En la voix du chauffeur résonne celle du flic
Catégorie : Global
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« Mais c’est une jacquerie ?!
Non, sire, c’est une abdelkaderie. »
Les feuilles d’automne flambent mais s’éloignent. Un mois environ que les émeutes suburbaines ne font plus la une du décompte journalier des fichus médias. Les quelques milliers « d’énergumènes » qui ont osé s’insurger contre la banalisation de leur existence humiliée sont une fois de plus les vedettes de l’oubli, après avoir été les vedettes du mépris et de la désinformation de la norme blanc-bec, après avoir été aussi les vedettes de l’incompréhension auprès de ceux qui osent profiter de ce genre d’occasion pour débouler avec un discours (de gauche) paternaliste dans ces lieux qu’ils désertent d’habitude.
On est depuis passé-e à d’autres décomptes, d’autres chiffres, d’autres « inquiétudes », celles de savoir si oui ou non cette année encore le record de la consommation des ménages va être battu. La « crise » est celle des fonds de caisse qui ont peur de ne pas éclater d’abondance encore cette année. En attendant, les unions de commerçants se plaignent de leur « angoisse » tout en se frottant les mains. C’est que la démocratie des décrets-lois autorise la « fête ». C’est que cette « fête » doit être bien urgente pour qu’elle puisse se dérouler en période d’état de guerre. Ben oui idiot, cette fête, c’est la leur. Idiot est celui qui n’appartient pas à la « fête », la « fête » des gouvernants, la messe d’une philosophie érigée en dogme républicain et financier. Le rituel des « lumières » de noël pour un flirt improbable avec les fantômes de la ville. Ces « lumières » étaient déjà installées que des émeutes d’automne éclataient un peu partout dans les zones excentrées de l’hexagone. Ces « lumières » n’éclairent personne. Surajoutées aux lampadaires, aux façades d’immeubles et à d’autres supports de vidéosurveillance, elles servent à nous éblouir de la nudité de nos relations sociales. Et à perpétuer le « rêve » qui est réalité… et parce qu’elle est la norme, cette réalité est un « doux » cauchemar qui passe comme une lettre à la poste totalement privatisée. Le « rêve » donc. Christmas Dream. « Ils » ont transformé « notre » parc « public » en parc d’attraction et d’extraction. « Christmas Dream » pour un « Christmas Land ». Le territoire est envahi par les troupes de « Christmas », dieu de l’uniformité et de l’hyperconsommation. L’entrée « libre » commence à 10h et se termine à 20h : autre expression du couvre-feu, ou comment la « fête » participe de l’état d’urgence. Incubation de « marchés de noël » dans les moindres espaces « vides » de la ville ; même si on ne peut y installer qu’un cabanon pour que le quidam puisse participer au « dream » et emporter son ridicule concept de sapin, qu’importe, pourvu que l’espace soit colonisé. Stupides blancs-becs. Avant d’avoir pondu leur marché de noël ici, ce parc était tout le temps ouvert (enfin, en dehors des rondes de flics). Parc confisqué pour cause de « fête » et tu ne peux y entrer que si tu participes à la « fête » : « Les caisses sont de ce côté, svp »… Et « ils » ont fait en sorte de barricader le parc pour qu’on ne puisse y entrer que d’un seul côté. Une seule et unique porte, la porte du « bonheur », sésame ouvre-toi. Barricadages avec leurs barrières de sapins, de métal et de vigiles. La marchandise vous fait barrière et fait mine de s’offrir à vous. On va là acheter ce qui nous encloître.
