Transidentité et féminisme : qui divise ?
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Thèmes : Genre
Le 13 février dernier, le site du Huffington Post publiait une tribune titrée « Trans : suffit-il de s’autoproclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ? ». Suscitant de vives polémiques, elle sera dépubliée dans la foulée [1]. Le journal Marianne la republiera quelques jours plus tard sur son site, estimant que « le débat est essentiel » [2].
Faisant suite à des collages féministes se référant à la condamnation au bûcher des TERFs (trans exclusive radical feminist), cette tribune a été signée par près de 140?personnalités, dont des féministes de renom comme Christine Delphy, sociologue matérialiste, ou Marguerite Stern, initiatrice des collages contre les féminicides.
De quel débat s’agit-il, au juste ? Pour les signataires de ce texte, la « question trans » diviserait la lutte féministe en réinterrogeant ce qui fait qu’une femme est une femme. À les lire, les femmes trans ne sont femmes que parce qu’elles « s’autoproclament » comme telle. Or nous ne pouvons réduire la « question trans » à une valeur purement déclarative.
Être une femme trans, c’est aussi subir de l’exploitation, de la violence domestique et publique, au titre que nous sommes des femmes. Nier cette réalité, c’est « au mieux » ne pas connaître le sujet, au pire faire preuve de mauvaise foi.
Non, le féminisme matérialiste n’affirme en aucun cas que les femmes « sont tout d’abord des êtres humains femelles [avec] un double chromosome X ». Il est affligeant de voir des femmes comme Christine Delphy signer un texte qui dit l’exact contraire que ce que les féministes matérialistes ont pourtant toujours défendu.
- On ne naît pas femme
Du point de vue du féminisme matérialiste, le genre est une caractéristique sociologique, si l’on attribue la « féminité naturelle » au double chromosome X, ce n’est qu’en vertu de croyances sociales définies et contingentes. Les femmes trans sont des femmes, et il est triste de voir une telle tribune nous accuser de diviser une lutte à laquelle, de fait, nous ne faisons que participer au même titre que n’importe quelle femme féministe.
Les incohérences théoriques et l’inégalité des pratiques de luttes ne sauraient être de notre ressort. En tant que femme trans, nous nous indignons contre les « TERFs » [3] uniquement du fait qu’elles nient notre existence avec la même violence que l’on attribue habituellement au traitement des lesbiennes par les hommes cisgenres.
Il n’y a pas de débat à avoir sur « la question trans ». En tant que féministe, ce sont nos pratiques de lutte qui seraient à réinterroger. Mais, ensemble, avec toutes les femmes, quelles qu’elles soient.
Notes
[1] « Pourquoi nous avons dépublié la tribune “Question trans : les colleuses contre les féminicides se divisent et toutes les femmes sont menacées” », Le Huffington Post, 12?février 2020.
[2] Marianne, « Trans : suffit-il de s’autoproclamer femme pour pouvoir être considérée comme telle ? », le 17 février 2020.
[3] Trans Exclusionary Radical Feminist (Féministes radicales excluant les trans) : Nom donné aux féministes qui ne reconnaissent pas les personnes trans comme étant telles qu’elles peuvent se reconnaître (principalement des femmes).
Assignée femme à la naissance, j’ai choisi de ne plus correspondre à aucun genre. Dans une optique anarchiste, se désidentifier pour saboter le système de genre ça peut être pas mal, voire une condition préalable.
« Revendiquer l’identité féminine en rejetant la maternité, c’est s’énerver comme une mouche qui pense pouvoir traverser les parois du bocal où elle est prise. L’identité féminine est consubstantielle de la procréation. Le terme femme est en lui-même une injonction à la maternité. « Concept irrécupérable », disait Wittig (2001 : 103). » https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2011-1-page-52.htm
« S’abolir soi-même signifie se dissocier radicalement de son identité et entrer dans un processus de désidentification. Chaque fois que j’accepte d’être réduite à une catégorie sociale, j’accepte de n’être qu’un fantôme, une moins-que-moi – une moins-que-rien. Le moi que je dois abolir, c’est le corps social, celui qui est strié par toutes les appartenances qui m’ont été imposées – ou que l’on a réussi à me faire croire que j’ai choisies – celui qui est mesuré, compté, jaugé et classé : celui qui est corvéable, redevable, responsable et ultimement, coupable. Ce corps est celui qui opprime et qui est opprimé ; les stries qu’il porte sont aussi les marques du fouet du bourreau.
Voilà à quoi se résume mon programme : devenir si lisse que rien n’arrivera à coller à ma peau – pas même mon nom. »
https://flegmatique.net/2016/03/04/quatre-abandons-et-une-abolition/
Donc il faut réinterroger les pratiques de luttes, mais parallèlement les collages appelant des féministes à aller, telles des sorcières des temps modernes, au bûcher, ça par contre ce ne sera jamais dénoncé, mais simplement énoncé.
Aussi, n’est pas attribué « la féminité naturelle » aux « femelles humaines » (comme dirait de Beauvoir) en vertu de simples « croyances » mais bien par l’oppression elle-même de ces femelles qui en fait par là même des femmes. Le fait que ces « croyances » soient infondées ne remets pas en cause leur efficacité et surtout leur ciblage volontaire. Ainsi on pourra dire moins brutalement que de Beauvoir qui utiliserait comme dans son texte le mot castrat, plutôt comme Chimamanda Ngozi Adichie que simplement les femmes trans sont des femmes trans, étant entre autres sorties du système de reproduction « normal ».