Il ne va pas manquer de bonnes consciences pour se gausser de celui qui critique la privatisation de l’infrastructure honnie : l’autoroute. Symbole de la voiture, de l’individualisme, du voyage express, du mépris de la campagne et de l’environnement, de la pollution, de la consommation de carburant, etc…. Et ce d’autant plus que l’autoroute est à péage… alors pourquoi s’en faire ?… On ne changerait que de caisse.

Erreur, erreur profonde, si j’entends bien la critique que l’on peut faire à l’autoroute, il n’en reste pas moins que ce qui est entrain de se jouer est particulièrement préoccupant et devrait nous inciter à réfléchir plutôt qu’à hausser les épaules. La question qui se pose est beaucoup plus large que ce qui n’y paraît.

DERNIERE SORTIE AVANT PEAGE

Lorsque, devant le développement du trafic automobile, en France, dans la deuxième moitié du 20e siècle, l’Etat a décidé de construire des autoroutes et de faire payer, la somme qu’acquittait l’utilisateur correspondait au remboursement des emprunts souscrits afin de financer la production.

La privatisation actuelle des autoroutes ne correspond absolument pas à cette logique. Il s’agit de la vente d’un droit de prélever un péage. En effet, les infrastructures en question sont amorties depuis longtemps et ce n’est pas cette contrainte gestionnaire qui pourrait expliquer l’instauration du péage.

Cette vente du droit de péage présente un intérêt conjoncturel pour l’Etat : il engrange massivement un capital qui par ces temps de déficit budgétaire mettra du « beurre dans les épinards »… Mais pour combien de temps ?… là est toute la question. En effet, une fois le droit vendu, au privé, il ne pourra plus compter sur les recettes futures qu’auraient pu procurer l’usage du péage. Le « beurre dans les épinards d’aujourd’hui ne garanti pas que l’on aura à manger demain et à fortiori après demain ».

Le choix de l’Etat est donc extrêmement risqué, il brade un flux de recettes à venir contre un gros pactole disponible immédiatement.

Mais il y a beaucoup plus grave que cette politique économique à la « petite semaine » caractéristique de pouvoirs publics pris à la gorge et incapable de se sortir de la situation.

LE RETABLISSEMENT DE L’OCTROI

L’octroi était un droit de prélever une somme d’argent sur un bien ou un service. C’était un impôt dont bénéficiaient les seigneurs et les villes. Entrave au développement économique il sera combattu par la bourgeoisie commerçante. Etant tout de même un impôt, elle s’en accommodera cependant jusqu’à la fin de la 2e Guerre Mondiale.

A y regarder de près, cette privatisation des autoroutes, est un transfert de droit de l’Etat sur des entreprises privées. Autrement dit le privé, hérite d’un droit de l’Etat et de ce fait s’arroge le droit de prélever un impôt sous la forme de droit de passage ou droit de circulation. Sur le fond, une telle dérive est inquiétante. Ce qui était de la prérogative de l’Etat, donc du domaine public, et donc en principe sous contrôle citoyen, passe sous autorité de personnes privées. Pourquoi à la limite ne pas déposséder la puissance publique de toute autorité et la transférer au domaine privé… bref, le rêve de tout libéral.

Il est vrai que l’Etat « démocratique » se moque totalement de la citoyenneté sauf à manipuler le bon peuple pour qu’il accorde une légitimité à ses représentants (pour qu’ils puissent les trahir en toute morale).

Mais, va-t-on me dire, « l’entretient de l’autoroute entraîne des frais et il est donc normal que quelqu’un les paye, et en particulier celui qui l’utilise ». Mais c’est le même cas pour les routes nationales ou départementales. Trouverait-on normal que ces voies deviennent des voies privées ; dont l’usage, l’entretien soit décidé de manière privée et en fonction d’intérêts privés… au point d’avoir finalement un réseau bien entretenu, à péage et correspond à des intérêts économiques substantiels et un réseau secondaire de chemins laissé à l’abandon car pas rentable ?

Cette logique qui touche aujourd’hui les autoroutes, et qui est parfaitement dans la perspective plus générale de la liquidation du service public est un pas supplémentaire de l’aliénation des prérogatives du public aux intérêts économiques du privé.

Doit-elle nous surprendre ? Non. Elle est dans la logique du libéralisme ambiant. L’espace politique public cède peu à peu la place à l’espace économique marchand privé. L’Autorité dans la société perd peu à peu son fondement citoyen (si tant est que cela lui conférait un caractère démocratique) et se fonde sur l’état de fait de la domination économique.

Nous assistons à une véritable régression politique, au sens le plus fondamental du terme. Ainsi, dans l’indifférence générale, les derniers oripeaux de l’illusion démocratique sont entrain de tomber. Aujourd’hui les autoroutes,… et demain

Le venin libéral s’introduit dans tous les pores de la citoyenneté et la liquéfie.

Patrick MIGNARD