SUR L’EXTENSION DU CONTRÔLE ET LA RÉPONSE FACE À LA RÉPRESSION

Utilisant à son profit les chiffres d’une nouvelle vague de contaminations par la pandémie de Covid-19, l’État chilien a réussi à étendre « l’état de catastrophe » jusqu’en juin 2021, en même temps que le couvre-feu et la présence militaire – venant s’ajouter à la policière- dans les rues, ce dont nous avions déjà fait l’expérience à partir de la révolte antérieure à la pandémie. Nous en arrivons ainsi à une nouvelle période de la gestion répressive/sanitaire marquée par la tentative loupée de retour forcé en présentiel dans les salles de classe, le début des vaccins et l’établissement de nouvelles mesures restreignant la mobilité, obligeant au confinement et punissant la désobéissance. Des punitions qui, comme nous l’avons vu, s’imposent de manière inégale dans une société marquée par le privilège et l’impunité de celles et ceux qui historiquement ont arboré le pouvoir.
Avec une mal-nommé deuxième vague de Covid au Chili (étant donné que les contaminations n’ont jamais baissé significativement), nous assistons aussi au retour des accusations étatiques contre une population qui, à leurs dires, serait la principale (ir) responsable des nouvelles contaminations, du nouveau collapsus hospitalier et de la nouvelle vague de morts. D’autre part, certain-e-s accusent le gouvernement d’être « inopérant » comme s’ils n’avaient pas conscience de ce qu’ils font. Au contraire, ce que nous expérimentons sont les conséquences inévitables découlant d’une stratégie calculée de nécro-politique (politique de la mort) en faveur d’un gouvernement entrepreneurial qui, dans un monde de révoltes et d’incertitudes, a l’opportunité, après la révolte la plus importante des trente dernières années, de repositionner le Chili comme un modèle de pays configuré par la dictature puis approfondi par les gouvernements démocratiques à partir de 1990, comme un paradis de gouvernabilié néo-libérale triomphante assurant la tranquillité des affaires du capital international.
Pourtant, malgré l’augmentation du contrôle et des restrictions, l’agir anarchiste continue à intervenir dans la réalité, au sein et en dehors des contingences associées à la révolte sociale.
En parcourant quelques faits significatifs, nous n’oublions pas qu’en février ont été vécues d’intenses journées de protestation suite à l’assassinat d’un jeune jongleur de rue qui s’est défendu avec ses massues contre le harcèlement policier, ainsi que liées à l’assassinat par des gardes privés de la compa trans Bau en pleine défense d’un territoire revendiqué par une communauté mapuche. Les deux histoires ont eu lieu dans la localité de Panguipulli à à peine quelques semaines de distance, en même temps qu’à Santiago un jeune des quartiers était retrouvé mort dans une garnison de police après avoir été arrêté pour non-respect des mesures sanitaires. Comme dans d’autres occasions, l’ignoble police, main dans la main avec la presse officielle, ont présenté ces trois affaires respectivement comme relevant de « la défense légitime » des flics, comme un « incident confus » et comme « un suicide », révélant une fois de plus la complicité des médias dans la fabrication et la modélisation de la réalité au service du pouvoir.
En mars, dans la continuité des protestations dans le centre et les périphéries de Santiago, d’Antofagasta et d’autres villes, se sont déroulées les manifestations pour la journée de la femme, marquées cette année par la participation de la Coordination Féministe 8M au jeu électoral, ainsi que par les embrouilles et tensions avec les féminismes pacifistes et excluant les personnes trans.
En mars, on a aussi pu noter le retrait ordonné par le gouvernement du monument au « héros militaire de la patrie » situé sur la Place de la Dignité et qui, depuis le début de la révolte, s’est fait copieusement bousculer et attaquer par les manifestant-e-s. Après qu’il ait été peint, tagué, incendié, et presque déboulonné à coups de scies, le pouvoir a décidé de déplacer le monument, non sans auparavant permettre à des fascistes et des militaires de se rassembler pour pleurer à ses pieds, et ordonner la construction d’un mur en acier pour protéger le bout de ciment qui soutenait la statue de l’infâme militaire.
Sans aucun doute, il s’agit d’une victoire concrète et symbolique de celles et ceux qui restent en révolte. Cela étant, en partant de la lutte anarchiste nous continuerons à propager la nécessité d’aller au-delà du symbolique en attaquant tout ce qui permet le fonctionnement du pouvoir et de sa société construite sur la base de l’autorité, de l’obéissance et de la domination technologique.
En poursuivant ce bref parcours, nous rappelons ce qui s’est passé à Iquique le 18 mars, date à laquelle la police a arrêté 17 personnes au cours de razzias massives, les accusant de participation à des émeutes, d’incendies et d’attaques contre les flics, ainsi que de faire partie d’une supposée association criminelle, accusation qui, comme dans d’autres cas, vise à créer un « ennemi intérieur » et à justifier la répression comme ils le font depuis des années contre le Wallmapu et l’insurrection anarchiste en utilisant des méthodes contre-insurrectionnelles de longue date.
En plus de ce qui précède, le mois de mars a été marqué par le début et le développement de différentes grèves de la faim dans les prisons chiliennes, menées par des prisonnier-e-s subversifs, anarchistes et de la révolte utilisant leur propre corps comme instrument de lutte, en l’occurrence pour l’abrogation de la modification d’un décret (décret 321) retardant et compliquant la remise en liberté des compagnon-ne-s avec de longues peines, ainsi que contre l’extension de la prison préventive comme méthode de punition supplémentaire contre les personnes en attente de procès. Dans ce contexte, opposé-e-s à toute posture victimiste et légaliste, nous nous solidarisons avec nos compagnon-ne-s en CONFRONTATION contre le pouvoir et ses prisons.

