Une question obsédante hante tous les altermondialistes : doit-on ou non participer à l’activité politique officielle et en particulier aux élections ? Pris entre le désir de faire « neuf » dans l’action en dehors des « sentiers battus » et la peur d’être systématiquement marginalisés, oublié des médias, la réponse à cette question n’est pas simple.

La tentation a été la plus forte, lors des dernières élections régionales,… des listes altermondialistes se sont présentées, avec le succès que l’on sait… d’autres ont préféré se retirer. La question n’est pour autant pas réglée, pour le présent et surtout l’avenir, de l’articulation entre la critique altermondialiste du système marchand et la participation ou non, et si oui sous qu’elles modalités, à la vie politique « traditionnelle ».

IMPERATIF « DU » POLITIQUE ET ATTRAIT DE « LA » POLITIQUE

Toute critique d’un système se heurte, à brève échéance, à la question de la pratique. Au-delà du (des) discours la question du « que faire concrètement ? » est inévitable. Elle est doublée aujourd’hui, vue l’importance de la communication et des médias qui en sont le support, par la question « comment être connu sans tomber dans la futilité médiatique et la compromission politique?»

Le bilan actuel est loin d’être positif en terme d’effets concrets.

Le discours des altermondialistes n’a pas suscité un changement significatif de la part des gouvernements dans la gestion des ressources de la planète, la réduction des inégalités et la réflexion sur un autre type de fonctionnement de la collectivité humaine – développement et croissance sont toujours à l’ordre du jour. Au contraire il a poussé les politiciens à encore plus de cynisme et de démagogie. Dans le pire des cas ils, les altermondialistes, ont été, et sont, victimes, y compris de la part des gouvernements « démocratiques », de la répression la plus brutale et dans le « meilleur » ils ont vu leurs discours et analyses totalement pillés, dénaturés, détournés, récupérés par les politiciens sans scrupules et soucieux de donner démagogiquement le change à un électorat de plus en plus, inquiet.

Leur interrogation devant être à un moment nécessairement politique, les altermondialistes ont senti, à juste titre, que leur expression devait aussi l’être, politique.

Le problème dans notre société c’est que si, le champs « du » politique est largement ouvert aux interrogations individuelles et collectives, le champs de « la » politique, lui, est parfaitement verrouillé par une classe parasite ( voir l’article – VICTOIRE DE « LA » POLITIQUE, MORT « DU » POLITIQUE.) Or, « le » politique aujourd’hui ne s’exprime, ou ne peut s’exprimer, que par le canal de « la » politique… autrement dit « le » politique est confisqué, et est de fait étouffé, voire déconsidéré par les relents nauséabonds de la pratique de la politique. Pourtant la nécessité de l’expression politique est indispensable. Posée autrement, la question pourrait-être : « L’expression politique peut-elle exister en dehors des canaux traditionnels de la politique ? ». C’est aujourd’hui le problème central qui se pose au mouvement altermondialiste… mais apparemment il ne le sait pas encore.

La réponse à cette question nécessite une vision claire de ce qu’est « le » politique et « la »politique. Cette vision est déformée par le poids de « la » politique qui monopolise et confisque toute réflexion politique et la cantonne dans les espaces étroits délimités par les intérêts du système marchand qu’elle sert… c’est à ce niveau que joue pleinement l’idéologie dominante, la pensée unique, qui donne une fausse représentation de la réalité dans l’objectif de préserver le système. Espaces également délimités par les intérêts bureaucratiques des partis qui font de la conquête et de l’exercice du pouvoir un impératif catégorique et un privilège pour leurs membres. C’est aussi, enfin, à ce niveau que jouent les pratiques de tentatives plus ou moins réussies de récupération d’un mouvement qui draine autant de monde – et donc un électorat potentiel. Concrètement parlant, tous les moyens d’expression, du moins les plus efficaces, hormis en partie Internet jusqu’à présent, sont entre les mains des gestionnaires du système. Vouloir y avoir accès oblige à la négociation et à la compromission et finalement à l’impuissance politique. C’est aujourd’hui l’impasse dans laquelle se trouve ce mouvement : tenté par le compromis mais craignant la compromission.

UNE PENSEE POLITIQUE EN PANNE

« L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes », autrement dit,
la critique du système marchand ne saurait faire l’économie de sa propre critique.

