Pour une fois, l’appel à manifester est l’après-midi. Il fait beau. Autour de 16H, le cortège démarre sur le maigre parcours désormais obligatoire : deux axes du centre-ville. Il y a autour de 5000 personnes, emmenées par un cortège de tête de plusieurs centaines de manifestants et manifestantes, qui vont bientôt de mélanger, créant une vaste manif hétérogène.

Un sentiment : ce défilé manque de souffle. Comme la précédente manif, peu de slogans, peu d’entrain, un parcours à minima. L’immense majorité vient en spectateur, attendant que « quelque chose se passe ». Pour ne rien arranger, le dispositif policier est toujours plus oppressant. Des centaines de gendarmes, mais aussi des CRS nerveux, collés au cortège, formant une nasse mobile. Dès le début, les CRS matraquent les premières lignes. Un LBD est braqué à moins de deux mètres. Les grenades sont brandies. Il est clair qu’aucune fantaisie ne sera tolérée.

Une banderole aux couleurs vives, une fleuriste révoltée et des musiciens donnent quelques couleurs à l’après-midi. Mais la présence policière envahissante renforce l’apathie. Poser le moindre tag devient un défi quasi-impossible. S’approcher d’un trottoir revient à risquer un tabassage. Enfiler un kway demande une discrétion fabuleuse. La presse se félicite d’une manifestation « calme ». Mais peut-on encore parler de calme lorsqu’on défile entre des rangées d’hommes en armes ? Réflexion stratégique : il est évident que l’État français ne peut pas aligner de tels dispositifs dans toutes les villes. Si la voie est libre ailleurs, profitez en.

A la fin du premier petit tour, amertume. Les camions syndicaux s’arrêtent déjà. Nous avons marché moins de 45 minutes. Le défilé devait finir sur l’île de Nantes, par un concert. Musique annulée sur demande de la mairie. Il devait aussi défiler sur un parcours plus étendu. Annulé aussi. A la place, une sono annonce : « si vous voulez vous faire gazer, vous pouvez continuer devant ». Bref, l’état major syndical jette directement les plus jeunes et les plus investis dans les bras de la répression. Plus tôt, la même sono lançait un appel aux « camarades policiers » à rejoindre la manif. Oui, les policiers qui piétinent des grands-mères, mutilent des lycéens, étouffent des pères de famille. Les policiers à qui le gouvernement cède tout, y compris des salaires confortables du matériel de guerre tout neuf et des régimes de retraites spéciaux. Bref, ambiance défaite.

Ce deuxième tour en petit comité est compliqué. Autant de forces de l’ordre que de manifestants. Un hélicoptère bourdonne dans le ciel, grotesque. A Bouffay, une nasse se forme. Un manifestant est arrêté au hasard, plaqué au sol entre des chaises, en terrasse d’un bar. Que personne ne bouge. La manifestation est terminée. Plus loin, quelques cubis terminent de se vider derrière des camions.

Des grappes de personnes se dispersent. Chacun a conscience qu’il en faudra plus, infiniment plus pour vaincre ce gouvernement de terreur.