Etat des luttes contre le crime organisé mafieux
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Etat des luttes contre le crime organiseL mafieux
Pour la liberté de la recherche et de la presse dans la lutte contre la mafia.
Entretien exclusif avec le Professeur Umberto Santino, Président de Centro Siciliano di Documentazione « Giuseppe Impastato », Palerme, reLaliseL par Chistian Pose, traduit de l’italien par Nathalie Bouysse`s.
En meLmoire de Giuseppe Impastato et des victimes du crime organiseL mafieux, Tokyo/Palerme, 12 avril 2006 (fr. it.)
Deux événements historiques d’importance, cet entretien s’est achevé alors que la coalition de centre-gauche de Romano Prodi semblait victorieuse a` l’Assemblée et au Sénat mettant un terme au « berlusconisme » symbole, dira le Pr. Santino, de la « légalisation de l’illégalité », alors que, étonnante symétrie, la police italienne annoncait l’arrestation de Bernardo Provenzano, chef suprême de Cosa Nostra (mafia sicilienne) dernier « parrain » historique de l’association criminelle après 42 ans de cavale…
En italien
Question 1 :
Professeur Santino, pouvez-vous nous parler de « L’alleanza e il compromesso » (1997), nous rappeler le contexte sociopolitique et sociohistorique de cet ouvrage très important, de son objectif et des poursuites en justice dont vous avez fait et faites l’objet ?
Umberto santino :
J’ai publié, en 1997, L’alleanza e il compromesso, un livre réunissant la documentation de deux de mes dossiers (le premier présenté à Strasbourg en 1984, le deuxième à Rome en 1989) qui concernaient le parlementaire europeLen, mêlé aux milieux mafieux, Salvo Lima. Je faisais, dans ce livre, une analyse des rapports entre la mafia et la politique, m’appuyant également sur des actes judiciaires du procès Andreotti. Dans cette analyse, le rapport mafia-politique est, à double titre, intrinsèquement lié au phénomène mafieux. D’abord parce que la mafia est un sujet politique dans la mesure où elle exerce un pouvoir sur un territoire détermineL et en contrôle les activités autant que les relations personnelles. Dans une deuxième mesure, la mafia joue un rôle politique à travers le système de rapports qu’elle a instauré avec certaines personnes de l’administration publique, des partis politiques et des institutions. Je publiais également, dans ce livre, les réponses apportées par Lima à ces dossiers ; un cas d’espèce puisqu’il n’existe pas d’autres réponses écrites de Lima aux accusations qui lui ont été reprochées. Lima soutenait qu’il n’éLtait impliqué dans aucun procès judiciaire. Je répondais que mes dénonciations concernaient des relations avérées avec des hommes de la mafia et que, même si ce fait n’était pas criminel, il était cependant grave sur le plan ethico-politique.
J’ai également utilisé, en partie, dans ce livre, un texte anonyme concernant l’ancien ministre démocrate-chrétien Calogero Mannino, tout en précisant clairement que les textes anonymes émanaient en général, directement ou indirectement, du monde mafieux et qu’il était impossible de distinguer la vérité du mensonge. Mannino m’a assigné en procès civil, soutenant que je m’étais approprié les accusations de cet auteur anonyme. J’ai été condamné en première instance et en appel à une sanction pécuniaire modeste. Le jugement de première instance stipulait que le simple fait de citer un document, même si on ne le cautionne pas, était diffamatoire ; quant au jugement d’appel, il prétend que je n’ai pas respecté le principe de vérité : j’aurais dû m’assurer qu’il y avait eu un prononcé définitif du tribunal. En Italie, l’arrêt définitif est rendu par la Cour de Cassation et arrive de longues années plus tard. Les journaux pouvaient donc cesser de paraître, seuls les descendants pourraient effectuer des recherches.