29 MARS, DE MÉMOIRE ET DE CONFRONTATION

Le 29 mars est arrivé et, bien que dans Santiago et dans de nombreuses villes des confinements complets aient été imposés à la veille de la Journée de la Jeunesse combattante, beaucoup sont sorti-e-s dans les rues en défiant le couvre-feu et en agitant avec des barricades, des attaques contre la police et des incendies de voitures et de bus. Ça a été une journée intense avec le feu comme point de rencontre de différentes individualités et groupes, tout en regrettant toutefois le fait que certaines personnes arrêtées soient restées en prison préventive pour port de cocktails molotov et qu’une jeune encagoulée ait été assassinée sur une barricade, écrasée volontairement par un misérable citoyen.
Nous savons que depuis la révolte commencée en octobre 2019 beaucoup de personnes ont rejoint l’agitation et les émeutes rebelles ce qui nous réjouit sans le moindre doute. Par ailleurs, il est aussi clair pour nous que la lutte anarchiste sur ce territoire a son propre développement qualitatif d’actions et de réflexions quant à cette date.
Pendant des années notre mémoire iconoclaste s’est manifestée en partant de la CONFRONTATION, y compris dans des périodes d’endormissement social massif lorsque la figure des cagoulé-e-s provoquait l’antipathie et des attitudes de flics chez des citoyen-ne-s qui applaudissent probablement le combat de rue aujourd’hui. Néanmoins, nous reconnaissons la possibilité que nous avons tou-te-s d’aiguiser nos positions face au conflit, ce que nous assumons aussi de fait pour nous dans l’insurrection permanente contre l’autorité.
C’est ainsi que la mémoire anarchiste, construite au long des dernières décennies, s‘éloigne du souvenir « héroïque » de combattants du passé – généralement de partis de gauche-pour être assumée en partant du combat et de la mémoire antagonique contre toute fausse croyance et confiance dans la démocratie, l’État, sa justice et toute autorité.
Claudia López, Mauricio Morales, Sebastián Oversluij, Jonny Cariqueo, Lambros Fundas et Javier Recabarren sont les noms de quelques-un-e-s de nos compagnon-ne-s, ces trois derniers assassinés un mois de mars et tou-te-s étant mort-e-s en démocratie. Pour elleux, avec elleux, la lutte anarchiste continue au-delà des dates emblématiques et des manifestations massives, visant toujours à la destruction du pouvoir.

