Au même moment, les soudanais qui tentent de passer en Angleterre via Ouistreham sont toujours plus dans la galère. Confinés de mars à mai dans un centre de vacances à Tailleville, un village à proximité, les exilés soudanais tentent depuis de se réinstaller à Ouistreham. Mairie locale, préfecture et gendarmerie s’entendent pour empêcher tout retour sur place. Voilà un bel exemple de ce que le confinement a créé comme opportunité pour le pouvoir. Le rond-point où ils avaient leurs habitudes a été « décoré » de grosses pierres et de grillages, empêchant
tout retour sur place. Les accès à l’eau potable ont été coupés. Dès qu’ils arrivent sur place, ils subissent des contrôles de gendarmes, souvent accompagnés de gaz lacrymo dans la gueule, parfois de destruction de téléphones portables. Les passages en garde-à-vue sont quasi-systématiques et certains sont envoyés en centre de rétention à Oissel, près de Rouen. Les témoignages des passages en CRA sont édifiants : problèmes d’hygiène et de bouffe, mauvais traitements, actes de torture, etc.

Le confinement n’a pas seulement créé des opportunités pour le pouvoir.
Celui-ci a continué tranquillement à faire fonctionner son industrie de guerre et à honorer ses contrats d’armement. Pendant que des flics foutaient des amendes à tout-va pour l’achat de produits qu’ils ne jugeaient pas de première nécessité (des serviettes hygiéniques par exemple), Etat et patronat s’entendaient pour faire tourner l’industrie
de mort. La nécessité a ses raisons que la raison d’Etat ajuste à sa sauce. Qu’on ne s’y trompe pas, les politiques de confinement mises en place dans la précipitation sont d’abord là pour sauvegarder l’économie.
C’est pourquoi pendant que le cadre télétravaille dans sa résidence secondaire en bord de côte, ouvriers, ouvrières et employé-es vont s’exposer au virus en allant bosser, notamment pour honorer les contrats d’armement. Dès le mois de mars, des circulaires du ministère de la Défense demandent aux industriels de maintenir les cadences pour
continuer de vendre des armes aux 4 coins de la planète. On les retrouve dans les guerres au Yemen, en Lybie, en Syrie, au Mali, etc. Et quand Macron se déplace au Liban, après l’explosion au port de Beyrouth, ce n’est pas pour apporter de l’aide humanitaire, mais avec dans les poches les plans d’austérité du FMI et pour imposer des contrats au profit des entrepreneurs français.

Au Mali, ainsi qu’au Niger et au Tchad, l’Etat français dirige une opération militaire, nommée Barkhane. Officiellement, elle y pourchasse des islamistes, pour la plupart venus de Lybie que l’armée française a bombardé, où elle fournit des armes à tout-va, où elle s’associe à des chefs de guerre et continue d’y vendre des armes au plus offrant sans se soucier d’autres choses que du fric à se faire. En 2018, l’industrie de guerre française vendait à l’étranger pour 9 milliards d’euros, un peu moins que l’année record de 2015 avec près de 17 milliards d’euros.
Globalement, les ventes d’armes dans le monde des principaux fournisseurs que sont les Etats-Unis, la Russie et la France ne cessent d’augmenter. Pour toujours plus de bombes qui atterrissent sur des gens contraints à l’exil. En 2018, le Haut Commissariat aux Réfugiés estimait à plus de 70 millions le nombre de personne fuyant des combats…

