42 ans après sa mort, les autorités d’Ankara continuent de craindre le grand poète communiste Nazim Hikmet. Le 25 mai dernier, un adolescent de 17 ans du nom de C.C. qui fréquente le lycée anatolien de Milas (ouest de la Turquie) a été arrêté en plein cours, pour avoir lu le poème de Nazim Hikmet intitulé « traître de la patrie » dans le cadre de la « journée poétique » organisée dans son école.

Il avait été dénoncé par le sous-préfet de la ville, Hulusi Doðan, qui se trouvait parmi les auditeurs. La police qui a été alertée par les gardes du corps du sous-préfet est venue l’arrêter à l’école, devant ses camarades et ses instituteurs. Sa garde à vue a duré trois heures.

L’adolescent n’a été relaxé qu’après que la police ait réalisé que le poème en question n’était pas interdit. Entre-temps, le ministère de l’intérieur a mis en charge un inspecteur pour mener l’enquête sur l’affaire.
Encore un bel exemple de la démocratisation de la Turquie …

Nous publions ci-dessous le poème de Nazim Hikmet qui suscite tant d’effroi parmi les ennemis de la liberté :

Nazim Hikmet continue d’être traître à la patrie.

« Nous sommes une semi-colonie de l’imperialisme américain a dit Hikmet.
Nazim Hikmet continue d’être traître à la patrie »

Voilà ce que l’on lit dans un journal d’Ankara, sur trois colonnes, en caractères bien noirs et criards,
Dans un journal d’Ankara, à côté d’une photo de l’amiral Williamson.
L’Amiral rit sur 66 centimètres carrés, un sourire jusqu’aux oreilles.
L’Amérique a fait un don de 120 millions de livres turques à notre budget, oui, 120 millions de livres turques.

 » Nous sommes une semi-colonie de l’impérialisme américain, a dit Hikmet.
Nazim Hikmet continue d’être traître à la patrie . »

Oui, je suis traître à la patrie, si vous êtes patriotes, si vous êtes les défenseurs de cette patrie, je suis traître à la patrie, je suis traître à la patrie

Si la patrie ce sont vos ranchs,
Si c’est tout ce qu’il y a dans vos caisses et sur vos carnets de chèques, la patrie
Si la patrie, c’est crever de faim le long des chaussées,
Si la patrie, c’est trembler de froid dehors comme un chien et se tordre de paludisme en été,
Si c’est boire notre sang écarlate dans vos usines, la patrie
Si la patrie, ce sont les ongles de vos grands propriétaires terriens,
Si la patrie, c’est le catéchisme armé de lances, si la patrie, c’est la matraque de la police
Si ce sont vos crédits et vos rémunérations, la patrie
Si la patrie, ce sont les bases américaines, la bombe américaine, les canons de la flotte américaine
Si la patrie, c’est ne pas se délivrer de nos ténèbres pourries
Alors je suis traître à la patrie

Ecrivez sur trois colonnes en caractères bien noirs et criards : « Nazim Hikmet continue d’être traître à la patrie »

(Poème traduit du turc par Bahar Kimyongür)

HÖC Info

Bulletin d’information du Front pour les droits et les libertés
Le 26 mai 2005