Souvent, au cours des dernières années, des hommes politiques ont eu recours au jugement civil, lequel ne consiste qu’en l’échange de documents et ne prévoit ni débat ni approfondissement. C’est ainsi qu’a agi le président de la province de Palerme, le parlementaire europeLen Francesco Musotto à l’encontre du politologue Claudio Riolo, et c’est ainsi qu’a agi Mannino à mon encontre. Après le jugement de première instance de 2001, Riolo et moi, avec l’aide de certaines associations, avons lancé une campagne pour la liberté de la recherche et de la presse dans la lutte contre la mafia, et avons soutenu le fait que des problèmes de ce type devaient davantage être discutés devant un jury d’honneur que devant des tribunaux, et que les sanctions, au lieu d’être financières, l’honorabilité n’étant pas un produit de supermarché, devraient consister en des réponses, des éclaircissements, des corrections ou des ajouts. Nous souhaitons poursuivre cette campagne parce que nous considérons comme absolument nécessaire, dans une société démocratique, d’analyser les rapports entre la mafia et le contexte social et, par-dessus tout, avec la vie politique.
Question 2 :
Vous avez travaillé avec la Commission Parlementaire anti- mafia, quelles critiques faites-vous de la Commission et de l’appareil législatif et judiciaire italien spécifiquement anti- mafia régional et municipal ?
Y a-t-il des points positifs malgré tout, des relais pour les acteurs, chercheurs, politiques, magistrats, avocats, engagés dans la lutte contre le crime organisé mafieux ?
Les services secrets civils et militaires américains exercent-ils une quelconque influence sur le crime organisé, de Palerme à Rome ?
Umberto santino :
J’ai été consultant pour la Commission parlementaire de 2003 à 2005. J’ai démissionné parce qu’aucun travail ne m’a jamais été confié. La Commission était paralysée par la majorité et l’opposition ne parvenait pas à avoir un rôle effectif. Certains ont évidemment pensé que je me contenterais d’une charge honorifique.
Concernant la législation, il faut savoir qu’en Italie toutes les lois antimafia sont dictées par l’idée que la mafia est une usine à meurtres : s’il y a coup de feu, il y a mafia, pas dans le cas contraire. La loi antimafia de 1982 est arrivée après l’assassinat du général-préfet Dalla Chiesa, comme les autres lois sont arrivées après les attentats massacres dans lesquels ont péri les magistrats Falcone et Borsellino. Au cours des dernières années, les mafieux ont compris que les grands crimes avaient des effets boomerang et que mieux valait ne pas commettre d’atrocités retentissantes. On parle de »mafia souterraine » ou »invisible », alors cela signifie, pour beaucoup, que la mafia n’existe plus ou que nous ne devons plus nous en soucier. Une bonne partie de la législation a été abrogée ou assouplie, les magistrats se sont retrouvés avec une marge de manoeuvre limitée, et les commissaires chargés du racket et de la confiscation des biens ont été licenciés ou remplacés par des personnages inconsistants.
Le problème de ces dernières années, en Italie, est le berlusconisme ; une forme d’occupation du pouvoir qui considère l’illégalité comme une ressource et fait de l’impunité son étendard. Les lois ad personam creéés pour protéger les intérêts de Berlusconi et de ses amis, l’attaque de la magistrature, les facilités permettant le rapatriement de capitaux de l’étranger et les exonérations ont engendré un cadre socio-politique que j’ai qualifié de »légalisation de l’illégalité ». Ce cadre est le plus propice aux organisations mafieuses qu’ait connu l’Italie depuis l’Unité. Comparativement aux cinquante années de pouvoir démocrate chrétien nous avons fait un grand saut en matière de qualité : le pouvoir démocrate chrétien était fondé sur une méditation de tous les pouvoirs, mafia comprise ; le berlusconisme est intrinsèquement fondé sur l’intérêt privé et l’illégalité.