Face à cette occupation, se projettent des visions « indigènes », des visions de cabanons qui brûlent avec leurs marchandises dedans. Voilà ce que mérite ceux qui colonisent « nos » territoires. Ce parc pourtant n’était jusqu’alors qu’un concept anodin du quotidien minable, voire un espace un peu fourbe parce qu’il reflète souvent l’ombre des normes sociales. C’était d’abord un espace enfermé entre 4 murs de fumées automobiles, un espace jeté là, une miette territoriale laissée aux prolos et qui sert de soupape au système de domination. Une miette qui donc renforce ce système. Le concept d’espace vert fait ainsi partie de l’industrie des « loisirs », industrie qui recycle l’idée même de repos dans le cercle travail-exploitation-consommation, le repos étant alors conçu comme un espace-temps où la personne exploitée se « refait » pour pouvoir être plus efficacement pressée les lendemains en dépit de ses usures corporelles croissantes. Le repos comme outil de rendement optimum. Outil dont on apprend à battre la mesure dès l’école, avec l’apparition du terme « récréation », transition terminologique d’une « re-création », entre deux espaces-temps emprisonnant. Cette transition se matérialise aussi dans ces parcs publics dès que l’écolierE est libéréE de l’enceinte scolaire l’après-midi avant d’être enferméE pleinement dans l’enceinte familiale jusqu’au lendemain matin, lorsqu’ille sera reconduitE de nouveau au « pénitentiaire » scolaire… Malgré cette défiance, dès qu’il a été envahi par une puissance coloniale du nom de Christmas Dream, ce parc est devenu « nôtre », c’est-à-dire un territoire à protéger. C’est un peu le même réflexe qui agit quand on se sent encerclé-e par des flics qui se mettent à occuper le territoire déchu dans lequel « on » nous a reléguéEs. Une agression territoriale dans le territoire-même qui nous agresse. Au bout de ce cheminement, l’épuration. Si même « on » nous refuse cette miette territoriale, c’est qu’« on » est capable de nous éliminer si nous refusons de nous soumettre à cet ordre épuré. Une colonisation de l’espace, où nos corps butent… qui s’achemine « tranquillement » vers une colonisation de nos corps, qu’« on » veut buter.
C’est la colonisation totale :
1.Coloniser les espaces des individus qui sont pour le coup indigénisés – et abattre les résistances
2.Parquer les indigènes « dociles », en l’occurrence ceux qui ont survécu, dans des réserves, déchéance territoriale qui marque leur déchéance sociale – et abattre les résistances (bis)
3.Marquer la présence du maître par des contrôles systématiques et humiliants pour rappeler aux indigènes que leur territoire est occupé et qu’ils sont les grands vaincus – et abattre les résistances (ter)
4.De l’exterritorialisation à la déterritorialisation. Appliquer des mesures d’extermination territoriale pour faire en sorte que ces réserves, derniers lieux d’entraide entre indigènes, disparaissent : expulsions locatives ; inciter les indigènes à singer leurs maîtres (discours « d’intégration » visant à diviser les « indigènes », poussant certains à rejoindre les blancs-becs dans leur morale coloniale et dans leurs ghettos de riches) ; sous prétexte de rénovation, casser les réseaux de solidarité en démolissant les anciens bâtis et en relogeant les habitantEs dans des secteurs qui les éloignent les unEs des autres…
5.De la déterritorialisation à l’enterrement des corps. En dépit des efforts pour accentuer la désolation de leur retranchement, si des survivants persistent dans l’existence et la visibilité, appliquer des mesures d’extermination corporelle les plus discrètes et détournées possible. Place donc à l’imagination répressive : introduction de drogues qui tuent, atrophient et criminalisent ; la prison comme maison secondaire ou principale pour beaucoup de ces « indigènes » ; « bavures » policières qui sont autant de crimes policiers avalisés par la justice ; expulsions vers leur pays « d’origine » ; suicides…
Face à cette colonisation totale, une décolonisation totale est exigée.
Sachez, bandes de blancs-becs, que l’indifférence que vous « accordez » à ces indigènes a priori éloignéEs de vos quotidiens, vous sautera à la gueule. Je ne dis pas ça pour vous dire de vous méfier d’une révolte « indigène » qui pourrait un jour vous prendre de court (quoique). Je dis plutôt cela pour vous rappeler que les processus de colonisation appliqués dans les « territoires » indigénisés, pourraient très bien se retourner contre vous, si ce n’est pas déjà le cas. Les opérations de « pacification » dans les colonies comme dans les banlieues a servi d’entraînement au Pouvoir pour contrôler l’ensemble de la société (l’asociété ?) que vous constituez. Les corps que vous êtes, sont peut-être déjà colonisés par l’ordre d’épuration, son dogme sécuritaire et ses programmes de divertissement. L’idéologie de la « sécurité » réduit vos (nos) corps à rentrer dans les canaux d’information légiférés. Ces corps sont ainsi réduits à devenir des corps-flics. Ce conducteur de bus de la TAG* se rend-t-il compte qu’il est un concept atrophié qui ne fait même plus semblant de dire bonjour, encore moins de regarder les gens qui montent dans son fichu bus à puce.