L’opération Barkhane, c’est surtout plus de 5.000 bidasses protégeant des intérêts stratégiques, telles les mines d’uranium. C’est aussi une aide pour mâter les révoltes. En juillet 2020, une révolte populaire s’est enclenchée au Mali contre le gouvernement en place. Elle a été réprimée dans le sang par les forces antiterroristes maliennes. Ces
dernières sont entraînées par des officiers européens et nord-américains, en particulier par le RAID français. Cette répression, qui a donc bénéficié de l’expertise de l’Etat français, a fait au moins 14 morts selon l’ONU. Le putsch militaire qui a suivi en août n’a pas grand-chose à voir avec cet élan populaire : il s’agit de destituer le
président Ibrahim Boubacar Keita, ami de l’Etat français, mais sans changer grand-chose et maintenir les accords avec la coalition militaire présente là-bas, Etat français en tête.
Dans le coin aussi, on peut rencontrer les plus hauts intérêts stratégiques de l’industrie de mort. Cherbourg a été pendant longtemps une base stratégique de la marine militaire. Il en reste l’Ecole des Applications Militaires de l’Energie Atomique (EAMEA) dans les locaux de l’école militaire des Fourriers. Celle-ci est intégrée au pôle nucléaire normand et à la filière nucléaire nationale, jusqu’à Cadarache et Saclay. 900 élèves par an de la Marine et de l’Aviation y sont formés à la propulsion nucléaire et à l’art subtil de balancer des bombes atomiques. Les bidasses annoncent que leur école a le vent en poupe, avec de nouveaux jouets prévus dans les prochaines années : les fameux futurs sous-marins nucléaires d’attaque Suffren, de nouveaux missiles dès 2025 et de nouveaux avions de chasse à l’horizon 2040, qui seront aussi vendus partout sur la planète. La guerre a de beaux jours devant elle. Les camps de réfugié-es et les foules d’exilé-es aussi.

Nous sommes dans des sociétés basées sur l’élimination d’une frange de plus en plus importante des populations. A l’image des déchets qui s’accumulent avec la consommation, de plus en plus de personnes sont considérées comme des rebus, des indésirables. Les modes de gestion de l’économie sont de plus en plus brutaux, depuis les expulsions de logement, les pollutions dues à l’extraction minière ou à l’industrie nucléaire obligeant à l’exil, en passant par l’appropriation par des pays riches, comme la Chine, de terres agricoles en Afrique ou ailleurs, expulsant des paysans et paysannes. Le durcissement continu des peines de cette machine à broyer qu’est la Justice et les prisons sont aussi là pour accueillir les rebus de nos sociétés. La taule est d’abord un outil d’élimination sociale – qui est parfois purement et simplement une élimination physique. Les bombes qui pleuvent et les mitraillettes qui font mouche aux 4 coins du monde ont quant à elles pour fonction d’éliminer une partie du surnuméraire. Faire bouffer de la merde qui tue à petit feu en toute connaissance de cause élimine aussi une partie des classes populaires. Cible prioritaire de la propagande publicitaire, le pouvoir les a en plus dépossédées de toute parcelle d’autonomie au profit d’une dépendance matérielle à l’industrie alimentaire.
L’empoisonnement rapporte du fric. Tant pis pour les morts ! L’être superflu par excellence est bien sûr l’exilé-e, pris dans des mécanismes qui sont en réalité des formes d’élimination sociale.

Cela n’empêche pas les sans-papiers soudanais, par exemple, de s’auto-organiser à leur manière. A Ouistreham, ils ont remonté un camp de fortune, résistent aux gendarmes à coups de pierre, leur tiennent tête dès qu’un des leurs est malmené et se rassemblent devant le commissariat à la moindre arrestation. Il y aurait là bien de quoi nous inspirer pour s’opposer au pouvoir. Mais beaucoup préfèrent fermer les yeux, attendre une hypothétique situation plus favorable ou des élections, ou encore négocier avec le pouvoir. Pourtant, tout ce qui renforce l’Etat et ses moindres structures liées à lui, y compris associations humanitaires et caritatives, le renforce et finit dans le même temps de consolider ses intérêts et son industrie de mort. Sans oublier que s’en remettre à l’Etat, c’est faire le jeu de la tendance politique qui l’incarne le mieux en ce moment : l’extrême-droite.

Toutes les sirènes de l’extrême-droite proposent une forme de pseudo-subversion, une fausse transgression de l’ordre existant. C’est pourquoi les classes dirigeantes peuvent les appuyer, afin de mettre en défaite des luttes et des révoltes qui transgressent réellement les fondements de l’ordre existant. De notre côté, nous n’avons pas oublié que les luttes et les révoltes résonnent d’un bout à l’autre de la planète, et qu’elles peuvent faire jaillir un horizon plus désirable ici comme là-bas.

Révolté-es et exploité-es de tous les pays, unissons-nous !

Des anarchistes