Sarkozy a pris cette semaine la vedette par la grâce des mots, et des mots seulement. Annonçant qu’il fallait « nettoyer » la cité des 4 000, avec un vocabulaire militaire à la Rambo avec comme un écho de la loi biblique du talion, Le Pen lui aussi ne pouvait pas résister à une formule ou à ce qu’il pensait être un bon mot.

Avec Sarkozy, c’est tout différent : il donne d’abord l’impression de ne pas pouvoir résister à une caméra. Et pour cela il doit se montrer, bien sûr ­ si possible en compagnie de gens célèbres, fussent-ils porte-parole d’une secte ­, et parler. Alors il parle et c’est là qu’il devient intéressant. Car « nettoyer » ou « payer pour ses fautes » ressemblent plus à des formules qui vous échappent, qu’à une stratégie réfléchie. Le Pen mettait en forme ses haines, faisait de la communication, tandis que le Sarkozy nouveau qui vient de nous arriver laisse parler son inconscient (comme je laisse peut-être parler le mien en utilisant le passé pour citer le responsable du FN). En bref, il se lâche, se laisse aller à parler « comme tout le monde », c’est-à-dire comme ce qu’il croit être tout le monde. Et ceci constitue, en revanche, une stratégie (à propos les stratèges politiques savent-ils que ce mot désignait en grec « celui qui était chargé des affaires militaires » ?). Le Pen utilisait des formules parfois compliquées (« dilection », « régalien », « persécutoires »…), Sarkozy ne fait pas dans la dentelle. Et lorsqu’il théorise sa pratique, il est d’une clarté aveuglante. Ne vient-il pas de lancer aux socialistes, à l’Assemblée nationale : « Je comprends pourquoi le peuple vous a quittés, vous ne parlez pas comme lui. »

Belle phrase, lourde de lapsus (« vous a quittés » : on utilise en général cette formule pour les membres d’un couple…) et d’implicites (moi, je parle comme le peuple). Lourde aussi d’aveux. Car personne ne croira que notre ministre d’Etat « parle comme le peuple ». Et d’ailleurs, qu’est-ce que le peuple sinon aujourd’hui un concept vide, creux, fourre-tout censé représenter le corps de la nation, c’est-à-dire une pluralité et donc une pluralité de parlers. Rien n’est plus confus que cette notion, et rien n’est plus divers que ses façons de parler. Ce qui est clair en revanche, c’est que Sarkozy prétend, lui, parler comme le peuple. Et même si personne ne le croit, surtout pas le linguiste qui sait qu’il y a des langues populaires et non pas une seule, il y a dans cette affirmation une vérité, sa vérité : non pas seulement une dérive vers le populisme mais une volonté de mettre ses pas dans les pas d’un discours à ras de terre.

« Nettoyer », « payer pour ses fautes » : ce que l’inconscient linguistique de Sarkozy révèle, c’est l’idée que la politique peut faire l’économie de la réflexion pour laisser s’exprimer les tripes et les sentiments les plus bas. Il fait penser aux partisans de la peine de mort qui lançaient « si on tue quelqu’un que j’aime, je me venge » et en faisaient un argument politique, comme si l’on pouvait voter des lois sous l’emprise d’une douleur personnelle. Il fait penser à ceux qui pleuraient sur un paquebot : « Ne m’appelez plus jamais France, la France m’a laissé tomber ». A ceux qui chantaient la gloire des « Ricains » en expliquant que sans eux nous serions « tous en Germanie ». Plus qu’à Le Pen, c’est au Michel Sardou réactionnaire d’il y a une trentaine d’années que Sarkozy nous ramène. Il n’est pas sûr que nous gagnions au change.

extrait libé 28 juin 2005