Ces voyageur-e-s sont censé-e-s « valider » leur titre de transport à chaque montée. La plupart possèdent une carte d’abonnement mensuelle incrustée d’une puce électronique. La carte est rechargée une fois pour tout le mois et est censée être un pass qui permet de voyager « librement » sur tout le réseau. Sauf que les porteur-e-s de cette carte à puce sont censé-e-s composter cette carte à chaque montée auprès des bornes magnétiques qui jalonnent le réseau (sur les quais de tram et dans les bus). Ce qui est a priori absurde puisque la carte est valable tout le temps dès lors qu’elle a été rechargée en début de mois. La carte est donc « valable » magnétiquement pendant tout ce temps. Sauf que cette procédure de compostage magnétique n’est pas aussi naïvement absurde : on a là un exemple de conditionnement au contrôle quotidien des corps et de leurs déplacements. Et aussi un outil qui permet de matérialiser un système de délation : lorsque la carte magnétique n’est plus rechargée (donc plus « valable ») une lumière rouge assez visible s’affiche sur le composteur pour qu’éventuellement la tronche du potentiel-le fraudeur-euse vire à la même couleur ; si le délateur-euse est aveugle ou préfère faire travailler son ouïe, un son particulier est émis en cas de non-validité de la carte. Par contre, la carte est « valable » lorsqu’une lumière verte apparaît, couleur d’espoir, avec un son apaisé pour rassurer l’ouïe des délateurs : « vous pouvez passer mon sire ». Ces porcédures de validation peuvent donc se percevoir comme des expériences concrètes visant à banaliser l’acceptation des contrôles « routiniers » et préparer le terrain à des innovations technologiques de contrôle (comme la biométrie) qui se révèleraient matériellement plus contraignantes que n’importe quelle forme élaborée jusqu’alors, depuis l’œil de « Dieu » jusqu’à la vidéosurveillance. Les chauffeurs de bus sont ainsi conviés à participer à ce grand « jeu » comme quiconque.
Dans ce bus, comme dans beaucoup d’autres, les montées se font à l’avant. C’est la première phase du filtre. Deuxième phase : tout le monde valide son titre de transport devant le chauffeur et gare au mauvais son ou à la mauvaise lumière qui s’affiche. Le conducteur qui fait aussi office de contrôleur veille, même s’il fait mine de regarder ailleurs. Quelle « non-spécialisation », c’est presque magnifique ! Au flot de voyageurs, aucune partie de son corps ne s’était adressée. Jusqu’au moment où il lâcha un : « S’il vous plaît Mademoiselle », d’un ton sec et procédurier qui faisait comprendre à la collégienne concernée que sa carte ou sa personne (ou les deux) étaient louches et qu’il fallait qu’elle recommence la procédure devant ses yeux cette fois-ci (il a daigné quand même tourner la tête vers elle à un moment).
Face à cette colonisation totale, une décolonisation totale est exigée.
Le bus avance. Deux minutes plus tard, surgit, le long d’un trottoir, une nouvelle chronique de la « banale » colonisation territoriale et corporelle par les agents du Pouvoir. Une voiture de keuf a stoppé une voiture de « pauvre ». Le conducteur, un bonnet un peu hippy sur la tête, a été sorti de sa caisse. Debout sur le trottoir, les mains posées sur le toit de sa voiture, il a été mis face à la chaussée pour signifier publiquement son humiliation : contrôle d’identité, fouille, il se fait palper le corps. Procédure d’intimidation histoire de trouver sans doute un bout de shit. Colonisation territoriale et corporelle dans l’indifférence générale. La personne est isolée, mais ce qui est plus flagrant, c’est que la scène elle-même est isolée. Une scène de conquête territoriale et corporelle qui apparaît comme un « ailleurs », presque une scène fantasmée alors qu’elle se déroule ici. Il y a la scène du contrôle policier d’un côté, et le « reste » de l’autre, le « reste » qui n’est même pas un ensemble de spectateurs, mais qui joue son rôle, celui de transformer la gravité de ce contrôle en une scène de banalité quotidienne. Le drame du contrôle policier se réduit ainsi à un « contrôle routinier ». La société (l’asociété) est une scène éclatée avec des acteurs qui non seulement ne se renvoient pas de réplique, mais qui jouent dans des scènes de répétition, séparément, en se morfondant souvent dans des monologues silencieux.
