EXTRAIT DU « PETIT BREVIAIRE A L’USAGE DU JESUITISME SYNDICAL… »

(PROCHAINEMENT ÉDITÉ AUX ÉDITIONS DE LA SAINTE MÉMOIRE OUVRIÈRE)

dimanche 22 juin 2003

Ad augusta per angusta

Mes biens chers frères,

Vous, qui représentez et animez avec tant d’abnégation tout au long de l’année, un véritable syndicalisme de « service » …

Vous qui vous occupez avec tant de célérité des mutations, des passages en « hors classes » pour les enseignants, du sapin de Noël du comité d’entreprise et de tant d’autres petits soucis qui affectent si durement le monde laborieux, soulageant ainsi ses peines…

Vous qui déployez tant d’énergie quand viennent les élections syndicales pour pouvoir passer ou rester devant vos concurrents… et ainsi obtenir les subsides nécessaires pour payer les permanents…

Vous qui faites confiance à vos états majors syndicaux, vos leaders estampillés après de longues batailles « seuls interlocuteurs officiels » du pouvoir…

(sachez que nous utilisons tous les moyens légaux comme la loi Perben par exemple pour empêcher que d’autres prennent nos places…).

Vous vous demandez effarés : Mais que faire quand un mouvement d’une telle ampleur comme celui qui nous touche aujourd’hui, démarre, se développe, s’amplifie et s’organise même sans que nous n’y soyons pour rien ou du moins pour si peu ?

Aura popularis

Ne risque-t-on pas quand on s’apercevra que nous faisons tout pour le canaliser, le freiner le contrôler, de nous faire jeter un jour de ces « Assemblées Générales » et ruiner ainsi tous nos efforts quotidiens ?

N’y a-t-il pas grand danger pour nous, frères militants, en ce moment particulier où de partout surgit d’entre nos brebis la clameur d’une « Grève Générale illimitée » ?

Oui, mes biens chers frères, vous voyez juste il y a bien péril en la demeure ! Nous avons eu bien du mal, en effet, à prendre en marche le train de la grève reconductible mais il fallait en passer par là sous peine d’être désavoués par nos « bases ».

Mais vous ne vous poseriez pas toutes ces questions mes frères, si vous aviez bien tous, dès le début, compris pourquoi nous devons empêcher ces luttes d’arriver à leurs termes ! Dois-je vous rappeler que certains de nos syndicats confédérés parmi les plus puissants adhèrent à l’illustre Confédération Européenne des Syndicats ? (ceux qui n’y participent pas encore sont néanmoins en complet accord avec ses objectifs). Ils y ont obtenu une stature institutionnelle parmi toutes les autres institutions européennes. Nous devons accompagner celles-ci pour garantir les droits des travailleurs de notre continent… Ils sauront nous en être reconnaissants soyez en sûrs. Mais de grâce n’imaginez surtout pas que nous pourrions, ou même devrions, aller à l’encontre d’un système libéral dont personne (sauf des poètes peut-être) ne voit l’alternative…

Cela n’enchante guère nombre d’entre vous je le sais, mais à ceux-là je répondrai en employant cette expression populaire : contentons nous de limiter la casse ! Et que leur conscience en soit apaisée…

L’Europe sociale à laquelle nous œuvrons c’est aussi l’Europe du capital, ne soyons pas naïfs et de même qu’au niveau national, nous pouvons y remplir parfaitement notre rôle de courtiers de la main d’œuvre. Car le capital ne saurait se passer de nous comme force régulatrice et négociatrice… Allons mes frères le libéralisme nous réserve encore de beaux jours ! Courage !

Et c’est bien en ce sens que nous assumons d’une façon responsable notre rôle actuel que d’aucuns ne manqueront d’appeler perfidement « briseur de grève ».

J’en viens d’ailleurs au conseil tant attendu de votre part pour justement fermer leur caquet à ceux-là : non-syndiqués ou syndiqués de fraîche date ou encore porte-voix de syndicats alternatifs… Car il faut avec célérité s’employer à désamorcer la bombe que leurs critiques pourraient faire exploser.

Lors de nos premières expéditions missionnaires au Japon (16ème siècle) certains d’entre nous en ont rapporté l’art subtil du Jiu-Jitsu. Un des principes fondamentaux en est qu’il ne faut pas opposer la force à la force (surtout si l’on ne fait pas le poids) mais jouer sur le déséquilibre de l’adversaire utilisant même sa propre inertie. En voici l’application :

Nolens, volens

1. Les « révolutionnaires » partisans de la démocratie directe en appellent toujours aux assemblée générales souveraines. Cela à priori remet en cause notre rôle, on le sait, mais ces assemblées se créent spontanément et nous n’y pouvons rien… Aussi, n’allons pas à contre courant il suffit d’y être présents ! Vous avez tous lu Platon dans le texte et vous n’ignorez pas que dans des lieux ou le pouvoir vient de la parole, ceux qui jactent le mieux tirent leur épingle du jeu… Or n’êtes vous pas des spécialistes ? Considérez l’avantage que vous avez sur ces néophytes qui s’exercent pour la première fois, ô combien maladroitement, à s’exprimer en public !

Quid nescit dissimulare nescit regnare

2. Dites oui aux A.G ! Résolument ! Et même allez plus loin ! Si l’on vous demande pourquoi vous n’appelez pas à la grève Générale illimitée, ne vous effrayez pas : retournez la force de votre contradicteur contre lui : n’hésitez pas à dire haut et fort que si vous ne le faites pas c’est par respect pour ces mêmes Assemblées qui seules ont le pouvoir de décider d’une telle chose… C’est par respect pour la démocratie que vous n’en faites rien ! Et le tour est joué !

3. Remarquez l’habileté de l’argument : d’une part vous apparaissez dans toute la modestie d’un vrai représentant de « la base » mais en plus vous ne manquerez pas de stigmatiser à l’occasion celui qui vous demande des comptes comme un de ces aventuriers qui n’hésiterait pas, lui, à se substituer à la volonté collective ! ! !

Voici donc une phrase type que vous pouvez utiliser partout : « Nous n’appelons pas à la grève générale car ce sont les assemblées qui décident et nous ne saurions nous substituer à elles ! Nous respectons la démocratie, nous ! »

L’argument portera d’autant plus que votre contradicteur sera le porte parole d’un de ces petits syndicats alternatifs qui pullulent depuis peu.

Ceux-ci, en effet, sont prêts à en appeler aux Assemblées et même aux « Coordinations » d’assemblées sans rechercher aucune reconnaissance particulière pour leurs syndicats ! Cette position pourrait leur amener bon nombre de sympathies. Ce qui apparaîtrait comme gage de leur honnêteté peut néanmoins se retourner contre eux pour peu que l’on insinue adroitement qu’en fait ils se fondent dans les assemblées pour mieux les manipuler, profitant du fait qu’ils sont moins connus que nous qui ne pouvons nous cacher du fait de notre notoriété…

N’ est ce pas là une prise admirable digne des grands maîtres du Jiu-Jitsu ?

Allons, le temps presse mes frères et la besogne est dure : les grévistes semblent déterminés à poursuivre leur mouvement et il est à espérer que notre labeur soit récompensé ! Mais de toutes façons si ce n’est par les uns ce sera par les autres…

Ah ! J’oubliais ! Ayez toujours à l’esprit le mot d’un de nos illustres prédécesseurs le Père Maurice Thorez : « Il faut savoir terminer une grève ! »

PS : Veuillez à ce que ce document ne soit pas divulgué à de simples curés de campagne qui n’ont pas la formation suffisante pour en comprendre la nature.