles-ci forment en tout 66% du territoire.

La région est rurale, il s’agit d’un grand plateau, peu densément peuplé (41 personnes au kilomètre carré). Il y a 1220 villages, dont seulement 40 ont plus de 500 familles.

82% de la population est composée de tribaux. Les tribaux sont les anciens habitants de l’Inde; on les appelle en hindi les « adivasis » (« natifs ») ou « tribals » en anglais et ils forment 7% de la population totale – 90% vivant sous le seuil de pauvreté. Historiquement les Tamouls sont arrivés en Inde, puis par la suite les tribus aryas, qui ont instauré leur domination par le système des castes. Ainsi, les 76 villages dont les tribaux ne forment pas la majorité sont les plus grands et servent de marchés.

L’Inde est un pays semi-colonial (les capitalistes sont des bureaucrates servant l’impérialisme) et semi-colonial : dans les campagnes les castes dominent, les villages sont dirigés par un chef et un prêtre, une même personne s’arrogeant parfois les deux fonctions. Plusieurs villages ont eux-mêmes un chef local, au pouvoir énorme et formant la liaison avec l’Etat, comme dans tout Etat semi-féodal.

Une famille a en moyenne 1,01 hectare, et seulement 2% des terres disposent de l’irrigation. 84% des habitants sont des paysans; même une partie des ouvriers est liée aux terres cultivées en raison de l’extrême pauvreté.

Cette liaison des ouvriers à l’agriculture vivrière “justifie” en retour un salaire extraordinairement bas, puisque les frais de reproduction de la force de travail sont en partie assurés par cette production vivrière, les ouvriers ayant d’autant moins à acheter sur le marché.

Naturellement ce sont les tribaux qui n’ont rien et sont obligés de travailler dans les autres villages pour survivre.

De la même manière, le taux d’alphabétisation est de 29% pour les hommes et de 14% pour les femmes, mais là encore il n’y a que 52 villages où le taux dépasse 25% : les zones tribales n’ont pas d’infrastructures, pas d’écoles, et s’il y en a, pas de professeurs. Il n’y a que 26 écoles secondaires en tout, et quatre lycées. Pareillement, il n’y a que 17 villages où un médecin est présent.

La seule ligne de chemin de fer va de Jagdalpur à Kirandul, en raison des mines de Bailadilla, qui fonctionnent comme une économie fermée. Personne de la région n’y travaille; tout est exporté par le train. La seule conséquence locale en plus du pillage est la pollution des rivières Dankini et Sankini, ainsi que le l’enlèvement des femmes tribales, le mariage forcé ou les viols. Il y a également d’autres mines (lithium, granite…) illégales, gérées par la caste des Thakurs qui graissent la patte aux policiers.

Ces activités minières sont très importantes, de grands conglomérats comme Tata ou Essar – ce dernier prévoit un grand pipeline pour acheminer huit millions de tonnes de fer par an jusqu’au port de Vishakhapatnam – ces projets sont en fait à la base de la formation de l’Etat du Chhattisgarh.

A ainsi été formé une usine gérée par un « National Mining Develoment Corporation » dans le village de Nagarnar, et une autre s’occupant de fer à Raicot. Ces appropriations de terrains sont théoriquement impossibles car des accords sont à obtenir dans ces zones tribales, mais l’Etat semi-colonial passe outre tout cela.

De la même manière il relance le projet hydroélectrique de Bodhghat, pour lequel le ministre de l’environnement a donné 5734 hectares de forêts en février 2004… Non loin de là le barrage de Polavaram dans l’Andhra Pradesh va marquer l’expulsion de 2335 familles.

Dans le cadre de cette politique semi-féodale semi-coloniale, une base militaire a été ouverte à Mardum ainsi qu’un camp spécial d’élite d’entraînement à la contre-guerilla dans la jungle à Kanker. Il y a 37 postes de police et 33 qui vont ouvrir. Les routes construites mènent d’ailleurs d’un poste de police à un autre. Les routes sont construites par la Building Road Agency, l’organisation de construction de l’armée, qui normalement s’occupe uniquement des routes aux frontières !