Courtisé dès son apparition par une classe politique particulièrement corruptrice, le mouvement altermondialiste s’est rapidement dispersé qui dans des organisations autonomes, qui dans des partis politiques déjà constitués l’utilisant comme « vivier de militant-e-s », qui dans un/des nuage/s de militants « électrons libres ». L’apparente unité dans la critique du système n’a pas su/pu résister aux pressions extérieures, aux forces centrifuges induites par sa diversité et à l’incapacité à concevoir une stratégie politique.

La conquête du politique ne se fait pas, et l’Histoire nous le montre, en marchand dans les pas d’un maître qui nous précède et nous montre doctement le chemin à suivre,… qui plus est quand le maître est un filou et un escroc Le démarrage prometteur de l’ « antimondialisation », puis de l’ « altermondialisation » n’a pas su dépasser le stade de la rhétorique classique à l’égard du système et des magouilles d’appareils au sein même du mouvement. Malgré une analyse qui se voulait pertinente, et qui souvent l’était, la démarche politique n’a pas su se dégager des ornières qui font du discours la seule pratique et la pratique/praxis la parente pauvre de l’engagement. Le mouvement se retrouve ainsi, après une courte existence, avec des interrogations existentielles qui ne sont que l’expression des erreurs commises. Seuls, celles et ceux qui étaient demeurés ancrés dans les certitudes trompeuses de leurs organisations ont l’illusion dérisoire d’avoir « tiré les marrons du feu ».

Ce n’est pas la diversité qui a stérilisé l’altermondialisme, mais le défaut de pensée stratégique.

La question n’est pas de savoir si oui ou non le « mouvement altermondialiste » a su, ou pu, surmonter ses diversités, comme le disent certains, la question est de savoir s’il est capable de penser une pratique sociale alternative (la praxis) qui sera demain la fossoyeuse du système marchand. Générer une pratique politique et sociale alternative c’est faire « du » politique sans passer par les méandres pervers de « la »politique, c’est s’autonomiser par rapport à tout ce que le système marchand à mis en place pour « récupérer » toute initiative qui risque de remettre en question son existence.

S’en remettre au cadre traditionnel de l’organisation des grandes manifestations, qui deviennent inévitablement de « grandes messes » et autres « défilés de mode », c’est non seulement institutionnaliser le discours comme pratique substitutive à la praxis, mais c’est aussi se livrer à la compromission vis-à-vis d’institutions détentrices d’argent public qui le mettront à notre disposition à condition de passer par leurs conditions. Il n’y a pourtant pas de fatalité à ces soit disantes contraintes, contrairement au : « On est bien obligé d’en passer par là ? »… C’est toujours ce genre de raisonnement qu’ont utilisé celles et ceux qui, soit par manque de conviction, soit par manque de courage, soit par intérêt cupide, se sont toujours abstenu de « faire ». Il n’y a fatalité que si l’on considère que c’est la seule voie. Or rien ne nous oblige de passer par là, du moins prioritairement car la praxis, ce qui fait et fera l’essentiel du processus de changement, est ailleurs, loin des médias, des politiciens, loin des stratégies électorales dont on sait pertinemment qu’elles ne donnent que l’illusion d’une hypothétique éventualité de changement, loin des discours de celles et ceux qui ne sont que les gestionnaires du système marchand. Elle est, la praxis, dans ces structures souvent informelles que tissent celles et ceux qui, soit par conviction, soit par nécessité, soit les deux, « inventent » de nouvelles structures, de nouvelles pratiques porteuses d’avenir, celles et ceux qui font l’expérience concrète que les valeurs, les rapports que nous voulons pour demain, sont non seulement viables, mais souhaitables.

C’est donc bien en terme de champs d’intervention qu’il faut aujourd’hui poser la question de «quelle pratique politique ? ». Pourtant, dans l’état actuel des choses, tout porte à croire que cette problématique est superbement ignorée par les soit disant « leaders politiques du changement » qui s’acharnent à reproduire des formes d’expression, de luttes, d’action qui ont largement fait la preuve de leur faillite. Ils s’obstinent à considérer les échéances électorales comme des étapes du changement ( ?), qui poussent le ridicule jusqu’à croire et, ce qui est plus grave, faire croire, que c’est en changeant de gouvernement, de président, et/ou de majorité parlementaire qu’ « un autre monde est possible ». Ils s’obstinent à faire des grandes manifestations de masse l’essentiel de leur pratique politique, mystifiant en cela le plus grand nombre qui se donne activement ou passivement l’illusion de la force et de l’efficacité…

… Et ce n’est pas un candidat à l’élection présidentielle qui règlera le problème, au contraire, il consacrera l’illustration de la faillite stratégique du mouvement.