La « réussite » du Pouvoir réside notamment dans cet éparpillement des territoires. Il réussit à maintenir les composantes de « la » société dans des zones éclatées qui ont du mal à lancer des ponts et à se constituer en réseaux.
Cette réussite du pouvoir se renforce en employant un discours paternaliste qui se voudrait rassurant : « rassurez-vous, c’est moi qui m’occupe de créer du lien social pour vous ». Il nomme alors des experts en création de lien social. Gestion coloniale du lien social, qui prend la forme d’une gestion coloniale des « fêtes » avec des noms différents selon les saisons : « Christmas Dream », « Carnaval », « Fête des Voisins », « Fête de la Musique », « Fête du 14 juillet », « Fêtes de quartier », etc. Une multitude festive qui n’est qu’apparente, parce qu’elle crée autant de frustration sociale par la gestion canalisée qui la travaille. Des « fêtes » où l’individu n’a que des « droits » : le droit de dépenser pour consommer, le droit de rentrer chez lui/elle après l’heure fatidique, le droit d’être béatE devant le divertissement. Stupides blancs-becs. En dehors de ces zones canalisées de « fête », les normes sociales reprennent le flambeau du Pouvoir. La marchandise dicte qu’elle est le seul lien social possible, discours qui se confirme trop souvent lorsque la seule « aventure » sociale d’un-e quidam se résume à un échange de monnaie avec des épiciers.
Les contes de fées et autres mythes hétérosexuels, quant à eux, enfoncent le clou de l’éclatement social, imposant le couple comme unique modèle d’alternative à la solitude subie. Stupides blancs-becs. L’indigène gêne le paysage des contes de fée. À croire que sa brunâterie voilerait les prismes du monde et empêcherait la fée de bien faire son travail de prédiction. À défaut de faire disparaître totalement l’indigène des contes de fée, on pratique les méthodes d’« intégration » pour le faire disparaître sous un miroir réducteur. -Première phase : L’indigène s’intègre d’abord à l’histoire en jouant le rôle du terroriste : c’est le syndrome de Jo l’Indien. L’ombre du chapeau de Jo l’Indien est censée à elle seule « nous » faire frémir d’angoisse.
-Deuxième phase : L’indigène s’intègre ensuite après avoir été domestiqué par le colon. C’est Jo l’Indien pacifié, le « sauvageon » mis sous prozac. Jo l’Indien est confiné à un rang subalterne, en admiration devant ses maîtres auxquels il offre volontiers son corps (sa force de travail). Le mythe de Jo l’Indien est alors relayé par celui de Bouba, le petit ours brun adopté par des humains amérindiens qui eux-mêmes sont « adoptés » par une famille de colons. Bouba et ses maîtres indigènes logent dans la partie réservée aux domestiques de la propriété. Le petit ours brun s’amourache de la petite ourse blanche, propriétée animale et pâle des colons au même teint. On en tient un, là, de mythe hétéro.
-Ce qui peut en effet ouvrir voie à la troisième phase d’intégration : la phase d’intégration totale, la plus fatale, la phase d’intégralisation, ou comment l’indigène est absorbé-e intégralement à l’intérieur de la norme des dominants. Pour les dominants qui cherchent une « alternative » (dominante) à l’élimination des indigènes, cette phase incarne la « réussite sociale » qu’ils souhaitent afin de consolider la « paix » sociale, leur paix sociale, celle qui assure le maintien de leurs privilèges et donc des structures de domination dont émanent ces privilèges. Cette phase s’incarne aussi à travers le thème actuellement à la mode de « l’ascenseur social ». Jo l’Indien prend l’ascenseur lorsque, précisément, il s’appelle Jo, et non plus « Geronimo » ou un de ces noms fleuves avec des x et des q. Jo l’Indien prend l’ascenseur lorsque « Jo l’Indien » singe « Jo le dieu blanc » en mangeant sa chair en mangeant son sang. L’ascenseur, c’est lorsque les publicitaires rêvent d’afficher des pères noël à la peau noire, ou comment confondre « peaux-rouges » et habits du père noël. Que tout le monde soit de la « fête » et l’ascenseur « social » ne s’en retrouvera que comblé de dorures financières. En attendant le décollage vers la lune du CAC 40, ces publicitaires doivent encore certes refuser d’employer des intermittents à la peau brunâtre qui iraient se cailler l’hiver sous une barbe et un costume ridicules. Malgré tout, Yannick Noah est le bouffon préféré des « Français » et Jamel Debbouze est la mascotte favorite des petites têtes blondes et des plus grandes. »Vous reprendrez bien une tête de travailleur sénégalais pour votre p’tit dèj ! » Stupides blancs-becs.
