Lettre ouverte
Le 14 novembre 2005

Monsieur le Préfet,

J¹ai été avisé, dans la matinée par une radio locale, de ce que vous aviez
pris la décision d¹instaurer le « couvre-feu » sur l¹ensemble de ma commune
pour les nuits du 14 au 15 et du 15 au 16 novembre. J¹ai eu confirmation de
cette information à 11h52 à la réception du fax que vous m¹avez envoyé.

Je condamne avec la plus grande fermeté les exactions, la violence et la
provocation, d¹où qu¹elles viennent et je suis solidaire des victimes, de
toutes les victimes. Ceci étant, permettez-moi de m¹étonner -le mot est
faible- en ma qualité d¹élu du peuple, de ce qu¹une décision aussi importante
ait pu être prise sans aucune concertation avec les élus locaux de terrain et
plus particulièrement avec le maire que je suis. Si cela avait été le cas et
si un minimum de dialogue s¹était instauré, j¹aurais eu l¹occasion de vous
dire, de vive voix, que cette mesure ne trouve aucune justification sur le
territoire de la commune de Grigny.

En effet, ce ne sont pas les agissement délictueux de quelques individus que
l¹on peut aisément compter sur les doigts d¹une seule main qui justifient des
mesures d¹exception, telle que celle que vous avez requise ce jour. Nous
sommes loin, à Grigny, « …du péril imminent résultant d¹atteintes graves à
l¹ordre public… », tel que défini dans l¹article 1 de la Loi du 3 avril
1955. Si « péril » il y a, il résulte de cette stratégie qui consiste à
donner du menton et à user d¹un vocabulaire guerrier plutôt que de prendre
des mesures qui iraient dans le sens d¹un apaisement des tensions. Le
gouvernement de la France a fait la démonstration, dans ce dossier comme dans
une multitude d¹autres, de son incapacité à répondre aux aspirations du
peuple. Pire, il ne l¹écoute pas, ne l¹écoute plus et le mépris dont il a
fait preuve envers la majorité de Français qui a voté NON le 29 mai 2005 ne
pouvait conduire qu¹à une situation de type insurrectionnel.

La population de Grigny est calme et sereine, la jeunesse dans sa grande
majorité partage des valeurs fondamentales qui allient le respect, la
tolérance et la convivialité. Cette jeunesse est présente dans les
associations locales, au sein du conseil municipal des jeunes, dans les
conseils de quartiers. Elle participe activement à la vie municipale et à la
réflexion pour une meilleure prise en compte de ses aspirations quotidiennes.

Je ne puis accepter que des mesures arbitraires et autoritaires, prises en
dehors de toute concertation et analyse objective de la situation, viennent
ternir cette réalité que nous avons forgée tout au long de ces dernières
années et qui guident notre politique municipale.

La jeunesse de Grigny mérite beaucoup mieux que l¹instauration de mesures
d¹exceptions dictée par une administration pour le moins coupée de la
réalité. Elle vaut mieux que l¹exhumation d¹une loi aux relents
colonialistes. Elle vaut mieux que les images que l¹on projette d¹elle ou que
l¹on voudrait projeter d¹elle.

Elle est en attente de mesures concrètes visant à développer l¹emploi en
mettant un coup d¹arrêt aux discriminations de toutes sortes d¹une part et en
légiférant pour interdire les délocalisations et autres mesures permettant de
réjouir les spéculateurs et les « boursicoteurs » de tous poils. Elle est en
attente d¹une politique de fermeté vis à vis de l¹OMC, et plus
particulièrement de l¹AGCS, qui, avec la complicité de l¹Etat français et en
l¹absence de débat au parlement, a la ferme volonté de privatiser l¹ensemble
des services publics de la planète et de la France en particulier. Elle est
en attente de pouvoir se loger, se vêtir, avoir accès aux soins, aux loisirs
et avoir des perspectives d¹avenir autres que celles de l¹ANPE ou des agences
d¹intérimaires. En un mot elle attend de vivre normalement. Elle est en
attente d¹une reconnaissance que le pouvoir en place refuse de lui accorder
sous des prétextes fallacieux et discriminatoires. Elle est en attente d¹un
véritable parcours scolaire qui commencerait dès l¹âge de 2 ans et qui se
poursuivrait dans des écoles de la République à qui l¹on donnerait des moyens
humains et financiers à la hauteur des ambitions que requiert l¹avenir de
l¹être humain.

Car c¹est bien de l¹avenir de l¹être humain dont il s¹agit et de construire
une société plus juste, plus égalitaire, plurielle et solidaire. C¹est pour
cette société là que je milite. Mon engagement d¹élu du peuple se fonde sur
ces valeurs et je ne peux pas envisager que des décisions liberticides,
essentiellement technocratiques, viennent contrecarrer l¹ensemble du travail
de longue haleine qui est celui de la municipalité de Grigny, de ses
services, de ses habitants et de sa jeunesse.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, mes salutations.

René BALME
Maire de Grigny
www.grigny-citoyenne.org
rbalme@sitiv.fr