A la question d’un internaute lui demandant, à l’occasion d’un chat organisé par le site du Nouvel Observateur en janvier 2005, si ses partis pris pro-israéliens notoires ne le disqualifiaient pas vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, Frédéric Encel ne se laissera pour ainsi dire pas démonter, rétorquant : « Je n’ai jamais été critiqué pour un parti-pris quel qu’il soit par des gens de bonne fois et de bonne volonté ; seuls des dogmatiques de part et d’autres, soit du côté pro-israélien, soit du côté pro-palestinien, me critiquent de temps à autres (sic). Mes six ouvrages, mes titres et fonctions universitaires, ainsi que mon expérience du terrain rendent difficilement contestable mon objectivité et ma compétence quant au conflit. » Voire. M. Encel n’est pas seulement contesté, mais contestable. Car justement, les titres et les fonctions qu’il revendiquent pour étayer sa compétence sont faux ou inexacts, comme Vincent Geisser le démontre de façon éclatante. Mais il y a quand même un élément de compréhension de l’attitude de Frédéric Encel qui a échappé à la vigilance de M. Geisser.

France 5, le 29 septembre 2002. Lors d’une émission intitulée « Les repères de l’histoire », présentée par Laurent Joffrin, et consacrée au Mossad, F. Encel, invité à s’exprimer sur le sujet avec Alexandre Adler, sera l’auteur d’une déclaration de disponibilité des plus osées. Ainsi, à une question de L. Joffrin évoquant les relations entre les services secrets israéliens et la diaspora juive, et à laquelle A. Adler répondra qu’il n’avait jamais été contacté par le Mossad, F. Encel préfèrera insister sur ses propres compétences en la matière. Revenant de son propre chef sur la question de la diaspora juive, il déclarera : « Moi non plus je n’ai pas été contacté, d’ailleurs par aucun autre service non plus, c’est très vexant à la longue ! On parle de relations internationales, et finalement… ». Interrompu par L. Joffrin, qui lui tendait une réelle perche, il ne renoncera pas pour autant à ses propos :

Laurent Joffrin : « … mais si vous l’aviez été [contacté], vous ne le diriez pas ! »

Frédéric Encel : « Oh, peut-être, je ne sais pas ».

A. Adler aura beau jeu d’essayer de ramener F. Encel à la raison en soulignant qu’il n’était qu' »une grande gueule » et qu’il allait de soi qu’une personne mêlée aux services secrets ne le dirait pas. L. Joffrin fera lui-même preuve d’une présence d’esprit proportionnelle à l’énormité de la situation, en soulignant furtivement et sur le ton de l’humour qu’Encel n’était effectivement pas discret. Mais rien n’y fera. Le « spécialiste » du Moyen-Orient tenait à confirmer ses dires, toujours dans cette même émission : « Le Mossad, je pense, doit pouvoir compter sur de toutes petites aides techniques et ponctuelles » ; « On fantasmatise (sic) beaucoup, les services secrets, tout le monde serait plus ou moins James Bond à l’intérieur. Mais non ! Les services secrets, [et] pas seulement le Mossad, utilisent des gens, souvent d’ailleurs avec leur accord, en demandant très poliment, pour des très petites choses, pour des, si vous voulez, des aspects techniques, horaires (…), [des] renseignements, mais pas seulement ; pour l’accueil d’agents une journée, pour le prêt d’une voiture, je vous dis évidemment ça au hasard, ça peut être n’importe quoi, mais c’est des choses très importantes ».