#Une page de Pub : « Nocibé : confiez-moi tous vos rêves de fêtes »#
Stupide blanc-bec et ta rengaine de « fin d’année ». Tu ressors les récits ressassés et lavés à la crème de marron. Les « marrons » que t’a cueillis dans les lointaines colonies et que t’a pressés sous ta machine, sous vide, sous ton vide. Ça fait du jus de banania. Alors c’est le retour du ridicule dans les lucarnes urbaines. Le kitsch est en compétition du haut des balcons, du haut des falaises de béton des prisons qui font office d’habitation pour les « civilisés » qu’on nous a dit d’être. Une voix murmure : « Colore ta ville en gris et tire des ficelles du béton pour qu’elles s’allument une fois vert, une fois jaune, une fois rouge. » Une fois bleu, une fois blanc, une fois rouge… C’est du colifichet de république plane, pas du baroque. Quand on flanque des ficelles tortillées colorées sur des surfaces planes, ce n’est pas du Baroque, c’est du colifichet. Le rouge flanchant des poupées de père noël sur les façades de l’Ordre, c’est une babiole dans l’existence misérable des « pauvres ». Un rouge mollissant qui ne fait qu’enfoncer les « pauvres » dans la « culture du pauvre ». Fichu « pauvre ». Prépare-toi aux techniques de guerre, aux techniques de sioux. La peau rouge. Le jour où un autre jour viendra tâcher ces façades, un jour rouge, le rouge du sang, le sang de la bourgeoisie aux viscères éclatés, c’est que le « pauvre » en aura fini d’abord avec « lui-même » pour aller achever cet « autre » qui lui colle à la peau de l’extérieur, parce que le « pauvre » est aussi l’autre condition de l’existence de cet « autre » qui le domine, de cet « autre » QUI L’A fait « pauvre », de cet « autre » QU’IL A fait « riche » et qui se fait « riche » : le bourgeois, le blanc-bec, le normal. Il pourra alors constuire l’ère du Baroque, il pourra alors se reconstruire, sans fuir, ailleurs. Ailleurs est ici. Une encre murmure que la hâche de guerre est déterrée depuis longtemps et nous dit d’en faire un bon usage. Les arcs et les flèches nous réclament et leur poison. Les alliances entre des « tribus d’individus » nous attisent de leurs cercles. C’est que dans « indigène », il n’y a pas seulement « tribu », mais aussi « individu ». Soyons fous, c’est la meilleure façon d’être lucides. Il faudra être assez fous et folles pour constituer des groupes solidaires et d’auto-défense. L’heure est toujours aux youyous de guerre. Il faudra être assez fous et folles pour harceler comme de « bon vieux Apaches » les cow-boys de la police et arracher de leur lasso les trop nombreuses victimes de leurs contrôles « routiniers ». « Peaux-rouges » vs « Peaux-lisses ». Il faudra être assez fous et folles pour percevoir cette « démocratie » comme une uniformisation d’existences. Il faudra être assez fous et folles pour résister à cette banalisation fascisante. Il faudra être assez fous et folles pour être barbaries et entraides. Il faudra être assez fous et folles pour détruire pour construire.
Kandjare Bayn Asnan
décembre 2005
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¤Notes¤
*TAG : « Tansports de l’Agglomération Grenobloise ».
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**GLOSSAIRE**_
¤BAROQUE : substantif révolutionnaire qui s’oppose à :
1. »colifichets »
2. »construire sur des ruines ou sur une surface platonique ».