Je ne sais pas si les services secrets américains jouent actuellement un rôle sur le terrain de la criminalité organisée. La mafia a été soutenue par les Américains après la seconde guerre mondiale, elle était alors un rempart contre le communisme, mais il faut éviter des lectures de l’Histoire du type : les ordres venaient de Washington. Il s’agissait d’une union par consentement mutuel, où se sont retrouvés mafia, propriétaires fonciers, partis conservateurs et facteurs géopolitiques. Quelques années plus tard, on a tout fait pour empêcher la coparticipation au pouvoir du Parti communiste, en ayant recours à des attentats massacres (de la Piazza Fontana en 1969 à la gare de Bologne en 1980) au cours desquels se sont rencontrés néo-fascistes, piduistes (loge maconnique P2 de Licio Gelli), services secrets et où, dans certains cas, (attentat de Noël 1984) la mafia a joué un rôle judiciairement avéré.
Pour ce qui est des attentats plus récents (1992 et 1993), nous ne sommes pas parvenus a` aller au-dela` de la »coupole » mafieuse et la requête visant a` constituer des commissions d’enquêtes parlementaires n’a pas abouti.
Question 3 :
Pouvez-vous nous parler de Pietro Grasso, nouveau procureur anti- mafia ? De sa fonction ? Sur quoi établit-il sa politique ? Sa nomination est récente, quels sont vos points de convergence et vos oppositions, s’il y a lieu ? Voyez-vous dans l’avenir des zones d’ombre ou des obstacles sérieux a` sa politique ? Exerce-t-il une quelconque influence a` l’échelle européenne, institutions gouvernementales, parlementaires, judiciaires, policie`res, renseignement ?
Umberto santino :
Pietro Grasso était juge-assesseur durant le maxiprocès de Palerme (1986-1987) et rédacteur du jugement de premie`re instance. Il a ensuite été consultant pour la Commission antimafia, conseiller au ministe`re de la Justice lorsque Giovanni Falcone en assurait la direction, procureur adjoint pre`s du Parquet national antimafia et procureur principal a` Palerme. Certains magistrats lui ont reproché de ne pas poursuivre le travail du procureur Caselli sur le plan des rapports entre la mafia et la politique, mais il faut dire que les temps avaient changé, l’attention a` l’égard du phénome`ne mafieux avait fléchi et le rôle de la magistrature, dans ce domaine, se limite aux affaires impliquant des délits. Je crois que, politiquement, on ne lutte plus contre la mafia depuis des années, le tout étant relégué a` la magistrature.
Grasso est actuellement superprocureur national antimafia : les forces gouvernementales et de la majorité ont exclu Caselli par une loi ad personam concernant la limite d’a^ge ; chose honteuse et que j’ai dénoncée. Grasso n’a dit mot de cette exclusion et c’est lui qui a rejoint le Super Parquet. Les partis de droite ont évidemment préféré Grasso, lequel a déclaré, le jour suivant sa prise de fonction, que la lutte contre la mafia n’était plus au centre de l’attention, que le proble`me ne concernait pas uniquement la mafia militaire mais aussi la bourgeoisie mafieuse (expression que j’utilise dans mon analyse du syste`me relationnel mafieux). Il a également clairement stipulé qu’il ne fallait pas, durant cette campagne électorale, proposer la candidature d’hommes mis en examen ou en proce`s, mais Forza Italia, et d’autres partis de centre droite, ont polémiqué sur ces déclarations. Il y a quelques jours, le Procureur Grasso a avoué que le the`me de la mafia était absent et qu’il faudrait en parler pendant la campagne électorale et le Président de la Commission antimafia a déclaré, a` propos de Forza Italia, qu’il s’agissait de « foutaises ». En somme, les droites croyaient que Grasso était un personnage sur lequel on pouvait compter, mais le procureur entend prouver qu’il est autonome et poursuit son propre chemin.
En tant que superprocureur, il a un certain pouvoir, mais doit tenir compte du cadre politique, et si des dispositions comme le mandat d’amener européen ou la convention des Nations Unies, ratifiée a` Palerme en décembre 2000, existent au niveau européen ou international, elles sont restées sur le papier, le gouvernement Berlusconi ne les ayant pas signées.
Question 4:
Les moyens scientifiques des luttes civiles contre le crime organisé mafieux ont-ils augmenté? Quelles ont été les retombées du Forum Social anti-mafia et des campagnes citoyennes aupre`s des différentes villes du bassin méditerraneLen ?