POUR UN RENOUVEAU DE LA PENSEE POLITIQUE

La pensée politique a été corrompue par la fausse illusion que procure la démocratie marchande – à l’image du marché, et de ses lois, qui doivent assurer un fonctionnement juste et rationnel des facteurs de production et des richesses produites, la démocratie marchande, c’est-à-dire le système politique qui assure la survie du système de même nom, doit assurer un fonctionnement juste et rationnel des institutions politiques.

Cette croyance, ce mythe, s’avère en grande partie illusoire. Tant sur le plan intérieur, qu’au niveau international, le système politique actuel est loin de tenir ses promesses de baptême et par ces temps de mobilisation marchande, dérive vers des pratiques parfaitement contradictoires avec les principes qui le fondent.

Repenser le politique, c’est à la fois réinterroger l’Histoire sur les mécanismes de changement des systèmes économiques et politiques, c’est aussi relativiser les résultats de l’appareil de « fonctionnement démocratique des institutions des démocraties »… l’un entraînant d’ailleurs l’autre.

L’Histoire nous montre en effet le rôle essentiel de la pratique économique et sociale dans le dépassement des systèmes et l’avènement de nouveaux rapports sociaux (voir les articles « DECADENCE » et « TRANSITION »). Elle nous permet de prendre la mesure de la relativité des marges de manœuvres politiques qu’offrent tous les systèmes en place en matière de changement (voir l’article : « LES FORMES DE LUTTE EN PERIODE DE DECADENCE »).

Les champs d’intervention se situent donc dans la pratique concrète d’un nouveau type de relations sociales. A la fois dans une volonté, plus ou moins consciente de dépassement du système marchand, mais assurément dans la concrétisation de la volonté d’un nouveau type de relation des individus entre eux dans la manière de produire et de répartir les richesses produites.

C’est cette pratique qui doit fonder l’adhésion du plus grand nombre. C’est elle et non les discours, aussi convaincants soient-ils, qui enracinera la conviction et l’urgence de la nécessité du changement.

Les pratiques alternatives, considérées aujourd’hui comme des manifestations plus ou moins folkloriques, et assurément marginales, ne sont pas le produit d’une génération spontanée du mouvement des idées, mais l’expression d’une nécessité économique, sociale et écologique et de la prise de conscience de l’impératif d’une nouvelle logique sociale.

Le renouveau de la pensée politique doit briser le carcan de la problématique organisationnelle classique actuelle. Les organisations politiques sont totalement dépassées par la tâche qui nous incombe et nous maintiennent dans la débilité et l’impuissance politique. Expression même du gâtisme politique elles ne savent que reproduire de vieux réflexes coupés de la réalité. Leurs débats stratégico-électoraux , expression de leurs obsessions électorales sont totalement obsolètes.

Le discours politique ne doit plus se fonder sur une rhétorique interne au système politique, mais sur l’expression d’une pratique sociale, une praxis, qui a pour objectif de le dépasser.

Ainsi, la citoyenneté altermondialiste n’est certainement pas la transposition mécanique de la conception nationale marchande de celle-ci. Au niveau national, la citoyenneté a été vidée de sa substance au point d’en faire un instrument de manipulation par le pouvoir et de frustration. Bâtie sur une ambiguïté fondamentale qui paradoxalement faisait du salarié, individu purement instrumentalisé, un individu paraît-il libre, cette conception de la citoyenneté est devenue une enveloppe vide que la classe politique essaye de remplir lors de chaque scrutin avec des mots d’ordre mystificateurs, purs produits du marketing politique.- voir l’article « LA MARCHANDISE CONTRE LA CITOYENNETE » et « PEUT-ON FAIRE CONFIANCE AUX FEMMES ET HOMMES POLITIQUES ? »

La véritable citoyenneté ne saurait se fonder sur le rapport salarial, mais au contraire se fonder sur un rapport social dans lequel la primauté est faite à l’individu et non aux lois du capital et du marché, c’est tout le sens du slogan « Je ne suis pas une marchandise » arboré sur les tee-shirt.

La pratique alternative est mille fois plus efficace que tous les discours alternatifs réunis.

Patrick MIGNARD