Ces dites ruines peuvent, parfois, être récupérées dans une optique de construction BAROQUE, mais BAROQUE signifie avant tout détruire toute les surfaces platoniques, y compris leurs ruines, pour construire des espaces autonomes communiquants qui respirent le pli, forme incarnée de la convulsion politique (somme de convergences et de divergences dans un corps bégaillant). Ces ruines cessent à la rigueur d’être « ruines » quand elles se fondent dans un usage BAROQUE (recyclage des matières détruites, ou décomposées, en vue d’être détournées de leur usage primaire…). Dans tous les cas, BAROQUE ne signifie pas un colifichet posé sur un espace pour l’embellir. Il ne s’agit pas d’une surcharge décorative, mais d’une charge explosive qui ouvre la voie à une décharge exploratoire, excentrée et excursive.
¤SURFACE PLATONIQUE : surface plane, incarnation d’une géométrie qui a pour fonction mathématique d’imposer un ordre d’épuration. Par extension -> théories et pratiques du Pouvoir à travers les enjeux du contrôle social. « Il est plus facile de contrôler les individus quand l’espace suit une ligne droite qu’une courbe » (marquis de Courbature).
¤ÉTAT D’EXCEPTION : expression technique du Pouvoir qui surgit approximativement tous les vingt ans. Anathème lancé par ledit Pouvoir dès qu’Il se sent menacé sérieusement par un tourbillon social. Ce sont des minorités socio-politiques en résistance qui sont la plupart du temps visées par cette expression.« La »fête » participe de l’état d’exception… »
Dans ce langage institutionnel, un ÉTAT D’EXCEPTION n’a d’exceptionnelle que sa permanence : un « ÉTAT D’EXCEPTION permanent », expression d’une colonisation permanente, d’une banalisation du contrôle social : l’expression ÉTAT D’EXCEPTION fait écho à une autre expression tronquée : « contrôle routinier ». La phrase « ce n’est qu’un contrôle routinier » impose la force de contrainte comme une banalité sociale ; le contrôle devient cette chose sympathique qui décore les paysages de province et de banlieue. Et voilà la notion de contrôle social folklorisée. Elle deviendrait même la « fondu savoyarde » des romans policiers, l’anecdote citée pour remplir le récit en banalisant la fonction du flic pour nous la rendre plus familière, « Ce n’était qu’un contrôle routinier », alors que les contrôles d’identité sont plutôt vécus comme un traumatisme par les minorités qui les subissent quotidiennement : ou comment confondre humiliation quotidienne et routine policière. Le concept de « contrôle » euphémisé ici par le concept de « routine », devient une chose « anodine », « sans importance », « sans gravité », une chose vis-à-vis de laquelle il est inimaginable de « s’interroger », et encore moins de résister ; et là si tu résistes, c’est toi qui est dans « l’exception », c’est-à-dire hors-de-la-norme. Avec ces expressions (ÉTAT D’EXCEPTION, « contrôle routinier »…), on assiste à une normalisation de la contrainte étatique qui est pourtant une violence sur les individus. Sauf que par sa normalisation, cette violence deviendrait une « violence légitime » qui, du fait même d’être « légitime », perdrait son caractère de « violence » (« La violence, ce sont les voleurs qui tirent sur les gendarmes et pas les gendarmes qui tirent sur les voleurs, encore moins les situations sociales qui font qu’on devient »voleur » pour pouvoir subsister à ses besoins »). L’ÉTAT D’EXCEPTION se réduit alors à la conception de l’État, porteur de la « violence légitime ».
L’expression ÉTAT D’EXCEPTION est ainsi tronquée du fait de sa PERMANENCE sociale. Elle l’est aussi du fait de sa permanence historique. Cet « ÉTAT D’EXCEPTION (permanent) » suit les lignes structurelles de l’histoire de la plupart des humains. À l’échelle très contemporaine, cet ÉTAT D’EXCEPTION remonte à la première guerre du Golfe en 1990-91 avec l’instauration du « plan Vigipirate » qui n’a pas été abrogé dès lors (il s’est même renforcé avec les lois sécuritaires votées depuis à gauche comme à droite). Cependant on peut remonter à beaucoup plus loin pour retrouver le filon de ces ÉTATs D’EXCEPTION, plus loin que la répression de « mai 68 », plus loin que l’épisode de « Vichy », plus loin que la répression de la Commune et des insurrections du 19e siècle, plus loin que la récupération des révoltes des années 1790s, plus loin que les jacqueries sous « l’Ancien Régime » (en outre, n’est évoqué ici que ce concept territorial restreint qu’est « la France »)… L’Histoire, c’est une stratégie de tension permanente entre des individus dominants et des individus dominés. L’histoire, c’est le souci des dominants à conserver leurs privilèges de domination, par la force et par la force de dissuasion… C’est le souci de maintenir cette tension qui relève des enjeux du maintien de ce Pouvoir.
