La répression policière et judiciaire qui s’abat sur le mouvement lycéen en ce moment prend des prétextes chaque fois plus ridicules. J’ai déjà raconté les conditions dans lesquelles j’ai été gardé à vue pendant quarante-huit heures, d’autres ont aussi écrits leurs expériences.J’aimerai maintenant revenir sur les faits qui nous ont valu de se faire embarquer à près de deux cents par les forces de l’ordre comme des criminels.

Le rendez-vous de départ de l’action était largement diffusé par tous les moyens disponibles que se sont appropriés les lycéens : sites Internet privés, publics, listes de diffusions, bouche à oreille, chaînes téléphoniques, etc. Les agents en civils étaient d’ailleurs nombreux et visibles sur la cour de Rome ce matin du mercredi vingt avril. Les personnes présentes, essentiellement des lycéennes et des lycéens,attendent le départ de l’action en discutant, en partageant un encas, ou tout simplement en improvisant une petite sieste sur le parvis.

A un moment les deux ou trois cents personnes présentes se répartissent entrois groupes, une discussion est menée dans chaque groupe.

Essentiellement des explications sur la nature de l’action qui devra se dérouler dans le calme, chaque groupe partira à son tour et se retrouvera sur place. Le but, lors du transfert, est d’être discret dans le métro, cequi ne sera pas évident, chaque groupe étant composé d’une centaine de lycéens, mais ces mots d’ordre seront tout de même suivis, les lycéenss’attirant très vite la sympathie des usagers des transports en commun.

Le premier arrêt, Solférino sur la ligne douze.

Suivant toujours les mots d’ordre, tout le monde descend lorsque quelqu’un crie « c’est ici ! » sur le quai. Tout le monde passe les barrières et se regroupe sur les marches, à la sortie de la station. Quand le dernier est passé, tout le monde se met à courir, tout droit d’abord, puis nous tournons à gauche. Je reconnais le quartier, nous arrivons par l’arrière sur le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Quelques agents des forces de l’ordre nous attendent et des barrières bloquent les accès.

Les premiers rangs se prennent des coups de tonfas et tout le monde fait demi tour, le but de l’action est uneoccupation, même si nous sommes en supériorité numérique, il est hors de question de risquer l’affrontement. Les jeunes personnes qui composent se mouvement n’ont pas envie de se faire blesser, ni d’être violent avec les agents de la force publique. Nous reprenons le chemin du métro etrepartons dans la même direction. Le second arrêt, Falguière sur la ligne douze.

Nous avons à peine le temps de reprendre notre souffle, sur le quai et dans le métro, et nous ressortons six stations plus loin. La course est plus longue jusqu’à l’angle de la rue de Sèvres et du Boulevard Pasteur.

Nous reprenons notre souffle avant d’arriver au but, ce qui nous permet de nous regrouper, quelqu’un explique qu’il s’agit d’une annexe du ministère de l’éducation nationale, et que nous allons entrer ici.

L’entrée dans le bâtiment.

L’effet de surprise nous permet en effet de ne trouver aucune forme de résistance, toutes les portes sont ouvertes. Une fois à l’intérieur, les mots d’ordre de non violence et de non dégradation sont lancés et répétés.

Puis c’est l’exploration du bâtiment, des personnes partent faire le tour du bâtiment pour trouver toutes les issues de secours, d’autres parcourentles salles afin de faire un inventaire du matériel disponible. Le bilan est assez décevant : l’annexe est complètement vide, des meubles au rebut sont entassés dans les salles des premier et deuxième étages, le reste des salles est complètement vide. Seule une petite poignée de personnel aencore ses bureaux dans une petite partie du dernier étage. Ils ont touteliberté pour fermer leurs bureaux et protéger ainsi leur travail en cours.

A la réflexion, le bilan n’est pas si négatif : on ne pourra pas reprocher aux participants de détériorer des meubles inexistants ou au rebus, ni dedégrader des locaux apparemment vidés avant réfection. Les meubles sont assez imposants pour certains, comme de vieilles étagères assez lourdes.

C’est alors que pour le bon déroulement de l’action, j’ai pu responsabiliser les participants sur les risques de se blesser en transportant seul ce genre d’objet encombrant et sur la nécessité de faire attention avec les différentes portes en verre entassées sans précaution àl’intérieur de certains meubles. L’intérêt de la répartition des tâches qui se met en place rapidement à l’intérieur des locaux, permet même de ne pas cogner les meubles contre les murs et montre à quel point les lycéens sont responsables et coordonnés dans l’urgence.

L’arrivée des forces de l’ordre.

Au bout de quelques temps les autocars bleus des gendarmes mobiles ainsi que les autocars des autres brigades d’intervention de la police sont en place autour du bâtiment. Les portes extérieures ont soigneusement étébloquées afin de retarder l’action des forces de l’ordre, et les derniersmeubles sont entassés dans l’entrée principale du bâtiment.

Les forces de l’ordre se mettent en place autour du bâtiment afin de tenir à distance le rassemblement de soutien qui s’est déjà mis en place.

Quand ils décidentde rentrer en force, nous montons nous réfugier sur la terrasse.

Une première équipe de gendarmes mobiles passe au dessus des grilles del’entrée et commence à dégager tous les meubles empilés. Les meubles sontsauvagement jetés sur les bords et une voiture garée à l’intérieure se retrouve avec la vitre du haillon brisée. Les équipes avancent vers le bâtiment, rentrent par le local du vigile et se retrouvent à l’intérieur.

Des témoins restés au rez-de-chaussée nous raconteront ensuite avoir vu les agents avec des haches pour forcer le passage

L’attente en terrasse.

Les forces de l’ordre ont rapidement monté les étages malgré les obstacles, et s’arrêtent à l’entrée de la Terrasse.

Heureusement que ces agents sont sous les ordres et que leurs dirigeants ont été assez clairvoyants pour ne pas ordonner la charge sur la terrasse du sixième étage ; vu leur état d’énervement, je n’ose imaginer le massacre lors de la charge et le nombre de jeunes gens qui auraient pu basculer sur la voie.

Le temps s’écoule doucement en terrasse. Des occupants ont eu l’intelligence de prendre des bonbonnes d’eau au dernier étage afin que chacun puisse s’hydrater. Cela n’empêchera pas une jeune fille de faire un malaise sur la terrasse, personne n’est préparé pour pouvoir lui apporter grand secours, elle est placé en position latérale de sécurité et des habits sont posés sur elle afin qu’elle n’ait pas trop froid. Les agents laissent passer une équipe de pompiers, et elle est prise en charge. C’est la seule personne que j’ai pu voir monter dans un camion de pompier sur les lieux de l’occupation. Des discussions, siestes et petits jeuxs’organisent sur la terrasse. Le rassemblement de soutien est de plus enplus important en bas et des slogans sont échangés dans la bonne humeur.

Certaines personnes vont discuter avec les responsables des forces de l’ordre, et certains demandent à pouvoir sortir. Lorsque l’on accède àleur demande, les jeunes gens sont fait prisonniers, et nous les voyons d’en haut se faire fouiller et embarquer dans les cars prévus à cet effet.

Au bout d’un moment, de plus en plus sont fatigués ou ont simplement enviede repartir. Le rassemblement s’est encore épaissi en bas, et les caméras des différentes télévisions sont en place. Il est alors décidé collectivement de se constituer prisonnier. Je ne reviendrai pas ici sur les multiples humiliations et autres formes de violence qui ont été subies à l’intérieur du bâtiment ainsi que dans les quarante huit heures qui ont suivis.

D.

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