Faut-il voir ici un événement fondateur dans le cursus de F. Encel ? Il semble pour le moins assez douteux que ces déclarations insistantes soient le seul fruit du hasard. Ce qui frappe en tous cas, c’est l’acharnement qu’il a eu, depuis le déroulement de cette émission, à faire de la défense d’Ariel Sharon l’un des piliers incontournables et fondamentaux de ses analyses. Ce qui est également notable, c’est que par la suite, il a évité de se référer à Jabotinsky, le leader d’extrême droite créateur du Betar, son « maître à penser », comme il le faisait régulièrement. Il s’est tout d’un coup présenté comme venant de la gauche laïque, converti par pragmatisme au soutien du gouvernement Sharon. Cette position, nécessairement complémentaire de la défense inconditionnelle de la politique de l’Etat d’Israël, connaîtra d’ailleurs son apogée au cours de l’été 2005, à l’approche de l’application du plan unilatéral d’Ariel Sharon pour le désengagement de la Bande de Gaza. « N’en déplaise aux promoteurs d’une vision manichéenne en diable du personnage, Ariel Sharon est un pur produit de la gauche sioniste laïque, celle des pragmatiques années de construction d’Israël » ; « Ni plus ni moins « faucon » à l’heure actuelle que naguère, Sharon fait du Clausewitz » (Le Figaro, 8 août 2005) ; « Ariel Sharon fait du Max Weber, il passe de « l’éthique de conviction » à « l’éthique de responsabilité », pour reprendre les termes du sociologue allemand. Nationaliste authentique, c’est avant tout un pragmatique qui a commencé sa carrière à la gauche de l’échiquier politique israélien » (L’Est républicain, 17 août 2005) ; « La vérité est la suivante : Ariel Sharon est un faucon pragmatique. Ni valorisant, ni dévalorisant à mes yeux, ce constat facile à étayer permet de réfléchir et d’analyser plutôt que d’en rester à une diabolisation vaine et pour tout dire fantasmatique » (L’essentiel des Relations internationales, Eté 2005) ; « C’est un nationaliste, un « faucon », le Premier ministre Ariel Sharon, qui a mené ce retrait à terme, et non pas les travaillistes » (nouvelobs.com, 12/09/05). « Nationaliste », « pragmatique » : deux mots clé qui résonnent avec constance dans la bouche d’un « expert » dont l’un des récents ouvrages n’hésitait pas à rappeler, à propos des massacres de Sabra et Chatila (Liban) de 1982, que « la commission d’enquête israélienne Kahane, chargée d’établir les responsabilités sur l’affaire, incrimine en effet directement [Ariel Sharon] pour sa négligence, indiquant qu’il n’aurait manifestement pas dû autoriser les troupes du chef phalangiste chrétien Elie Hobeika à pénétrer dans le camp »[i]. Rappelons que la commission Kahane avait pourtant fait preuve de bien moins d’indulgence à l’encontre d’Ariel Sharon, puisqu’elle évoquait non pas une « négligence », mais sa « responsabilité » dans ces massacres[ii]. Mais peut-être M. Encel est-il aujourd’hui le détenteur d’informations privilégiées abondant dans le sens d’A. Sharon et affranchissant effectivement ce dernier de toute responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila ? Le cas échéant, la justice israélienne comme le grand public ne manqueraient assurément pas d’être intéressés par de telles révélations qui, pour le coup, contribueraient peut-être à humaniser un tant soit peu le visage connu d’A. Sharon.

Il va de soi que, si F. Encel avait opté dès le départ pour un positionnement clair et dépourvu d’ambiguïté, à l’instar de tant des défenseurs les plus acharnés de la politique israélienne en général, personne n’aurait pu lui reprocher ses positions extrêmes. Mais le problème est que M. Encel n’assume pas le sous-entendu de ses positions, prétendant à l’objectivité, mais incarnant en même temps, et à merveille, le rôle de porte-parole du gouvernement israélien en France. Le tout avec le soutien des médias.

Frédéric Encel s’invente des titres pour tromper le public. Et le fait pour les médias de se laisser piéger ainsi est un problème. Depuis la publication de l’article de Vincent Geisser et le retentissement qu’il a eu, le nombre de personnes mal informées devrait avoir diminué, ainsi que le nombre de personnes dupées. Pourtant Frédéric Encel persiste et signe et continue d’usurper des titres.

Le problème n’est ni dans l’intensité de la présence de Frédéric Encel dans les médias, ni dans les positions qu’il défend. S’attribuant des titres et des fonctions universitaires ne correspondant pas à la réalité (et qui ne constituent pas l’origine de ses revenus), il trompe sciemment le public. Il pourrait légitimement tenir le même discours en mettant en avant ses activités communautaires réelles et non des titres universitaires fictifs.

Le 9 juillet 2005, Le Monde publiait une publicité à propos de la sortie du DVD d’Eric Rochant, « Les patriotes ». Outre le film, y était proposé un entretien avec « Frédéric Encel, spécialiste du Mossad ». Pour une fois, le soupçon de publicité mensongère était écarté. Pour une fois, un média n’attribuait pas à Frédéric Encel un titre inexact.

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[i] Frédéric Encel, François Thual, Géopolitique d’Israël : Dictionnaire pour sortir des fantasmes, Le Seuil, 2004, p. 356

[ii] http://www.caabu.org/press/documents/kahan-commission-part9.html

Rémy Ludon
Collectif de Lutte contre la pensée unique (CLPU)