Alors que les chiffres du Dow Jones et du Cac 40 sont présents sur tous les médias, la mesure des inégalités et de la pauvreté est largement absente du débat public. Les derniers chiffres officiels sur les inégalités de revenus en France sont largement dépassés puisqu’ils datent de 2001. Pire encore : les chiffres officiels sur le taux de pauvreté sont biaisés, notamment parce qu’ils ne prennent guère en compte les revenus du patrimoine qui ont explosé depuis une quinzaine d’années. L’Insee affiche ainsi, contre toute évidence, une baisse du taux de pauvreté en France, de 7,1% en 1984 à 6,1 % en 2001. Pour pallier ce manque criant, le Rai (Réseau d’alerte sur les inégalités) publie depuis quelques années un indicateur synthétique, le Bip 40 (Baromètre des inégalités et de la pauvreté) qui résume en un indicateur synthétique plus de 60 séries de données regroupées en six grands domaines : revenus, emploi, éducation, logement, santé, justice.

Avec l’édition définitive du Bip 40 pour l’année 2003, l’aggravation des inégalités et de la pauvreté apparaît encore plus forte qu’initialement annoncé. Publié à l’automne 2004 sur la base des chiffres alors disponibles, l’indicateur synthétique augmentait de 5,5% pour 2003. Les chiffres définitifs publiés aujourd’hui portent sur les 61 séries qui composent l’indicateur : la hausse a été en réalité de près de 8% par rapport à 2002.

Au total entre 2001 et 2003, l’indicateur Bip 40 a augmenté de près de 14% pour atteindre son plus haut niveau depuis 20 ans.

Le précédent record en matière d’inégalités et de pauvreté remontait à 1997. Au cours des deux premières années de MM. Chirac et Raffarin, le Bip 40 a connu sa plus forte croissance depuis vingt ans. Rien d’étonnant donc à ce que l’impopularité de cette équipe dirigeante atteigne elle aussi des records.

Le Bip 40 s’envole d’abord à cause de la hausse du chômage. Les chômeurs non seulement sont plus nombreux, mais ils reçoivent moins souvent une indemnisation : la proportion d’allocataires de l’Unedic parmi les demandeurs d’emploi diminue. Le chômage de longue durée augmente lui aussi. D’où une nouvelle hausse du nombre de titulaires de minima sociaux

Dans ce contexte, la précarité de l’emploi, en léger recul du fait du non-renouvellement de nombreux CDD et missions d’intérim, reste à un niveau élevé ; les conditions de travail continuent de se dégrader, avec la multiplication des maladies professionnelles et une gravité croissante des accidents du travail.

La hausse du Bip 40 traduit aussi la dégradation de la situation du logement. Le prix des loyers flambe, appauvrissant directement les familles locataires, les moins favorisées. Le nombre d’expulsions pour loyers impayés n’a jamais été aussi élevé qu’en 2003. En matière de consommation, le nombre de ménages surendettés a battu des records, et le nombre des incidents de crédit (chèques impayés) a lui aussi augmenté.

La dégradation est particulièrement sensible dans le domaine de la justice. Les politiques sécuritaires prennent le pas sur les politiques sociales : on emprisonne les pauvres faute de vouloir réduire la pauvreté. Le taux d’incarcération n’a jamais été aussi élevé dans notre pays (133 pour 100 000 habitants). La proportion de prisonniers en détention provisoire s’est fortement accrue. Quant aux étrangers, leur situation s’est elle aussi dégradée ; le taux de reconnaissance du statut de réfugié a connu une nouvelle chute, s’établissant au niveau dérisoire de 15%.

Plus nouveau : pour la deuxième année consécutive, les inégalités en matière d’éducation s’accroissent. Alors que jusqu’au milieu des années 1990, ces inégalités n’avaient cessé de baisser, modérant la hausse du Bip40, ce n’est plus le cas désormais. La démocratisation de l’école s’est interrompue et les écarts en matière de réussite scolaire augmentent à nouveau.

En matière de santé également, les inégalités sont reparties à la hausse. La réforme de l’assurance maladie laisse à la charge des patients une part croissante des frais de santé, restreignant l’accès aux soins de plus en plus de ménages. Si l’espérance de vie continue à se situer, en moyenne à un niveau élevé, tous les indices montrent que les écarts d’espérance de vie entre catégories sociales ont continué à augmenter.

Enfin, dans le domaine des revenus, la part des salaires dans la valeur ajoutée reste à un niveau historiquement très faible, tandis que les politiques fiscales ont continué à favoriser les ménages les plus aisés. Par ailleurs, les revenus financiers occupent désormais une place considérable dans le revenu des ménages et la part des ménages imposés à l’ISF n’a jamais été aussi élevée. Ces évolutions pèsent de façon importante sur le niveau de vie des ménages de salariés qui ne disposent que des revenus de leur travail.

Sur plus long terme, les variations du Bip40 signalent une augmentation préoccupante des inégalités. Même si la dégradation du tissu social n’a été ni continue ni inéluctable, cette tendance semble s’être installée de façon durable. Au-delà des fluctuations conjoncturelles qui peuvent être particulièrement fortes sous l’impulsion de changements politiques, comme ce fut le cas au cours des deux dernières années, la montée des inégalités et de la pauvreté se poursuit depuis 20 ans malgré les alternances politiques.

Les tableaux et graphiques du site seront progressivement mis à jour dans la semaine du 16 mai 2005.
Mais les données de cette actualisation sont proposées ici dans leur version brute intégrale : fichier Excel à télécharger ici :

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