La laïcité, un point c’est tout
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Et si finalement, le mythe du petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur n’était plus qu’un lointain souvenir ? Et si après avoir mis des siècles à se débarrasser de la puissance du clergé, la France entrait à nouveau dans une période de turbulence dominée par ceux qui pensent que Dieu c’est « moderne », voire « émancipateur » ? Si la Raison, après tant de luttes (contre le Roi, les ennemis de la République, le Concordat…) devait enfin céder devant les manifestations les plus contemporaines de l’irrationnel ? Nous n’en sommes pas encore là, bien heureusement. Mais quand on sait comment les principes les plus fortement ancrés dans la conscience collective sont prompts à être balayés par l’air du temps, ces questions peuvent légitimement se poser.
Partout, « Dieu » a le vent en poupe. Et comme d’habitude, quand on invoque son nom dans la conduite des affaires du monde, on n’est pas loin de la catastrophe. A Washington, Bush junior jure sur la Bible avant d’aller faire la guerre en Irak (il faut dire à sa décharge que ce n’est pas lui l’inventeur du séculier « God bless America »). A Bagdad, l’ex-très laïque Saddam se reconvertit en parangon de l’Islam avant de joyeusement massacrer ses semblables et finir dans les oubliettes de l’Histoire. Nous ne dirons pas « paix à son âme ». En Israël, les commandos-suicide se font exploser sur des civils en criant « Dieu est grand ». Symétriquement, les colons israéliens se sentent investis d’une mission divine pour défendre leur bout de gras. A la frontière indo-pakistanaise, hindous et musulmans s’entretuent depuis des lustres. Et à quelques centaines de kilomètres de chez nous, du côté de Belfast, anglicans et catholiques entament leur deuxième siècle de haine. La liste est encore longue. Sans qu’elle ne devienne forcément un alibi aux massacres de masse, la religion est omniprésente jusque chez nos voisins européens, qui doivent bien se marrer devant nos querelles d’exégètes sur le foulard à l’école ou sur les photos d’identité, sur le CFCM et l’UOIF. En Grande-Bretagne, l’anglicanisme est religion d’Etat. Aux Pays-Bas, une tolérante neutralité permet à chacun de déambuler attifé comme bon lui semble dans les écoles et les entreprises. En Allemagne, l’enseignement du catholicisme et du protestantisme est obligatoire dans les écoles publiques. L’Espagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et le Portugal vivent encore sous le régime du Concordat. Pire, en Irlande, la Constitution a été rédigée sous le sceau de la sainte Trinité, tandis qu’en Grèce, la religion figure sur la carte d’identité.
Eh oui, la laïcité est bien la marque de fabrique d’une France qui a construit son histoire récente (depuis 1789, avec de multiples soubresauts) sur la supériorité du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel. « Le bonheur est une idée neuve en Europe », disait St Just à la Révolution, évoquant la possibilité inédite pour les individus de forger leur propre destin sur terre, et non plus à espérer le bien-être dans un hypothétique paradis. Auparavant, le bâton était sur la terre, et la carotte dans les cieux ! Facile ensuite de courber l’échine devant les curés et les barons. Facile pour les rois d’imposer leur coercition. Ainsi, le processus qui mène de 1789 à la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 1905, c’est l’histoire de la contestation par le peuple des outils de son oppression, c’est l’histoire de la reprise en main par les individus des clés de leur propre existence. Voilà les fondements sur lesquels nous avons vécu jusqu’à ce jour, et qui ont permis à la République d’imposer ses valeurs. C’est-à-dire un régime qui écarte le religieux de l’organisation sociale, et qui garantisse à chacun le droit d’exercer son culte dans le cadre privé uniquement. Il s’agit d’un régime complètement spécifique au regard de la façon dont les autres pays se comportent sur le sujet, et qui a eu du mal à s’exporter en dépit de sa vocation universelle.