Pour toutes ces raisons et avec les luttes menées par le Parti Communiste d’Inde (maoïste), le district de Dantewada est un bastion naxalite depuis les années 1980. Les luttes sont dirigées contre les usuriers, la police, les collecteurs d’impôts et naturellement tout ce qui touche la question agraire. Les terres étaient redistribuées, ainsi que le grain; les titres de propriété brûlés.

Les luttes n’ont pas été importées par les naxalites, mais impulsées par eux. Le fondateur du mouvement naxalite, Charu Majumdar, expliquait ainsi la ligne de masse naxalite : « C’est uniquement en engageant la lutte de classe – la bataille de l’anéantissement – que le nouvel être humain sera créé; le nouvel être humain qui défiera la mort et sera libéré de tout esprit d’égoïsme. Et c’est avec cet esprit de défi à la mort qu’il ira à l’ennemi, prendra son arme, vengera les martyrs et que l’armée populaire se formera.

Aller à l’ennemi est nécessaire pour conquérir une conscience totale de soi-même et cela ne peut être obtenu qu’avec le sang des martyrs. Qui inspire et créé de nouveaux êtres humains issus des combattants, les emplissent de haine de classe et les fait aller à l’ennemi et prendre son arme les mains nues…
L’anéantissement de la classe ennemie – cette arme entre nos mains – est le plus grand danger pour les réactionnaires et les révisionnistes du monde entier… » (Rapport sur la politique et l’organisation adopté au congrès, 1970)

Dans les années 1980 les postes de police ne se faisaient pas encore attaquer; les années 1990 marquèrent un énorme développement et aujourd’hui toute une région est considérée comme une zone de guérilla par les naxalites.

Les masses avaient bien vu la nature des chefs de villages, par exemple pendant trois mois à la mi-1990 avec la campagne de « Jan Jagran Abhiyan », où ceux-ci attaquaient tout village rebelle, tuant, pillant, détruisant, violant, ayant des pratiques comme forcer des gens à boire l’urine ou à manger la boue. Les survivants se voyaient forcés à aider pour attaquer d’autres villages, et ainsi être transformés de force en mercenaires. Le soutien était complet de la part des partis, du BJP fasciste hindou au PC d’Inde, et cette campagne ne fut brisée que grâce aux naxalites qui liquidèrent les chefs de villages et les miliciens.

La campagne « Salwa Judum » qui est menée aujourd’hui a comme nom « Jan Jagran Abhiyan » dans les documents officiels, car elle a la même nature : il s’agit d’une opération générale de contre-guérilla. Sauf que maintenant les naxalites ont une énorme base rouge et que l’armée a envoyé quatre bataillons.

La campagne « Salwa Judum » est générale. Elle est militaire, politique, économique, sociale et psychologique. Elle passe même par des distributions gratuites de pepsi-cola et de pizzas aux tribaux ! Cela n’empêche pas un journal comme le Hindu à affirmer que la campagne « Salwa Judum » est une « initiative civile anti-maoïste » (6 février 2006).

Le terme de « Salwa Judum » est ainsi médiatique: « Salwa » signifie en langage tribal Gondi l’eau qu’on met sur le visage d’un malade pour le guérir et « Judum » signifie « chasses collectives. »

Comme l’explique les naxalites dans le journal Prabhat (journal du comité de la zone spéciale Dandakaranya du PC d’Inde maoïste), cette nouvelle campagne anti-guérilla est issue d’une redistribution de terres dans 25 villages entre les rivières Kutru et Indravati. Les grands propriétaires terriens ont organisé une répression et des contre-actions, en tentant de s’appuyer sur les masses; entre 150 et 200 meetings anti-naxalites ont même été organisés.

Les manifestations « populaires » anti-naxalites étaient organisées par les propriétaires terriens, encadrées par les milices, ouvertement soutenues par la police. 200 000 roupies étaient offerts aux villages joignant les protestations anti-naxalites; les naxalites ont d’ailleurs diffusé un CD où étaient enregistrées les voix de responsables gouvernementaux proposant ces sommes.