 

À PROPOS DE LA FARCE CONSTITUANTE ET DU NOUVEAU CIRQUE ÉLECTORAL

Depuis quelques semaines déjà les rues et les médias se sont remplis de publicité en raison d’un nouveau cirque électoral, cette fois pour la campagne pour les élections prévues en mai des candidats à la Convention Constitutionnelle (nouvelle constitution), des maires, conseillers et gouverneurs. Après l’euphorie de beaucoup de celles et ceux qui ont placé leurs attentes dans le référendum d’octobre 2020 où a gagné l’option d’élaborer une nouvelle Constitution, nous assistons aujourd’hui à un spectacle aussi décadent que lamentable.

Malgré l’apparition de « nouveaux visages », l’inclusion d’images et de discours de protestation dans la propagande électorale, et la croyance dans un nouveau paquet de lois susceptibles de générer un nouvel état de pleine justice, le crique électoral se montre tel qu’il a toujours été : un show pathétique de politicaillerie qui ne démontre que la capacité du pouvoir à perpétuer et sauver le système social, en se reformulant au travers de nouveaux accords, lois et accommodements destinés à pacifier les soulèvements sociaux par des solutions institutionnelles.
Historiquement, dans les moments de crises institutionnelles, les référendums et élections sont une offre concrète et séduisante qui continuera à illusionner beaucoup de gens croyant pouvoir obtenir des transformations structurelles de la réalité par cette voie, voire même convaincu-e-s de pouvoir subvertir le mode de vie actuel par des canaux institutionnels. Mais la réalité démontre inévitablement le contraire des espérances et des bonnes intentions.
Ainsi, après que les puissant-e-s aient été pratiquement mis sur la corde raide et la peur au ventre en voyant leur ordre social littéralement incendié et tomber en morceaux avec la révolte sociale, l’acceptation sociale de « l’accord de paix » forgé entre politicien-ne-s de gauche et de droite a fini par faire triompher le réformisme et le discours citoyenniste du style « la destruction a déjà eu lieu, maintenant il faut construire un nouveau pays » en faisant confiance à la vieille et obsolète illusion d’un État plein de bonté, pluraliste et avec une « démocratie réelle ».

 

ACTIVATIONS ANARCHISTES : POUR LA DESTRUCTION DE L’EXISTANT SINON RIEN !