Et cette méthode de tension s’appuie sur une gamme d’outils. L’Histoire, c’est donc aussi le souci de la mise en place de ces outils de domination. L’Histoire, c’est l’histoire des technologies du contrôle des individus : des technologies magiques-ecclésiastiques (pouvoirs de prédiction, thème du destin, concepts d’œil divin et de châtiment…) aux techniques matérielles-séculières (armées/polices, vidéosurveillance, puces électroniques, biométrie…). L’Histoire, c’est l’histoire du contrôle technique des individus. C’est l’histoire d’une brutalité et d’une subtilité : maintenir l’individu entre la peur suscitée par ces technologies de colonisation, ET l’amour d’être colonisé. L’amour d’être colonisé prendrait alors la forme de la « routine », du « quotidien », du « c’est normal ». La peur sonnerait parfois des clairons pour rappeler qu’une transcendance, qu’un Ordre surplombe le tout et qu’elle/il agit pour le bien de tous (le « salut commun » en terme religieux) ; les clairons pourraient s’appeler ÉTAT D’EXCEPTION, « état de guerre », « état d’urgence », « délinquance », « prison », « excommunication »… Le comble de cette dialectique du contrôle pourrait être une chapelle dans une prison, dont l’accès est encadré par des gardiens et soumis à la reconnaissance d’une puce électronique.
¤STYLO : « Une petite sacoche large et longue comme une feuille de papier pliée en 4, menacerait « l’ordre public ». C’est la théorie des flics municipalEs qui gardent l’entrée de la mairie. Sans doute pour m’embêter après leur avoir adressé un regard peu approbateur en entrant, sans doute aussi par conviction paranoïaque (la « routine » du contrôle sous les auspices de Vigipirate), illes m’interpellent en me demandant d’ouvrir la sacoche que je porte en bandoulière. Je proteste en ironisant sur l’improbabilité de cacher une bombe dans cette ridicule sacoche visiblement presque vide. J’avais d’ailleurs intentionnellement pris cette sacoche pour ne pas en prendre une plus grosse, ne voulant plus leur offrir le spectacle de participer à la messe routinière de Vigipirate, ne voulant plus subir cette petite humiliation à laquelle tout le monde ou presque semble se résoudre et qui consiste à ouvrir son sac pour qu’un stupide flic y mette ses pattes de flic. « Ben oui, monsieur, on peut y mettre une mini-bombe, vous savez, on peut même cacher une mini-bombe dans un stylo »… et sa collègue d’ajouter : « Comme en Amérique, blablabla ». Un stylo qui enferme une bombe. Ça pourrait être une métaphore, mais de la part de cette stupide bouche incarnée de flic, ça sonne comme une cloche répressive qui fait résonner le « choc des civilisations » au diapason du « 11 septembre ». Les références en matière de littérature bombière, nous viennent maintenant de l’Amérique. Les histoires de bombe, made in USA, sont une valeur sûre. Elles sont censées clouer le bec à toute protestation ; l’autre fichu journaliste du Monde ne croyait pas si bien dire en affirmant que « Nous étions tous des Américains » le lendemain du « 11 septembre ». « Vous avez vu aux USA, les terroristes cachent maintenant des bombes dans des stylos ». C’est quand même un peu la faute à James Bond, au commissaire Juve et à l’inspecteur Gadget tout ça, vous ne croyez pas ?
Aller, amusez-vous bien les plantons et surveillez en effet tous les stylos. Ils peuvent lancer tout style de bombe. Ils peuvent même crever des yeux ou aveugler. Ou couper la carotide mieux qu’une carotte. Ou comme Dead Man, écrire des poèmes avec des lettres de sang et clouer les mains des prêtres-missionnaires sur leur comptoir. On peut aussi cacher des bombes dans sa culotte ou dans sa bouche, bande de flics, mais en même temps ça vous exciterait de palper les gens ou de les faire passer sous des portiques magnétiques, histoire de marquer encore votre territoire sur tous les corps. »
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