La stratégie de l’Etat indien est de construire des « local resistance groups », c’est-à-dire, comme c’est le cas de la Turquie au Pérou, des milices anti-guérillas formées de villageois qu’on a forcé à travailler avec l’armée, sous la supervision des grands propriétaires terriens ainsi que des paysans riches. Ces groupes sont associés aux « Village Defence Committee » (VDC) et les « Special Police Officers » (SPO).

Il y a 720.000 personnes dans le district, et 16.000 personnes armées et organisées dans la police, les VCD, les SPO, etc.

Cette politique existe déjà ailleurs en Inde, notamment dans l’Etat du Jharkand avec le « Sendra » (« chasse » en langue tribale Santal) et les VCD appelés « Nagarik Surakhsa Samisi » ou encore au Bihar où là ce sont les milices des grands propriétaires terriens qui contrôlent tout le territoire de l’Etat (Ranabir Sena).

La « Salwa Judum » est l’expression de la généralisation de ces pratiques, où l’on peut voir des groupes de 400 personnes, dont la moitié de policiers, organiser des processions de milliers de personnes puis attaquer des villages. Soit c’est le massacre, jusqu’aux foetus arrachés aux femmes enceintes abandonnées ainsi dans les forêts, soit c’est l’alliance avec la campagne « Salwa Judum. »

Des villages entiers sont obligés de fuir. Naturellement les naxalites s’opposent à la campagne anti-guérilla et les démocrates bourgeois ont beau jeu d’affirmer que les villageois sont pris entre deux feux. Pourtant, si l’armée a ouvert officiellement 17 camps avec 17.000 réfugiés, la raison en est claire : c’est la campagne de contre-guérilla qui a créé cette situation.

La vérité est que l’administration civile indienne montre son véritable visage : celui de masque de l’Etat indien semi-féodal semi-colonial. Les naxalites n’ont pas à accepter la destruction des villages ni la remise en cause de la révolution agraire là où elle a été menée. Les naxalites ne sont pas les zapatistes qui limitent leurs ambitions à des réformes touchant les communautés amérindiennes : ce qu’ils veulent c’est la révolution dans toute l’Inde.

Ce qui se passe en ce moment en Inde est ce moment charnière où la guérilla n’affronte plus seulement la police ou des unités spéciales de l’armée, mais l’armée elle-même, c’est-à-dire l’Etat et tout son appareil politico-militaire et idéologique.

C’est un moment très important, un saut qualitatif, car le plus souvent ce saut est marqué par la gestion directe des campagnes anti-guérillas par l’impérialisme, notamment nord-américain, comme au Pérou, où le Parti Communiste du Pérou n’a pas capitulé à ce moment précis et a su garder la ligne rouge.

Au Népal, par contre, dès que l’armée a remplacé la police, le PC du Népal (maoïste) a commencé à émettre ses thèses comme quoi la révolution devrait avoir lieu dans toute l’Asie, comme quoi la situation internationale était « mauvaise », comme quoi il faudrait se contenter de négocier une « république », etc.

En ce sens, élaborer une ligne idéologique correcte est fondamentale – sans cela c’est la ligne de la capitulation qui prédomine.

En Inde, Charu Majumdar a élaboré la ligne de la révolution, et c’est cette révolution qui grandit.

« A notre époque, alors que l’impérialisme va vers son effondrement complet, la lutte révolutionnaire a pris dans chaque pays la forme de la lutte armée.

Le révisionnisme soviétique, incapable de conserver son masque de socialisme, a été obligé d’adopter des tactiques impérialistes; la révolution mondiale est entrée dans une nouvelle phase, plus haute, et le socialisme marche de manière irrépressible vers la victoire.

Dans une telle époque, prendre la voie parlementaire signifie stopper cette marche en avant de la révolution mondiale. Aujourd’hui, les marxistes-léninistes révolutionnaires ne peuvent plus choisir la voie parlementaire.

C’est vrai non seulement pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, mais également pour les pays capitalistes…. Ainsi, les slogans « boycotter les élections » et « établir des bases rurales et former des zones de lutte armée » mis en avant par les marxistes-léninistes révolutionnaires sont valides pour toute notre époque. » (Charu Mazumdar, Boycottons les élections – la signification internationale du slogan, Liberation, Décembre 1968)

Pour le Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste, juin 2006

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