Pas de quartier pour l’echec scolaire
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Privilège d’une minorité, l’éducation permanente doit devenir un droit pour tous les adultes
PAS DE QUARTIER POUR L’ECHEC SCOLAIRE
Octobre 1993, école Buffon, ZEP de Colombes, une réunion de parents dans ma classe de CE2. Ali raconte ses difficultés à expliquer chez lui devoirs et leçons à ses enfants. Tel un sésame, son intervention libère la parole d’autres parents. Qu’ils soient d’origine maghrébine, bretonne, ou auvergnate, ils témoignent tous des mêmes frustrations:
« L’école, c’est bien joli, mais comment aider nos enfants quand on a été soi même en échec scolaire, qu’on ne sait pas bien lire… »
Ali et moi, on se connaissait bien, avec d’autres parents et enseignants, cinq ans auparavant, nous avions créé un comité « école quartier » pour faire reloger une trentaine de familles vivant, comme Ali, dans des taudis insalubres générateurs de retard scolaire aggravé. Au nom du traitement économique de l’échec scolaire, les instits s’étaient mobilisés. Mais bien que relogés en HLM, les enfants continuaient à rencontrer de sérieuses difficultés en classe. De ce constat est née l’association Ecole Solidaire, décidée à oeuvrer au traitement économique mais aussi culturel des cités de banlieue. Un programme tenant en une formule: pas de quartier pour l’échec scolaire !
En tant qu’enseignant, j’envoie alors une lettre à Yves Calvet, Pdg de Peugeot où Ali est ouvrier, afin que ce papa obtienne des heures d’éducation permanente sur son temps de travail, pour soutenir scolairement ses enfants. Lors d’un entretien, le DRH propose un financement pour l’achat de livres. Sur le principe, Ali refuse. Ce qu’il veut, c’est être enseigné pendant la journée. Avec la fatigue du travail et les obligations familiales, il ne voit pas d’autres solutions.
Le 6 Mai 1994, Ecole-Solidaire décide alors de rendre publique une proposition de loi pour le droit des adultes à l’éducation permanente, sur le temps de travail ou sur le temps de chômage (formation continue…maîtrise de la langue écrite…ouverture culturelle). En septembre 95, le journal Le Monde nous ouvre ses colonnes dans les pages « Horizon- Débats ».
Les pouvoirs publics sont restés sourds. Aujourd’hui, les banlieues explosent. En effet, il ne saurait y avoir de « sécurité sociale » digne de ce nom sans « sécurité culturelle ». L’inégalité dans l’accès au Savoir génère de nombreuses autres inégalités. Au delà de l’urbanisme et de l’emploi, rien ne doit faire oublier l’indispensable et nécessaire traitement culturel gravé depuis 1946 dans le préambule la Constitution: «La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».
On a coutume de réduire le système éducatif à la seule école, alors que l’enfant ne passe que 10% de son temps en classe (sur une année civile) ! Rien d’étonnant alors que l’emploi du temps passé en dehors de l’école conditionne dans une si large mesure la réussite ou l’échec scolaire de l’enfant.
Dans les familles d’enseignants et de professions libérales, 80% des jeunes obtiennent un diplôme d’études supérieures, à peine 20% dans les familles d’ouvriers et de personnel de service. Dans les cités de banlieue, quantité de parents au cursus scolaire trop court, souffrent de ne pouvoir soutenir les enfants dans leurs études, de ne pouvoir les aider dans leurs devoirs et leurs leçons. Il s’ensuit un échec scolaire massif, cause de chômage, de désespoir et de violence. A l’inverse, dans les milieux favorisés, après leurs études supérieures, les parents bénéficient d’une dynamique d’éducation permanente, non seulement dans un métier qui les valorise socialement mais aussi dans la sphère familiale. Pour les enfants, c’est un facteur essentiel de réussite scolaire et d’insertion socio-professionnelle.
De nombreux emplois peu ou pas qualifiés disparaissent depuis trente ans, longtemps destinés à ceux qui n’avaient pas réussi à l’école, ces métiers sont balayés par la révolution informatique. L’échec scolaire est nu, il n’est plus masqué par le plein emploi. Quand on sait que l’enfant passe 90% de son temps en dehors de l’école, comment peut-on encore imaginer l’éducation des enfants indépendamment de celle des parents ?
Lutter sérieusement contre l’échec scolaire, c’est exiger la mise en place de structures d’accompagnement pour que tous les adultes continuent d’accéder à l’instruction bien après seize ans. Qu’ils continuent d’accéder à ces savoirs qui passent par la maîtrise de la lecture, outil indispensable de compréhension et de transformation du monde. Des savoirs qui vous font acteur de votre propre avenir.
Aujourd’hui, être solidaire, c’est se positionner publiquement pour permettre aux populations des cités de banlieue de tendre vers le confort culturel qui est celui des couches favorisées de la population :
L’élève ne doit plus masquer l’enfant…ni la famille qui est la première des écoles.
Tous les jeunes devraient bénéficier, chez eux, d’un confort culturel générateur de réussite scolaire. Pour cela, il faut que les parents obtiennent effectivement le droit d’accompagner culturellement les enfants sur les chemins de l’Ecole.
L’avenir démocratique de notre société se joue dans la volonté qu’auront hommes et femmes des milieux favorisés de tirer un trait d’union solidaire entre les centre-villes et les cités de banlieue. Dans la volonté de revendiquer l’éducation permanente pour tous les adultes, sur le temps de travail comme sur le temps de chômage.
Tant que ce droit ne sera ne sera pas acquis, l’école égale pour tous restera un mythe.
Nantes, le 3 décembre 2005 Alain Vidal, enseignant, porte-parole d’Ecole-Solidaire
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