Heureusement beaucoup n’ont jamais cru au conte du référendum et ont su se rendre compte – plus ou moins tôt ou tard- de la farce électorale. Dans cet univers, il y a des compagnon-ne-s anarchistes en plus de personnes ou de groupes sympathisant avec des idées anti-autoritaires, que nous invitons toujours à connaître et à mettre en pratique les méthodes anarchistes de lutte sans leaders ni dirigeants et à s’organiser pour l’action au travers de l’affinité comme des individu-e-s séditieux-se-s et désireux-ses de libération totale et de la nécessaire destruction de tout ce qui est créé par l’ordre de l’autorité.
Cette manière d’aborder le conflit revêt une importance particulière alors que nous voyons – sans aucune surprise- les organisations « révolutionnaires » autoritaires (marxistes-léninistes comme le MIR, le FPMR, le Lautaro ou trotskistes) noyauter certains espaces de manière explicite ou camouflée en tentant de faire revivre leur paradigme de lutte déjà obsolète par des appels génériques à la révolte et à la rébellion populaires. Mais pourquoi ces structures hiérarchiques appellent-elles à l’élimination du capitalisme et de l’État bourgeois sans jamais parler de la destruction de l’État et de toute forme de pouvoir et/ou d’autorité ? Et bien parce qu’elles croient effectivement à l’autorité comme élément fondamental de l’Organisation politique et sociale qu’elles appellent à créer avec tant de force, dissimulant leur programme de lutte sous une rhétorique subversive.
Sachez tous et toutes que le projet de n’importe quelle organisation avalisant l’existence de hiérarchies, de dirigeant-e-s et de commandants, quels que soient ses efforts pour se présenter en prétendue concordance avec les objectifs de collectifs et de coordinations horizontales, misera toujours sur l’instrumentalisation des personnes mobilisées et pour une insurrection uniquement entendue comme un moment transitoire pour destituer le pouvoir existant afin de constituer un nouveau pouvoir, que ce soit sous la logique d’un État Populaire, d’un État Prolétaire, ou de tout autre nom qu’on voudra donner à n’importe quelle variante du même projet totalitaire déjà connu et écrasé par l’histoire.
Aujourd’hui, nous avons plus que jamais conscience que le présent que nous vivons, même considéré dans une perspective anarchiste et anti-autoritaire, ne peut être abordé avec des solutions ancrées dans le passé. Comme le compagnon Gustavo Rodriguez l’a affirmé en pleine « urgence sanitaire », un nouveau paradigme de domination beaucoup plus autoritaire est en train de se frayer un passage, commençant à reconfigurer la gestion capitaliste de pair avec les nouvelles technologies, et nous ne pourrons concrétiser un positionnement original et irrécupérable qu’en ré-élaborant les conceptions théorico-pratiques qui nous constituent en tant qu’anarchistes. Cela implique d’affronter avec une vigueur renouvelée, de manière radicale et sans jamais rétrocéder toutes et chacune des formes et des stratégies du pouvoir, mais à partir d’une vision revisitée de la lutte, des institutions, des normes et des pratiques de sociabilité et de la domination dans son ensemble ; c’est-à-dire en abandonnant les vieilles conceptions classistes de l’histoire et du changement «  révolutionnaire » ancrées dans les analyses théoriques des XIXème et Xxème siècles.*
Notre proposition est avant tout d’arrêter d’attendre, d’offrir ou de réclamer des recettes.
Notre pari pour la libération totale implique d’affirmer nos convictions pour les matérialiser en mille et une formes créatives et destructrices d’action anti-autoritaire. C’est ainsi que nous contribuons à la diffusion des idées et pratiques anarchistes. C’est ainsi que nous nous mettons en contact avec d’autres individualités et groupes, en empruntant, en créant et en explorant des chemins opposés à tout désir obsessionnel de croissance quantitative, en activant des pratiques de vie et de lutte en dehors et contre l’État et ses institutions, en fortifiant et en étendant les espaces anti-autoritaires et les groupes d’affinité, en activant la propagande et l’action anarchiste séditieuse, en générant des coups concrets contre le pouvoir et la domination technologique. Pour cela, ni plus ni moins que l’engagement et la conviction sont nécessaires, démontrant ainsi que nous n’avons besoin ni de chefs, ni de présidents, ni de commandants. Pour paraphraser une fois encore les mots du compagnon, notre gestion doit être la destruction de l’ensemble de l’existant, persuadé-e-s qu’il n’y a pas de place pour l’espérance, tirant notre émulation des activités nocturnes des termites : démolissant, démolissant et démolissant, mais en ayant conscience que l’insurrection est permanente, parce que si nous parvenons un jour à dévaster l’actuel édifice de la domination, il faudra nous disposer à démolir les nouvelles structures du pouvoir naissant, qu’on l’appelle « direct », « alternatif » ou « populaire », ou de tout autre nom.

SOLIDARITÉ, FORCE ET AMOUR EN GUERRE POUR NOS COMPAGNON-NE-S EN GRÈVE DE LA FAIM.
CONTRE TOUTE AUTORITÉ ET IDÉOLOGIE, MORT AU POUVOIR ET QUE VIVE L’ANARCHIE
Avril 2021

*Dans les deux paragraphes où est mentionné le compagnon Gustavo Rodriguez sont paraphrasés des extraits de « À propos de l’anarchie. Dialogue et entretien avec Gustavo Rodriguez », disponible sur le blog contrainfo. Espiv.net

Quatre articles tirés du journal anarchiste apériodique de la Région chilienne CONFRONTACIÓN, N°7, avril 2021