“Dans le processus de lutte, ils se découvrent comme classe, ils se rendent compte de cette découverte comme conscience de classe. La classe et la conscience de classe sont toujours le dernier, non le premier stade dans le processus historique” E. P. Thompson

La fragmentation et l’ hétérogénéité sont des caractéristiques du Mouvement de Travailleurs sans emploi ou mouvement “piquetero”, une des composantes les plus dynamiques du champ populaire argentin de ces dernières années. Quelques-unes de ses expressions tendent à la reproduction des traditionnelles pratiques sociales et politiques “clientélistes”, une espèce de système de punteros (1) de “gauche” qui maintient les relations asymétriques entre une élite de dirigeants et des groupes subordonnés. D’autres partent de la vieille conception du “front de masses”, qui derrière le discours de l'”Inter.-changement” ou de l’ “inter-relation” ou directement du “centralisme démocratique” ont l’habitude d’occulter une relation de domination, à partir de la fonction de direction exercée exclusivement par un groupe, une élite politique ou une avant-garde autoproclamée. Souvent, ces fonctions ne s’assument pas ouvertement et ont l’habitude de “se déguiser”, y compris sous une rhétorique horizontaliste (2). Nous pouvons également rencontrer des pratiques proches du syndicalisme de gauche plus ou moins traditionnel qui subordonne la construction sociale à la construction du parti de la classe ouvrière. Finalement nous rencontrons des organisations qui pensent/construisent à partir de l’expérience concrète de transformation (en terme de contre-pouvoir, pouvoir populaire, etc.) en reconstruisant des liens sociaux, en développant des relations sociales alternatives à celles dominantes. A la différence des autres expressions du mouvement piquetero, cette dernière ne pense pas exclusivement en termes de “globalité” ou de “conjoncture”.

D’autre part, ses objectifs ont l’habitude d’être dissemblables et vont d’une stratégie redistributive au socialisme (dans toutes ses versions) comme représentation future, soutenant de vieilles identités populistes, basées dans l’idée d’intégration au système et dans l’illusion correspondante du retour à l’Etat interventionniste bienfaiteur jusqu’au refus ou à la non-croyance absolue de toute idée de rénovation du pays bourgeois et de toute lutte orientée pour préserver l’ordre antérieur. En synthèse, apparaissent comme horizons autant la modification de l’orientation des gouvernements que le changement des structures de l’Etat et de la société. Dans quelques organisations du mouvement, la croyance selon laquelle la lutte contre l’oppression doit tourner autour de la question de la citoyenneté (obtention/récupération de droits) est profondément enracinée, dans d’autres il est considéré que pour en finir avec l’oppression et l’exclusion, les droits citoyens ne suffisent pas et que pour une émancipation veritable il est nécessaire de transformer les relations sociales, culturelles et les logiques de l’accumulation capitaliste. Ces transformations, d’autre part, se percoivent comme des conditions indispensables de la citoyenneté.

En ce qui concerne le travail, les dispositions vont de la revendication de travail “véritable” jusqu’à la fuite du travail aliéné et la revendication du “travail digne”, ou plus spécifiquement -comme le propose un secteur du mouvement- travail égalitaire, solidaire, libre et partagé. Il faut ajouter que le travail “véritable” s’est converti en une des principales revendications d’un secteur du mouvement. En ce sens, nous devons considérer que le travail “véritable” peut être générer par une entreprise privée qui embauche un bénéficiare de subventions publiques tandis qu’elle licencie un travailleur effectif.

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(1) punteros : hommes de main du Parti péroniste dans les quartiers, ils sont chargés entre autres « d’acheter » des votes, ils sont le maillage d’un véritable système de favoritisme politique. (N.d.T.).

(2) Le terme d’horizontalité est très présent dans les mouvements sociaux en Argentine, il définit des pratiques plus généralement dénommer, en France tout du moins, comme de “démocratie directe” , c’est à dire les prises de décisions exercées par la base, réunie le plus souvent en assemblée. (N.d.T.).

(3) Dans ces deux premières catégories, on trouve les mouvements de chômeurs des partis de gauche qui se définissent comme trotskistes, communistes, maoïstes… (Parti Ouvrier, Parti Communiste, Mouvement Socialiste des Travailleurs, Parti Révolutionnaire de Libération…). (N.d.T.).

Traduction : fab (santelmo@no-log.org)