Constitution européenne et recherche scientifique (i)
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Constitution Européenne et Recherche Scientifique (I)
Si on prend le texte de la Constitution Européenne diffusé par La Poste, sans les explications officielles du Praesidium qui ont également valeur constitutionnelle, on pourrait se dire que ça commence bien. Car on lit:
« Article II-73: Liberté des arts et des sciences
Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée.«
(fin de l’article)
Mais si on prend une version avec les « explications du Praesidium », par exemple:
édition diffusée par le Sénat et qui est de surcroît commentée, on peut lire sous cet article:
« Explication établie sous l’autorité du Praesidium de la Convention européenne
Ce droit est déduit en premier lieu des libertés de pensée et d’expression. Il s’exerce dans le respect de l’article 1er et peut être soumis aux limitations autorisées par l’article 10 de la CEDH.«
(fin de l’explication)
L’article 10 de la CEDH (Convention Européenne des Droits de l’Homme),
précise que la liberté d’expression peut être valablement limitée dans un certain nombre de cas, parmi lesquels la nécessité de préserver la confidentialité des informations. La recherche, et la publication des résultats scientifiques, ne seront donc pas libres dans des domaines jugés « sensibles » ou « classés », ou lorsque les organismes concernés auront signé des contrats comportant la préservation d’un « secret industriel » dans la thématique concernée, fut-ce au détriment des citoyens. Et comme, de nos jours, des domaines de plus en plus vastes de la recherche tombent sous le coup de la « contractualisation », la question n’est pas de savoir sur quels sujets les chercheurs ne pourront plus publier les résultats de leurs recherches, mais plutôt l’inverse. D’autant plus que, la notion de « service public » étant remplacée par celle de « service » tout court, les intérêts privés des grands groupes industriels atteignent un rang à peu près équivalent à celui de l’intérêt de l’Etat.
Mais ce n’est qu’un début, le massacre continue. Précisément, avec la disparition des services publics au bénéfice de la définition de « service » que nous venons de mentionner et qui dit:
« Article III-145
Aux fins de la Constitution, sont considérées comme services, les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux.
Les services comprennent notamment:
a) des activités à caractère industriel;
b) des activités à caractère commercial;
c) des activités artisanales;
d) les activités des professions libérales.
(…) »
(fin de citation)
Ce qui place d’emblée la recherche parmi les activités à caractère industriel et commercial, comme dans le cas du Commissariat à l’Energie Atomique, et bannit la recherche publique à caractère purement scientifique et technique, telle que l’incarne actuellement un organisme comme le CNRS.
Cette recherche devenue « ‘service » tout court est soumise à la « liberté des prestations », à savoir:
« Sous-section 3 – Liberté de prestation de services
Article III-144
Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
La loi ou loi-cadre européenne peut étendre le bénéfice de la présente sous-section aux prestataires de services ressortissants d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union.
(…)
Article III-147
1. La loi-cadre européenne établit les mesures pour réaliser la libéralisation d’un service déterminé. Elle est adoptée après consultation du Comité économique et social.
2. La loi-cadre européenne visée au paragraphe 1 porte, en général, par priorité sur les services qui interviennent d’une façon directe dans les coûts de production ou dont la libéralisation contribue à faciliter les échanges des marchandises.
Article III-148
Les États membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne adoptée en application de l’article III-147, paragraphe 1, si leur situation économique générale et la situation du secteur intéressé le leur permettent.
La Commission adresse aux États membres intéressés des recommandations à cet effet.«
(fin de citation)
Les états doivent donc « libéraliser leurs services ». Autrement dit, privatiser leurs services publics de façon à ce qu’ils deviennent « industriels et commerciaux » et qu’ils passent dans le secteur privé.
Les articles concernant spécifiquement la recherche ne nous disent pas autre chose. Exemple:
« Section 9 – Recherche et développement technologique et espace
Article III-248
(…)
[l’Union Européenne] encourage dans l’ensemble de l’Union les entreprises, y compris les petites et moyennes entreprises, les centres de recherche et les universités dans leurs efforts de recherche et de développement technologique de haute qualité. Elle soutient leurs efforts de coopération, en visant tout particulièrement à permettre aux chercheurs de coopérer librement au-delà des frontières et aux entreprises d’exploiter les potentialités du marché intérieur à la faveur, notamment, de l’ouverture des marchés publics nationaux, de la définition de normes communes et de l’élimination des obstacles juridiques et fiscaux à cette coopération.
(…)
Article III-249
Dans la poursuite des objectifs visés à l’article III-248, l’Union mène les actions suivantes, qui complètent les actions entreprises dans les États membres :
a) mise en oeuvre de programmes de recherche, de développement technologique et de démonstration en promouvant la coopération avec et entre les entreprises, les centres de recherche et les universités ;
(…)
Article III-250
1. L’Union et les États membres coordonnent leur action en matière de recherche et de développement technologique, afin d’assurer la cohérence réciproque des politiques nationales et de la politique de l’Union.
2. La Commission peut prendre, en étroite collaboration avec les États membres, toute initiative utile pour promouvoir la coordination visée au paragraphe 1, notamment des initiatives en vue d’établir des orientations et des indicateurs, d’organiser l’échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l’évaluation périodiques. Le Parlement européen est pleinement informé.
Article III-251
1. La loi européenne établit le programme-cadre pluriannuel, dans lequel est repris l’ensemble des actions financées par l’Union. (…)
(…) »
(fin de citation)
On cherchera en vain dans ce chapitre une quelconque mention de la recherche fondamentale, alors que c’est dans les articles sur la recherche qu’il est explicitement prévu de « permettre (…) aux entreprises d’exploiter les potentialités du marché intérieur à la faveur, notamment, de l’ouverture des marchés publics nationaux… ». Telle est donc, pour les « experts » de l’Union Européenne, la vocation de la politique de recherche. C’est tellement gros, qu’on a même du mal à comprendre le sens de cette phrase… sauf que la casse du secteur public constitue bien l’objectif de ce projet de Constitution, et que la recherche doit être subordonnée aux intérêts et désirs des lobbies industriels.
De surcroît, l’Union Européenne se propose bien d’exercer une tutelle et une pression croissantes sur les politiques de recherche des Etats qui auront ratifié ce Traité Constitutionnel.
Il s’agit donc d’un texte qui comporte de très graves menaces pour la souveraineté populaire, ainsi que pour l’ensemble des acquis sociaux et démocratiques, pour l’indépendance et la transparence de la recherche, pour le statut de ses personnels…
Pour préserver les intérêts légitimes des pays concernés, des citoyens, des travailleurs de la recherche, pour préserver l’avenir…
NON au projet de Constitution Européenne, NON à l’ « Europe »!
Indépendance des Chercheurs
indep_chercheurs@yahoo.fr
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