Mais voilà que notre beau moteur républicain hoquète. Voilà que la simple incantation aux « valeurs », à la « raison », à l’« universel », ne suffit plus. Au cœur de l’exemplarité européenne, au pays des hussards noirs de la République (ces instituteurs acharnés à construire l’école laïque, publique, et obligatoire à la fin du XIXème siècle), le doute s’est installé. Une première, puis une deuxième, puis une énième affaire du voile, alliées à des crises internationales qui ont eu des répercussions ici, et l’activisme d’islamistes que rien ne semble faire reculer (sous l’œil bienveillant des autres autorités religieuses, trop heureuses de revenir sur la scène sans avoir à bouger le petit doigt) ont vite fait de semer le trouble. Il faut dire que la réalité a de quoi inquiéter. Et nous sommes les premiers à ne rien vouloir occulter. Oui, il y a de plus en plus de jeunes filles voilées. Oui, les courants d’un Islam fondamentaliste se sentent pousser des ailes. Oui, nous savons tous que jusque dans les sphères les plus progressistes de la société le ramadan se pratique de plus en plus. Sans parler des revendications grandissantes sur la nourriture dans les cantines des écoles ou sur l’aménagement des horaires de cours.
Mais ne mélangeons pas tout. D’une part, cette partie émergée de l’iceberg que constitue le débat sur l’Islam rejoint un mouvement bien plus profond qui est à l’œuvre dans la société. Ce mouvement repose sur le retour aux identités. Le sens collectif (se définir en fonction de sa vision du monde, de ses idéaux, de sa citoyenneté…) est battu en brèche par l’identité individuelle (se définir comme blanc, comme catholique, musulman, homosexuel ou amateur de musique techno). Celle-ci puise sa légitimité dans l’appartenance à une tribu, à une communauté, plus que dans un espace national qui forge l’égalité entre tous. Les droits et devoirs ne sont plus les mêmes pour tout le monde, mais ils diffèrent au diapason des tribus et des revendications communautaires. On ne réclame rien pour l’intérêt général (une crèche, un bureau de poste, un service de ramassage scolaire) mais pour l’intérêt de son clan (une mosquée, une boîte gay, une école hébraïque…). Au nom du droit à la différence, notre pays, par certains aspects, ressemble davantage à une mosaïque qu’à un tableau harmonieux. Dans ce système évidemment, « Dieu », quel que soit le sens qu’on lui donne, se taille la part du lion. Les églises qui s’y réfèrent se croient dépositaires d’un nouveau droit naturel : avoir leur mot à dire dans les grands choix collectifs, notamment en ce qui concerne l’éducation.
Arc-boutés sur un soi-disant modernisme et une bonne dose de mauvais foi, les nouveaux clercs considèrent ainsi comme un progrès de couvrir les femmes d’un foulard et rêvent de déléguer une part de l’instruction aux dépositaires de l’ordre divin. Mais ils ne font que profiter de cette tendance plus générale à l’enracinement des consciences dans l’appartenance spirituelle, ethnique, ou sexuelle. A un ghetto physique, culturel, voire cultuel. D’autre part, nous pensons que notre République possède tous les outils nécessaires pour aller à l’encontre de ce dangereux morcellement. Parce que le mouvement irrémédiable qui préside à la destinée du pays tend vers le métissage, parce que la majorité des nouvelles générations n’accepte pas d’être assimilée à sa couleur de peau ou sa religion attribuées au hasard à la naissance, on peut espérer que le repli sur soi ne l’emporte pas et que prime la laïcité au sens strict.
Pour cela, deux conditions doivent être remplies. Que les politiques osent enfin s’attaquer aux ghettos et aux discriminations (qui par leur persistance gâchent à eux seuls les efforts des républicains convaincus). Que les pouvoirs publics et la Justice osent appliquer à la lettre les lois qui sont les nôtres, sans donner raison à tous ceux qui réclament des statuts dérogatoires. Ainsi, sans qu’il soit nécessaire de légiférer (une nouvelle loi sur la laïcité ne ferait que stigmatiser les musulmans de France, qui pour la plupart vivent un Islam modéré et tranquille), il sera possible de dire non au foulard à l’école et de lutter contre l’influence des religieux jusque dans la sphère privée. Car notre Histoire a déjà largement prouvé que l’on ne se porte jamais aussi bien que lorsque « Dieu » est réduit à sa portion congrue. Sa place est à l’église, à la synagogue et à la mosquée. Un point c’est tout.
La rédaction du Pote à Pote
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