Umberto santino :
Sur le plan scientifique, il n’existe pas de programmes coordonnés de recherche. Nous agissons de manie`re autonome. Le Centre que jfai fondeL en 1977 est entie`rement autofinanceL, car la reLgion sicilienne nfa pas de loi dfapplication geLneLrale et octroie lfargent public sur des crite`res de favoritisme. Il existe, en Sicile, dfautres centres dfeLtudes, financeLs par des fonds publics ; ils organisent des colloques et des deLbats mais nfeffectuent pas de recherches. Les UniversiteLs ne font pratiquement rien : quelques eLtudes meneLes individuellement par certains professeurs et quelques seLminaires, le plus souvent organiseLs par les eLtudiants.
Apre`s les grandes manifestations qui ont suivi les attentats massacres de 92 et de 93, le ro^le de la socieLteL civile sfest reLduit a` lfengagement dfune poigneLe de personnes. Les principales activiteLs actuellement meneLes par les diverses associations de la socieLteL civiles sont les suivantes : le travail dans les eLcoles, la lutte antiracket et, dans une certaine limite, un usage social des biens confisqueLs. On parle, dans les eLcoles, de la leLgaliteL en re`gle geLneLrale ; lfantiracket nfexiste qu’en Italie meLridionale, alors que les extorsions et lfusure sont deLsormais reLpandus dans toute lfItalie ; au sujet des biens confisqueLs (encore trop peu), le gouvernement voulait instituer une loi qui fragilise, rende non deLfinitive, la confiscation : nouveau coup porteL a` lfantimafia, et privile`ge pour la mafia.
Il existe en Italie, au niveau national, un reLseau dfassociations appeleL Libera qui sfemploie a` diverses initiatives. Les Forums antimafia et les campagnes impliquent un nombre limiteL de personnes et il nfy a pas, dans la zone meLditerraneLenne, de reLelle conscience des pheLnome`nes tels que le ro^le des organisations criminelles dans lfimmigration clandestine ou les trafics dfe^tres humains. Il ne faut pas oublier qufa` lfinteLrieur du processus de mondialisation, nombreux sont les coins de la plane`te, zone meLditerraneLenne incluse, mais principalement sur les co^tes africaines et dans les Balkans, ou` lfaccumulation illeLgale est lfunique ressource face a` lfexclusion sociale qui touche une grande partie de la population mondiale.
Jfai preLsenteL, lfan dernier, au Forum de la MeLditerraneLe de Barcelone, un rapport concernant ces the`mes mais lfattention demeure insuffisante. Au niveau europeLen, lforganisme ENCOD (The European Ngo Council on Drugs and Development) regroupe des organisations non gouvernementales mais nfa pas de fonds, et ne peut, de ce fait, rien entreprendre. Lfun de nos livres sur le trafic de drogue, a` destination des universiteLs et des eLcoles secondaires supeLrieures, publieL en 1993, en quatre langues (Dietro la droga, Derrie`re la Drogue, Behind Drugs, DetraLs de la droga), gra^ce a` un financement de la CommunauteL europeLenne, est aujourdfhui obsole`te mais nous nfavons pas dfargent pour le republier. En France non plus, je ne crois pas que lfon fasse suffisamment. Une organisation qui effectuait un travail seLrieux sur le trafic international des drogues, lfOGD (Observatoire GeLopolitique des Drogues), dont le sie`ge eLtait a` Paris et avec laquelle je collaborais, a du^ cesser son activiteL par manque de financements.
Entretien traduit de lfitalien par Nathalie Bouysse`s
La version italienne originale est accessible sur
http://linked222.free.fr/cp/hors_les_lignes/Umberto_santino.html
Lutte contre la mondialisation du crime organiseL mafieux et solidariteL internationale
« Pour la liberteL de la recherche et de la presse dans la lutte contre la mafia », Pr.Umberto Santino, CSD, Palerme
http://www.centroimpastato.it/index.php3
Fraternellement a` Indy et aux camarades dans la lutte pour la veLriteL et la paix
Christian Pose
Rdc. http://linked222.free.fr
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